Le défi de l`analytique de l`apprentissage : une culture de données

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Le défi de l’analytique de
l’apprentissage :
une culture de données
ou une culture de
données probantes?
2012
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D’une existence tranquille à une vie sous pression
Les établissements d’enseignement postsecondaire ont été décrits comme étant des
« collectifs aimables, anarchiques et autocorrecteurs d’érudits encadrés par un petit
contingent de dignes administrateurs chargés des aspects commerciaux inéluctables » [Keller,
1983]. Qui plus est, ces institutions postsecondaires sont reconnues pour « leurs objectifs
problématiques, leur technologie obscure et leur participation fluide » [Cohen et March, 1974].
Bien que ces remarques semblent empreintes d’une vérité quelque peu nostalgique, elles ne
reflètent plus exactement le climat politique et économique, nos obligations ou nos leaders
actuels.
De nos jours, l’exploitation des établissements d’enseignement postsecondaire se fait avec
des budgets serrés et sous haute surveillance. Désormais, les mots d’ordre sont donc plutôt
l’accessibilité, l’abordabilité et la responsabilité. Nous ne pouvons plus dorénavant tenir pour
acquis notre financement. De plus, ces institutions sont devenues complexes et assujetties
à une myriade de réglementations. Nos étudiantes et étudiants sont des adultes habilités,
qui recherchent des connaissances, des qualifications, des emplois et, aussi, un bon rapport
qualité-prix.
Dans le monde complexe d’aujourd’hui, les institutions postsecondaires sont soumises à des
pressions exercées par leurs concurrents, leur clientèle et les autorités de réglementation afin
de rendre compte de leur rendement d’entreprise, de leur contribution aux collectivités servies,
de leur productivité en recherche et, surtout, de la réussite de leurs étudiantes et étudiants.
Nous avons raison d’être fiers que le Canada se situe près du sommet parmi les 70 pays
développés dans les classements de l’OCDE sur le rendement scolaire des jeunes de 15 ans
[CBC News, décembre 2010]. Bien sûr, un tel succès relève la barre pour les intervenants
chargés de mettre en œuvre les prochaines étapes du cheminement éducatif. En outre, les
établissements d’enseignement fonctionnent maintenant dans un monde où les gens peuvent
s’attendre à connaître jusqu’à sept changements de carrière. Alors que les personnes passent
périodiquement d’une carrière à l’autre selon ce nouveau scénario, le secteur de l’éducation
postsecondaire doit être responsable du recyclage professionnel et de la formation d’appoint
pour la majorité de la main-d’œuvre.
Un déluge de données
Or, pendant que le climat politique, réglementaire et de financement dans l’éducation
postsecondaire a changé, les technologies de l’information ont évolué elles aussi. Se servant
de l’exploration de données, du profilage, de l’analytique et de techniques de modélisation
prédictive, des entreprises comme Amazon, LL Bean, Google et les banques utilisent des
données sur leurs clients actuels et éventuels pour adapter d’après les goûts de ces derniers
les sollicitations qu’ils envoient à la clientèle. Ainsi, Amazon peut proposer des livres en se
basant sur les achats déjà effectués par les clients. D’autres fournisseurs recommandent
des bouteilles de porto pour accompagner les cigares ou, encore, des chaussures qui
s’harmonisent à nos voitures! Dans un avenir prochain, des puces d’identification par
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radiofréquence (IRF) permettront à des appareils de magasins de nous reconnaître, de
se souvenir de nos préférences et de nous informer à la volée de spéciaux offerts, qui
sont personnalisés selon nos goûts! Les entreprises commerciales utilisent également des
données provenant de systèmes d’information disparates pour les aider à mieux comprendre
les processus de déroulement critiques, l’efficacité de leurs stratégies ou des modèles de
gestion, ou la disponibilité d’aptitudes et de compétences parmi leurs effectifs. En facilitant la
répartition dynamique des personnes, des lieux, de l’équipement, du matériel et des autres
ressources, ces capacités permettent aux grandes entreprises de détecter les changements
des conditions et d’y réagir.
Un domaine maintenant appelé « analytique de l’apprentissage » est le point d’intersection
le plus irrésistible des technologies de l’information (TI) et des changements du climat
externe dans le secteur de l’enseignement postsecondaire. L’analytique de l’apprentissage
a été définie par les organisateurs de la première conférence internationale sur l’analytique
de l’apprentissage et les connaissances comme suit : « la mesure, la cueillette, l’analyse et
la déclaration de données sur les apprenantes et apprenants et leurs contextes, à des fins
de compréhension et d’optimisation de l’apprentissage et des environnements où cela a
lieu » (voir https://tekri.athabascau.ca/analytics/). Cette intersection représente l’application
logique de ces technologies évolutives au contexte éducatif. Autrement dit, les apprenantes
et apprenants constituent la clientèle, et leurs connaissances et leur aptitude à apprendre
sont des produits. La différence entre ce que l’apprenante ou apprenant savait avant d’entrer
en classe et ce qu’il sait maintenant est la valeur éducative que le personnel de formation,
les classes, les laboratoires informatiques, les bibliothèques et les collectivités ont ajoutée.
Le désir des établissements d’enseignement de mettre en place une capacité d’analytique de
l’apprentissage est tout aussi naturel que celui des entreprises commerciales de comprendre
leurs clients et le rendement de leurs processus de base.
Un arrimage naturel?
Les établissements d’enseignement postsecondaires devraient avoir un avantage naturel
en ce qui a trait à l’analytique de l’apprentissage. En effet, ils sont d’abord et avant tout des
organismes analytiques en raison de leur nature et ils soumettent systématiquement tout ce
qui nous entoure à une investigation critique. De plus, ils ont un appétit insatiable pour les
données, une capacité étendue en matière d’analyse rigoureuse et un grand respect envers le
savoir et la vérité. Il semble donc que l’analytique de l’apprentissage soit faite sur mesure pour
l’éducation postsecondaire.
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Mais est-ce bien le cas?
Bien sûr, la réalité de l’éducation postsecondaire est presque toujours plus complexe que ne
l’envisagent souvent les gens extra-muros. Donc, quoiqu’il soit vrai que les établissements
d’enseignement vénèrent et récompensent une « culture de données probantes », c’est
précisément cette culture qui engendre le scepticisme envers tout, y compris l’analytique
de l’apprentissage. En outre, plusieurs facteurs concourent à faire de l’analytique de
l’apprentissage un véritable défi :
1. Les données ne sont pas des connaissances. Le personnel enseignant comprend à fond
ce concept. Mais il est possible que le milieu des fournisseurs faisant la promotion de
l’analytique de l’apprentissage ne comprenne pas ce concept ou, très probablement,
choisisse de ne pas s’en préoccuper. Le défaut chez nombre des fournisseurs actuels
de « solutions » d’analytique de l’apprentissage de faire cette distinction risque d’inon-
der de données les institutions postsecondaires, tout en ne satisfaisant pas leur soif
de connaissances. Dans le cas de l’apprentissage, les connaissances impliquent, à tout
le moins, la clarté et la conformité disciplinaire quant aux choses de base comme les
définitions de ce qui constitue une unité de connaissance du sujet ou un niveau de
maîtrise du sujet. Hormis des disciplines très ciblées comme la comptabilité ou le génie
qui doivent rendre des comptes à des autorités externes, les normes partagées dans
les autres disciplines pour exprimer l’acquisition de connaissances théoriques sont très
rudimentaires ou, même, inexistantes. C’est pourquoi il est si difficile de nos jours pour
les établissements d’enseignement de créer des équivalences, qui facilitent la recon-
naissance des crédits de cours entre ces institutions et au sein de chacune d’elles.
2. L’apprentissage est complexe. Les normes à l’égard des connaissances théoriques
acquises sont rudimentaires tout simplement parce que le contenu des cours est com-
plexe, tout autant que l’est l’apprentissage d’ailleurs. Bien qu’il soit possible de créer
une culture de testing, les données sont assez équivoques au sujet de l’efficacité de
l’enseignement et de l’apprentissage ou des cultures de testing, notamment le proto-
cole « No Child Left Behind » mis en œuvre aux États-Unis. Comprendre l’apprentissage
exige une compréhension du contexte de l’apprentissage, du contexte des apprenantes
et apprenants, et du contexte de la discipline étudiée. Ces derniers sont, dans une très
grande mesure, des contextes culturels et comportementaux. Aujourd’hui, les solutions
d’analytique de l’apprentissage sont largement des solutions techniques, qui produisent
des données désincarnées. Pour leur donner une signification, le personnel enseignant
a besoin de cadres et de modèles d’apprentissage.
3. L’enseignement est un art. De plus, la classe est le domaine exclusif de l’enseignante
ou enseignant! D’une part, le domaine de la recherche compte une méthode scienti-
fique, des normes rigoureuses sur l’évaluation par des pairs et des siècles de consen-
sus quant à la manière dont les données probantes peuvent être utilisées ou limitées,
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ainsi que la façon dont les chaines de données probantes doivent être construites et
les protocoles d’utilisation des sources primaires et secondaires doivent être employés.
Mais d’autre part, la classe est une expression individuelle du style de l’enseignant ou
enseignant, plutôt qu’une chose construite socialement par une discipline scolaire.
L’éducation professionnelle, notamment en droit, en administration des affaires et en
médecine, est une exception à cette règle générale. Il est rare également que des cours
d’enseignement au niveau postsecondaire soient offerts. Le résultat du jumelage de
l’approche d’artisanat individualisé et de l’absence de transmission officielle des tech-
niques pédagogiques dans plusieurs disciplines est que la plupart des gens décrivent
l’enseignement en classe comme une « entreprise artisanale ». La nature artisanale de
l’enseignement postsecondaire rend difficile de mettre en place des techniques standar-
disées provenant d’un plan de match d’analytique de l’apprentissage. En gros, nombre
d’enseignantes et enseignants n’y croient pas et sont réticents à les adopter. Bref, peu
d’entre eux disposeraient des cadres et des rubriques pédagogiques nécessaires afin de
procurer des données au contexte pour l’évaluation des progrès et des résultats de l’ap-
prentissage.
4. Les apprenantes et apprenants sont des individus. L’utilisation de données pour
construire des modèles complexes afin de prédire la réussite de l’apprentissage en est
encore à ses premiers balbutiements. L’hypothèse qui sous-tend ce mouvement ou
cette intention est solide, mais chaque enseignante ou enseignant est convaincu que
les apprenantes et apprenants sont d’abord et avant tout des individus. La réussite des
étudiantes et étudiants dépend d’un grand nombre de variables, qui sont hors de la
portée de ce que le personnel enseignant et les établissements d’enseignement sont
en mesure de recueillir et de comprendre. L’étudiante ou étudiant a-t-il eu un coup de
foudre? A-t-il décroché ou perdu un emploi récemment? A-t-il été obligé de faire beau-
coup d’heures supplémentaires cette semaine? Y a-t-il eu un décès dans sa famille?
Tous ces aspects influent sur l’apprentissage et le rendement scolaire des étudiantes et
étudiants. Bien que des variables comme l’absentéisme et les notes obtenues dans des
quiz puissent être utilisées en tant que descripteurs fiables de la maîtrise acquise et en
tant que prédicteurs de la réussite future, ils ne sont encore jusqu’ici que des instru-
ments peu précis.
5. Qui a le temps de le faire? Le mouvement vers l’adoption de l’analytique de l’apprentis-
sage a été semé par ce secteur d’activité, fertilisé par des fondations philanthropiques
et des organismes gouvernementaux, et est en train d’être transplanté avec sincérité
par des chercheuses et chercheurs institutionnels, des agents d’évaluation et de la
qualité, des technologues et des concepteurs pédagogiques, et les rares membres du
personnel enseignant qui l’ont adopté. En somme, l’analytique de l’apprentissage a une
certaine influence à l’extérieur des organismes qui mobilisent les disciplines scolaires à
l’extérieur du niveau décanal de gestion scolaire, où la force des incitatifs scolaires est
la plus grande, ainsi qu’à l’extérieur des salles de classe. C’est une technologie qui exige
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