Ce que les Jésuites ont apporté aux Chinois pourrait être classé dans trois grandes
catégories :
Tout d’abord, l’introduction d’idées et pratiques nouvelles en mathématiques,
astronomie, géographie, et autres domaines de connaissance de la nature, c’est-
à-dire des idées et des pratiques qui leur étaient inconnues, mais surtout qui
bouleversaient, pour nombre d’entre elles, leurs représentations du monde ;
ajoutons en incise que les représentations que les Occidentaux se faisaient du
monde ont été elles aussi bouleversées au cours du XVII
e
siècle, et d’une
manière radicale, avec la disqualification irréversible de la physique
d’Aristote grâce à la mise au point de la méthode expérimentale.
En deuxième lieu, ils ont introduit la religion chrétienne et ce, sous deux modes,
celui de la conversion de populations (on estime à 250 000 personnes le nombre
de chrétiens chinois à la fin du XVIIIe siècle) et la diffusion dans la culture
chinoise de conceptions chrétiennes qui, acceptées ou refusées, contribueront à
la faire évoluer.
Enfin, et aujourd’hui c’est peut-être le plus important aux yeux des Chinois, ils ont
en Europe fait connaître la Chine, son histoire, sa culture, ses mœurs par le
moyen de leurs écrits publiés dans toute l’Europe. Mentionnons deux de ces
écrits ; le récit de Matteo Ricci sur l’histoire de la mission, qui inclut une longue
description des institutions et des mœurs chinoises à la fin du XVIe siècle et la
traduction en latin de trois des quatre principaux livres du confucianisme,
traduction publiée par Philippe Couplet en 1687 sous le nom de Confucius
sinarum philosophus, Confucius philosophe de la Chine.
Avant d’entrer dans les savoirs et conceptions que les Jésuites ont transmis, je
voudrais attirer l’attention sur ce dernier mot, le mot « transmis ». Il suppose deux
actions ou deux temps : il suppose, d’une part, un apport et, d’autre part, une
réception. Jusqu’à une date assez récente, disons les années 1970, le second terme
n’avait pas fait l’objet de profondes investigations ; l’histoire qui était narrée ne
pouvait qu’adopter le seul point de vue de ceux qui apportaient, des missionnaires ;
elle s’étendait sur ce qu’ils avaient remis, apporté, et elle laissait entendre que ce qui
avait été remis avait été reçu, et plus précisément avait été reçu et compris d’une
manière identique à la manière dont les missionnaires le comprenaient. Ces derniers
avaient certainement conscience de l’écart entre ce qu’ils disaient et ce qui était
entendu, mais n’en parlaient guère.
Aujourd’hui, les recherches menées depuis quelques décennies ont profondément
modifié la narration de ces échanges en étudiant les diverses étapes de la réception
de ces savoirs par les Lettrés chinois. Nous pouvons distinguer trois étapes : une
acceptation globale et peu approfondie dans un premier temps. , suivie du rejet de
nombreuses affirmations et méthodes, rejet fondé sur l’étude de leurs classiques et
enfin un narratif permettant de concilier, fût-ce par une fable, l’utilisation des savoirs
occidentaux et la conformité aux exigences confucéennes. En d’autres termes,
même les savoirs sur la nature (physique, astronomie, chimie, …) étaient – et sans
doute sont encore pour beaucoup - enchâssés dans des cultures fort différentes en
Europe et en Chine et que leur transplantation n’est pas une tâche aisée et rapide.