SOiNS CADRES - Supplément au n° 69S20
LES AUTEURS
Didier Zaraya, enseignant, Université
Paris 8, UFR Communication,
Pascal Barreau, coach et formateur-
consultant, Sainte Anne Formation,
Paris (75)
p.barreau@ch-sainte-anne.fr
se rend, se passe. Elle est
Une, c’est-à-dire qu’elle caracté-
rise le sujet dans ce qu’il est.
N’avoir qu’une parole, c’est avant
tout être de parole. Le langage
renvoie à la notion de code, la
parole renvoie à celle de corps.
Elle est particulière et opère un
acte de relation autant que de com-
munication. Expression d’un être
incarné, la parole s’entend comme
expression de l’intime : désirs,
pensées, émotions, souffrances,
aspirations de celui-ci. Autant
d’artéfacts qui intéressent le coach.
Son intervention consiste à inviter
le coaché à relier parole et lan-
gage de manière à faire émerger
son intentionnalité et à envisager
l’action. Bienveillante, la parole
est acte de civilité. A contrario,
péjorative voire insultante, elle est
acte d’incivilité. Elle n’est jamais
neutre dans la mesure où elle
engage l’émetteur comme le
récepteur. Pascal disait qu’elle
appartient autant à celui qui l’é-
nonce qu’à celui qui la reçoit. De
par sa centralité locutoire, elle
définit l’espace de rencontre, lieu
de tous les enjeux interpersonnels,
du partenariat étroit au conflit
tenace. En cas de conflit, la posi-
tion de tiers du coach permet par
son externalité une triangulation
susceptible de décristalliser les
oppositions. C’est donc la posture
d’extériorité qui confère au coach
le statut de son intervention.
Si l’intervention du coach est
déterminée par sa posture d’exté-
riorité, le coaching interne
soulève bien évidemment nombre
de questions, dont celle de l’ap-
partenance du coach au système
du coaché.
❚La communication, avant même
de s’envisager sous son aspect
opérationnel, doit nécessaire-
ment faire l’objet d’une contex-
tualisation.
Les paramètres situa-
tionnels associés à la demande de
coaching éclairent le coach sur les
accords du contrat relationnel à
passer avec le coaché. Ces accords,
nous dit François Delivré3, por-
tent sur le contenu et le proces-
sus. Le premier imprime les objec-
tifs à atteindre par le coaché tan-
dis que le second exprime les
contours de la plateforme de tra-
vail en termes de socialité. Le
contrat relationnel engage les
signataires dans une dynamique
de collaboration fondée sur le res-
pect mutuel.
Selon Dominique Picard4, le res-
pect peut se définir comme une
forme de politesse débarrassée
des hypocrisies et des visées ségré-
gationnistes de la politesse clas-
sique. La conception de la poli-
tesse de Dominique Picard est
fondamentale en coaching. La
politesse n’a aucun lien avec la
police. Il s’agit bien d’y “mettre
les formes” par le polissage avec
les outils du langage et l’authenti-
cité de la parole.
Pour Pierre Bourdieu5, le travail
de politesse en situation de com-
munication vise à s’approcher le
plus possible de la formule par-
faite sous couvert d’avoir une maî-
trise totale de la situation de com-
munication. Mais cette maîtrise
est illusoire. Le discours est tou-
jours présidé par le souci de bien
dire. Les silences et autres lapsus
sous-tendus par une timidité ou
un sentiment d’inconfort ne
feront donc l’objet d’aucune cor-
rection formelle de la part du
coach. Parler représente un
risque. Le verbatim est toujours un
compromis entre la pensée et la
mise en mots. Cette prise de
risque, le coaché parvient à la sur-
monter dès lors qu’il est considéré
en tant que personne, c’est-à-dire
pleinement reconnu dans sa
dignité.
❚Le droit du coaché est celui
d’être reconnu comme personne.
Ce droit pourrait d’ailleurs s’envi-
sager comme un devoir pour un
coach, tant il y a, selon Emmanuel
Kant, obligation à aimer l’huma-
nité dans l’autre. Ce dernier va
jusqu’à dire que « c’est un devoir
pour nous que de respecter le droit des
autres et de le considérer comme sacré.
En fait, il n’y a rien de plus sacré en
ce monde que le droit des autres
hommes »6.
CONCLUSION
❚Dès lors que la communication
est examinée dans ses enjeux
anthropologiques,
elle échappe
aux modèles classiques de la trans-
mission d’un message. Vectrice
des lois de la civilité, elle porte en
elle les identifiants de sa propre
incivilité. Mais toute incivilité n’est
pas pour autant condamnable.
Par exemple, l’incivilité intercul-
turelle commise par méconnais-
sance des règles de la civilité de
l’autre est très vite dépassée pour
peu que les hommes veuillent
bien se parler.
❚Quel bel outil de partage que la
communication !
Elle rapproche
les hommes animés par la tempé-
rance. Quant aux autres, il est
nécessaire de les accompagner sur
le chemin de la civilisation. Celle-
là même énoncée par Sigmund
Freud : « La civilisation désigne la
totalité des œuvres et organisations
dont l’institution nous éloigne de l’état
animal de nos ancêtres et qui servent
à deux fins : la protection de l’homme
contre la nature et la réglementation
des relations des hommes entre eux »7.
❚Et lorsque la contradiction vient
heurter ce qui est établi,
bousculer
les règles et les codes traditionnels,
ne faut-il pas voir dans ces
avancées, ce que notre culture
possède de plus grand : le design
par des esprits libérés d’une
société en perpétuel mouvement ?
En ce sens le coaching, en préve-
nant la barbarie, est espace de
libération et de civilisation plus
que de civilité. ■
savoirs et pratiques
▲
NOTES
1. Erasme
de Rotterdam.
De civilitate marum
puerilium, Chapitre 1,
1530.
2. Devillard O. Coacher,
Paris: Dunod, 2005.
3. Delivré F. Le métier
de coach. Paris: Éditions
d’Organisation, 2007.
4. Picard D. Politesse,
savoir-vivre et relations
sociales. Paris: PUF,
Que sais-je ?, 2003.
5. Bourdieu P.
Ce que parler veut dire.
Poitiers: Fayard, 1982.
6. Kant E. Critique
de la raison pratique
(1788). Paris: PUF, 2003.
7. Freud S. Malaise
dans la civilisation
(1929). Paris: PUF, 1994.
RÉFÉRENCES
• Borel F.
Le vêtement incarné,
les métamorphoses
du corps. Paris:
Calmann-Lévy, 1992.
• Elias N. La civilisation
des mœurs. Paris:
Calmann-Lévy, 1969.
• Mosse-L. G. L’image
de l’homme. L’invention
de la virilité moderne.
Paris: Éditions Abbeville,
1996.
• Onfray M.
La sculpture de soi.
Paris: Grasset, 1993.
• Picard D. Pourquoi la
politesse, le savoir-vivre
contre l’incivilité. Paris:
Seuil, 2007.
• Poirier J. Histoire
des mœurs II, volume 1.
Paris: Gallimard, 1991.