DescriptifduprojetdethèsePARTICULES(PrBertrandDécaudin) Sujetetcontexte Dans les unités de soins intensifs et de réanimation, les patients reçoivent de nombreux médicaments simultanément par le même abord vasculaire, où des problèmes de compatibilités entre médicaments peuvent survenir [Jaimovich DG, 1990 ; Reyes G, 1999 ; Kanji S ; 2010]. La maitrise de ces incompatibilités représente donc un enjeu majeur dans la prise en charge des patients polymédicamentés. Ces incompatibilités sont le résultat d’un changement physico-chimique qui se manifeste le plus souvent visuellement par l’apparition d’un précipité, un changement de coloration, opalescence, crémage et/ou un dégagement gazeux. Toutefois, l’inspection visuelle ne suffit pas toujours pour mettre en évidence une incompatibilité physico-chimique. Beaucoup sont indétectables à l’œil nu : réactions redox, d’hydrolyse, de photolyse, de racémisation ou de désamination notamment. De plus, l’identification visuelle d’une incompatibilité médicamenteuse fait l’objet d’une grande variabilité inter- et intra-individuelle. L’incompatibilité, généralement causée par une variation de pH, peut se produire entre 1) un médicament et un véhicule de perfusion (SSI, glucose), 2) deux médicaments dans une poche de perfusion (dilué), dans une même seringue (concentré) ou perfusés simultanément en Y (cas le plus fréquent) et 3) un ou des médicament(s) et une nutrition parentérale totale (NPT). Les incompatibilités physico-chimiques des médicaments injectables peuvent avoir des conséquences cliniques encore peu décrites à ce jour dans la littérature scientifique [Monte SV, 2008]. Les connaissances des médecins et du personnel soignant dans le domaine des incompatibilités sont limitées, voire sous-estimées, ce qui peut être à l’origine de conséquences graves pour le patient [Schneider MP, 1998]. On peut citer notamment la description de cas d’obstruction de cathéter dues à la formation de cristaux de phosphates de calcium au cours de la NPT [Breaux CW, 1987], de perte de médicaments [Foinard A, 2012], de survenue d’embolies, potentiellement mortelles par formation de cristaux au cours de la nutrition parentérale [McNearney T, 2003] ou encore de dépôt de cristaux de phosphates de calcium dans certains organes au cours de la NPT [Knowles JB, 1989 et Reedy JS, 1999]. L’incompatibilité physico-chimique des médicaments peut s’avérer notamment critique dans les unités de réanimation néonatale et pédiatrique. Les enjeux sont importants dans la mesure où la quasitotalité des jeunes patients pris en charge dans ces services reçoit plusieurs traitement injectables simultanément. Les incompatibilités physico-chimiques, telles que la précipitation, peuvent mener à une contamination particulaire du perfusât, susceptible d’entraîner des complications aussi bien au niveau périphérique (phlébite), que systémique (granulomes, altération de la microcirculation, ou développement de SIRS (Syndrome de Réponse Inflammatoire Systémique) [Jack T, 2012]). L’administration de très faibles volumes de liquides chez ces jeunes patients peut entrainer une dissolution incomplète des médicaments et majorer le risque d’incompatibilité physico-chimique entre eux [Santeiro ML, 1992]. De plus, en raison la perfusion simultanée de plusieurs médicaments sur un unique accès vasculaire (les cathéters utilisés en réanimation néonatale sont généralement monolumière), ce même risque peut augmenter considérablement. Selon plusieurs études, leur fréquence d’apparition varie entre 0,2 et 25% [Fahimi F, 2008 ; Taxis K, 2004 ; Wirtz V, 2003]. Il n’existe aucune recommandation internationale portant sur la prévention des incompatibilités physicochimiques entre médicaments administrés par voie IV. Quelques outils tels que certaines bases de données permettent d’obtenir des informations pertinentes sur ces incompatibilités. Une étude récente a montré l’utilité de ces bases de données [De Giorgi I, 2010]. 1 En Suisse, un système de code couleur basé sur le pH des médicaments a été utilisé à l’hôpital de Schaffhouse pendant cinq ans : le risque de mélanges incompatibles administrés en Y a été diminué, passant de 15% à 2% [Kahmann I V, 2003]. Afin de prévenir la contamination particulaire liée aux incompatibilités physico-chimiques, l’utilisation des filtres en ligne peut être une solution [Ball PA, 2003], dont l’intérêt est toutefois discuté par une revue de la littérature du réseau de Cochrane [Foster JP, 2011]. Dans un travail plus récent mené en réanimation pédiatrique, l’intérêt des filtres en ligne est démontré par une diminution significative des complications sévères, notamment SIRS, sepsis et thromboses [Jack T, 2012 et Boehne M, 2013]. Enfin, l’utilisation de dispositifs médicaux spécifiques modifiant le temps et les conditions de contact des différents médicaments perfusés simultanément a permis de réduire significativement la formation de particules médicamenteuses [Foinard A, 2013]. Au final, l’analyse de ces données montre l’existence d’un risque associé à la perfusion simultanée de médicaments injectables, incompatibles entre eux, aux patients des services de réanimation néonatale. Ce risque est lié à l’administration non maitrisée de particules médicamenteuses. La monographie « 2.9.19 Contamination particulaire : particules non visibles » de la Pharmacopée européenne prévoit l’existence de seuil de contamination particulaire pour les médicaments injectables en présentation unitaire. En revanche, il n’existe aucun référentiel permettant de fixer un seuil de contamination particulaire de l’ensemble des médicaments perfusés à un patient hospitalisé en réanimation néonatale sur 24h et sur le temps de l’hospitalisation. Plusieurs travaux expérimentaux ont essayé d’établir une relation entre la charge particulaire et distribution des particules dans l’organisme voire effets biologiques chez l’animal. Dès 1966, Wilkins et Myers montrent que la rétention des particules peut être liée à leur propriétés électrophorétiques [Wilkins DJ, 1966]. En 1975, Purkiss met en évidence la présence de particules dans les poumons, le foie et les reins suite à l’injection de fibres de cellulose chez la souris [Purkiss R, 1975]. En 1980, Kanke et al montrent que la clairance sanguine des microbilles de polystyrène après injection intraveineuse chez le chien est dépendante de la taille particulaire. Les particules sphériques de taille inférieure à 7 µm sont piégées au niveau hépatique, tandis que les particules de taille supérieure à 7 µm sont retenues plus longtemps dans les poumons [Kanke M, 1980]. Un travail similaire mené par Ilium et al chez le lapin avait pour objectif d’évaluer l’effet de la taille, de la nature et de la forme des particules sur leur clairance sanguine ainsi que sur leur diffusion au niveau des organes. Pour cela, les auteurs ont utilisé de particules de polystyrène et de cellulose modifiée marquées à l’iode 131 [Ilium L, 1982]. Ce travail confirme l’impact de la taille des particules sur leur diffusion tissulaire. Les particules de polystyrène de diamètre 1,27 µm sont principalement retrouvées au niveau du foie et celles de diamètre 15,8 µm se concentrent au niveau des poumons. Plus récemment, un travail a évalué l’effet de la contamination particulaire de différentes solutions de céfotaxime sur la microcirculation vasculaire du hamster [Lehr H-A, 2002]. Ce travail montre une diminution de la densité capillaire fonctionnelle sur les tissus musculaires ischémiés en lien avec l’administration de particules. L’expérience a été reproduite avec l’injection de billes de polystyrène montrant une diminution progressive de la densité capillaire fonctionnelle en lien avec la taille des billes. La diminution devient significative avec des billes de diamètre supérieur à 10 µm avec un impact nettement supérieur sur le tissu en ischémie. Cette revue de la littérature montre que les travaux disponibles permettent d’affirmer l’existence de risques liés à l’administration de particules mais ne permettent pas de fixer un seuil de contamination particulaire. L’objectif principal du projet est de proposer un seuil acceptable de contamination particulaire de l’ensemble des médicaments perfusés à un patient hospitalisé en réanimation néonatale sur le temps de l’hospitalisation. Comme nous l’avons vu précédemment, les travaux publiés ont permis de montrer que : • L’utilisation d’un filtre prévenait la survenue de complications au cours de la prise en charge des patients en réanimation pédiatrique [Jack T, 2012 et Boehne M, 2013]. Toutefois, ce 2 travail très contributif n’apportait pas de mesure de la charge particulaire rendant impossible l’évaluation de la corrélation entre niveau de contamination particulaire et réponse biologique. • La forme, la taille et la nature des particules affectent la diffusion particulaire des particules. Toutefois, les travaux menés chez l’animal n’ont pas (ou très peu) évalué des médicaments ou des combinaisons de médicaments rendant impossible l’extrapolation des résultats à la prise en charge des patients en réanimation néonatale. De ce fait, il apparaît nécessaire, afin d’améliorer la sécurité d’utilisation des médicaments injectables en réanimation néonatale de : 1. Mesurer l’exposition particulaire des patients en reproduisant in vitro les principaux protocoles de prise en charge des patients au sein de ces services ; 2. Evaluer in vitro la perte de quantités de médicament lié aux éventuelles incompatibilités médicamenteuses lors de la prise en charge des patients au sein de ces services ; 3. Evaluer la réponse biologique aux particules médicamenteuses chez l’animal aux niveaux de contamination précédemment déterminés ; 4. Etablir un modèle reliant la réponse biologique à différents niveaux de contamination par des particules médicamenteuses ; L’ensemble de ces résultats permettra d’établir un seuil acceptable de contamination particulaire des médicaments perfusés à un patient hospitalisé en réanimation néonatale sur le temps de l’hospitalisation. Ce seuil pourra être utilisé lors de l’évaluation des stratégies de diminution de la charge particulaire. Il permettra ainsi d’établir des recommandations destinées à sécuriser l’utilisation des médicaments injectables en réanimation néonatale. Etatdusujetdanslelaboratoire Notre laboratoire a développé une approche originale en utilisant un dispositif innovant de comptage et d’analyse particulaire : le dispositif Qicpic (Sympatec, France) dont le principe repose sur la diffraction de la lumière. L'analyseur de particules Qicpic® avec le logiciel Windox 5,0 détermine la taille de particules comprises entre 1 µm et 30 mm et offre une analyse dynamique de formation d'image grâce à sa lentille M3 avec une gamme de particules de mesure de 0,7 à 1210 µm et un taux d'acquisition d'image de 10 Hz. Il permet la prise de photographie des particules, l’analyse et la mesure des particules L’avantage de cet équipement est de permettre un comptage dynamique lors d’une simulation in vitro en connectant la cathéter directement sur le dispositif Qicpic. La mesure est possible dans une large gamme de débit correspondant aux débits utilisés en néonatalogie jusqu’à l’adulte. De ce fait, contrairement aux travaux précédents qui utilisent l’analyse des particules médicamenteuses collectées sur le filtre ou le comptage statique, notre approche rend possible un comptage particulaire sur 24h en simulant in vitro les protocoles habituellement utilisés en clinique. L’analyse permet de représenter la quantité et la taille des particules au cours du temps. Cette technique est parfaitement maitrisée par le laboratoire de biopharmacie, pharmacie galénique et hospitalière (EA GRITA, Pr Pascal Odou). Son développement a fait l’objet du travail de thèse de doctorat d’Université de Maxime Perez et se poursuit avec le travail de thèse de Malik Benlabed. L’application en néonatalogie bénéficie de la collaboration existante avec la réanimation néonatale du CHRU de Lille et l’EA4489. De ce fait, notre projet permettra pour la première fois de quantifier la charge particulaire résultant de la perfusion simultanée de plusieurs médicaments en soins intensifs et réanimation néonatale. 3 Programmeetl’échéancierdetravail Calendrier (mois) / Schedue (month) Mesurer conséquences incompatibilités médicamenteuses Evaluer conséquences l’animal les des les chez 3 6 9 12 15 X X X X X 18 21 X X X Etablir un modèle X Rédaction de la thèse 24 27 X X 30 33 36 X Retombéesscientifiquesetéconomiquesattendues Les résultats de ce projet feront l’objet de communications scientifiques. Les revues envisagées sont essentiellement des revues médicales spécialisées en Réanimation/Soins intensifs notamment Critical Care Medicine et Intensive Care Medicine ainsi que des revues spécialisées en Pédiatrie/Néonatalogie notamment Pediatrics, The Journal of Pediatrics et Acta Paediatrica. Les résultats seront présentés dans les congrès nationaux et internationaux de néonatalogie et de pharmacie. En France, seront notamment ciblés les Journées Françaises de Recherche en Néonatalogie (2 symposiums sur ce sujet au cours des 2 dernières éditions), le congrès de la Société de Réanimation de Langue Française et le congrès de la Société Française de Pharmacie Clinique (1 symposium sur ce sujet au cours de la dernière édition). A l’international, seront ciblés les congrès de l’European Society of Paediatric and Neonatal Intensive Care et de l’European Association of Hospital Pharmacists ainsi que l’International Symposium on Intensive Care and Emergency Medicine. Les résultats de ce projet trouveront une traduction pédagogique dans un support de type e-learning destiné à former les équipes de soins au risque d’incompatibilité lors de la mise en œuvre des montages. Les personnes impliquées dans ce projet maitrisent les outils nécessaires à la production de ce type de ressource pédagogique (ScenariChain modules Opale et Topaze). La ressource sera hébergée sur un serveur de l’Université Lille 2. Les seuils d’exposition déterminés lors du projet pourront être utilisés lors de l’évaluation des stratégies de diminution de la charge particulaire. Cette approche permettra ainsi d’établir des recommandations destinées à sécuriser l’utilisation des médicaments injectables en soins intensifs et réanimation néonatale. Ainsi, les résultats obtenus devraient permettre de soutenir la rédaction de recommandations par les sociétés savantes compétentes concernant l’administration des médicaments injectables en soins intensifs et réanimation néonatale. 4 Collaborationsprévues Ceprojets’inscritdanslecadred’unecollaborationdéjàbienenplaceavecl’EA4489etle servicederéanimationnéonataleduCHRUdeLille(PrLaurentStorme). Ils’inscritdanslathématiqueduFHUThefirst100daysoflife:Awindowofopportunityto shapeourfuturehealthetdelaSFRTechnologiesdeSantéetMédicament. Publications InVitroAssessmentofInteractionBetweenAminoAcidsandCopperinNeonatalParenteral Nutrition. FoinardA,PerezM,BarthélémyC,LannoyD,FlameinF,StormeL,AddadA,BoutMA, DécaudinB,OdouP. JPENJParenterEnteralNutr.2016Aug;40(6):827-34. Criteriaforchoosinganintravenousinfusionlineintendedformultidruginfusionin anaesthesiaandintensivecareunits. Maiguy-FoinardA,GenayS,LannoyD,BarthélémyC,LebuffeG,DebaeneB,OdouP, DécaudinB. AnaesthCritCarePainMed.2016Jun23.pii:S2352-5568(16)30056-X. InvitroanalysisofoverallparticulatecontaminationexposureduringmultidrugIVtherapy: impactofinfusionsets. PerezM,DécaudinB,AbouChahlaW,NelkenB,BarthélémyC,LebuffeG,OdouP. PediatrBloodCancer.2015Jun;62(6):1042-7. Compatibilityofmedicationsduringmulti-infusiontherapy:Acontrolledinvitrostudyona multilumeninfusiondevice. PerezM,DécaudinB,FoinardA,BarthélémyC,DebaeneB,LebuffeG,OdouP. AnaesthCritCarePainMed.2015Apr;34(2):83-8. Theimpactofmultilumeninfusiondevicesontheoccurrenceofknownphysicaldrug incompatibility:acontrolledinvitrostudy. FoinardA,DécaudinB,BarthélémyC,DebaeneB,OdouP. AnesthAnalg.2013Jan;116(1):101-6. 5