Concours 2012 « Promotion de l’éthique professionnelle »
L’éthique collective au secours d’une morale captée par
l’intime
Longtemps abordée de façon universelle, la morale s’énonçait principalement en termes de
devoirs. Les règles morales prenaient alors des formes majoritairement collectives, qui
permettaient à la fois le rassemblement et le vivre-ensemble des individus. Dans l’histoire des
sociétés européennes, le concept de devoir moral a été indéniablement porté par les religions et en
particulier par le judéo-christianisme. La philosophie des Lumières, quant à elle, aborda le
caractère universel de ces règles en se plaçant du point de vue des droits. La déclaration des
droits de l’Homme et du citoyen apparaît alors comme une volonté de rassembler, tout en affirmant
la nécessité d’une base morale collective. Toutefois, cette morale collective ne supportait pas
toujours la différence, et pouvait conduire à la négation de l’autre lorsque sa communauté, sa
culture, se référait à une morale divergente.
L’essoufflement progressif de la religion qui caractérise la modernité a fortement ébranlé
cette base morale collective. Nombreux sont ceux qui perçoivent désormais les propositions
morales des religions comme une intrusion liberticide. Ils font valoir leur autonomie dans la
définition de leurs principes moraux, et se proclament législateurs de leur moralité. Dans le même
temps, le principe d’universalité des droits ou devoirs moraux a été fragilisé par le développement
des savoirs sur l’Homme, sur la variété des civilisations et des cultures.
Cette fragilisation de la vocation collective de la morale n’a toutefois pas privé les sociétés
européennes de valeurs à partager. En effet, l’accélération du progrès techno-scientifique a suscité
une nouvelle espérance rassembleuse, le Progrès, également porteur d’un idéal humaniste. Par la
grâce de sa maîtrise de la nature, l’humanité serait en mesure de construire un monde meilleur,
pacifique, démocratique, dégagé des contingences matérielles. Pierre MASSE, polytechnicien et
commissaire au Plan Français durant les Trente Glorieuses affirmait ainsi avec optimisme :
« Doués de pouvoirs magiques : transmuter les métaux, lancer la foudre, lire à travers les corps,
échapper à l’attraction terrestre, construire des cerveaux plus rapides que le nôtre, comment
n’éprouverions-nous pas une espérance infinie, comment n’attendrions nous pas une amélioration
illimitée de notre destin ? ». Ces projets rassembleurs ont entretenu la flamme du vivre-ensemble,
car ils portaient en eux une nouvelle espérance, ingrédient précieux de tout projet collectif.
Nous sommes depuis près d’un demi-siècle dans une ère de désenchantement vis-à-vis de
ces idéaux. Le rêve prométhéen d’un développement soutenu de la science et de la technique au
service du bien être humain ne résiste plus à la critique. Les inégalités croissantes et l’absence de
réelle perspective durable affaiblissent la portée de la croyance collective dans l’idéal progressiste.
Ce désenchantement du référentiel technoscientifique conduit, selon le philosophe Pierre-André
TAGUIEFF, à désolidariser les deux composantes fondamentales du progrès, le « progrès-savoir »
et le « progrès bonheur ». Ainsi, le « Grand espoir du XXe siècle » prophétisé par l’économiste
Jean FOURASTIE, qui faisait du progrès technique « la variable motrice de notre temps », cède sa
place à une « société du risque ». Enfin, les idéologies et courants politiques qui ont traversé et
transporté les sociétés européennes durant tout le XXème siècle, ont provoqué une certaine
désillusion vis-à-vis de tout projet collectif arrimé à une idéologie politique. Le modèle de
démocratie libérale est lui-même contesté pour sa propension à concentrer les richesses et son
incapacité à moraliser le monde économique.
Nous constatons ainsi que les considérations morales, prenant la forme de métarécits
portés par les religions, les idéologies, où les technologies ont peu à peu perdu leur force
mobilisatrice. Cela a conduit à individualiser la construction morale désormais assignée à la sphère
personnelle. Et si l’élaboration d’une morale personnelle apparaît comme indispensable à la liberté
individuelle, nous jugeons essentiel de penser simultanément une échelle collective. C’est
précisément le rôle que nous envisageons pour l’éthique.