Histoire Histoire de la déportation Paul Lelièvre, survivant de Sachsenhau La Reichspost de Berlin Paul Lelièvre témoigne... En ce mois d’avril, souvenons-nous des victimes de la déportation organisée par les nazis allemands et le régime de Vichy. Paul Lelièvre, de Charleville-Mézières, est l’un des rares témoins ardennais survivant de l’enfer concentrationnaire. Un parcours peu ordinaire. 26 N° 129 - Avril 2009 Paul Lelièvre est né le 26 août 1922 à Wadelincourt près de Sedan. Ses parents sont enseignants et travaillent successivement à Wadelincourt, Fumay et Signy-le-Petit. Paul Lelièvre réussit un concours de surnumérariat des PTT à Charleville, puis suit une formation de quatre mois pour devenir contrôleur à Nancy. Après quelques semaines passées à Hirson, il rejoint la poste de la rue Cler à Paris (VIIe arrondissement). Le 17 février 1943, une loi institue le Service du Travail Obligatoire (STO) pour tous les hommes âgés de 21 à 23 ans. Les classes 40, 41 et 42 sont appelées. Paul Lelièvre est convoqué, les rumeurs de représailles à l’encontre de ses parents lui ôtent toute envie de gagner la clandestinité. Le 3 juin 1943, il part travailler pour la Reichspost à Berlin. Il séjourne dans un camp international de STO à Lichtenrade, dans la banlieue de la capitale du Reich ; là, 250 postiers français sont mélangés à des dizaines de Tchèques, Hollandais, Belges, Danois, Italiens, Polonais, Espagnols, Ukrainiens et même un Japonais. Paul Lelièvre se lie d’amitié avec Roger Haller, originaire de Nancy. Avec deux ou trois camarades, tous les prétextes sont bons pour ne pas aller travailler. Par ailleurs, ils aident à l’évasion de prisonniers de guerre en les cachant dans les wagons postaux, derrière des sacs de courrier, des tas de colis. Paul Lelièvre est témoin des terribles bombardements de Berlin, surtout celui du 30 janvier 1944. Le 1er octobre 1943, les travailleurs changent de camp STO, ils sont mutés dans la Greifswalder Strasse ; puis, le 18 janvier 1944, ils sont de nouveau déplacés, cette fois au camp de Wannsee. Sur 930 Français arrêtés en Allemagne, 430 sont des requis du travail (STO). Sur ces 930, 429 déportés (46,1 %) décèdent ou disparaissent en déportation. Tous les dimanches, les prisonniers doivent assister aux lynchages, bastonnades et pendaisons. Les rations alimentaires quotidiennes sont très modestes : le matin, ¼ de boule de pain, un boudin noir très mou, un peu de margarine ; à midi, une soupe… Les courses – surtout dans la neige – sont pénibles. Paul Lelièvre est affecté au Kommando « Heinkel », le plus important camp annexe de Sachsenhausen, pour travailler de nuit. L’usine-camp se situe dans le vaste espace boisé de Germendorf, un village à une dizaine de kilomètres au sud-ouest d’Oranienburg, dans lequel Blocks de déportés et hangars de fabrication cohabitent. Des pièces d’avions Ernst Heinkel y sont produites par 8.000 détenus en 1944. Paul Lelièvre se vante auprès d’un détenu toulousain qu’il sera sorti au bout de trois semaines, l’autre se moque de lui en lui disant : « Tu ne seras libre qu’à la fin de la guerre, ou bien en sortant par cette cheminée »… Le détenu lui désigne la cheminée des fours crématoires. Les appels sur la place peuvent durer des heures. Il faut se méfier de certains Kapos, triangles verts des droits communs, véritables brutes. Les détenus sont infestés de poux. Déporté à Sachsenhausen Le 1er mars 1944, Paul Lelièvre est arrêté pour refus de travailler, à la suite de 11 punitions antérieures. Il connaît 4 ou 5 prisons dans Berlin. Le tribunal le condamne à 3 semaines de détention. Le 3 mars 1944, Roger Haller avertit par courrier les parents de Paul Lelièvre de l’arrestation de leur fils. Fin mars 1944, Roger Haller est muté à la poste de Francfort : il désigne Robert Couturier et Marcel Denis pour correspondre avec les parents de Paul Lelièvre et les rassurer. Au même moment, Paul Lelièvre est déporté, en train, avec les menottes, vers le Konzentrationslager Oranienburg. Il affronte la descente de la rampe, au milieu des hurlements de SS et des aboiements de chiens. Il est tondu, reçoit des vêtements rayés, affublés du triangle rouge réservé aux détenus politiques et du numéro de matricule 76086. Dès février 1933, Göring a fondé un camp de concentration dans des bâtiments industriels désaffectés à Oranienburg à 30 km au nord de Berlin. 8.000 Français ont été déportés à Sachsenhausen dont 930 hommes arrêtés sur le territoire du IIIe Reich. Étroit corridor entre Soviétiques et Américains (carte O. Gobé) nos e d e r i Histo usen et de Buchenwald Triangle rouge et matricule de Paul Lelièvre Il rencontre - une seule fois - Marcel Boulanger, déporté communiste de Sedan, futur fondateur de la FNDIRP des Ardennes. Les parents de Paul Lelièvre, très inquiets, tentent d’obtenir, par tous les moyens, des informations sur la déportation de leur fils. Le 9 juin 1944, le Secrétariat général des PTT demande des explications aux autorités allemandes : celles-ci lui répondent, tout de même, le 28 juillet 1944. Tekla, Kommando de Buchenwald Entre-temps, le 4 juillet 1944, Paul Lelièvre est transféré dans le Kommando de Tekla, près de Leipzig, dépendant du KL Buchenwald. Pour quelles raisons ? Il ne le saura jamais… Il y reçoit un nouveau matricule : 61.104. Le camp de Buchenwald-Weimar est créé dès juillet 1937. Les conditions de détention dans le « petit camp » de Buchenwald sont épouvantables surtout pour les déportés classés NN (Nacht und Nebel, nuit et brouillard). En 1945, 20.045 déportés français sont passés à Buchenwald. Tekla est un des 120 Kommandos dépendant de Buchenwald ; ce sont en fait deux petits camps séparés par quelques centaines de mètres. Les déportés sont condamnés à travailler dans la « Erla Werk », usine de production des Messerschmitt. Le camp n°1 de Tekla est ouvert en 1943, le camp n°2 lors de l’arrivée du transport du 4 décembre 1943, venu de Buchenwald. Paul Lelièvre a pour camarade d’infortune un certain Benoît, teinturier à Hirson ; un hôtelier de Sedan, R. Godefroy (installé à Tours après guerre) ; le séminariste André Raimbault d’Angers ; et Jean Maillet, le chef du Block 5. Tekla regroupe des Français, Tchèques et Russes. Les conditions de vie et de travail sont moins dures que celles endurées à Sachsenhausen. Toute la journée, Paul Lelièvre doit passer au papier de verre des pièces métalliques. Toutefois, un déporté russe qui avait tenté de s’évader est attaché aux barbelés à l’entrée du camp jusqu’à ce que mort s’ensuive. « La marche de la mort » Le 13 avril 1945, à 20 h 30, les SS ordonnent l’évacuation des Kommandos de Tekla devant l’arrivée des Soviétiques et des Américains. Les détenus sont scindés en deux groupes : l’un regroupant les invalides est enfermé dans un Block du camp n°1, puis, toutes issues bouchées, les malheureux sont mitraillés par les SS, assistés d’un char d’assaut, le massacre se poursuit au lanceflamme. Le second groupe composé des différents Kommandos des environs de Leipzig est contraint, du 13 avril au 9 mai 1945, à une marche forcée à travers l’Allemagne bombardée jusqu’en Tchécoslovaquie. Pendant 27 jours, ce sont des étapes quotidiennes de 30 à 50 km, sans nourriture ; ceux, pris de faiblesse, sont abattus d’une balle tirée dans la tête, abandonnés dans le fossé. Un jour, un garde SS propose à Paul une cigarette, ce dernier ne la prend pas ; le SS la tend alors à un autre détenu, qui l’accepte, il est aussitôt assassiné d’une balle de revolver dans la tête… Le 17 avril 1945, la colonne de déportés est mitraillée par un avion américain. Le 9 mai 1945, les derniers gardiens SS se sauvent. Certains d’entre eux sont rattrapés et lynchés par les anciens détenus. Libérés par les troupes mongoles de l’armée soviétique en Tchécoslovaquie, à proximité Pilsen, les Français sont rapatriés par les Américains. Paul Lelièvre arrive par avion à l’aéroport du Bourget le 29 mai, il est conduit pour une visite médicale à l’Hôtel Lutécia. Rien de grave n’est à signaler. Mais, rentré à Signy-le-Petit, le médecin traitant, le docteur Gonthier, et le radiologue détectent une tuberculose. Paul Lelièvre connaît alors trois longues années de maladie… Aujourd’hui, Paul Lelièvre témoigne afin que nous soyons vigilants : la bête immonde qui sommeille en certains esprits faibles et extrémistes peut se réveiller… Gérald Dardart rues Rue des Victimes de la Déportation Dès leur arrivée au pouvoir en Allemagne, les nazis internent les opposants politiques, Tsiganes, handicapés… Le camp de concentration de Dachau est ouvert le 22 mars 1933. Celui de Sachsenhausen en août 1936. Ravensbrück, pour les femmes, le 15 mai 1939. Les autres camps sont : Neuengamme ; Bergen-Belsen ; Dora-Mittelbau ; Buchenwald (Weimar) ; Flossenbürg ; Hinzert ; Gross-Rosen ; Stutthof près de Dantzig ; Theresienstadt (Térézin) en Tchécoslovaquie ; Mauthausen en Autriche ; Natzweiler-Struthof en Alsace… À la suite de la défaite de la France, le régime de Vichy et l’occupant allemand vont organiser 362 transports de 162.000 personnes dont 86.827 arrêtés par mesure de répression et 75.721 Juifs de France. 37.285 personnes sont parties de Compiègne, dont 6.490 en janvier 1944 et 13.595 vers Buchenwald. En tout, 16.959 Français sont déportés à Buchenwald. Sur 86.827 déportés résistants et politiques, 40.760 ne rentrent pas (46,9 %). Sur 86.827 déportés, 5.869 sont des femmes ; 3.207 d’entre elles sont déportées vers Ravensbrück. Selon la procédure « Nacht und Nebel » - des 7 et 12 décembre 1941 -, 5.000 déportés résistants, considérés comme très dangereux par les Allemands, ne doivent pas revenir et surtout, ne pas laisser de trace. L’horreur du système concentrationnaire nazi 75.721 Juifs de France ont été déportés et 3.000 sont morts dans les camps en France tels Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Gurs. Sur 74 grands convois, seuls 2.500 Juifs survécurent. Plus de 11.000 enfants ont été déportés sans retour, dont environ 2.000 de moins de 6 ans. Les camps d’extermination sont : Chelmno, Treblinka, Sobibor, Belzec, MaïdanekLublin et Auschwitz. Plus de 1.000.000 Juifs d’Europe sont assassinés à Auschwitz, 750.000 à Treblinka, 550.000 à Belzec, 200.000 à Sobibor. 1.300.000 de Juifs d’Europe sont exterminés par les Einsatzgruppen. Les Ardennes déplorent 524 déportés – dont 166 résistants, 104 politiques, 101 Israélites ardennais -, environ 600 travailleurs agricoles juifs de la WOL III et 281 internés juifs du camp des Mazures. rice rté Mau Souvenons-nous ! u dépo matricule d e rm Unifo heval, Gérald DARDART e Franc P) Delat d (Coll. FNDIR 09 n° 843 N° 129 - Avril 2009 27