Le devoir des chercheurs de contribuer à la morale collective
Jean-Louis Basdevant*
Dans un éditorial inattendu du journal Le Monde du 25-26 septembre dernier, intitulé
« Le doute scientifique, une attitude exemplaire », Erik Izraelewicz commente un résultat,
publié par la coopération de physique des particules « OPERA », qui suggère une propagation
de particules à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Il note que les chercheurs ont
« publié les résultats de leurs recherches, exposant de la manière la plus ouverte les détails de
leur expérience et ses données brutes, [offrant] ainsi à la communauté scientifique tous les
moyens de mettre à son tour en doute, méthodiquement, le fruit de leur travaux ». Les
physiciens montrent ainsi « une remarquable intégrité de la démarche scientifique » et « on ne
peut que souhaiter aux économistes de s’inspirer de l’extraordinaire liberté d’esprit des
physiciens ».
Tout physicien des particules actuel trouvera cette démarche parfaitement naturelle.
Pourtant un intellectuel extérieur au domaine s’en émerveille. Dans cette physique, une
morale s’est imposée sans laquelle cette science perd son sens. Cela n’a pas toujours été le
cas, mais la collaboration internationale généralisée qui sous-tend la recherche actuelle en
physique des particules a simplement éliminé tout acte de ce genre. C’est une sorte de
sélection naturelle. Il est intéressant d’examiner le processus d’apparition de cette éthique et
de comprendre le message que les physiciens peuvent adresser aux responsables de prise de
décision dans nos sociétés. On peut contribuer ainsi à ce que notre époque redevienne une
époque d’humanisme et de lumières. « Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la
morale n’entendront jamais rien à aucune des deux » disait Jean-Jacques Rousseau.
* Physicien, Ecole Polytechnique.