
Forum Med Suisse 2010;10(46):798–801 800
cabinet
sion du patient. D’un autre côté, les médecins peuvent
également se sentir soulagés de pouvoir s’appuyer sur
cette «contrainte extérieure». En effet, le jugement, par
le médecin, des risques que court un patient est biaisé.
Dans la pratique, il n’est pas rare qu’il ressorte rétros-
pectivement que les patients, pour diverses raisons,
n’ont pas parlé des situations à risque de VIH aux-
quelles ils ont été confrontés ou qu’eux-mêmes igno-
raient cette situation fut à risque.
Faut-il traiter les primo-infections par le VIH?
A ce jour, il n’existe pas d’études contrôlées qui démon-
trent les bénéfices d’un traitement anti-VIH au cours de
la primo-infection. Dans les lignes suivantes, nous ex-
pliquons pourquoi nous recommandons un traitement
en urgence durant la primo-infection par le VIH.
Destruction du système immunitaire intestinal
par le VIH
Des coloscopies et des biopsies réalisées chez des pa-
tients nouvellement infectés par le VIH ont montré que
durant la primo-infection par le VIH, il y avait une des-
truction importante des lymphocytes CD4-positifs dans
le système immunitaire
intestinal (MALT) en
l’espace de quelques
jours. Après quelques
semaines, les follicu-
les lymphatiques dans
l’iléon terminal, norma-
lement visibles àlacolo-
scopie, ont totalement
disparu, les cellules CDA dans la lamina propria ont été
éliminées [12] et ont éventuellement été remplacées par
du tissu conjonctif. Cette destruction est si profonde,
que même un traitement anti-VIH ultérieur n’est plus
capable de rétablir l’architecture du système immuni-
taire gastro-intestinal. Même lorsque le traitement était
instauré au cours des trois premiers mois ayant suivi
l’infection, une normalisation de la numération des
CD4 dans la lamina propria a uniquement été observée
chez moins d’un tiers des patients après 1–3 ans.
Dommages cosmétiques ou déficit immunitaire
central?
La destruction du MALTest pourtant bien plus qu’une
altération visible àlabiopsie. La plupart des dommages
associés àl’infection par le VIH, ycompris la destruction
des cellules CD4, sont aujourd’hui imputés àl’activation
massive du système immunitaire par le VIH. Une hypo-
thèsedominante est que la destruction du MALTconduit
àunefflux massif de produits bactériens de l’intestin,
particulièrement de lipopolysaccharides (LPS) [13].
Dans l’infection par le VIH, la paralysie fonctionnelle
des cellules immunitaires est l’un des nombreux dom-
mages causés au système immunitaire. Récemment,
Said et al. ont publié une série d’expériences intéres-
santes,rendant les LPS (et d’autres antigènes de l’intes-
tin) responsables de la paralysie immunitaire [14]. Les
auteursont recherché les causes de l’activation massive
du système immunitaire dans l’infection par le VIH.
Pour ce faire, ils ont analysé deux marqueurs essen-
tiels, le récepteur PD-1 (programmed death-1) et l’in-
terleukine 10 (IL-10). L’ activation du récepteur PD-1
empêche une prolifération des lymphocytes: les cellules
deviennent inactives, ce qui à terme bloque également
les défenses contre le VIH. Il est également connu que
l’IL-10(essentiellement produite par les monocytes) dé-
grade la fonction des cellules T et donc les défenses
contre le VIH.
Les auteurs ont à présent découvert que les LPS (et
d’autres antigènes), en fonction de leurs concentra-
tions, entraînent une surexpression des récepteurs
PD-1 des monocytes et en parallèle, augmentent massi-
vement la sécrétion d’IL-10 par les monocytes. Curieu-
sement, l’action paralysante via l’activation de l’IL-10
est particulièrement prononcée lorsque les cellules CD4
spécifiques au VIH interagissent avec les monocytes, ce
qui signifie que l’action des LPS paralyse avant tout la
réponse immunitaire spécifique au VIH, mais qu’elle
contribue également de manière non-spécifique àlapa-
ralysie des défenses immunitaires.
Tr aitement précoce pour préserver des fonctions
immunitaires majeures
Même s’il n’est pas encore clair dans quelle mesure un
traitement très précoce est capable d’empêcher la pa-
ralysie du système immunitaire médiée par l’IL-10, il
est tout de même possible de supposer qu’un traite-
ment précoce augmente la probabilité d’un effet de pré-
servation du système immunitaire. L’ étude de cellules
CD8 CD127hi-positives a permis d’illustrer un effet po-
sitif du traitement précoce. Ces cellules régulent le
fonctionnement normal du système immunitaire. Fait
intéressant, elles sont présentes en quantités moindres
chez toutes les personnes infectées par le VIH. Une nor-
malisation de ces cellules peut uniquement être obte-
nue si les patients ont été traités dès les premières se-
maines suivant l’infection par le VIH [15].
Le principal argument en faveur d’un traitement pré-
coce en urgence en cas de primo-infection est que les
dommages dûs à l’in-
fection par le VIH sont
en partie irréversibles
et que le traitement
anti-VIH a peu d’effets
indésirables. Ainsi, si
nous soupçonnons chez
un patient une primo-
infection par le VIH et
que le test de dépistage
(test combiné antigène-anticorps) est positif, nous dé-
butons le traitement encore le même jour, même si la
confirmation au moyen de l’ARN du VIH (PCR) n’est pas
encore disponible.
Un autre argument important en faveur d’un traitement
précoce est la réduction des cellules infectées de façon
latente. Il s’agit de cellules mémoires infectées par le
VIH, qui peuvent être activées soudainement et pro-
duire du VIH. Leur dégradation naturelle est si lente,
qu’il faudrait 60 ans pour qu’elles aient totalement dis-
paru. La situation est tout autre dans le cas d’une
Si une «guérison» du VIH
était un jour possible, elle
le serait le plus vraisembla-
blement chez les patients
qui ont débuté le traitement
très tôt
Argument en faveur du
traitement précoce: Les
dommages dus àl’infection
par le VIH sont en partie
irréversibles et le traitement
anti-VIH apeu d’effets
indésirables