Les Rendez-vous de l’Histoire, Blois
Vendredi 14 octobre 2011
L’ORIENT EN OCCIDENT
Carte blanche à l’université François-Rabelais de Tours.
INTERVENANTS : YVES-MARIE BERCÉ, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres, JÉRÔME BOCQUET, maître de conférences à l’IUFM d’Orléans-Tours, BERNARD
HEYBERGER, professeur à l’université François-Rabelais de Tours, FRANÇOIS-OLIVIER
TOUATI, professeur, directeur du département d’histoire et d’archéologie à l’université
François-Rabelais de Tours, MICHEL VERGÉ-FRANCESCHI, professeur à l’université
François-Rabelais de Tours.
Y.-M. BERCÉ est finalement absent de la conférence.
L’exposé de la présence de l’Orient en Occident est chronologique, du Moyen-Âge jusqu’à nos
jours.
François-Olivier TOUATI:
La civilisation médiévale occidentale ne peut pas être conçue sans prendre en compte la réalité
suivante: Jérusalem est le lieu de la Passion du Christ ainsi que de la Résurrection. D’une
manière permanente durant le Moyen-Âge -et ce dès les Vème et VIème siècles- l’on a mention
d’Occidentaux qui se rendent à Jérusalem, ou qui en reviennent. Ainsi la présence de l’Orient
en Occident est d’abord liée à ces aller-retours -et ce, donc, dès le début du Moyen-Âge-.
La première influence d’importance de l’Orient réside dans le monachisme, qui est une
expérience proprement orientale. A ce propos, l’un des foyers majeurs du monachisme en
Occident est la vallée de la Loire. Celle-ci -n’étant pas endiguée au début du Moyen-Âge- offre
alors un paysage ressemblant à celui de la Thébaïde, présentant notamment des falaises.
Une partie notable de ces bords de Loire est laissée en déshérence, et offre donc des lieux
sauvages.
Les échanges sont également un facteur important. Les sarcophages offrent des témoignages
de ces échanges: les motifs qui sont présents sur ces sarcophages sont similaires aux motifs
paléochrétiens égyptiens et orientaux.
La présence de l’Orient en Occident est réactivée sous les Carolingiens. Ceux-ci échangent
avec les Abbassides. Et en outre, ils sont aux portes du monde musulman (les Arabo-
musulmans étant présents dans la Péninsule ibérique). Par ailleurs, Charlemagne cherche
à privilégier la direction de Jérusalem: cette politique se traduit par des imitations de l’Orient,
notamment dans le domaine de la pratique religieuse. Nous remarquons également la présence
de nombreux moines syriens à Rome sous les Carolingiens.
Les croisades jouent ensuite un rôle majeur: leur finalité est de réunir Jérusalem à l’Occident.
La présence de l’Orient en Occident s’en trouve renforcée: en Occident se multiplient les
représentations de Jérusalem. Il existe notamment des reproductions du Sépulcre -par exemple
à Narbonne-; ou encore des églises en forme de rotonde évoquent le tombeau du Christ -par
exemple, celle de Neuvy-Saint-Sépulchre, en Indre-. L’Orient est également présent par la
reconstitution des lieux, des toponymes, des microtoponymes, que l’on pense alors être propres
à la Terre Sainte et à Jérusalem (par exemples: “Le Jourdain”, “Jéricho”, “Nazareth”, “Le
Sépulcre”...).
Bernard HEYBERGER:
Au XVIIème siècle, le pélerinage à Jérusalem rencontre peu de succès: les pélerins sont très
peu nombreux à s’y rendre.
Au XVIIIème siècle, les Occidentaux se détournent de Jérusalem, au contraire des Orientaux
(notamment des Arméniens orthodoxes, qui s’y rendent en grand nombre). Le voyage vers la
Terre Sainte est périlleux, notamment à cause des corsaires.
Au siècle suivant, le romantisme suscite un regain d’intérêt pour la Terre Sainte et le souvenir
des croisades. Des pélerins plus nombreux font le voyage de Jérusalem, notamment sous
l’impulsion des Assomptionnistes. A cette époque, tous les ordres religieux catholiques ainsi
que de nombreux protestants veulent s’investir en Terre Sainte.
En somme, le XVIIème siècle apparaît comme une “période de creux”. Les raisons expliquant
cette situation sont internes à l’Occident:
- Depuis le XVIème siècle, le pélerinage sur longue distance est assimilé à du vagabondage;
- certaines pratiques -telles que la descente du feu sacré- sont considérées comme
superstitieuses par les catholiques comme par les protestants;
- le pélerinage n’est plus indispensable, car l’Orient a déjà été “transporté” en Occident. Par
exemples: au XVIIème siècle l’on fabrique de petits Saint-Sépulcres en bois; il existe également
un trafic d’eau du Jourdain;
- les Occidentaux se détournent de la Terre Sainte: certes -jusqu’au XVIIIème siècle- le pape
appelle toujours à la croisade en échange d’indulgences, mais l’objectif de cette expédition est
non plus Jérusalem, mais Constantinople; La croisade elle-même a mauvaise presse, car elle
est considérée comme une manière bien peu moderne de conquérir l’Empire ottoman;
- le caractère sacré des lieux saints n’intéresse plus parce qu’il a été “transplanté” en Occident.
Ainsi, les vingt-huit marches de la Scala Sancta ainsi que la Colonne de la Flagellation se
trouvent désormais à Rome. Celle-ci est -pour les catholiques et sous l’impulsion des papes-
devenue la nouvelle Jérusalem. Le succès au XVIème siècle du pélerinage de Lorette -la
maison de la Vierge ayant été déplacée au Moyen-Âge de Nazareth à Lorette en Italie- entre
dans ce contexte. Ce succès est notamment à l’action des Jésuites. Durant la première
moitié du XVIIème siècle se développe en Europe la pratique des stations dans les chemins de
croix, pratique propagée par les franciscains, lesquels étaient bien implantés en Terre Sainte.
Par ailleurs, en réaction aux attaques de la Réforme, les catholiques s’efforcent de retrouver
des pratiques ascétiques des premiers temps. La spiritualité orientale, le désert oriental -
notamment à travers les écrits de Saint Jean Climaque (en particulier son Echelle Sainte)- les
fascinent.
Michel VERGÉ-FRANCESCHI:
Si nous observons la chronologie de nos ports français, nous constatons que le dernier port
a avoir été fondé est celui de Lorient. 2500 ans séparent la fondation de Marseille de celle de
Lorient. Ce dernier port évoque donc un Orient en Occident particulièrement tardif... Cet espace
intégré tardivement l’a été d’une manière variée et lente:
Les Portugais ouvrent la route en longeant la côte africaine, avant de franchir le Cap de Bonne
Espérance puis de se rendre en Orient. Au XVème siècle, celui-ci est synonyme d’épices (les
viandes faisandées des Occidentaux ayant en effet alors besoin d’être épicées). Jusqu’aux
années 1580, les Portugais ont l’exclusivité de ce commerce. Au moment les Espagnols
intègrent le Portugal, les Hollandais prennent le relais des Portugais -Madrid n’éprouvant pas
d’intérêt particulier pour les Indes-.
Sous Colbert, des expéditions donnent naissance à la Compagnie des Indes (1664). La création
du port de Lorient est liée à la fondation de cette compagnie.
Si aux XVIème et XVIIème siècles, le commerce avec l’Orient porte essentiellement sur les
épices, à partir du XVIIIème siècle il porte surtout sur des produits de luxe tels que la laque et
la porcelaine de Chine. L’intérêt pour les épices diminue aux profits du café et du sucre. Durant
ce même siècle, les rapports entre Occident et Orient prennent également un caractère militaire
(Cf par exemple les expéditions du Bailli de Suffren dans l’Océan indien).
Jérôme BOCQUET:
J. Bocquet présente en fin de séance l’image de l’Orient en Occident dans la littérature
populaire -notamment policière- et la bande dessinée.
Compte-rendu rédigé par Guillaume LAVAUD,
professeur d’Histoire-Géographie à la Cité scolaire J.-B. Darnet,
Saint-Yrieix-La-Perche, Académie de Limoges
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