RC nº 230 - 2
et du monde. C’est l’Humanisme apparent de la Révolu-
tion moderne, qui met l’homme à la place de Dieu.
La réalité est tout autre. La Révolution a livré les indivi-
dus au totalitarisme sans limites d’une race, d’une classe,
d’un parti que Dostoïevski appelait d’un nom prémonitoire,
« les Possédés », plus exactement « les Diaboliques ».
C’est son Antihumanisme réel. En effet, la théorie de la
Révolution est nécessaire et universelle ; elle ne souffre ni
exception ni retard ni ménagement. Le pouvoir doit décla-
rer les Droits de l’homme dans l’absolu et veiller à ce que
rien ne s’y oppose. Ainsi le pouvoir s’en trouve-t-il armé
d’une formidable puissance et d’un rôle universel d’inter-
vention constante dans la vie publique et privée, pour tout
soumettre ˗˗ actions, intérêts, convictions ˗˗, à l’idéologie
destructrice de l’ordre chrétien.
Cet individualisme a pris pied dans l’Église par le libéra-
lisme, et ce dès les lendemains de la Révolution française et
malgré la condamnation des Papes. Sous prétexte de charité,
les libéraux ont eu à cœur d’adopter le point de vue des au-
tres, s’appliquant à lui accorder les mêmes chances de véri-
té, la même crédibilité, la même force qu’au leur, qui est le
point de vue catholique. Ce n’était pas à proprement parler
du libre examen, mais la recherche commune de la vérité
avec les hommes de toutes croyances nivelait déjà celles-ci,
et donc accordait au choix de chacun une valeur égale, un
respect et une dignité égale à celle due à la vérité.
DE L’INDIVIDUALISME DANS L’ÉGLISE !
C’est à partir du règne de Pie XI que l’individualisme
s’implanta définitivement dans l’Église catholique comme
une conséquence directe de la condamnation de l’Action
française de Charles Maurras.
Germanophile et théo-démocrate autoritaire, Pie XI ne
pouvait qu’être sensible aux sirènes démocrates-chrétien-
nes qui réclamaient depuis le début du siècle la condamna-
tion pontificale du mouvement monarchiste français, com-
me seul moyen d’éliminer ce mortel ennemi. Elles s’étaient
heurtées à l’intelligence, à la droiture et à la science histori-
que et politique de saint Pie X. Elles auraient leur revanche
sous le Pape bibliothécaire !
Le 25 août 1926, la condamnation de l’Action française
fut promulguée, provoquant une véritable commotion au
sein de la Droite française et de l’Église, dont l’élite adhé-
rait au mouvement maurrassien. Celle-ci se trouva déchirée
entre son nationalisme éclairé par sa foi et son attachement
à Rome, qui impliquait, à ses yeux, l’obéissance incondi-
tionnelle au Successeur de Pierre. Certains résistèrent, dé-
nonçant l’excès de pouvoir de Pie XI, beaucoup préférèrent
se soumettre la mort dans l’âme, mais d’autres le firent en
cherchant à justifier le Pape pour mieux renier leurs convic-
tions de la veille. Parmi ces derniers : Jacques Maritain.
Philosophe thomiste, longtemps convaincu par l’impla-
cable critique maurrassienne de la mécanique démocrati-
que, sa soumission au diktat pontifical avait besoin de se
trouver une justification supérieure. Seuls des arguments
métaphysiques pouvaient lui permettre, sans se déconsidé-
rer, de professer le contraire de ce qu’il défendait encore
quelques semaines auparavant !
Il trouva dans le substantialisme aristotélicien, donc
prétendument thomiste, la pierre angulaire de son humanis-
me intégral, qui fait de chaque homme une personne, à ne
pas confondre avec l’individu qui est le même homme,
mais considéré sous l’angle de son appartenance à la socié-
té humaine.
Alors que chez saint Thomas personne et individu sont
synonymes, Maritain les oppose et exalte la Personne hu-
maine et aboutit à une autolâtrie, à la divinisation de
l’Homme. L’abbé de Nantes le prouve dans son cours de
métaphysique totale (LA PERSONNE HUMAINE CRÉÉE PAR
DIEU DANS LE MONDE, CRC nº 176, avril 1982, p. 6 et s.) Il
cite Maritain avant de le réfuter magistralement :
« Pour aller à la découverte philosophique de la per-
sonnalité, il semble que le meilleur chemin est de considé-
rer la relation de la personnalité et de l’amour. » Car
« pour pouvoir se donner, il faut d’abord exister, et non
pas seulement comme ce son qui passe dans l’air ou cette
idée qui me passe dans l’esprit, mais comme une chose qui
subsiste et qui exerce par elle-même l’existence, et il ne
faut pas seulement exister comme les autres choses, il faut
exister d’une manière éminente [nous y voilà !], en se pos-
sédant soi-même en main [!] et en disposant de soi-même
[ah !], c’est-à-dire qu’il faut exister d’une existence spiri-
tuelle, capable de s’envelopper elle-même par l’intelligen-
ce et la liberté [rhétorique flatteuse, fumée d’encens] et de
surexister [mot divin !] en connaissance et en amour.
« Voilà pourquoi la tradition métaphysique de l’Occi-
dent [celle d’Aristote, de saint Thomas, des humanistes et
des Philosophes des lumières, celle de 1789, tous réconci-
liés] définit la personne par l’indépendance – comme une
réalité qui, subsistant spirituellement, constitue un univers
à soi-même et un tout indépendant (relativement indépen-
dant) [la parenthèse est de Maritain qui, tout de même évite
d’établir l’Homme dans un absolu sans dieu et sans créa-
tion] dans le grand tout de l’univers et en face [en face !]
du tout transcendant qui est Dieu. »
Notre Père commente : « Voilà l’homme établi en digne
partenaire de Dieu, vis-à-vis de Dieu dans une totale indé-
pendance par rapport à tout autre, et dans une royale liberté
vis-à-vis même de Lui, Dieu, qui l’a fait à son image et à sa
ressemblance, comme un autre dieu. Lisez plutôt :
« Ce qui se trouve au plus profond de la dignité de la
personne humaine, c’est qu’elle n’a pas seulement avec
Dieu la ressemblance commune qu’ont les autres créatures
[?!] ; elle lui ressemble en propre, elle est à l’image de Dieu,
car Dieu est esprit, et elle procède de lui en ayant pour prin-
cipe de vie une âme spirituelle, un esprit capable de connaî-
tre, d’aimer, et d’être élevé [ici j’omets, délibérément, la
cheville chrétienne “ par la grâce ”, qui ne joue là qu’un rôle
superfétatoire] à participer à la vie même de Dieu, pour, à la
fin, le connaître et l’aimer comme il se connaît et il s’aime. »
« Le “ Vous serez comme des dieux ” retentit dans cette
page de Maritain. C’est hélas dans la ligne du substantialis-
me aristotélicien et de sa morale humaniste, qui posent les
natures spirituelles, toutes semblables, hors de leurs causes,
et leur assignent une carrière grandiose à courir par leurs
propres forces, pour leur propre plénitude, sans que rien