Réanimation 2002 ; 11 : 486-92 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1624069302002840/SSU MISE AU POINT Prise en charge initiale d’un patient polytraumatisé aux urgences C. Savry1*, L. Dy2, P. Quinio2 1 2 Samu 29, unité de déchocage, CHU la Cavale Blanche, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest cedex, France; réanimation chirurgicale, CHU, 5, avenue Foch, 29200 Brest, France (Reçu le 29 juin 2002 ; accepté le 19 juillet 2002) Résumé La prise en charge initiale du patient polytraumatisé est axée sur le dépistage et le traitement précoce d’une hémorragie et de ses conséquences. Il n’y a pas de place pour l’improvisation et l’expérience de l’équipe a une incidence pronostique. La concentration des moyens dans des structures spécialisées (trauma centers) répond à cette qualité de prestation mais leur éloignement potentiel du lieu initial de l’accident, dans une pathologie où le facteur temps est essentiel, donne aux hôpitaux de proximité un rôle déterminant dans la prise en charge initiale. En effet, tout retard peut avoir une incidence pronostique péjorative immédiate mais aussi retardée par le biais de l’hypoperfusion tissulaire : ceci justifie une réanimation symptomatique précoce dès la phase préhospitalière et une stratégie chirurgicale initiale restrictive limitée au contrôle de l’hémorragie. Le cathétérisme artériel pour mesure continue de la pression artérielle est l’élément central du monitorage. Un bilan radiologique initial simple au lit du malade permet de prendre des décisions thérapeutiques urgentes adaptées ce qui lui confère une place de choix en amont du bilan exhaustif secondaire en radiologie. L’échocardiographie et le Doppler transcrânien sont des techniques non invasives prometteuses dans l’évaluation et le monitorage initial de ces malades. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS choc hémorragique / évaluation initiale / traumatisme grave / urgence Summary – Initial management of severe trauma patients at the emergency room. The initial management of severe trauma patients is based on the search and early treatment of an hemorrhage and its consequences. There is no room for improvising and extensive team experience gathered in trauma centers improves outcome. But their potential distance from the accident scene in a pathology where time is essential gives a key role to the nearest hospitals in the initial management. Indeed any delay can have short and long term pejorative consequences because of tissular hypoperfusion which justifies advanced life-support procedures in prehospital setting and damage control surgical approach. Arterial catheterization for continuous measurement of arterial pressure is the cornerstone of monitoring. A simple and rapid initial imaging assessment at bedside enables appropriate emergency decisions before further imaging assessment is performed. Echocardiography and transcranial Doppler ultrasounds are non invasive promising techniques for initial assessment and monitoring of severe trauma patients. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS hemorrhagic shock / initial management / severe trauma / emergency *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (C. Savry). Polytraumatisme à la phase initiale La mortalité hospitalière du patient polytraumatisé survient essentiellement au cours des premières heures [1], d’où l’importance d’une prise en charge rapide préhospitalière et aux Urgences. Elle est essentiellement liée à une atteinte cérébrale et/ou une hémorragie. Elle nécessite un plateau technique complet disponible 24 h/ 24 h, capable de dépister et de faire face à la nécessité d’une hémostase chirurgicale et/ou radiologique interventionnelle en urgence. Une équipe rodée, bien coordonnée, multidisciplinaire est indispensable et permet d’améliorer le pronostic [2]. Le facteur temps est central dans la prise en charge tant au plan du monitorage initial que dans le choix raisonné des investigations complémentaires. Ce bilan doit s’effectuer sans interrompre la continuité de la réanimation. ORIENTATION ET ACCUEIL La définition classique du polytraumatisé est un blessé porteur de deux lésions traumatiques ou plus dont une au moins met en jeu le pronostic vital. Le diagnostic étant rétrospectif, toute victime d’une situation traumatique susceptible de mettre en jeu le pronostic vital est un polytraumatisé jusqu’à preuve du contraire. D’où l’importance de ne pas s’arrêter aux seules conséquences physiologiques immédiates visibles du traumatisme mais aussi de connaître le mécanisme lésionnel et la violence du traumatisme [3] pour décider d’orienter en salle de déchocage ces blessés dont la symptomatologie initiale peut être parfois frustre. Une concertation avec le Samu qui a engagé une équipe de réanimation préhospitalière est très importante pour préparer l’accueil en salle de déchocage et mettre en alerte opérationnelle les différents intervenants (réanimateur, urgentiste, radiologue, chirurgien, centre de transfusion…). À l’arrivée du blessé, deux situations sont possibles : il existe une insuffisance circulatoire aiguë rebelle à la réanimation préhospitalière dans le cadre d’un traumatisme ouvert avec identification de l’origine de l’hémorragie (cas rare), cela justifie une hémostase chirurgicale immédiate afin de lever l’hypothèque vitale ; dans tous les autres cas, une évaluation préalable en salle de déchocage est requise. MONITORAGE INITIAL Il nécessite des techniques non opérateur dépendantes, les moins invasives possibles et dont la mesure puisse être obtenue facilement et rapidement (tableau I). C’est le monitorage hémodynamique précoce qui passe par une surveillance de la fréquence cardiaque (FC), de la pression artérielle moyenne (PAM) non invasive et de l’oxymétrie de pouls. La mise en place d’un cathéter artériel (radial ou fémoral) pour mesure continue de la 487 Tableau I. Conduite à tenir devant un patient polytraumatisé aux Urgences. Les 30 premières minutes : premiers soins et bilan en salle de déchoquage : - maintien du collier cervical rigide - monitorage scopique (FC, PAM non invasive, SpO2, PetCO2) et de la température - contrôle des voies aériennes (intubation, ventilation), optimisation des voies veineuses - cathétérisme de l’artère radiale ou fémorale → surveillance continue de la pression artérielle - biologie en urgence - bilan radiologique initial systématique (sur brancard) : - radiographie du thorax de face (→ nécessité de drainage ? thoracotomie ?) - échographie abdominale (→ épanchement péritonéal ? → laparotomie ?) - radiographie du bassin de face (→ fracture grave ? → angiographie ? embolisation ?) - radiographie du rachis cervical de profil incluant C7/D1 ± échographie cardiaque (traumatisme thoracique avec instabilité hémodynamique) ± Doppler transcrânien - TDM encéphalique sans injection si traumatisme crânien avec signe de localisation clinique. Malade stabilisé : bilan lésionnel : - Bilan TDM : (selon signes d’appel) encéphalique sans injection thorax, abdomen, pelvis, après injection : en un temps : TDM spiralée rachis ± topogramme osseux - Bilan radiographique osseux : rachis complet systématique (polytraumatisé inconscient) + bilan radiographique orienté selon la clinique - ECG pression artérielle doit rapidement être envisagée. C’est un élément central du monitorage qui permet une surveillance continue de la pression artérielle et facilite les prélèvements biologiques. Par ailleurs, l’analyse des variations de la pression artérielle liées à la ventilation mécanique permet une estimation fiable des besoins volémiques chez le patient en rythme sinusal, intubé et ventilé [4]. Cet indice dynamique tenant compte non seulement du volume circulant mais aussi des contraintes liées à la ventilation mécanique a montré son intérêt pour estimer le remplissage dans des situations d’hypovolémie vraie [5]. Le monitorage continu de la pression télé-expiratoire en CO2 par capnographie est indispensable à la phase initiale chez le patient polytraumatisé en ventilation mécanique. Sous réserve de l’absence de modifications de l’état respiratoire, c’est aussi une méthode non invasive de monitorage indirect des modifications aiguës du débit cardiaque [6]. Son intérêt a été démontré au cours de l’arrêt cardiorespiratoire chez l’homme [6] et dans des modèles animaux de choc hémorragique [7]. Sa facilité de mise en œuvre en fait un outil complémen- 488 C. Savry et al. taire possible dans l’évaluation hémodynamique initiale du polytraumatisé en état de choc. Enfin, la prise de la température est un élément incontournable étant donné la valeur pronostique péjorative de l’hypothermie chez le polytraumatisé [8]. L’ensemble de ce monitorage se fait parallèlement au traitement symptomatique des détresses vitales. TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE DES DÉTRESSES VITALES La mise en place rapide de deux cathéters courts et de gros calibre (16 ou 14 Gauge) dans le réseau périphérique est systématique. En cas d’échec, la voie veineuse fémorale est la plus sûre. Le traitement de la détresse circulatoire implique un remplissage vasculaire. Le choix entre cristalloïdes et colloïdes de synthèse n’est pas tranché. Deux méta-analyses sur des études comparatives randomisées ne montrent pas d’effet favorable en terme de gain de mortalité pour l’un ou l’autre type de soluté voire même une surmortalité dans le sous groupe des traumatisés avec l’utilisation des colloïdes [9, 10]. Mais l’hétérogénéité méthodologique des études ne permet pas de conclure et rend nécessaires de nouveaux essais contrôlés. L’utilisation rationnelle passe par l’administration du soluté à une dose correspondant à son espace de diffusion. La perfusion de volumes importants participe à la survenue d’une hypothermie qui peut être prévenue efficacement par l’utilisation d’un réchauffeur. Le mélange sérum salé hypertonique (SSH) associé à un dextran (Rescueflowt) est un soluté intéressant pour ses effets d’expansion du volume plasmatique et ses propriétés veinoconstrictrices ainsi que sur la contractilité myocardique. L’hypernatrémie qu’il induit en limite la posologie (4 mL.kg–1 non renouvelable) mais permet un remplissage vasculaire avec de faibles volumes. Comparé à l’utilisation de solutions isotoniques, il n’améliore pas significativement la mortalité du polytraumatisé en état de choc hémorragique [11]. Il n’y a pas d’étude disponible comparant SSH et colloïdes. L’utilisation associée de catécholamines en phase initiale peut aider à corriger une hypotension délétère notamment en cas de traumatisme crânien associé [12]. La stratégie transfusionnelle est précisée ailleurs. Des mesures thérapeutiques symptomatiques non médicamenteuses doivent être associées autant que possible : gestes d’hémostase sur des hémorragies extériorisées, utilisation d’un pantalon antichoc pour les victimes en état de choc hémorragique rebelle d’origine sousdiaphragmatique. La prise en charge de la détresse respiratoire passe par une intubation trachéale avec ventilation contrôlée d’indication large. Il en est de même pour la détresse neurologique qui impose un contrôle des voies aériennes (donc de la capnie) lorsque le score de Glasgow (GCS) inférieur ou égal à 8 et un soutien de la pression artérielle afin de prévenir la survenue de lésions cérébrales secondaires d’origine systémique [13]. Enfin, la suspicion d’un traumatisme du rachis rend obligatoire le port d’un collier cervical rigide chez toute victime suspecte de polytraumatisme jusqu’à preuve radiologique du contraire. BILAN BIOLOGIQUE INITIAL Il se limite aux examens requis en vue d’une transfusion chez le sujet en instabilité hémodynamique : hémogramme, groupe sanguin, rhésus, recherche d’agglutinines irrégulières, hémostase (numération des plaquettes, taux de prothrombine, fibrinogène). Les délais d’obtention des résultats de l’hémogramme rendent intéressants le dosage extemporané de l’hémoglobine (HemoCuet) ou de l’hématocrite (microméthode) pour décider rapidement de l’indication d’une transfusion. Il est possible de transfuser du sang de groupe O rhésus négatif en l’absence de groupage. Il en est de même pour l’hémostase où, mis à part la numération des plaquettes, les délais d’obtention des facteurs de coagulation sont encore plus longs, mais peuvent être raccourcis par l’utilisation de tests diagnostiques instantanés [14]. La gazométrie artérielle a un intérêt pour apprécier l’hématose et adapter la ventilation mécanique. L’importance de l’acidose métabolique initiale a une valeur pronostique chez le polytraumatisé [15]. Le dosage des lactates artériels permet d’apprécier le degré d’hypoxie tissulaire et a un intérêt pronostique [16, 17]. Le ionogramme sanguin, le dosage de la myoglobine et de la créatine phosphokinase (CPK) permettent de quantifier l’importance des lésions musculaires et d’entreprendre précocement le traitement des conséquences d’une éventuelle rhabdomyolyse. Si l’isoenzyme MB des CPK peut s’élever en cas d’atteinte du muscle squelettique, la spécificité cardiaque de la troponine I circulante en font le marqueur à utiliser dans la recherche d’une contusion myocardique [18]. STRATÉGIE DU BILAN RADIOLOGIQUE À LA PHASE INITIALE Dans le cas d’un traumatisme crânien avec signe clinique d’engagement cérébral, la pratique d’emblée d’une tomodensitométrie (TDM) encéphalique sans injection de produit de contraste est indiscutable pour éliminer un hématome extradural pouvant nécessiter un geste chirurgical immédiat. 489 Polytraumatisme à la phase initiale En dehors de cette situation, le perfectionnement des techniques d’imagerie médicale pose la question de la nature du bilan initial du polytraumatisé. Le choix existe aujourd’hui entre la pratique d’un bilan lésionnel primaire standard préalable « au lit du malade » (comprenant une radiographie du rachis cervical de profil, une radiographie du thorax de face, une radiographie du bassin de face et une échographie abdominale) avant un examen TDM ou d’effectuer d’emblée une TDM spiralée « corps entier ». Bilan standard au lit du malade Le principe du bilan standard vise à détecter rapidement (en moins de 30 minutes) des lésions en général de nature hémorragique mettant en jeu le pronostic vital et justifiant d’un traitement immédiat (tableau I). Il présente l’avantage de pouvoir se faire pendant le temps incompressible de la mise en condition dès l’arrivée en salle de déchocage et donc en préservant une continuité dans les soins de réanimation. Une étude récente [19] a évalué l’intérêt de la pratique d’un bilan radiologique standard (radiographie pulmonaire, radiographie du bassin et échographie abdominale) au lit du malade dans la décision de mesures thérapeutiques urgentes. Ce travail monocentrique sur une population de 400 patients adultes victimes d’un traumatisme fermé sévère montre qu’il existe une excellente adéquation entre le bilan radiologique standard et la décision thérapeutique prise en urgence (tableau II). Il montre aussi que certaines variables cliniques (fréquence cardiaque > 105 b.min–1, pression artérielle systolique (PAS) < 105 mmHg, GCS < 13) sont significativement associées à la nécessité d’un traitement urgent. Cependant cette relation n’est pas constante puisque 17 (16 %) des patients ayant eu un traitement urgent n’avaient aucun des signes critères cliniques, hémodynamiques et neurologiques. Même s’il se base sur un « interventionisme » chirurgical loin d’être indiscutable [20], ce travail montre que le bilan radiologique initial au lit du malade permet de prendre de bonnes décisions thérapeutiques. Cela peut avoir une incidence sur certains centres hospitaliers qui ne disposent pas d’un plateau technique suffisant ou de ressources humaines adéquates et qui peuvent, sur la base des résultats de ce bilan lésionnel primaire, pratiquer une thérapeutique urgente avant un transfert vers une structure de référence. La radiographie du rachis cervical de profil peut être avantageusement associée dans ce bilan initial bien que la visualisation de la charnière C7/D1 s’avère régulièrement difficile ce qui impose le maintien du collier cervical rigide jusqu’au contrôle TDM de la charnière. L’échographie abdominale bénéficie d’un protocole rapide adapté à la traumatologie (FAST : Focused Assessment with Sonography for Trauma [21]) dont l’apprentissage est à la portée de médecins non radiologues [22]. Il s’agit d’un examen ciblé, standardisé, de plusieurs régions anatomiques abdominales à la seule recherche d’un épanchement intrapéritonéal. Ses sensibilité et spécificité diagnostiques dans la détection d’un épanchement péritonéal sont comparable à la TDM ou la ponction lavage du péritoine [23]. Il permet de poser l’indication de laparotomie avec une grande fiabilité [24]. Certains travaux ont montré que l’échographie abdominale permet de diminuer le recours à la TDM [25]. Cependant, cela expose à une sous évaluation de lésions traumatiques potentiellement hémorragiques des organes pleins [26]. Le recours secondaire à la TDM pour l’analyse des lésions traumatiques des organes pleins est donc nécessaire. Tomodensitométrie spiralée La TDM spiralée est un moyen d’évaluation rapide du polytraumatisé qui dépiste avec une grande précision des lésions invisibles au cours du bilan standard [27, 28]. La technologie permet d’effectuer très rapidement (quelques minutes) en un passage et après une seule injection de produit de contraste un scanner combiné corps entier thoracoabdominopelvien [27]. Cette séquence doit être précédée par des coupes TDM encéphaliques sans injection de produit de contraste en cas de traumatisme crânien associé. La TDM spiralée est un outil diagnostique fiable adapté à la détection de la plupart des lésions traumatiques [27] y compris celles de l’isthme aortique pour laquelle la valeur prédictive négative des données TDM est de 100 % [27, 29]. La TDM spiralée a montré son intérêt diagnostique en première intention chez le patient hémodynamiquement stable [30]. Chez le patient instable, l’examen est Tableau II. Bilan radiologique standard et décision thérapeutique urgente (d’après [19]). Radiographie pulmonaire Radiographie de bassin Échographie abdominale Traitement urgent Thérapeutique appropriée Abstention thérapeutique appropriée 78 (19 %)a 8 (2 %)b 48 (12 %)c 78 (100 %) 5 (62 %) 47 (98 %) 320 (99 %) 392 (100 %) 360 (99 %) Les traitements urgents étaient : a un drainage thoracique et/ou une thoracotomie d’hémostase ; b une artériographie des artères hypogastriques avec embolisation, c une laparotomie exploratrice. 490 C. Savry et al. théoriquement possible étant donné la rapidité d’acquisition, mais le temps incompressible de préparation, la mobilisation du patient et la perturbation du cours de la réanimation en font une pratique à risque qui reste à évaluer. indispensable dans l’évaluation du traumatisé du thorax. En outre, les anomalies ECG ont aussi une valeur prédictive dans la survenue de complications cardiovasculaires précoces, en particulier des arythmies. Doppler transcrânien Place de l’échocardiographie Il s’agit d’une technique non invasive disponible au lit du malade qui présente un grand intérêt tant au plan diagnostique des lésions myocardiques, péricardiques et thoraciques qu’en terme de monitorage hémodynamique. Au plan diagnostic, il s’agit d’une technique alternative à la TDM pour l’exploration des lésions du traumatisé thoracique. L’échocardiographie transthoracique (ETT) a une valeur diagnostique supérieure à celle de la radiographie du thorax pour le dépistage des hémothorax (sensibilité : 96,2 %, spécificité : 100 %) [31] Elle permet une détection fiable des épanchements péricardiques. Si la pratique de l’ETT dans la détection des épanchements pleuraux et péricardique peut s’inscrire comme une extension du protocole FAST de détection des épanchements intrapéritonéaux, il n’en est pas de même pour la pratique de l’échocardiographie transœsophagienne (ETO) qui nécessite un opérateur expérimenté. Plusieurs études ont montré l’intérêt de l’ETO dans la détection des lésions traumatiques de l’aorte thoracique : l’une [32] montre un léger avantage par rapport aux techniques d’angiographie, dans la détection de lésions mineures dont l’implication clinique reste à déterminer. L’ETO est aussi utile à la détection des contusions myocardiques et permet d’en gérer les conséquences hémodynamiques. Aussi, l’autre intérêt majeur de l’échocardiographie est de l’ordre du monitorage : le recueil d’indices d’hémodynamiques permet de guider la réanimation cardiovasculaire : remplissage vasculaire, utilisation d’amines pressives. La limite essentielle de l’ETO est le caractère opérateur dépendant. Sa place dans la prise en charge initiale des polytraumatisés reste donc à évaluer par rapport à la TDM spiralée. En cas de traumatisme thoracique décompensé, difficile à transporter, elle représente une alternative diagnostique de premier choix permettant d’effectuer une évaluation fiable au lit du malade. Électrocardiogramme (ECG) Il garde son intérêt dans le diagnostic de la contusion myocardique. Les décalages du segment ST ont la meilleure valeur diagnostique. Malgré une faible sensibilité (58 %), l’ECG a une spécificité (76 %) et une valeur prédictive négative (90 %) élevées dans le diagnostic d’une contusion myocardique ce qui le rend L’effet Doppler permet une estimation non invasive des flux sanguins qui trouve un intérêt naissant en neurotraumatologie. Le Doppler transcrânien est prometteur pour dépister précocement et rapidement les situations de bas débit sanguin cérébral susceptibles de bénéficier de thérapeutique symptomatique préventive [33]. PRINCIPES THÉRAPEUTIQUES INITIAUX La mortalité post-traumatique a une répartition trimodale [34] comprenant : – une mortalité préhospitalière attribuée à des lésions léthales d’emblée ; – une mortalité hospitalière précoce (48 heures et surtout avant la quatrième heure) liée essentiellement à une atteinte cérébrale et/ou une hémorragie ; – une mortalité tardive par défaillance multiviscérale, en rapport à des phénomènes infectieux et inflammatoires non spécifiques. L’hémorragie a ainsi des conséquences précoces en terme hémodynamique [34], mais elle influence aussi l’évolution ultérieure du polytraumatisé par les conséquences inflammatoires, immunitaires liées à une hypoperfusion [15, 17] ainsi qu’à la survenue de lésions ischémiques cérébrales secondaires en cas de traumatisme crânien associé [12]. C’est dire l’importance de la précocité du traitement du choc hémorragique. Si les lésions neurologiques centrales sont rarement accessibles à un traitement étiologique, l’hémorragie et son cortège de signes associés (insuffisance circulatoire aiguë, hypocoagulabilité, hypothermie) représentent ainsi le déterminant précoce essentiel du pronostic accessible à la thérapeutique, déterminant sur lequel doit être axé la prise en charge initiale. Quels objectifs thérapeutiques ? La réanimation symptomatique (cf. infra) est pratiquée sans discontinuité depuis la phase préhospitalière jusqu’au contrôle de l’hémorragie. Se pose alors la question des buts à atteindre qui ne sont toujours pas définis avec certitude. La correction symptomatique du choc hémorragique est une question de dosage entre « le trop peu » exposant à une hypoperfusion délétère et l’excès inverse pouvant aggraver l’hémorragie, générer des troubles de l’hémostase et compliquer la prise en Polytraumatisme à la phase initiale charge. Des données cliniques et biologiques peuvent aider à la décision. Une hypotension (PAS < 90 mmHg) est délétère en présence d’un traumatisme crânien [12] et rend compte de l’intérêt pronostique du maintien d’une PAM > 85 mmHg dans le contexte d’une atteinte du système nerveux central [35]. En dehors de ces situations, il n’y a pas de valeur seuil clairement définie des paramètres hémodynamiques qui dépendent des conditions physiologiques sous-jacentes, en particulier de l’âge [36]. La « surcorrection » des troubles hémodynamiques n’améliore pas le pronostic des traumatisés graves [36]. En revanche, la présence d’une hypoperfusion tissulaire précoce révélée par une acidose métabolique ou une hyperlactatémie (> 2,5 mmol.L–1) a une valeur péjorative [16, 17]. La correction précoce (avant la 24e h) des troubles métaboliques améliore la mortalité [16]. La valeur minimale de l’hémoglobine est aussi discutée. Une étude en milieu de réanimation hors traumatologie a démontré l’intérêt d’une attitude transfusionnelle plutôt restrictive (objectif : taux d’hémoglobine : 7 g.dL–1) chez les patients n’ayant pas d’insuffisance coronarienne [37]. Ces données ne sont pas extrapolables au polytraumatisé en état de choc hémorragique, dans le sens ou le profil évolutif d’une hémorragie active nécessite d’anticiper les besoins. Les auteurs ont d’ailleurs exclu de leur évaluation les patients de réanimation en hémorragie active [37]. Enfin, il faut prendre en charge l’hypothermie qui est un facteur de mauvais pronostic chez le polytraumatisé [8]. Cette notion diffère des traumatismes crâniens purs pour lesquels il a été démontré que l’hypothermie pouvait diminuer les réponses métaboliques délétères et améliorer le pronostic [38]. En revanche, en présence d’un polytraumatisé à la phase initiale, le problème essentiel est l’hémorragie vis à vis de laquelle l’hypothermie est péjorative par l’induction de troubles de l’hémostase mais aussi par l’altération des fonctions cardiaques et hépatocellulaires qu’elle induit [39]. Contrôle de l’hémorragie Chirurgie La condition sine qua non du traitement du choc hémorragique est le contrôle de l’hémorragie. De nombreuses études ont montré l’intérêt d’une stratégie chirurgicale en deux temps débutant par un premier temps précoce avec un geste chirurgical limité au contrôle de l’hémorragie suivi d’un deuxième temps chirurgical planifié après réanimation symptomatique [40]. Cette stratégie chirurgicale (appelée damage control par les anglosaxons) volontairement limitative et intégrée à la réanimation permet de limiter les conséquences de « l’agression » chirurgicale qui, si elle se prolonge, aug- 491 mente le risque d’hypothermie et d’hypoperfusion susceptibles d’entretenir des troubles hémorragiques postopératoires et de menacer le pronostic vital. La limitation du geste chirurgical initial permet ainsi une amélioration du pronostic [40]. Ainsi il faut savoir limiter la prise en charge chirurgicale initiale à l’essentiel et éviter, par exemple, une chirurgie fonctionnelle orthopédique, éventuellement longue, hémorragique en elle-même et non extrême urgente. Par ailleurs, pour des raisons de préservation du potentiel immunitaire, l’abstention chirurgicale devant un traumatisme splénique est de plus en plus pratiquée avec d’excellents résultats [20]. Radiologie interventionnelle Toute hémorragie n’est pas accessible à la chirurgie et rend indispensable la disponibilité de la radiologie interventionnelle au sein du plateau technique. Ces techniques concernent essentiellement les traumatismes du bassin où une hémorragie peut être contrôlée efficacement par l’embolisation sélective de branches de l’artère hypogastrique. D’autres exemples existent lors de traumatismes hépatiques voire bronchiques où elle peut s’intégrer dans des stratégies d’épargne chirurgicale. CONCLUSION La prise en charge initiale du patient polytraumatisé est axée sur le dépistage et le traitement précoce d’une hémorragie et de ses conséquences ce qui justifie une réanimation débutant dès la phase préhospitalière. La concentration de moyens dans des centres de traumatologie répond à une qualité de prestation qui a une incidence pronostique. Cependant, leur éloignement potentiel des lieux de l’accident donne aux hôpitaux de proximité un rôle déterminant dans la prise en charge initiale. En effet, tout retard peut avoir une incidence pronostique péjorative immédiate mais aussi retardée par le biais de l’hypoperfusion. Un bilan radiologique initial simple au lit du malade permet de prendre des décisions thérapeutiques urgentes adaptées ce qui lui confère une place de choix en amont du bilan exhaustif indispensable mais plus consommateur de temps. RÉFÉRENCES 1 Heckbert SR, Vedder NB, Hoffman W, Winn RK, Hudson LD, Jurkovich GJ, et al. Outcome after hemorrhagic shock in trauma patients. J Trauma 1998 ; 45 : 545-9. 2 Nathens AB, Jurkovich GJ, Maier RV, Grossman DC, MacKenzie EJ, Moore M, et al. Relationship between trauma center volume and outcomes. JAMA 2001 ; 285 : 1164-71. 3 Haberer JP. Biomécanique des traumatismes fermés. In : Beydon L, Carli P, Riou B, Eds. Traumatismes graves. 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