Pour une entreprise responsabilisée et responsabilisante

Pour une entreprise responsabilisée et
responsabilisante
Icam de Toulouse
Fabien Cornebise, Antoine Drouillard, Yann Ferguson, Gandalf
Gires, Romain Maintier, Camille Note, Pierre-François Roy
Concours 2012 « Promotion de l’éthique professionnelle »
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Pour une entreprise responsabilisée et responsabilisante
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SOMMAIRE
Prélude : une réflexion libre et collective................................................................................ 3
Bibliographie............................................................................................................................ 3
Résumé................................................................................................................................... 3
L’éthique collective au secours d’une morale captée par l’intime......................................... 4
L’entreprise, une actrice de l’éthique collective ..................................................................... 6
Pour une entreprise responsabilisée et responsabilisante.................................................... 7
Concours 2012 « Promotion de l’éthique professionnelle »
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Prélude : une réflexion libre et collective
Le groupe de réflexion à l’origine de cet essai est composé de six étudiants ingénieurs en
fin de formation, accompagnés d’un permanent de notre école, étudiant en sociologie. La
formation que nous suivons nous a amenés de nombreuses fois sur le sentier de la réflexion
éthique, c’est en ce sens que nous nous sommes portés volontaires pour participer à ce travail.
Au travers d’une démarche de réflexion collective, nous nous sommes lancés lors de nos
réunions dans des discussions libres. Nous avons en effet pris le parti de nous dégager de la
littérature et des concepts consacrés (management par les valeurs, responsabilité sociale de
l’entreprise, développement durable…) afin de ne pas penser à l’intérieur de cadres qui ne sont
pas nécessairement les nôtres. Penser par nous-mêmes était notre seule contrainte. Gravitant
autour de l’éthique professionnelle nous avons souvent atterri sur la question de son rapport avec
la morale. Etablir une distinction entre ces deux termes nous a permis d’aborder ce que nous
attendions de l’éthique professionnelle. L’objectif fût ensuite de coucher nos réflexions par écrit,
démarche difficile tant les nombreuses idées que nous avions balayées s’étaient enchevêtrées au
fil des prises de paroles.
Cet essai est le résultat de cette démarche de plusieurs mois. Nous souhaitons y décrire
notre vision de l’éthique de l’entreprise, de ce qu’elle pourrait porter et permettre.
La tendance actuelle des entreprises à se draper de l’éthique comme stratégie de
valorisation sur un principe gagnant-gagnant ne fait pas totalement écho en nous. Nous voyons en
effet le monde du travail comme un lieu de rencontres, un espace propice à l’émergence et à
l’apprentissage de valeurs collectives. Ainsi, nous comptons sur l’entreprise pour développer nos
compétences éthiques, autant que nos compétences professionnelles.
Nous n’avons pas pour objectif d’établir des règles à respecter. A l’aube de notre entrée sur
le marché du travail, ces quelques pages se font la voix de notre désir de penser une entreprise
plus en phase avec nos aspirations éthiques.
Bibliographie :
Dubet, F. (2002), Le déclin des institutions, Paris, Seuil.
Fourastié, J. (1949), Le Grand Espoir du XXe siècle. Progrès technique, progrès économique,
progrès social, Paris, PUF.
Massé, P. (1965), Le Plan ou l’anti-hasard, Paris, Gallimard Saint-Amand.
Perrow, C. (2007), The Next Catastrophe: Reducing Our Vulnerabilities to Natural, Industrial, and
Terrorist Disasters, Princeton University Press.
Smith, A. (1767, 2003), La théorie des sentiments moraux, Paris, PUF.
Taguieff, P.-A. (2006), Le sens du progrès : Une approche historique et philosophique, Paris,
Flammarion.
Weber, M. (1964, 2004), L’éthique protestante ou l’esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
Résumé :
Notre essai propose l’idée d’une entreprise responsabilisée et surtout « responsabilisante ». Nous
commençons par situer notre perception de l’éthique à un niveau collectif pour ne pas la réduire à
l’échelle individuelle : nous voulons exploiter la forte demande sociale éthique actuelle pour en
faire un projet de société propice à tisser des liens entre les personnes. Puis, nous expliquons en
quoi l’entreprise constitue, selon nous, la cellule élémentaire pour porter ce type de projet. Nous
terminons en proposant trois niveaux d’action pour engager ce projet : l’offre, le management et
l’environnement.
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L’éthique collective au secours d’une morale captée par
l’intime
Longtemps abordée de façon universelle, la morale s’énonçait principalement en termes de
devoirs. Les règles morales prenaient alors des formes majoritairement collectives, qui
permettaient à la fois le rassemblement et le vivre-ensemble des individus. Dans l’histoire des
sociétés européennes, le concept de devoir moral a été indéniablement porté par les religions et en
particulier par le judéo-christianisme. La philosophie des Lumières, quant à elle, aborda le
caractère universel de ces règles en se plaçant du point de vue des droits. La déclaration des
droits de l’Homme et du citoyen apparaît alors comme une volonté de rassembler, tout en affirmant
la nécessité d’une base morale collective. Toutefois, cette morale collective ne supportait pas
toujours la différence, et pouvait conduire à la négation de l’autre lorsque sa communauté, sa
culture, se référait à une morale divergente.
L’essoufflement progressif de la religion qui caractérise la modernité a fortement ébranlé
cette base morale collective. Nombreux sont ceux qui perçoivent désormais les propositions
morales des religions comme une intrusion liberticide. Ils font valoir leur autonomie dans la
définition de leurs principes moraux, et se proclament législateurs de leur moralité. Dans le même
temps, le principe d’universalité des droits ou devoirs moraux a été fragilisé par le développement
des savoirs sur l’Homme, sur la variété des civilisations et des cultures.
Cette fragilisation de la vocation collective de la morale n’a toutefois pas privé les sociétés
européennes de valeurs à partager. En effet, l’accélération du progrès techno-scientifique a suscité
une nouvelle espérance rassembleuse, le Progrès, également porteur d’un idéal humaniste. Par la
grâce de sa maîtrise de la nature, l’humanité serait en mesure de construire un monde meilleur,
pacifique, démocratique, dégagé des contingences matérielles. Pierre MASSE, polytechnicien et
commissaire au Plan Français durant les Trente Glorieuses affirmait ainsi avec optimisme :
« Doués de pouvoirs magiques : transmuter les métaux, lancer la foudre, lire à travers les corps,
échapper à lattraction terrestre, construire des cerveaux plus rapides que le nôtre, comment
n’éprouverions-nous pas une espérance infinie, comment nattendrions nous pas une amélioration
illimitée de notre destin ? ». Ces projets rassembleurs ont entretenu la flamme du vivre-ensemble,
car ils portaient en eux une nouvelle espérance, ingrédient précieux de tout projet collectif.
Nous sommes depuis près d’un demi-siècle dans une ère de désenchantement vis-à-vis de
ces idéaux. Le rêve prométhéen d’un développement soutenu de la science et de la technique au
service du bien être humain ne résiste plus à la critique. Les inégalités croissantes et l’absence de
réelle perspective durable affaiblissent la portée de la croyance collective dans l’idéal progressiste.
Ce désenchantement du référentiel technoscientifique conduit, selon le philosophe Pierre-André
TAGUIEFF, à désolidariser les deux composantes fondamentales du progrès, le « progrès-savoir »
et le « progrès bonheur ». Ainsi, le « Grand espoir du XXe siècle » prophétisé par l’économiste
Jean FOURASTIE, qui faisait du progrès technique « la variable motrice de notre temps », cède sa
place à une « société du risque ». Enfin, les idéologies et courants politiques qui ont traversé et
transporté les sociétés européennes durant tout le XXème siècle, ont provoqué une certaine
désillusion vis-à-vis de tout projet collectif arrimé à une idéologie politique. Le modèle de
démocratie libérale est lui-même contesté pour sa propension à concentrer les richesses et son
incapacité à moraliser le monde économique.
Nous constatons ainsi que les considérations morales, prenant la forme de métarécits
portés par les religions, les idéologies, où les technologies ont peu à peu perdu leur force
mobilisatrice. Cela a conduit à individualiser la construction morale désormais assignée à la sphère
personnelle. Et si l’élaboration d’une morale personnelle apparaît comme indispensable à la liberté
individuelle, nous jugeons essentiel de penser simultanément une échelle collective. C’est
précisément le rôle que nous envisageons pour l’éthique.
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Face à la complexité croissante du monde exigeant de plus en plus la justesse d’action des
individus et des groupes, nous plaçons la vocation de l’éthique dans le dépassement du processus
d’individualisation de la morale. Elle s’affirme selon nous comme une réelle perspective de
consensus dynamique dont la force est puisée dans le collectif.
Nous considérons en ce sens que l’enjeu principal de l’éthique est de contribuer à
construire du lien, pour compenser une morale désormais largement captée par l’intime. L’éthique
comme construction collective prend toute sa place en créant à partir des sensibilités de chacun
des principes moraux ancrés dans la réalité individuelle, ajustables à chaque situation et dont le
principe de consensus prime sur celui d’objectivité ou de vérité.
On peut alors se demander qui, aujourd’hui, est à même de porter le projet éthique dans sa
dimension collective.
Les institutions classiques comme l’école ou l’Etat par exemple ont toujours intégré un
système de transmission de valeurs. Comme l’a montré le sociologue François DUBET, elles sont
aujourd’hui en difficulté, car la « fiction nécessaire » sur laquelle elles s’appuyaient, origine sacrée,
universalisme et homogénéité de valeurs, ne fait plus écho chez l’individu contemporain qui les
estime trop rigides. Le défi de l’éthique aujourd’hui demande une ouverture plus grande afin de
promouvoir l’établissement d’une éthique s’adaptant mieux aux évolutions de la société et des
technologies.
Le monde associatif acquiert une place majeure en alimentant constamment le débat public
sur les questions d’éthique. Cependant par sa définition et par l’objectif qu’elle poursuit, une
association regroupera des individus déjà acquis à une cause. Elle sera moins porteuse de la
mixité des idées et de la différence en général, ce que nous pensons essentiel au projet éthique.
Dans ce contexte, nous défendons l’idée que l’entreprise, en rassemblant des personnes
souvent différentes, est davantage représentative de la diversité des opinions, des normes et des
valeurs. C’est pourquoi son potentiel nous parait plus grand pour porter durablement un projet
d’éthique collective.
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