272 PERCEPTION DE LA DOULEUR
INTERACTIONS Vol.2 no 2, Automne 1998
Compte tenu des résultats présentés ci-dessus, il n’est donc pas surprenant qu’une
étude rapporte que, des trois à cinq millions de personnes souffrant d'une douleur
associée au cancer chaque jour, 80 % ne reçoivent pas un soulagement adéquat de la
douleur (Bonica, 1985, voir Dufault et al, 1994). Il y a donc un écart certain entre la
douleur ressentie par la patiente ou le patient et l’évaluation faite de l’intensité de
cette douleur par le personnel soignant. Il est logique de déduire que si l’intensité de
la douleur est mal évaluée, il arrive alors que les moyens pris pour soulager cette
douleur soient inadéquats.
Un élément qui joue un rôle dans l’explication de l’écart observé entre la douleur
exprimée et l’évaluation faite par le personnel soignant de l’intensité de cette douleur
est la croyance forte chez le personnel soignant en l’existence de douleurs rebelles,
dites douleurs chroniques. À preuve, différents professionnels de la santé, médecins,
aides-soignants et personnel infirmier, répondent oui, dans une proportion de 62,5 %,
76,5 % et 82 %, à la question : « À votre avis, existe-t-il des douleurs rebelles à tout
traitement? » (Salimpour, Breton-Cairaschi, Reynolds et Granon, 1990). De plus,
Salimpour et al. interrogent le personnel soignant sur l’efficacité thérapeutique à
l’égard de certaines douleurs. L’efficacité du traitement est jugée très faible pour la
douleur chronique, alors que pour une douleur ponctuelle postopératoire, l’efficacité
du traitement est jugée excellente. Schattner (p.230) note dans son ouvrage « que la
douleur chronique interpelle le médecin comme au-delà de son statut, de son rôle, de
sa technique, dans l'intimité de son être... et qu'à cela il n'est pas préparé ».
Un autre aspect qui sous-tend l’écart parfois observé entre l’évaluation de la douleur
faite par les patientes et les patients et celle réalisée par le personnel soignant est la
présence d’une lésion tissulaire réelle (appelée douleur lésionnelle) ou son absence
(appelée douleur fonctionnelle) ( Schattner, 1993).
C’est dans ce dernier cas que surgit le plus souvent cet écart. Il paraît donc important
d'explorer les raisons d'une telle prévalante de l'organique. Selon Schattner (1993,
p.230), pour le personnel soignant, "l'organique est le domaine du connu, de l'action,
de la sécurité, de la réussite, de l'efficacité" et en contrepartie, s’il dispose uniquement
de données fonctionnelles, il est confronté à une large part d'inconnu qui éveille des
sentiments d'inefficacité et d'insécurité. D'ailleurs, l’étude de Salimpour et al. (1990),
citée ci-dessus en regard de l’aspect chronique ou non de la douleur, confirme aussi
que la cause physiologique connue (douleur postopératoire) est associée à un
traitement efficace comparativement à la douleur que le personnel soignant qualifie
d’inexpliquée (soit sans cause physiologique connue) et pour laquelle il juge les
traitements inefficaces. Ainsi, selon Salimpour et al., les douleurs les plus souvent
perçues et évaluées correctement sont celles maîtrisables par le personnel soignant,