“ tradition ” ), les moyens de “ s’autoriser ” à gouverner, c’est-à-dire de se constituer en
autorité politique. Bien au contraire, le peuple souverain se soumettait le pouvoir, en
n’acceptant plus de reconnaître un gouvernement que si son institution comme pouvoir
dépendait ultimement du peuple lui-même. Lequel s’affirmait ainsi comme le seul détenteur
réel de l’autorité : bref, comme l’unique successeur moderne de ces “ auctores imperii
Romani conditoresque ”, de ces “ fondateurs ” ( conditores ) de leur cité où les Romains
voyaient les “ auteurs ” ( auctores ) des pouvoirs auxquels ils se soumettaient en les
reconnaissant comme dotés d’une “ autorité ” ( auctoritas ) héritée de cette fondation même.
Question réglée, donc, que celle de la source du pouvoir, constitué ainsi en
autorité politique à la faveur de son institution par le peuple se posant lui-même comme
unique source de l’autorité. La solution retenue ne dispensait pas pour autant, bien au
contraire, de donner toute son ampleur à la seconde interrogation. Libre d’instituer le
pouvoir, le peuple devait-il et pouvait-il, pour se considérer authentiquement comme
un peuple souverain, renoncer à exercer lui-même, au-delà de cette liberté instituante, toute
autre forme de liberté ? Bref, comment doit procéder le gouvernement d’un peuple libre ?
Vaste interrogation autour de laquelle s’est organisée pour l’essentiel, en vue d’y trouver une
modalité satisfaisante de réponse, la réflexion politique des Modernes.
A ne pas définir en effet avec rigueur ses modalités et ses limites, l’exercice de la
souveraineté populaire pouvait ouvrir, dans le cadre démocratique lui-même, sur de
redoutables dérives. Comme si l’institution populaire du pouvoir risquait, non d’atténuer
l’écart entre la majesté de l’Etat et les volontés ou les attentes des citoyens, mais de produire
une augmentation, voire une maximisation inédites du pouvoir. Un pouvoir en quelque
façon congénitalement augmenté et même absolutisé aux yeux de chacun de ses sujets par le
caractère désormais incontestable de son origine. Ainsi la carrière du principe de
souveraineté du peuple lors de la Révolution française manifesta-t-elle amplement, ne serait-
ce qu’à travers les versions qu’en donna la Terreur, l’importance de déterminer avec plus de
rigueur dans quelle mesure et à quelles conditions la reconnaissance du peuple souverain
laissait subsister, pour les diverses parties du corps social, voire pour la société elle-même
comme ensemble des volontés particulières, une autonomie vis-à-vis de l’autorité politique
ainsi reconnue pour seule légitime. Pour que la refondation du politique sur la souveraineté
du peuple ne se bornât pas à déplacer la source de l’autorité tout en augmentant encore, de
façon presque exponentielle, l’autorité prise à cette nouvelle source, il fallait donc encore
tout un trajet sur lequel les révolutions de la fin du XVIIIe siècle, loin d’y avoir mis un
terme, ouvraient au contraire décisivement en faisant de la teneur même du rapport entre
l’Etat ( démocratique ) et la société le principal objet d’interrogation.
Au fil de ce nouveau trajet, l’autorité politique ne pouvait que se révéler plus
énigmatique encore qu’elle ne l’avait jamais été, et ce pour deux raisons qu’il importe de
soigneusement spécifier avant de comprendre selon quelle économie mystérieuse elles
parvinrent à se combiner.