L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 331–9 MÉDECINE GÉNÉRALE ET PSYCHIATRIE Santé mentale et soins de santé primaires : une perspective globale Michelle Funk 1 , Imane Benradia 2 , Jean-Luc Roelandt 3 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. RÉSUMÉ Les troubles mentaux touchent des centaines de millions de personnes. Lorsqu’ils ne sont pas traités, ces troubles engendrent un énorme tribut de souffrances, d’invalidité et de perte économique. Pourtant, malgré le potentiel de traiter avec succès les troubles mentaux, seule une petite minorité de ceux qui en ont besoin reçoivent le traitement le plus élémentaire. L’intégration des services de santé mentale dans les soins primaires est le moyen le plus viable de réduire l’écart de traitement et s’assurer que les personnes présentant un problème de santé mentale reçoivent les soins dont elles ont besoin. Dès 2001, l’Organisation mondiale de la santé a recommandé d’intégrer le traitement des troubles mentaux au niveau des soins primaires. Depuis, l’OMS a produit des outils et des guides afin d’accompagner et orienter les pays pour intégrer les soins des troubles mentaux à un système de soins primaires holistique, centré sur la personne. Mots clés : Santé mentale, soins primaires, recommandations, Organisation mondiale de la santé ABSTRACT Mental Health and Primary Health Care: a Global Perspective. Mental disorders affect hundreds of millions of people. If left untreated, these disorders create an enormous amount of suffering, disability and economic loss. Despite the potential to effectively treat mental disorders, only a small minority of those in need receive the most basic treatment. The integration of mental health services in primary care is the most viable way to reduce the treatment gap and ensure that people receive the mental health care they need. In 2001, the World Health Organization recommended integrating the treatment of mental disorders in primary care. Since then, WHO has produced tools and guidelines to assist countries to integrate mental health care with a system of primary care which is person-centered and holistic. doi:10.1684/ipe.2014.1203 Key words: mental health, primary care, recommendations, World Health Organization 1 Coordinatrice des politiques et du développement des services de santé mentale, Département santé mentale et abus de substances psychoactives, OMS Genève, 20, avenue Appia, CH-1211 Genève 27, Suisse <[email protected]> 2 Psychologue, Centre collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale, EPSM Lille-Métropole, France 3 Psychiatre et directeur du Centre collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale, EPSM Lille-Métropole, France Tirés à part : M. Funk L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 331 Pour citer cet article : Funk M, Benradia I, Roelandt JL. Santé mentale et soins de santé primaires : une perspective globale. L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 331-9 doi:10.1684/ipe.2014.1203 M. Funk, et al. RESUMEN Salud mental y cuidados de sanidad primarios: perspectiva global. Los trastornos mentales afectan a cientos de millones de personas. Cuando no están tratados, estos trastornos generan un enorme tributo de sufrimientos, invalidez y pérdida económica. Sin embargo, a pesar del potencial que representa tratar con éxito los trastornos mentales, únicamente una pequeña minoría de aquellos que los necesitan reciben el mínimo tratamiento. La integración de los servicios de salud mental en los cuidados primarios es el medio más viable de reducir la distancia del tratamiento y de asegurarse que las personas con un problema de salud mental reciban los cuidados que necesitan. Desde 2001, la Organización Mundial de la Salud ha recomendado integrar el tratamiento de los trastornos mentales a nivel de los cuidados primarios. Desde entonces, la OMS ha sacado herramientas y guías con el fin de acompañar y orientar los países para integrar los cuidados de los trastornos mentales en un sistema de cuidados primarios holístico, centrado en la persona. Palabras claves : salud mental, cuidados primarios, recomendaciones, Organización mundial de la salud Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Introduction Trente-cinq ans après l’adoption de la déclaration d’Alma Ata sur les soins de santé primaires, ses principes clés demeurent les éléments fondamentaux pour améliorer la santé globale. Le premier principe de la déclaration réaffirme la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, le bienêtre et non pas simplement l’absence de maladie ou d’infirmité. Néanmoins, la conception de soins primaires pour la santé mentale n’a pas encore été envisagée dans la plupart des pays. Manque de soutien politique, mauvaise gestion, surcharge des services de santé, voire la résistance des décideurs et des professionnels de la santé, sont les principaux freins. Par ailleurs, de nombreux pays continuent à adopter une approche du soin en santé mentale centrée sur l’hospitalisation, des traitements en grande partie inefficaces et potentiellement à risque de violations des droits de l’homme. La négligence des problèmes de santé mentale se poursuit malgré la prévalence des troubles mentaux largement documentée. Ces troubles, le plus souvent concomitant à des maladies somatiques, représentent un fardeau considérable pour les individus, les familles, les communautés et les systèmes de santé. L’Organisation mondiale de la santé s’est attelée ces dernières années à mieux apprécier la situation de la santé mentale dans le monde, à recenser les récents progrès dans les connaissances des troubles et de leurs traitements, en vue de définir les recommandations pour les politiques et des services de santé mentale. Pour l’OMS, il est primordial que la santé mentale et les troubles mentaux soient inclus dans les plans et politiques de promotion du concept : « Les soins de santé primaires : maintenant plus que jamais », une approche holistique et intégrée pour traiter les problèmes de santé, dont la santé mentale. 332 Justification de l’intégration de la santé mentale dans les soins primaires Le fardeau des troubles mentaux est important Dans le monde, 121 millions de personnes souffrent de dépression, 700 millions de problèmes liés à l’alcool, 24 millions de schizophrénies et 37 millions de démence. Encore que, les chiffres ne peuvent rendre compte des souffrances causées par les troubles mentaux aux personnes malades et à leurs familles. En outre, la morbidité due aux troubles mentaux avait été largement sous-estimée dans les premiers rapports sur la santé dans le monde. Le calcul de la charge mondiale de morbidité à partir des années de vie corrigées de l’incapacité, a permis de mieux rendre compte de l’importance des troubles mentaux de le monde. Ainsi, en 2002, les troubles mentaux et neurologiques représentaient 13 % des années de vie corrigées de l’incapacité perdues (AVCI) pour cause de maladie ou de blessure (figure 1), une mesure qui combine la mortalité et le handicap. Le nombre d’individus atteints de troubles mentaux continuera à augmenter en raison du vieillissement de la population, de l’aggravation des problèmes sociaux et des troubles civils. On estime qu’en 2020, les troubles mentaux seront vraisemblablement responsables de 15 % du nombre d’années de vie corrigées de l’incapacité perdues pour cause de maladie ou de blessure. Beaucoup de personnes souffrant de troubles mentaux sont victimes d’ostracisme de la société, et ce dans tous les pays du monde. Pour certaines personnes sans soutien, elles tombent dans la pauvreté, se retrouvent sans abri, et ne reçoivent pas le traitement et les soins dont ils ont besoin. Beaucoup sont victimes de discrimination dans la recherche d’emploi ou d’éducation, et d’autres sont licenciées de leur emploi. Comme telles, elles sont empêchées de s’intégrer dans la société et de s’engager dans une vie sociale, économique et citoyenne. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 Santé mentale et soins de santé primaires : une perspective globale Néoplasmes malins 5% Carences nutritionnelles 2% Affections maternelles 2% Maladies musculosquelettiques 2% Autres MNT 1% Diabète 1% Paludisme 3% Maladies infantiles 3% Affections périnatales 7% Infections respiratoires 6% Autres causes de MT 6% Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Maladies digestives 3% Maladies respiratoires 4% Maladies du système génito-urinaire 1% Traumatismes 12 % Maladies cardiovasculaires 10 % Malformations congénitales 2% Troubles des organes des sens 3% Maladies diarrhéiques 4% VIH/SIDA 6% Tuberculose 2% Troubles neuropsychiatriques 13 % Figure 1. Charge mondiale de morbidité: années de vie corrigées de l’incapacité (AVCI). Si nous considérons le handicap seul – indépendamment de la mortalité – nous constatons que 33 % des années vécues avec une incapacité (AVI) sont imputables aux troubles neuropsychiatriques [5]. En effet, 4 des 10 principales causes mondiales d’incapacité sont liés aux problèmes de santé mentale (tableau 1). Les troubles mentaux sont à l’origine d’un fardeau considérable pour les personnes concernées et leurs familles et créent des difficultés économiques et sociales significatives, qui affectent la société dans son ensemble [6]. En effet, le plein impact des troubles mentaux s’étend bien au-delà de celui représenté par le calcul du coût de de la maladie. Les coûts de traitement direct sont le fardeau économique le plus visible. Les coûts indirects sont substantiels et sont difficilement quantifiables tant ils touchent différentes sphères, notamment la capacité des malades et de leurs aidants à travailler et à contribuer à la l’économie nationale (tableau 2). Le déficit de traitement pour les troubles mentaux est important Dans tous les pays, on observe un écart considérable entre la prévalence des troubles mentaux d’une part, et le nombre de personnes soignées et sous traitement d’autre part. Jusqu’à 85 % des personnes atteintes de troubles mentaux graves sont incapables d’accéder au traitement dont ils ont besoin dans les pays à faible et moyen revenu. Cette tendance est retrouvée également dans les pays à revenu élevé, l’écart de traitement est grand, avec entre 35 % et 50 % des personnes ne reçoivent pas le traitement dont ils ont besoin [2]. Une étude récente en Europe a révélé que 50 % des personnes ayant besoin de soins de santé mentale n’ont pas pu accéder à des services formels. Alors que seulement 8 % des personnes atteintes de diabète n’utilisaient pas les services de santé [1]. Malgré le grand nombre de personnes qui L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 333 M. Funk, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tableau 1. Années vécues avec une incapacité (AVI). Cause AVI (Millions) Pourcentage du total d'AVI 1 Troubles dépressifs unipolaires 65,3 10,9 2 Déficits visuels 27,7 4,6 3 Perte d’audition 27,4 4,6 4 Autres blessures non intentionnelles 23,7 4,0 5 Problèmes d'alcool 22,3 3,7 6 Cataractes 17,8 3,0 7 Schizophrénie 16,3 2,7 8 Arthrose 15,6 2,6 9 Trouble bipolaire 14.4 2.4 10 Anémie (deficit en fer) 13.2 2.2 Total 596.9 100 fréquentent les établissements de soins primaires avec des troubles mentaux (certaines études ont montré que ce taux pourrait représenter jusqu’à 60 % des patients), la plupart des intervenants en soins primaires ne parviennent pas à détecter et traiter ces troubles mentaux. Les soins primaires en santé mentale peuvent contribuer fortement à combler l’écart entre besoins et accès aux soins. Les troubles mentaux et physiques sont intriqués (comorbidité) La plupart des malades souffrent à la fois d’un problème physique et d’un problème mental. La comorbidité est clairement établie entre les troubles mentaux et les maladies chroniques telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète et le VIH/SIDA. Les troubles physiques augmentent la vulnérabilité aux troubles mentaux. Ces der- niers ont également un impact important sur l’évolution de certaines affections. Par exemple, dans une étude nationale à grande échelle en Hongrie, 52 % des personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires présentent des symptômes de dépression et 30 % répondaient aux critères d’un épisode dépressif majeur [4]. Les troubles mentaux non traités peuvent contribuer à une mauvaise gestion des traitements, une mauvaise compliance aux soins, menant ainsi à un état de santé global fortement diminué. Les services de soins primaires intégrés permettent d’assurer que les malades sont traités selon une approche holistique, en répondant aux besoins de santé mentale des personnes présentant des troubles physiques et aux besoins de santé physique des personnes présentant des troubles mentaux. Tableau 2. La charge économique des troubles mentaux Coût des soins Coût de productivité Autres coûts Malades Honoraires/paiement des traitements et services Incapacité, perte de revenu Angoisse/souffrance, effets secondaires des traitements ; suicide Famille et amis Soins non professionnels Congés de maladie Angoisse, solitude, stigmatisation Employeurs Contributions au traitement et aux soins Diminution de la productivité - Société Prestation de soins de santé mentale et de soins médicaux (taxation/assurance) Diminution de la productivité Perte de vies, maladies non traitées (besoins non satisfaits), exclusion sociale 334 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 Santé mentale et soins de santé primaires : une perspective globale Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Les soins de santé primaires traitant les troubles mentaux favorisent l’accès aux soins Lorsque la santé mentale est intégrée dans les soins primaires, les personnes peuvent accéder à des services de santé mentale à un coût moindre et plus proche de leur domicile, gardant ainsi le lien avec leurs familles, et maintenant leurs activités quotidiennes professionnelles, scolaires, etc. La prise en charge de la santé mentale en soins primaires permet également de faciliter la prise de contact et la promotion de la santé mentale dans la communauté, ainsi que la surveillance et la prise en charge à long terme des personnes affectées. D’autre part, ces personnes peuvent également éviter des coûts indirects liés à la recherche de soins spécialisés dans des lieux plus éloignés. Un fardeau économique en moins pour les patients et leurs familles. Enfin, de nombreuses d’études ont démontré qu’il existe des traitements efficaces pour certains troubles mentaux, qui peuvent être administrés avec succès par des intervenants en soins primaires, et ce même dans de nombreux pays à faible et moyen revenu [3]. Les soins de santé primaires traitant les troubles mentaux favorisent le respect des droits de l’homme Fournir un traitement et des soins au niveau des soins de santé primaires implique une diminution des hospitalisations dans les hôpitaux psychiatriques. Ces établissements ont souvent été incriminés pour des violations flagrantes des droits de l’homme. La pratique de l’enfermement et la contention, la surconsommation de médicaments, la violence physique, la mauvaise hygiène et des conditions de vie déplorables sont constatés dans de nombreux pays. Soigner les troubles mentaux dans des services ouverts à tous préviendraient le recours à des pratiques déshumanisantes envers les patients d’une part, et améliorerait considérablement les conditions de travail des soignants. La prise en charge de la santé mentale en soins primaires favorise le respect des droits humains. Lorsqu’ils sont dispensés en soins primaires, les services de santé mentale minimisent la stigmatisation et la discrimination. La pyramide OMS des soins en santé mentale Les raisons d’intégrer les soins des troubles mentaux dans les soins de santé primaires, ne sont plus à démonter. Afin d’y parvenir, de manière efficiente, il est important de rappeler que les soins de santé primaires pour la santé mentale ne peuvent pas opérer de manière indépendante. La pyramide OMS des soins de la santé mentale permet de distinguer les différents niveaux de soins au sein du système de santé (figure 2) [7]. Les soins primaires sont considérés comme le premier niveau de soins au sein du système de santé officiel. Cependant, pour être pleinement efficaces, les soins primaires pour la santé mentale doivent être complétés par d’autres niveaux de soins. Ceux-ci comprennent des composants de soins secondaires, y compris les hôpitaux généraux qui peuvent fournir des soins pour les épisodes aigus graves de troubles mentaux, qui ne peuvent être gérés au domicile ou dans les services primaires pour la santé mentale (centres de jour, équipes de crise, lieux résidentiels, etc.) auxquels les soignants en santé primaire peuvent se tourner pour la réorientation, le soutien et la supervision. Instaurer des liens avec les services communautaires informels et les soins auto-administrés (self-care) sont également nécessaires. Les services communautaires informels comportent les groupes de soutien et des services de conseil gérés par des associations et des organisations cultuelles. Ces intervenants informels peuvent jouer un rôle important dans la prévention des rechutes, l’apport de soutien et de réinsertion sociale. Prendre soin de soi est la base de la pyramide OMS. Un socle sur lequel tous les autres soins reposent. En effet, cette notion de base renvoie à l’idée que les personnes doivent avoir des connaissances et compétences nécessaires pour gérer leurs problèmes de santé mentale eux-mêmes, ou avec l’aide de la famille ou d’amis. Prendre soin de soi doit également être promu à chaque contact avec les soignants ou les intervenants des autres niveaux de soins. Une dimension à intégrer à tous les niveaux de soins de santé. Prendre soin de soi (suivi des soins informels) est le service le plus fréquemment nécessaire et le moins coûteux. D’autre part, les soins dans les services psychiatriques spécialisés sont la forme la moins fréquente en termes de besoins, et qui représente le coût le plus élevé. Cependant, ces types de services sont nécessaires pour une petite minorité de la population, qui présente des tableaux complexes de troubles mentaux. Comprendre et apprécier les relations entre ces différents niveaux de soins est crucial pour comprendre le rôle des soins primaires en santé mentale, dans le contexte du système de santé en général. Les implications pratiques de l’intégration de la santé mentale dans les soins primaires Il va sans dire que les intervenants en soins primaires doivent être en mesure d’identifier et de gérer les troubles mentaux. Ce n’est pas une tâche facile quand tant de L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 335 M. Funk, et al. Haut Bas INTENSITÉ DES BESOINS S Services psychiatriques à l’hôpital général Services de santé mentale communautaires Services informels Services de santé primaire pour santé mentale E COÛTS Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dispositifs de longs séjours et services psychiatriques spécialisés L F C A R E Soins informels dans la communauté Self-care/soin de soi Bas Haut Importance des besoins en services et en soins Figure 2. Pyramide OMS d’organisation des services pour composition optimale des services de soins en santé mentale. personnes se présentent dans ces services de santé avec un éventail de problèmes médicaux et sociaux. Ainsi, plusieurs questions se posent. D’abord, de nombreuses personnes présentant des problèmes somatiques ont un problème de santé mentale sous-jacent, mais parce que l’accent est mis sur la dimension somatique, le trouble sous-jacent peut être omis pendant un certain temps. Inversement, il existe un risque de surmédicalisation chez des personnes traitées avec des médicaments pour des problèmes sociaux, qui seraient mieux appréhendés avec une approche psychosociale. Deuxièmement, il est important que les intervenants en soins primaires puissent répondre aux besoins en santé à la fois au niveau somatique et psychique. Ils devraient non seulement être formés à la gestion des troubles mentaux des personnes qu’ils reçoivent, mais aussi être capables de fournir des informations générales de bien-être, de dépistage et de gestion des problèmes de santé connexes, y compris les maladies non transmissibles et la toxicomanie. L’inverse est également vrai, que les intervenants en soins primaires doivent faire face aux problèmes de santé 336 mentale des personnes atteintes de maladies chroniques afin d’améliorer l’observance au traitement et optimiser la réussite des projets thérapeutiques. Troisièmement, ces soignants devraient adopter une approche basée sur le rétablissement (recovery) qui va audelà du modèle médical. Cela implique de mettre l’accent sur le soutien des personnes atteintes de troubles mentaux et des troubles psychosociaux à réaliser leurs propres aspirations, avec l’objectif de mener une vie épanouissante dans la communauté. Cette approche exige également d’accompagner les individus dans la compréhension de leur condition et d’identifier ce qui les aide à se rétablir ; travailler avec ces personnes dans leurs projets de soins en tant que partenaires égaux ; leur offrir le choix du traitement et des modalités de soins ; faciliter l’accès aux activités et stimuler les relations sociales. Enfin, les soins primaires doivent aider les personnes à accéder à l’emploi, à l’éducation, aux services sociaux et au logement. Beaucoup de personnes souffrant de troubles L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 Santé mentale et soins de santé primaires : une perspective globale mentaux sont isolées. Elles sont plus nombreuses à subir le chômage, un faible niveau d’éducation, l’itinérance, la pauvreté et le manque d’intégration au sein des communautés. Il est donc extrêmement important pour les services de santé primaires de pouvoir orienter ces patients vers les services ou lieux appropriés pour l’accès à l’emploi, au logement, à l’éducation et à la formation. Ressources de l’OMS Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Intégrer la santé mentale dans les soins de santé primaires – de première ligne Le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation mondiale des médecins de famille (Wonca) présente les raisons et le savoir-faire pour intégrer avec succès la santé mentale aux soins de santé primaires [7]. Ce rapport permet de : – Découvrir comment le fait d’offrir des soins de santé mentale au niveau des soins de santé primaires aboutit à de meilleurs résultats de santé ; – Apprendre de l’expérience d’autres pays qui ont réussi cette intégration. Sont présentées 12 des meilleures pratiques de différents pays (Argentine, Australie, Belize, Brésil, Chili, Inde, Iran, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, Uganda, Royaume Uni et Irlande du Nord) en ce qui concerne l’intégration de la santé mentale dans les soins de santé primaires et fournit des conseils et des recommandations pour entreprendre une intégration efficace dans des contextes économiques et politiques très différents. Le Belize et la République islamique d’Iran par exemple, illustrent l’intégration au niveau national, tandis que d’autres décrivent l’intégration au sein d’une province ou d’un district spécifique ; – Découvrir 10 principes communs qui sous-tendent toute intégration réussie des soins de santé mentale, quel que soit le niveau de ressources du pays, ainsi que les implications cliniques de l’intégration pour les professionnels des soins primaires : 1. Les politiques et les plans doivent incorporer la notion de prise en charge de la santé mentale en soins primaires. 2. Le plaidoyer est nécessaire pour changer les attitudes et les comportements. 3. Les agents de soins primaires doivent être formés en conséquence. 4. Les tâches confiées aux agents de soins primaires doivent être limitées et réalisables. 5. Des professionnels et des établissements spécialisés en santé mentale doivent être disponibles pour soutenir les soins primaires. 6. Les patients doivent avoir accès aux principaux psychotropes en soins primaires. 7. L’intégration est un processus et non un événement. 8. Il est crucial d’avoir un coordinateur des services de santé mentale. 9. Une collaboration avec les secteurs gouvernementaux autres que les secteurs de la santé, avec les ONG, les agents de santé communautaires et de village, ainsi qu’avec les travailleurs bénévoles est nécessaire. 10. Des ressources financières et humaines sont requises. La boite à outils « Qualité des droits » La boîte à outils « Qualité des droits » recense les principales normes qui doivent être respectées pour tous les patients hospitalisés et suivis en ambulatoire, dans les services de santé mentale et les établissements sociaux à travers le monde, y compris les services de santé primaires [9]. Cette boite à outils couvre cinq thèmes issus de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées : – Le droit à un niveau de vie adéquat et à une protection sociale. Beaucoup de personnes séjournant dans des établissements résidentiels vivent dans des conditions inhumaines. Les services fournis aux personnes présentant un handicap doivent assurer une vie descente en termes de conditions de vie (hygiène, alimentation, vêtement, couverture, d’intimité, etc.) et en termes d’environnement social (communication avec l’extérieur, accès à la culture aux sport, etc.). – La prestation de soins fondée sur des preuves pour des problèmes de santé à la fois mentale et physique et basée sur le consentement libre et éclairé. Les personnes atteintes de problèmes de santé mentale peuvent avoir de graves problèmes de santé physique concomitants qui ne devraient pas être négligés. Cette négligence a été la cause des taux élevés de maladie et de décès. En outre le consentement au traitement est indispensable pour toute personne souffrante. Il est urgent de réguler cette pratique courante de traitement forcé pour des personnes ayant des problèmes de santé mentale. – Le renfort de l’autonomie des personnes en leur permettant de s’engager dans leurs propres projets de rétablissement. Les personnes atteintes de problèmes de santé mentale se sont longtemps vu refuser de prendre leurs propres décisions et d’être acteurs de leur rétablissement. Cependant, les meilleurs résultats peuvent être obtenus lorsque les personnes sont autorisées et encouragées à participer pleinement à leur propre projet de soin. – La mise en place de mesures de prévention de la maltraitance dans les services accueillant des personnes souffrant de troubles psychiques. Plusieurs patients dans le monde sont victimes de violence, d’exploitation, voire de torture. Des moyens de repérage, la réglementation, l’information sur les pratiques abusives et les traitements inhumains doivent être mis en œuvre, et ce, conformément au droit international relatif aux droits de l’homme. – Le droit de vivre indépendamment et être inclus dans la communauté. Les personnes ayant un trouble psychique subissent des violations et des discriminations de grande L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 337 M. Funk, et al. ampleur. Ils se voient souvent refuser la possibilité de travailler, de recevoir une éducation et d’accéder au soutien social et financier dont ils ont besoin pour vivre dans la communauté. ils sont également limités dans l’exercice de leur droit de vote, d’adhérer et de participer à la vie politique, religieuse, sociale. Des normes doivent pouvoir évaluer l’accessibilité pour ces personnes aux services d’emploi, d’éducation, de logement et d’aide sociale. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Le guide d’intervention OMS mhGAP Le guide d’intervention mhGAP a été élaboré à partir d’un processus d’examen intensif des données probantes dans le domaine. Des revues systématiques ont été réalisées pour mettre au point des recommandations reposant sur une base factuelle. Le processus d’élaboration du guide a fait appel à un groupe d’experts internationaux pour la mise au point de recommandations de l’OMS [8]. Le GI-mhGAP a été élaboré pour être utilisé dans des structures de soins de santé non spécialisées. Il propose de bonnes pratiques cliniques pour régir les interactions entre prestataires de soins et personnes consultant pour des problèmes de santé mentale. Le guide d’intervention mhGAP contient des recommandations reposant sur les données factuelles pour identifier et prendre en charge un certain nombre de pathologies prioritaires. Les recommandations prioritaires portent sur la prise en charge de la dépression, la psychose, les troubles bipolaires, l’épilepsie, les troubles du développement et du comportement chez les enfants et les adolescents, la démence, les troubles liés à la consommation d’alcool, ceux liés à l’utilisation de substances psychoactives, les conduites autoagressives/suicidaires et les autres plaintes émotionnelles importantes ou médicalement inexpliquées. Ces pathologies prioritaires ont été sélectionnées en raison de l’importante charge de morbidité, de mortalité et d’incapacité qu’elles entraînent, de leur coût économique élevé et des violations des droits humains qui leur sont associées. Témoignage de Juan, un chilien de 43 ans qui a souffert de schizophrénie pendant les 20 dernières années : « Tout a commencé quand j’avais 21 ans. Après un moment, j’ai dû arrêter de travailler et un jour je ne pouvais tout simplement plus rien faire. Ma femme m’a quitté et on a également emporté mes deux enfants. Je n’avais pas le choix, j’ai dû aller vivre avec ma maman, qui se souciant pour moi, m’a emmené à l’hôpital psychiatrique. Le personnel de l’hôpital a été gentil avec moi, mais je n’aimais pas être enfermé et j’avais peur. Je ne pouvais plus supporter et au bout de trois semaines environ, je me suis échappé. 338 Je ne prenais pas mes médicaments à la maison, par conséquent, j’ai été emmené à l’hôpital à plusieurs reprises au fil des années. Les bâtiments étaient très froids. La nourriture était bonne, mais ils ne en nous donnaient pas assez : j’avais constamment faim et j’en demandais toujours plus. Contrairement à d’autres patients, j’étais que rarement attaché à mon lit. Cependant, une fois, j’ai vu un homme âgé se faire battre parce qu’il résistait à recevoir une injection. Cela m’a vraiment perturbé : les gens ne devraient pas être traités comme ça. La dernière fois que j’étais à l’hôpital c’était il y a quatre ans. À la sortie, les soignants m’ont dit de voir un psychiatre dans une unité de soins psychiatriques ambulatoires. Cette fois, j’ai pris mes médicaments tous les jours. Le seul problème est que parfois je ne pouvais pas payer le ticket de bus nécessaire pour me rendre à la clinique. Un jour, il y a environ un an, le psychiatre m’a dit que le service de santé ouvrait dans ma municipalité, et que je pouvais le voir dans ce centre, qui est à seulement trois pâtés de maisons de chez moi. Le même psychiatre m’a vu à mon centre de santé local au cours de la dernière année. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit que j’étais très bien. Il m’a aussi dit que tant que je continuais à bien faire, je pouvais être suivi par les médecins de soins primaires à la clinique. Les médecins me donnent maintenant les mêmes pilules que le psychiatre me donnait, et je reçois aussi la même injection par mois au centre. Je peux voir un psychologue ici quand j’ai des problèmes. Je peux aussi voir un médecin quand je ne me sens pas bien physiquement. Je vais bien maintenant, je ne suis pas retourné à l’hôpital psychiatrique en quatre ans. Je me débrouille très bien avec mes deux enfants adultes. Je suis un homme heureux maintenant, avec ma femme, mes enfants, ma maman et mon beau-père. C’est magnifique d’être en bonne santé. Avec ma maladie ma personnalité était émoussée, et tous mes amis m’ont quitté. Maintenant, je vais reprendre ma personnalité – et ma vie. » [7] Il y a des millions de Juan partout dans le monde, ils connaissent des violations des droits de l’homme, la stigmatisation et la discrimination, la pauvreté et l’isolement. Mais aujourd’hui encore, seule une minorité de personnes est assez chanceuse pour être en mesure d’obtenir les soins de santé mentale dont elles ont besoin dans un centre de santé de proximité de leur domicile. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 5 - MAI 2014 Santé mentale et soins de santé primaires : une perspective globale Nous devons faire en sorte que beaucoup plus de personnes comme Juan bénéficient d’une approche de soins primaires intégrés dans la communauté, qui met la santé mentale au centre de leurs activités, à part égale avec la santé physique. Pour l’Organisation mondiale de la santé, il s’agit du défi de ces prochaines années pour tous les pays : intégrer la santé mentale dans la santé publique et les soins psychiatriques dans les soins de santé primaires intégrés dans la cité. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. Références 1. Alonso J, Codony M, Kovess V, et al. Population level of unmet need for mental health care in Europe. British journal of psychiatry 2007 ; 190 : 299-306. 2. Demyttenaere K. 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