la première guerre mondiale repères chronologiques détaillés

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Dr. Angel ANGELIDIS
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
«REPÈRES CHRONOLOGIQUES DÉTAILLÉS»
 Partie III : DU TRAITÉ DE SÈVRES AU TRAITÉ DE LAUSANNE
Une vision différente de l’histoire…
Doc. AA – 20 / TEXTE
FR – 07 – 2015
Auteur: Dr. Angel ANGELIDIS
Docteur Ingénieur Agronome (ETSIA - Université Polytechnique de Madrid),
Docteur d’Etat ès Sciences Economiques (Université de Montpellier, France),
Ex-Membre du Cabinet du Commissaire G. Contogeorgis, (Commission Thorn 1981-1984)
Ex-Chef de Division et Conseille auprès du Parlement Européen,
Ex-professeur invité à l’Ecole Diplomatique de Madrid et à l’Université Montesquieu Bordeaux IV,
Comendador de la Orden Civil de Mérito Agrícola de España
Comendador de la Real Orden de Isabel la Católica de España,
American Order of Excellence and Academician for lifetime, American Bibliographical Institute, USA,
Vice-président de l’Institut de Gestion des Crises Géopolitiques, Thessalonique, Grèce.
De gauche à droite: Βυζάντιοv, Αυτοκρατορικός Θυρεός κατά τήν περίοδον τῶν Παλαιολόγων (Armoiries
de l’Empire Byzantin, Dynastie de Paléologues – Coat of arms of the Byzantine Empire, Paleologos Dynasty
– Escudo del Imperio Bizantino, Dinastía de Paleólogos) ; Emblème du Patriarcat Orthodoxe de
Constantinople – Blazon of the Orthodox Patriarchate of Constantinople – Escudo del Patriarcado
Ortodoxo de Constantinopla ; Aigle bicéphale russe impérial et contemporain – Russian double-headed
eagle imperial and contemporary – Águila bicéfala rusa imperial y contemporánea ; Armoiries de l'Alcazar
de Tolède, Espagne – Coat of arms of the Alcazar of Toledo, Spain – Escudo del Alcázar de Toledo, España.
Éditeur : Dr. Angel ANGELIDIS
97, Avenue Marcel Thiry
B - 1200 Bruxelles, BELGIQUE
TÉL. & FAX : (+32) 02 762 91 19
E-MAIL : [email protected]
WEBSITES : WWW.ANGELIDIS.EU - WWW.ANGELIDIS.BE
Les opinions exprimées dans ce document relèvent de la responsabilité exclusive de l’auteur.
La reproduction et la traduction de ce document à des fins non commerciales sont autorisées, à
condition que la source soit expressément mentionnée et que l'auteur et l'éditeur en soient
préalablement informés et qu'ils aient reçu un exemplaire de la publication.
Imprimé à Bruxelles (2015).
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DOC AA-20 FR-07-2015 / Partie III : DU TRAITÉ DE SÈVRES AU TRAITÉ DE LAUSANNE
ère
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
«REPÈRES CHRONOLOGIQUES DÉTAILLÉS»
SOMMAIRE
DÉFINITIONS
PARTIE I : LES ANNÉES DE GUERRE (1914 - 1918)
PARTIE II : LES TRAITÉS DE PAIX (1919 – 1920)
PARTIE III : DU TRAITÉ DE SÈVRES AU TRAITÉ DE LAUSANNE
1. LES TRAITÉS INTERMÉDIAIRES
2. LE TRAITÉ DE LAUSANNE
3. ANNOTATIONS
PARTIE IV : ÉPILOGUE
1. LES GRAVES ERREURS DES ALLIÉS OU COMMENT LA TURQUIE VAINCUE
DEVIENT VAINQUEUR ET DICTE LES CONDITIONS DE PAIX A LAUSANNE
2. DES ERREURS QUI SE REPÈTENT OU COMMENT ON RECONNAÎT Á LA TURQUIE
LE STATUT DE CANDIDAT OFFICIEL POUR ADHÉRER Á L’UNION EUROPÉENNE
---------
Signature du traité de Versailles, le 28.06.1919 dans la galerie des Glaces, du château
de Versailles, vue par le peintre de guerre irlandais William Orpen. Au premier rang,
on distingue le Président des États-Unis Thomas Woodrow Wilson (avec le
document en main) ; à sa gauche Georges Clemenceau et David Lloyd Georges. Au
deuxième rang, 1er à gauche, apparaît le PM grec Elefthérios Venizélos.
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ère
DÉFINITIONS
La «Triplice», contraction du terme «Triple Alliance», est le nom
donné à l’alliance conclue entre l'Empire allemand, l’Empire austrohongrois
et
le
Royaume
d'Italie
en
1882
(première
Triplice),
renouvelée le 20 février 1887, à Berlin (deuxième Triplice), puis en
1896 (troisième Triplice) sous le règne du Kaiser Guillaume II
d’Allemagne.
De 1890 à 1914, la Triplice tenta d'isoler diplomatiquement la
France et d'entraver son expansion coloniale. La France s'allia donc
avec la Russie (Alliance franco-russe). Afin de se protéger et de
s'allier en cas de conflit, la France, le Royaume-Uni et la Russie
créèrent en 1907 la «Triple-Entente».
La tension entre les deux blocs ne cessa alors de croître,
aboutissant à la Première Guerre mondiale. Dans un premier temps,
l'Italie préféra rester neutre. Cependant, à la suite de la signature du
Pacte de Londres, le 4 septembre 1914, les Alliés parvinrent à faire
quitter la Triplice à l'Italie qui adhéra au pacte le 26 avril 1915, contre
la promesse d'attribution de territoires dans le Trentin-Haut-Adige, sur
la mer Adriatique et en Turquie. L’Italie déclara alors la guerre à
l'Allemagne le 24 mai suivant.
D’autres pays rejoignent au cours du conflit la «Triple- Entente»:
• 1914 : la Serbie, la Belgique et le Japon ;
• 1916 : la Roumanie et le Portugal ;
• 1917 : la Grèce et les Etats-Unis ;
Par contre, deux pays entrent en guerre aux côtés des Empires
centraux (l’Empire allemand et l’Empire austro-hongrois):
• 1914 : l’Empire Ottoman ;
• 1915 : la Bulgarie.
Dès lors, la «Triplice» devient la «Quadruplice», l’Italie ayant
entretemps changé de camp.
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"Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir"
Ferdinand Foch, maréchal de France
L'Ossuaire de Douaumont sur le territoire de la commune française de Fleury-devant-Douaumont,
en Lorraine. Il réunit dans un même repos les restes de 130.000 soldats inconnus, allemands et
français, indéfectiblement entremêlés. Devant l’ossuaire s’étend l’immense nécropole nationale où
reposent plus de 16.000 soldats français. Le bâtiment de l'ossuaire représente pour certains une
épée enfoncée en terre jusqu'à la garde, dont seule émerge la poignée servant de lanterne.
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Carte N° 1 : Campagne de l’armée grecque en Asie-mineure, 1919 - 1922
http://greece.greekreporter.com/2012/09/11/how-smyrna-was-burned-to-the-ground-90-years-later/
Image N° 5 : Grèce - «La Grande Idée»
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Images N° 6 & 7 : Les forces grecques sur le front d’Anatolie
En haut : charge de l’infanterie grecque. En bas : charge de la cavalerie grecque
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Images N° 8 & 9 : Guerre gréco-turque (1920-1922)
Le roi Constantin épingle des décorations sur les drapeaux des unités combattant sur le front.
Lithographie grecque de la bataille de la Sakarya. Bataille décisive du conflit, La bataille de la Sakarya elle a lieu du 14
août au 13 septembre 1921 sur les berges de la rivière Sakarya dans les alentours de Polatli, une localité près d’Ankara.
Le 14 août, l’offensive grecque débute par une attaque sur trois points du front turc qui vise à déborder les défenses
adverses, la finalité des opérations étant la destruction des armées turques et l’occupation d’Ankara. L’avance balaie
toute opposition et le 2 septembre, elle atteint le Chal Dag, une montagne des environs d’Ankara. Les Grecs lancèrent
leur effort vers le centre, poussant quelque 16 km en 10 jours en défonçant la deuxième ligne de la défense turque.
Certaines unités grecques se sont même rapprochées à 50 km de la ville d'Ankara. C'était le sommet de leur succès
dans la campagne d'Asie-mineure. Mais, les lignes de ravitaillement sont étirées au maximum, l’offensive s’essouffle et
le roi Constantin ordonne le repli des troupes qui s’effectue en bon ordre sur la ligne Eskişehir-Afyonkarahisar.
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ASSORTIS DE RÉSUMÉS DES BATAILLES
ET D’ANNOTATIONS DE L’AUTEUR
Années 1920 - 1922
 1 novembre 1920 : élections législatives grecques. Elles se déroulent quelques jours après
la disparition inattendue du roi Alexandre Ier de Grèce (cf. supra). Elles prennent
rapidement l'apparence d'un affrontement entre venizélistes, favorables à la poursuite du
conflit contre la Turquie de Mustafa Kemal, et royalistes partisans d'une paix rapide. Elles
aboutissent à une victoire éclatante des monarchistes partisans de la restauration de
Constantin Ier (à qui les Alliés n’ont pas pardonné son attitude germanophile durant la
Première Guerre mondiale). Suite à un référendum truqué organisé début décembre 1920,
le roi revient de l’exil le 19 décembre 1920. Les Français et les Italiens profitent de ce
changement politique à la tête du pays pour retirer leurs soutiens à la Grèce, qui ne peut
plus désormais compter que sur l'appui britannique. Le nouveau roi veut néanmoins un
succès en Anatolie et poursuit la guerre contre la Turquie Kémaliste soutenue désormais à
la fois par les Français, les Italiens et les Soviétiques. Avant cela, il prend soin d'épurer
l'armée de tous les officiers partisans de Venizélos pour les remplacer par des
monarchistes. Mais ces derniers sont pour la plupart sans expérience du combat,
contrairement aux officiers venizélistes vétérans de la Grande Guerre. Le roi a beau se
rendre en Anatolie en 1921 pour y soutenir le moral des troupes hellènes, mais il n’est plus
le commandant en chef dynamique qui a mené son pays à la victoire pendant les guerres
balkaniques de 1912-1913. Gravement diminué par la maladie, le roi Constantin doit
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retourner en Grèce en septembre 1921, après la bataille de Sakarya (14 août - 13 septembre
1921) et le retrait des forces grecques sur la ligne Eskişehir-Afyonkarahisar.
 2 décembre 1920 : Traité d'Alexandropol. Il est signé entre la République démocratique
d'Arménie et les Turcs à Alexandropol (l'actuelle Gümrü). Il met fin à la guerre arménoturque à l’issue de laquelle l’Arménie indépendante fut écrasée par une attaque combinée
des Bolcheviks, des Turcs et des Tatares, et - tout en tombant sous le régime soviétique elle dut céder à la Turquie, les deux tiers de son territoire. Le traité d'Alexandropol
remplace le traité de Batoum signé le 4 juin 1918 et a été rendu caduc par le traité de Kars
du 13 octobre 1921, signé après que l'Arménie (une partie des territoires habités par des
arméniens) a été intégrée à la Russie soviétique.
 9 - 11 janvier 1921 : 1ère Bataille d'İnönü (Front d’Anatolie). Les troupes grecques
commandées par le général Papoulas devaient attaquer les troupes turques commandées
par Ismet-Pacha, retranchées dans la gare d'İnönü. Au début victorieux, les Grecs
repoussèrent les Turcs qui étaient sur le point d'abandonner Eskişehir, quand Papoulas
décide d’abandonner et de se retirer. Il s'agit là d'une confrontation mineure, qui n'implique
qu'une seule division grecque. Cependant, cet affrontement a eu une signification politique
majeure dans la mesure où il constitua la première victoire des révolutionnaires turcs.
 Février 1921 : Lénine envahit la Géorgie et ce, en violation du traité solennel russogéorgien du 7 mai 1920, par lequel les Soviets avaient reconnu l’indépendance de la
Géorgie. Le gouvernement kémaliste d’Angora intervint dans la lutte aux côtés des
Bolcheviks et se vit attribuer en conséquence Ardahan, Artvin et une partie du district de
Batoum, tandis que le reste de la Géorgie devenait une République soviétique.
 12 février - 12 mars 1921 : 1ère conférence diplomatique des Alliés à Londres après la fin
de la Grande Guerre 1. Les Puissances se déclarent neutres (!) face au conflit qui oppose la
1
La Conférence de Londres se réunit le 21 février 1921, sous la présidence de Lloyd George, pour s’occuper
des affaires allemandes et du problème oriental. Durant cette Conférence, les représentants des gouvernements
anglais, français, italien et japonais entendirent à plusieurs reprises les délégations de la Grèce et de la Turquie,
ainsi que celle des Arméniens. Exploitant avec habileté l’état d’âme des puissances, anxieuses d’aboutir à la paix
générale le plus tôt possible, la délégation turque développa un programme réalisant toutes les revendications du
Pacte national de Mustafa Kémal. D’après un document qui fut lu, à la séance du 24 février, par le représentant
d’Angora, Békir Sami Bey, la Turquie réclama en Europe les frontières de 1913, donc la restitution de toute la
Thrace orientale. Aux termes du même document, elle demanda que la frontière méridionale de l’Asie-mineure
fût déterminée par la ligne qui sépare celle-ci des contrées habitées par une majorité arabe, ligne qui devrait être
délimitée d’un commun accord entre la Turquie et les parties intéressées : la Cilicie et les localités habitées par
les Turcs, situées au Nord de cette ligne, ainsi que Smyrne et tous les territoires occupés par les Grecs, seraient
par conséquent évacués ; quant à la frontière orientale de la Turquie d’Asie, elle devait suivre la ligne frontière
turco-persane, puis celle fixée par le traité entre les gouvernements d’Angora et d’Erivan. La Turquie prétendit
en outre au maintien de sa pleine souveraineté sur les territoires ainsi délimités. Elle insista sur le respect de cette
souveraineté dans le règlement futur de la question des Détroits, tout en acceptant la démilitarisation de ceux-ci
et l’institution d’une Commission internationale de surveillance. Elle invoqua encore cette même souveraineté en
matière judiciaire pour l’élaboration prévue d’un projet de réforme judiciaire par une Commission composée de
juristes étrangers et ottomans. Enfin elle demanda une indépendance complète financière et économique et elle
ne consentit à une protection des minorités de race, de religion et de langue que suivant les mêmes règles que
celles consacrées par les traités de Saint-Germain, de Neuilly et de Trianon. La délégation turque appuya ses
revendications territoriales en ce qui concerne Smyrne et la Thrace par des statistiques qui furent contestées par
la délégation grecque. En présence de ces divergences, le 25 février, les Puissances proposèrent aux belligérants
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Grèce à la Turquie concernant la mise en œuvre des conditions imposées à la Turquie par
le traité de Sèvres.
 9 mars 1921 : suite à l’échec de la Conférence de Londres, Aristide Briand rompe
l’Entente et conclut un premier accord avec le Gouvernement de Mustafa Kemal (accord
séparé Briand-Békir Sami). Le même jour, le Traité de Paix de Cilicie fut signé entre la
France et le Mouvement National Turc pour mettre un terme à la Campagne de Cilicie.
Renonçant au traité de Sèvres, moins de six mois après sa signature, dans l'espoir de
préserver ses intérêts financiers en Turquie, le gouvernement français d’Aristide Briand (à
la suite d'une campagne de presse anti-britannique), se tourne en faveur du mouvement
nationaliste turc. La signature de ce traité est d’une portée politique considérable, car il
légitime le régime de Mustafa Kemal en tant qu’interlocuteur au niveau diplomatique
international. En échange de quelques concessions économiques et commerciales
nébuleuses, la France abandonne la Cilicie 2 et accepte la rectification de la frontière fixée à
de soumettre la question de la population de ces deux zones à l’arbitrage d’une Commission internationale
d’enquête et à accepter les autres clauses du traité de Sèvres maintenues sans modifications. La délégation turque
s’empressa d’accepter la proposition de l’enquête, dont le principe même ébranlait l’édifice construit à Sèvres, et
se réserva un recours à Angora pour les conditions accompagnant cette proposition. Le 12 mars les Alliés
proposèrent aux délégations grecque et turque un règlement apportant au traité de Sèvres des modifications
considérables en faveur de la Turquie, à savoir : Les zones démilitarisées des Détroits, inaccessibles aux forces
militaires turques, seront réduites. L’exercice des droits de souveraineté par le gouvernement hellénique sur
Smyrne sera limité, le gouverneur du vilayet chrétien devant être nommé par la Société des Nations. Les Grecs
restent en possession de la Thrace. En promettant l’évacuation de Constantinople par les Alliés, les puissances la
font dépendre de la bonne foi des Turcs dans l’exécution du règlement. L’autonomie du Kurdistan est maintenue.
Enfin, «en ce qui concerne l’Arménie, les stipulations présentes pourront être ajustées, à condition que la
Turquie reconnaisse les droits des Arméniens turcs à un Foyer national sur les frontières orientales de la
Turquie en Asie et consente à accepter la décision d’une Commission nommée par le Conseil de la Société des
Nations en vue d’examiner sur place la question du territoire qu’il serait équitable de transférer, dans ce but, à
l’Arménie». Donc, il n’était plus question, dans le projet allié, de l’Arménie «État libre et indépendant» du traité
de Sèvres (art. 88) dont, en vertu de l’article 89 du même traité, le Président des États-Unis d’Amérique venait
de déterminer les frontières avec la Turquie. Le 6 janvier 1923, à la séance de la sous-commission des minorités
de la Conférence de Lausanne, le Président de cette sous-Commission et délégué de l’Italie, M.de Montagna,
déclara que «le terme de Foyer national n’avait pas compris, même dans le passé, l’idée de l’autonomie». Dans
son rapport qu’il adressait, le 7 janvier 1923, à Lord Curzon, Président de la première Commission, M. de
Montagna évita le terme même de Foyer national. Enfin, le procès-verbal n° 19 de la Commission des questions
territoriales et militaires de la Conférence de Lausanne (séance du mardi 9 janvier 1923) contient ce passage :
«En ce qui concerne les Arméniens, lord Curzon ne dira que quelques mots, car cette question a déjà été traitée
avec beaucoup de talent par M. de Montagna qui a montré que la proposition d’organiser un Foyer national
n’impliquait nullement l’intention de porter atteinte à la souveraineté turque, de créer un État dans l’État ou de
constituer un régime autonome». La Conférence de Londres finit, d’ailleurs, par un échec. En remettant le projet
des Alliés aux Grecs et aux Turcs, le Président de la Conférence, Lloyd George, leur déclara que les propositions
actuelles formaient un tout et qu’elles se substituaient à toute proposition faite antérieurement. Aucune des
Délégations n’ayant pu accepter ces propositions sans en référer à son gouvernement, la partie orientale de la
Conférence de Londres se termina sur cette offre des Alliés, qui n’eut point de suites.
2
Du point de vue territorial, la France, mandataire en Syrie, consentait, par cet accord, à une réduction
considérable des limites de ce pays fixées par le traité de Sèvres. Elle abandonnait à la Turquie toute la vallée
inférieure du Djihoun et tout le fond du golf d’Alexandrette et les territoires se trouvant au Nord du chemin de
fer de Bagdad, depuis Tchoban-Bey jusqu’à Nissibin. En d’autres termes, la Turquie récupérait toute la Cilicie
avec les débouchés donnant accès à la Syrie et la majeure partie des «Confins militaires» créés au Nord du
gouvernement d’Alep, avec les villes de Aïntab, de Biridjik, d’Ourfa, de Mardin, etc. Ces Confins, qui d’après la
paix de Sèvres avaient une superficie de 48.200 kilomètres carrés peuplés de 800.000 habitants, étaient
désormais réduits par l’accord de Londres à 26.000 kilomètres carrés peuplés de 25.000 habitants seulement.
Les avantages que la France escomptait tirer de l’accord de Londres étaient d’ordre économique. Le paragraphe
G de l’accord stipulait une «collaboration économique franco-turque, avec droit de priorité pour les concessions
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Sèvres entre la Syrie et la Turquie. Cela aura un effet dévastateur sur les Grecs qui se
battent contre les Turcs en Anatolie, mais aussi sur les Arméniens survivants du génocide
de 1915-16 qui se sont engagés au côté des Français et qui doivent sortir précipitamment
de la Cilicie sous peine de subir un nouveau massacre. L’accord «Briand-Békir Sami» ne
sera pas ratifié par la Grande Assemblée nationale d’Angora, les Turcs cherchant à obtenir
de la France davantage de concessions. Ils obtiendront gain de cause par la signature
quelques mois plus tard de l’Accord franco-turc d'Angora du 20 octobre 1921.
Image N° 10 : Légion Arménienne / Légion d’Orient – 1920 3
à accorder en vue de la mise en valeur et du développement économique de la Cilicie, des régions évacuées par
les troupes françaises, ainsi que des vilayets de Mamuret-el-Aziz, Diarbékir et Sivas, dans la mesure où cela ne
serait pas effectué directement par le gouvernement ottoman ou les ressortissants ottomans à l’aide de capitaux
nationaux». Ce paragraphe stipulait également la «concession à un groupe français des mines d’Argana-Maden»
et «l’association la plus large possible des capitaux ottomans et français (pouvant aller jusqu’à 50% du capital
ottoman)». Le paragraphe K enregistrait en même temps le «transfert à un groupe français de la section du
chemin de fer de Bagdad entre les Portes de Cilicie et la frontière de Syrie». À ces dispositions politiques et
économiques, l’accord de Londres joignait des dispositions ayant pour but de sauvegarder les intérêts des
populations après le départ des troupes françaises (art. D). L’accord mentionnait en outre : le «désarmement des
populations et des bandes armées d’accord entre les commandements français et turc» (art. B) ; la «constitution
de forces de police (en utilisant la gendarmerie déjà formée) sous le commandement turc, assisté d’officiers
français mis à la disposition du gouvernement turc» (art. C) ; une «amnistie politique entière et le maintien en
fonctions du personnel administratif cilicien» (art. E) ; enfin «l’engagement de protéger les minorités ethniques,
de leur garantir l’égalité absolue des droits à tous égards et de tenir compte, dans une mesure équitable, de la
quotité des populations pour l’établissement, dans les régions à population mixte, d’un équilibre pour la
constitution de la gendarmerie et de l’administration municipale» (art. F).
3
La Légion arménienne, établie suite à l'accord franco-arménien de 1916, était une unité de la Légion
étrangère dans l'Armée française. La légion arménienne a été établie sous la direction du Mouvement national
arménien et fut une unité armée en supplément des unités de volontaires arméniens et de la milice arménienne
pendant la 1ère Guerre mondiale. Le nom initial de la légion était «Légion d'Orient». Elle a été rebaptisée Légion
arménienne le 1er février 1919. Après une formation initiale à Chypre, la Légion arménienne a été d'abord
déployée en Palestine et a aidé les armées françaises et britanniques contre l'Empire ottoman. Après cette
campagne, elle a été déployée en Asie Mineure. Elle fut active autour des villes d’Adana et de Mersin, impliquée
dans des escarmouches avec des milices kémalistes, successeurs des criminels «Jeunes-Turcs». En mai 1919, les
Arméniens ont déclaré un État indépendant en Cilicie. Cependant cet État eut une existence très courte puisque
la France a dissous la Légion arménienne et reconnu la souveraineté de la Turquie sur la région en 1920.
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 12 mars 1921 : en même temps et dans le même esprit, l'Italie conclut aussi un accord
séparé avec la Turquie pour obtenir des concessions minières et commerciales
(accord séparé Sforza-Békir Sami) 4. Cette coïncidence démontre l’existence d’une
certaine connivence entre la France et l’Italie qui partagent désormais les mêmes intérêts
politiques et économiques en Asie-mineure au détriment de leur alliée la Grèce, qui se bat
en Anatolie contre la Turquie, qui fut leur ennemi durant la Grande Guerre !!! Comme
preuve de la perfidie ottomane et pour la grande déception des Italiens, l’accord italo-turc
ne fut pas ratifié davantage par la Grande Assemblée nationale d’Angora que l’accord
franco-turco…
 16 mars 1921 : l'Angleterre et la Turquie échangent des prisonniers de guerre. Les députés
Turcs détenus à Malte sont libérés.
 16 mars 1921 : Accord commercial conclu entre la Grande Bretagne et les Soviets. Cet
accord (signé à Londres par Leonid Krassine au nom du gouvernement soviétique et
Robert. Horne, du «Board of Trade», au nom du gouvernement britannique) était une
convention de commerce («trade agreement»), mais il avait aussi une grande portée
politique, car il était expressément subordonné à la condition de la cessation de toute action
ou propagande hostile d’une des parties contre l’autre 5. En ce faisant, les Britanniques
4
Texte de l’accord Sforza-Békir Sami Bey, du 12 mars 1921 :
1° Collaboration économique italo-turque avec droit de priorité pour les concessions d’ordre économique à
accorder par l’État en vue de la mise en valeur et du développement économique dans les Sandjaks d’Adalia,
Bourdour, Moughla, Isparta et d’une partie des Sand-jaks d’Afion Karahissar et de Ku-tahya, Aïdin et Konia à
déterminer dans l’accord définitif, dans la mesure où cela ne serait pas effectué directement par le gouvernement
ottoman ou les ressortissants ottomans à l’aide de capitaux nationaux. Concessions à un groupe italo-turc de la
mine houillère d’Héraclée dont la limite sera déterminée dans la carte qui sera jointe à l’accord définitif.
2° Les concessions comportant monopole ou privilège seront exploitées par des sociétés constituées selon la loi
ottomane.
3° Association la plus large possible de capitaux ottomans et italiens (la participation pouvant aller jusqu’à
50%).
4° Le gouvernement royal d’Italie s’engage à appuyer efficacement auprès de ses alliés toutes les demandes de la
Délégation turque relativement au traité de paix, spécialement la restitution à la Turquie de la Thrace et de
Smyrne.
5° Le gouvernement royal d’Italie donne une assurance formelle que, au plus tard à la ratification de la paix et
d’après un accord entre les deux pays, il procédera au rappel de ses troupes actuellement sur le territoire
ottoman.
6° Les dispositions ci-haut formulées seront mises en vigueur en vertu d’une convention, qui sera stipulée entre
les deux Parties contractantes, immédiatement après la conclusion d’une paix assurant à la Turquie une existence
viable et indépendante et acceptée par elle.
Fait à Londres,, en double exemplaire, le 13 mars 1921.
Signé : SFORZA. S. BEKIR.
Source : «L’Europe nouvelle» du 28 mai 1921, p. 698 ; Giannini, / documen-ti diplomatici délia pace orientale, p. 215.
5
En effet, la décision de reprendre les relations commerciales avec la Russie bolchevique à travers les anciennes
coopératives russes est prise par Lloyd George. Il s’oppose ainsi 1 à la politique jusque-là suivie par le
gouvernement et établie par Winston Churchill, alors Secrétaire d’État à la Guerre, qui soutenait le général
Denikine dans son combat contre les Soviétiques. Lloyd George explique clairement sa politique dans un
discours à la Chambre des représentants début février 1920 : «We have failed to restore Russian sanity by force.
I believe we can save her by trade. Commerce has a sobering influence in its operations. [...] Trade, in my
opinion, will bring an end to the ferocity, the rapine, and the crudities of Bolshevism surer than any other
method....There is but one way - we must fight anarchy with abundance» (Lloyd George, cité dans Ullman,
Anglo-Soviet relations, vol. 3, p. 37). Le traité, conformément au souhait du gouvernement britannique, n’est pas
qu’un accord commercial. Il comprend une clause très importante, imposée en grande partie par lord Curzon et
qui régira les relations entre les deux pays jusqu’en 1929. Dans le préambule du traité il est ainsi clairement
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rompent aussi avec l’Entente et légitiment le régime communiste de Lénine, allié de
Mustafa Kemal qui combat les Alliés en Asie-mineure.
 16 mars 1921 : Accord turco-soviétique de Moscou (accord Tchitchérine-Youssef
Kémal Bey). Il stipule un retour aux frontières de 1877, c’est-à-dire aux frontières d’avant
la guerre russo-ottomane de 1877-1878 qui avait abouti à une occupation par les Russes
d’un vaste territoire au Nord-Est de l’Anatolie. Il confirme le partage de l’Arménie entre la
Turquie et les Soviets. Lénine rompe avec la politique des Tsars qui voulaient occuper
Constantinople et reconnaît la pleine souveraineté turque sur les Détroits 6.
 16 mars 1921 : Traité conclu entre la Turquie et l'Ukraine soviétique basé sur le bon
voisinage de la Mer noire.
 26 - 31 mars 1921 : Seconde Bataille d'İnönü (front d’Anatolie). La bataille a débuté avec
l'assaut de troupes grecques sur les positions des troupes turques commandées par IsmetPacha le 26 mars 1921. Les Grecs, mieux équipés, repoussèrent les Turcs et prirent la
colline d'İnönü le 27 mars. Une contre-attaque turque dans la nuit échoua. Le 31 mars, les
Turcs réussissent cependant à reprendre la colline. Au terme de la bataille, l'armée grecque
sonna la retraite en bonne ordre. Suite à cette victoire turque, Ismet-Pacha changea son
nom en İsmet İnönü. Il devint le successeur de Mustafa Kemal dit Atätürk en 1938.
 3 mai 1921 : un vent glacial venu d’Anatolie fait voler de la poussière dans les assiettes du
gouvernement Briand. En fait, la Grande Assemblée Nationale de la Turquie annule
l'accord franco-turc du 9 mars 1921. La France persiste dans la voie de chercher un accord
bilatéral avec la Turquie kémaliste, même si cela porte préjudice à ses alliés Arméniens qui
établit : «Each party refrains from hostile action or undertakings against the other and from conducting outside
of its own borders any official propaganda direct or indirect against the institutions of the British Empire or the
Russian Soviet Republic respectively, and more particularly that the Russian Soviet Government refrains from
any attempt by military or diplomatic or any other form of action or propaganda to encourage any of the peoples
of Asia in any form of hostile action against British interests or the British Empire, especially in India and in the
Independent State of Afghanistan. The British Government gives a similar particular undertaking to the Russian
Soviet Government in respect of the countries which formed part of the former Russian Empire and which have
now become independent». En cas de non-respect de cette clause, l’une ou l’autre des parties peut donc mettre
fin au Trade Agreement sans préavis. Cette clause est pour les opposants à l’accord commercial la clé de voûte
des relations entre les deux pays. Le jour même de la signature, une liste officielle de la propagande soviétique
en Inde et en Afghanistan est remise à Krassine, à qui l’on demande de faire respecter le «Trade Agreement».
6
Le traité de Moscou ou traité de la fraternité est un traité d'amitié entre l'Assemblée nationale de Turquie sous
la direction de Mustafa Kemal Atatürk et de la Russie bolchevique sous la direction de Vladimir Lénine, signé à
Moscou le 16 mars 1921. Il s’agit d’un traité illégal du point de vue international, car ni la Turquie, ni l'Union
soviétique n’avaient été créées à l'époque. Le gouvernement turc internationalement reconnu à l'époque était
celui du sultan Mehmed VI, qui ne faisait pas partie du traité de Moscou et qui avait auparavant signé le traité de
Sèvres, répudié par les kémalistes. En vertu du traité de Moscou, les deux gouvernements se sont engagés à
établir des relations amicales entre les pays. Le traité stipulait que le terme «Turquie» signifiait tous les
territoires inclus dans le serment National adopté par le Parlement Ottoman le 28 janvier 1920. L'article VI du
traité déclarait tous les traités déjà conclues entre la Russie impériale et la Turquie d'être nuls et non avenus. En
vertu de l'Article II, la Turquie a cédé Batum et la zone adjacente au nord du village de Sarp à la Géorgie
soviétique, alors que l’oblast de Kars fut cédé à la Turquie). L'article III a institué un oblast autonome de
Nakhitchevan sous protectorat de l'Azerbaïdjan. En vertu de l'Article V, les parties sont convenues de déléguer
l'élaboration finale de l'état de la mer Noire et des détroits à une future Conférence des délégués des États
riverains, pourvu que la «pleine souveraineté» et la sécurité de la Turquie et «sa capitale de Constantinople» ne
soient pas mis en cause. Les frontières de la Turquie avec la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, telles que
définies par le traité de Moscou, reprises par le traité de Kars (signé le 13 octobre 1921), existent toujours.
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fuient les Turcs et Grecs qui se battent contre les Turcs en Anatolie. Alors commence une
nouvelle étape de visites réciproques et de nouveaux contacts diplomatiques entre Paris et
Angora qui furent couronnés par la signature de l'accord franco-turc d'Angora (Ankara) le
20.10.1921, (cf. infra).
 9 juin 1921 : le croiseur grec «Kilkis» 7 bombarde le port turc d'Inebolu sur le littoral de la
mer Noire, principale porte d'accès de la Turquie kémaliste et lieu de passage obligé des
armes et des munitions envoyées par la Russie soviétique au gouvernement d'Ankara..
Début des massacres et déportations des Grecs pontiques.
 12 juin 1921 : le roi Constantin 1er de Grèce se rend au Front d’Anatolie.
 27 juin - 20 juillet 1921 : Bataille d'Afyonkarahisar-Eskişehir. L'armée grecque,
considérablement renforcée, défait les troupes turques commandées par Ismet Inönü. La
confrontation, qui a lieu sur une immense ligne de front s'étendant aux points stratégiques
d'Afyonkarahisar, Eskişehir et Kutahya, aboutit au retrait des Turcs. Les Grecs réussissent
une percée, ils s'emparent le 17 juillet de Kütahya et avancent sur Eskisehir. Les Turcs
contre-attaquent le 21 juillet, mais c'est un échec. Afyonkarahisar est abandonné aux Grecs
le 23 juillet. Mais le gros des forces turques du secteur nord parviennent cependant à éviter
l'encerclement et organisent un retrait stratégique à l'est du fleuve Sakarya. Les Grecs, dont
le moral vacillant est revigoré par la victoire, sont désormais aux portes d'Ankara.
 23 août - 13 septembre 1921 : Bataille de la Sakarya. L’avance grecque est reprise dès le
10 juillet et balaie toute opposition turque. Le 2 septembre, elle atteint le Chal Dag, une
montagne des environs d’Ankara. L’affrontement décisif se produit lorsque l’armée
hellène tente de prendre Haymana, située à 40 kilomètres au sud d’Ankara. Les combats
sont très violents et certaines hauteurs changent de mains à plusieurs reprises. Les Grecs
continuent à avancer. Kemal envisage alors de préparer une nouvelle ligne de défense dans
les faubourgs d'Ankara et donne l'ordre de défendre chaque mètre de terrain. Mais
Papoulas craint d'aller plus en avant et demande donc au roi de cesser l'attaque le 12
septembre. En effet, les Grecs sont en butte à des graves problèmes de ravitaillement en
raison de l'éloignement de leur base de départ et les soldats commencent à manquer de
nourriture, d’eau et de munitions. Papoulas ordonne le repli des troupes et les Grecs
parviennent sans difficulté, à retourner sur leur position de départ.
 21 septembre 1921 : la 2ème Assemblée de la SDN vote, à l’unanimité, une résolution en
faveur d’un «Foyer national arménien» entièrement indépendant de la domination turque.
7
Cuirassé pré-dreadnought ex-BB23 “Mississipi”.Il est mis sur cale au chantier Cramp de Philadelphie le 12
mai 1904; il est lancé le 30 septembre 1905; il entre en service le 1er février 1908; le 1er novembre 1910 il
effectue une croisière en Europe; le 13 janvier 1911 il est à Guantanamo à Cuba; le 19 juin 1912 il transporte des
troupes à Marine el Cuero à Cuba; le 1er aout 1912 il est placé en réserve; le 6 janvier 1914 il est réactivé
comme base d'aviation; du 24 avril 1914 au 13 juin 1914 il est en opération sur Vera Cruz lors de la tension avec
le Mexique comme aviation station ship; le 21 juillet 1914 il est transféré à la Grèce, il prend le nom de Kilkis et
devient navire amiral de la flotte grecque; en décembre 1929 il est remplacé dans ce rôle par le croiseur-cuirassé
G.Averof; en 1932 il devient navire d'entrainement anti-aérien; il est provisoirement réarmé en 1935, il perd
ensuite ses canons légers, mais pas l'artillerie principale et secondaire; le 23 avril 1941 il est coulé par un
bombardement aérien allemand dans le port de Salamine, il sera renfloué pour démolition en 1947.
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 Septembre 1921 - août 1922 : impasse sur le front gréco-turc en Anatolie. Les Grecs
renforcent leurs positions défensives, mais leur moral est atteint par le manque d'activité,
les difficultés de ravitaillement et la prolongation de la guerre dont le coût devient
insupportable pour le pays. Le général Papoulas démissionne au profit du général Georges
Hatzianestis, un incapable qui commande depuis un navire ancré dans la rade de Smyrne. Il
change d’objectif stratégique et tente de prendre Constantinople occupée par des troupes
franco-britanniques. Il dégarnit donc son front en Anatolie pour envoyer trois régiments en
Thrace où l'armée grecque marche sur Constantinople. Mais les Français et les
Britanniques ne veulent pas céder la ville à la Grèce, renforcent leurs garnisons et obligent
les forces grecques à se retirer. En Anatolie 225.000 soldats grecs s’opposent aux 208.000
combattants turcs. Si les Grecs sont mieux équipés, les Turcs ont l'avantage dans le
domaine de l'artillerie lourde et surtout ils possèdent une cavalerie plus importante. Les
Grecs tiennent alors un front de 640 km englobant le nord-ouest de l'Anatolie de Gemlik
sur la mer de Marmara aux positions à l'est d'Eskisehir, Kütahya et Afyonkarahisar, où le
front tourne au sud-ouest le long de la vallée de Menderes jusqu'à la mer Égée. L'armée
grecque est organisée en 3 corps d'armée, le 3ème au nord, le 2ème au centre et le 1er au sud.
Mais, le front est trop long et ne comporte qu’une seule ligne défensive, ce qui met en péril
l’ensemble du corps expéditionnaire grec en cas de percée ennemie (et ceci fut le cas).
L’armée grecque restera quasiment inactive sur la ligne défensive pendant une année, dans
la vaine attente d’une solution politique du conflit qui ne viendra pas en conséquence de la
défection des alliés occidentaux de la Grèce qui soutiennent désormais la Turquie, alors
que pendant ce temps l’armée turque sera considérablement renforcée par des nouveaux
recrutements et l’arrivée massive d’armements en provenance de la Russie soviétique, de
la France et de l’Italie (suite à leurs accords avec la Turquie de Mustafa Kemal), (cf. infra).
 13 octobre 1921 : Traité turco-soviétique de Kars 8. Dans la première partie du traité, la
Russie reconnaît de fait la supériorité des décisions turques sur les conventions
8
Le traité de Kars comprend un préambule, 20 articles et 3 annexes.
Selon l'article 1er, sont considérés comme caducs les accords passés entre les gouvernements des pays sur le
territoire des parties contractantes. Est reconnu de ce fait annulé le traité d'Alexandropol de 1920, et non valables
les accords passés avec les États tiers et qui concernaient les républiques transcaucasiennes. Mais cela ne
s'appliquait pas à l'accord de 1921 de Moscou conclu entre la Russie soviétique et la Turquie. L'article 2 était
particulièrement important pour la Turquie, puisque selon celui-ci, les parties ne reconnaissaient aucun accord ou
acte international, qui pouvait être imposé au moyen de la force. Cela signifiait que l'Arménie soviétique ne
reconnaissait pas le traité de Sèvres de 1920. L'article 3 annule le régime des capitulations, et l'article 4
définissait la frontière entre la Turquie et les républiques de la Transcaucasie (la description plus détaillée de la
frontière était donnée dans les annexes 1 et 2). Selon l'article 5, les gouvernements de la Turquie, de
l'Azerbaïdjan et de l'Arménie acceptent la formation d'une république autonome, le Nakhitchevan (avec ses
frontières indiquées dans l'annexe 3), placé sous la protection de l'Azerbaïdjan. Les articles 6 à 9 se rapportent
aux relations entre la Turquie et la Géorgie. L’article 10 permet de mettre hors-la-loi toute tentative de
représentation locale i.e. communauté étrangère. Il complète ainsi le hors contexte historique puisque les
différences n'ont pas le droit d'exister. L'article 15 est un modèle du genre dans le domaine de l'effacement de
l'histoire. Il stipule que chacune des Parties Contractantes s'engage à promulguer immédiatement après la
signature du présent traité une amnistie complète aux citoyens de l'autre partie pour les crimes et délits commis
par suite de la guerre sur le front du Caucase. Cette procédure permet entre autre d'effacer le génocide des
Arméniens et ses conséquences puisque l'Arménie en tant que soviet à l'époque faisait partie de l'Union
Soviétique et du coup de l'autre partie contractante. Les autres articles définissent la position juridique des
citoyens des parties, établissent l'ordre de l'échange des prisonniers, concernent le règlement des autres questions
économiques, financières et, la conclusion des accords consulaires, etc... Le traité de Kars répète essentiellement
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internationales et principes adoptés par la SDN. Dans la deuxième partie, il est question de
la mer Noire et des détroits. A la page 8 du document, la Russie reconnaît comme faisant
partie des «territoires turcs» la zone contrôlée par les forces kémalistes en mars 1921.
 20 octobre 1921 : Accord franco-turc d'Angora (ou accord Franklin-Bouillon)9.
L’accord du 09.03.1921 n’ayant pas été ratifié par les Turcs, ceux-ci obtiennent de
nouveaux avantages par l'accord franco-turc d’Angora, signé par le Ministre des Affaires
étrangères du gouvernement de la Grande Assemblée nationale de Turquie Yusuf Kemal
Tengirşenk et le plénipotentiaire du gouvernement français Henry Franklin-Bouillon, le
20 octobre 1921 10. En échange de quelques avantages économiques et commerciaux
douteux, la France accepte de céder la Cilicie aux Turcs, ce qui déclenche une panique aux
populations chrétiennes qui redoutent la vengeance turque après que le pays aurait été
évacué par les Français. Le départ français est terminé début janvier 1922 et, à cette date,
la presque totalité des Arméniens de Cilicie (estimée à 300.000 âmes) - ne se fiant pas aux
promesses du gouvernement d’Angora et non plus aux appels des autorités françaises de
rester sur place - suit à l’afflux des réfugiés fuyant les Turcs d’autres régions d’Anatolie.
Ils seront accueillis par la France (en Syrie), la Grèce et quelques autres pays.
les positions de l'accord de 1921 de Moscou. Il est signé pour l'Arménie par le commissaire du peuple des
affaires étrangères Askanaz Mravian et le commissaire du peuple des affaires intérieures Poghos Makintsian ;
pour l'Azerbaïdjan, par le commissaire du peuple de l'inspection des ouvriers et des paysans Behboud
Chahtahtinsky ; pour la Géorgie, par le commissaire du peuple pour les affaires navales Chalva Eliava et le
commissaire du peuple des affaires étrangères et les finances Alexander Svanidze ; pour la Turquie, par les
députés de l'Assemblée nationale et le commandant du front oriental Kazem Karabekir Pacha, et Veli Bej, par un
ancien adjoint du ministre des travaux sociaux Muhtar Bej, et par le représentant plénipotentiaire de la Turquie
en Azerbaïdjan Memduh Sevket ; pour la Russie soviétique, par le représentant plénipotentiaire en Lettonie le
Polonais Jakub Hanecki (en russe Ganetsky, né Jakub von Fürstenberg).
9
Membre du Parti radical-socialiste et franc masson, Henry Franklin-Bouillon (journaliste pendant la guerre
gréco-turque de 1897), était Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat. Il fut ministre d'État
de septembre à novembre 1917 dans le gouvernement Painlevé. Par la suite, il accomplit diverses missions
diplomatiques pour la France en direction de la Turquie ; il contribue, avec les représentants français de
Constantinople, à faire évoluer la position française vis-à-vis des Turcs révolutionnaires. Le colonel Mougin (ex
agent de liaison entre le Général Franchet d’Espèray et le ministre de la guerre ottoman après l'occupation de
Constantinople par les forces alliées, et par la suite représentant officieux de la France auprès de Mustafa Kemal)
lui sert d’intermédiaire. Mougin – surnommé de «Mougin-Pacha» pour ses sentiments turcophiles - accompagna
et conseilla aussi la délégation de Mustafa Kemal dirigée par Bekiri Samix Bey à la conférence de Londres en
février 1921. Franklin-Bouillon rencontre en 1921 Mustafa Kemal dont il devient un proche après avoir signé, en
octobre 1921, le traité d'Ankara, première reconnaissance de jure de la nouvelle Turquie par un état occidental !
10
La plus grande différence qui existe entre les deux accords a trait au traitement réservé aux minorités
ethniques. Les points B et C de l’accord de Londres qui stipulaient le désarmement des populations et des bandes
armées et la formation d’une police sous un commandement turc assisté d’officiers français, ne figurent pas dans
le traité d’Angora. Et le paragraphe F de l’accord de Londres qui garantissait aux minorités non seulement
l’égalité absolue des droits, mais aussi un «équilibre pour la constitution de la gendarmerie et de
l’administration municipale», est remplacé par un article VI qui efface à ce sujet toute distinction entre la
Turquie et les autres puissances occidentales. On ne retrouve pas non plus dans l’accord d’Angora le paragraphe
G de l’accord de Londres relatif à la collaboration économique franco-turque et aux concessions à accorder à la
France. Ce paragraphe y a été remplacé par une série de lettres complémentaires jointes à l’accord. D’abord
destinée à rester secrète, la liste est finalement communiquée à Lord Curzon le 8 décembre 1921, sur demande
de Londres. Dans une d’entre elles, le ministre des Affaires étrangères d’Angora, Youssouf Kemal bey, déclare
qu’il est disposé à accorder la concession de mines de fer à un groupe français pour une durée de cinq ans, sans
spécifier toutefois, quelle zone serait réservée à cet effet. De plus, il promet à examiner d’autres demandes qui
pourraient être formulées par des groupes français, relatives à la concession de mines, voies ferrées et ports
réciproques de la Turquie et de la France. Il s’agit de promesses dont la plupart resteront lettre morte…
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 30 octobre 1921 : la France renonce à son mandat en Cilicie et ne conserve que le Sandjak
d'Alexandrette, à la frontière syrienne. Dans le même temps, les Italiens renoncent au
territoire d'Adalia (Antalya), en échange de concessions minières dans cette région. Mais
ces concessions ne seront pas honorées !
 début novembre 1921 : la Cilicie connaît un exode massif de populations, essentiellement
d’Arméniens, de Grecs, de Syriaques, de Chaldéens et même d’Arabes alawis. Les
autorités civiles et militaires françaises tiennent des discours apaisants et tentent de
persuader ces populations de rester sur place (voire même de les empêcher de partir !) en
les assurant que «le gouvernement français a fait le nécessaire pour sauvegarder les droits
des minorités». Ces assurances ne valaient pas grande chose car l’accord franco-turc du
20.10.1921 ne comportait en réalité aucune clause garantissant de façon tangible les droits
des minorités non-turques en Cilicie. Méfiantes, les populations chrétiennes n’ont pas cru à
ces fausses assurances et ont suivi les troupes françaises dans leur retraite vers la Syrie qui
fut achevée le 04.01.1921.
Image N° 11 : Mustafa Kemal – Henry Franklin-Bouillon (une complicité extrême…)
Mustafa Kemal et İsmet-Pacha, suivis par le parlementaire français Franklin Bouillon et le colonel français
Sarroux, passent en revue les unités turques à Eskişehir juste avant sa chute aux Grecs, début juin 1921. La
défection française, mise en évidence notamment par les prises de position ouvertement turcophiles du
député Franklin-Bouillon, a beaucoup contribué à la défaite des Grecs en Asie-mineure. Ce revirement de la
politique extérieure de la France en faveur des Ottomans est difficilement compréhensible à la lumière du
grand effort consenti par la Grèce pour soutenir les Alliés et notamment la France sur le Front de Salonique
(10 divisions grecques sous le commandement du général Franchet d’Espèrey) et en Crimée (3 divisions
grecques sous le commandement du général Berthelot). Ce faisant, la France porte une lourde
responsabilité pour l’élimination par les Ottomans des populations chrétiennes (Arméniens, Grecs des
régions Ioniennes, Grecs Pontiques, Syriaques. et la turquification de l’Asie-mineure qui en a suivi.
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 Mars 1922 : Conférence orientale de Paris. Y participèrent les ministres des affaires
étrangères de France (Raymond Poincaré), de Grande-Bretagne (Lord George Curzon) et
d’Italie (Carlo Schanzer). Les trois, ministres proposèrent, le 22 mars, aux Turcs et aux
Grecs les conditions d’un armistice qu’ils firent bientôt suivre, le 26, de propositions de
paix. Ces propositions de paix marquèrent de la part des Puissances un nouveau
rapprochement vers les revendications turques 11. Mais Mustafa Kemal, sentant qu'il jouit
désormais de l'avantage stratégique, refuse tout accord tant que les Grecs sont encore
présents en Asie-mineure et intensifie ses efforts pour réorganiser l'armée turque. Pour
l'historien Malcolm Yapp : «Après l'échec des négociations de mars, la marche à suivre
évidente était, pour les Grecs, de se retirer vers une ligne défensive autour d'Izmir mais, à
ce moment-là, la déraison a commencé à diriger la politique grecque ; les Grecs sont
11
Les propositions de paix des Puissances débutent par un énoncé de principes, parmi lesquels on relève le désir
des trois ministres de «rétablir la nation et la puissance turques dans les territoires qui peuvent être considérés
comme leur appartenant, avec Constantinople, leur historique et illustre capitale, pour centre, et aussi avec les
pouvoirs qui permettent à la Turquie de reprendre une existence nationale vigoureuse et indépendante». En
conséquence de cette déclaration, il fut proposé de restituer à la Turquie en Europe une partie de la Thrace
Orientale. Les trois gouvernements déclarèrent en outre qu’ils «désiraient confirmer leur intention déjà exprimée
de renoncer à la menace, contenue dans le projet de traité de Sèvres, de revenir plus tard sur la rétrocession aux
Turcs de leur capitale. Ils confirmèrent la restitution de cette ville à la pleine autorité du gouvernement du
Sultan, et ils se dirent, en outre, disposés à s’engager à retirer complètement, après la ratification du traité de
paix, les troupes alliées qui l’occupaient actuellement». En ce qui concernait l’Asie Mineure, les Puissances se
prononcèrent pour son évacuation pacifique par les forces grecques et «la restauration de la souveraineté turque
sur l’ensemble de cette région» : après le retrait des troupes grecques, «la souveraineté turque en Asie serait
pleinement assurée, de la Méditerranée à la mer Noire et aux Détroits, et des frontières de la Transcaucasie, de
la Perse et de la Mésopotamie jusqu’aux rives de la mer Egée».
Relativement aux minorités, une situation identique leur était faite en Turquie et en Grèce. Dirent les trois
ministres : «Reconnaissant l’impérieuse nécessité, qui découle à la fois de causes historiques et géographiques,
d’assurer la protection des minorités de race ou de religion quelquefois très nombreuses, aussi bien dans les
vilayets de Turquie qu’en Europe, dans les possessions de la Grèce, les ministres proposèrent une série de
mesures pour garantir dans les deux régions la sécurité complète des minorités sans distinction de races ou de
religions. Ces mesures reposeront à la fois sur les stipulations contenues dans les traités en vigueur ou dans les
projets de traités qui ont été préparés et sur les lois civiles ou religieuses des pays intéressés. En outre, les
ministres ont décidé d’inviter la Société des Nations à collaborer à ce programme par la nomination de
Commissaires spécialement chargés dans les deux régions de surveiller l’exécution de ces mesures et leur
application aux communautés principalement intéressées».
Les propositions de la Conférence de Paris relatives aux Arméniens constituèrent un abandon encore plu marqué
des Alliés de leurs positions de Londres. La Conférence de Londres n’avait pas stipulé l’indépendance du Foyer
national arménien, mais elle ne s’était non plus prononcée contre elle ; et la deuxième Assemblée de la Société
des Nations avait même réclamé cette indépendance. La Conférence de Paris, en proclamant la pleine
souveraineté turque, des frontières de la Transcaucasie, de la Perse et de la Mésopotamie jusqu’aux rives de la
mer Egée, porta le dernier coup à l’indépendance du Foyer national arménien. En outre, la Conférence de
Londres avait envisagé la création de ce foyer dans les frontières orientales de la Turquie d’Asie. Les
propositions de Paris ne situèrent même plus ce foyer, qui pourrait dès lors se trouver en n’importe quelle partie
du territoire turc.
Relativement aux garanties de l’application effective des clauses concernant les minorités, la menace de la perte
de Constantinople en cas de manquement à ces clauses, que l’article 36 du traité de Sèvres avait suspendue sur la
Turquie, était, d’autre part, expressément retirée. La Turquie, sans doute, ne rentrait pas tout à fait dans le droit
commun, puisque la Conférence proposait la surveillance de l’exécution des clauses concernant les minorités par
des Commissaires spéciaux de la Société des Nations, non prévus dans les autres traités des minorités : mais
l’institution de cette surveillance ne pouvait, naturellement, aux yeux des Turcs, être comparée à la menace
caractéristique du traité de Sèvres qui liait d’une manière si dramatique la continuation de leur Empire en Europe
au respect des droits des minorités.
Source : http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c14
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restés sur leurs positions et ont même planifié de s'emparer d'Istanbul, projet qui a
cependant été ensuite abandonné en juillet du fait de l'opposition des Alliés».
 26 août 1922 – 9 septembre 1922 : contre-offensive générale turque sur le front d’Anatolie.
Le 26 août un tir de barrage se concentre sur le secteur sud d'Afyonkarahisar. Les combats
sont acharnés et les positions changent plusieurs fois de mains. Les Turcs progressent,
mais ne réussissent pas à percer. Le 27 août, le 4ème corps de la 1ère armée commandé par
le colonel Kemalettin Sami perce enfin les lignes ennemies et prend le pic d'Erkmentepe
haut de 1.650 mètres. La cavalerie de Fahrettin trouve quant à elle un passage dans les
montages et apparaît derrière les lignes grecques. Ayant perdu le bastion montagneux qui
couvre son flanc droit, le général Trikoupis commandant la 1ère armée bat en retraite
d'Afyonkarahisar pour rejoindre la plaine. Deux divisions du général Frangou se retirent
alors vers l'ouest et perdent ainsi le contact avec le 1er corps. Les communications sont
coupées avec l'arrière et Smyrne et le général Hatzianestis (dont l'État-major était installé à
Smyrne, soit à 600 km du front), ordonne une contre-offensive, alors que seule une retraite
en bon ordre peut encore sauver l'armée. Les 1er et 2ème corps grecs se trouvent alors
autours de Doumloupinar une petite ville dans une vallée étroite qui contrôle la voie
ferrée d'Afyonkarahisar à Smyrne. La 1ère armée turque arrive par le sud et l'ouest, la
2ème par le nord, tandis que la cavalerie arrive par l'ouest pour encercler les Grecs. Mais
ces derniers peuvent compter sur une division et sur le 3ème corps grecs qui sont toujours
intacts et qui, au nord, menacent le flanc droit turc. Malgré ce danger les Turcs décident
néanmoins d'encercler Doumloupinar, tandis que des forces plus faibles doivent harceler
les Grecs au nord. Le 30 août, soumis aux tirs d'artillerie et aux charges de l’infanterie
turque, les Grecs sont défaits. Les 1er et 2ème corps de Trikoupis et Dighenís essayent de
s'échapper au nord-ouest par les pentes nord du Murat Dagi, mais ils sont alors détruis en
tant que forces combattantes, tandis que les soldats qui échappent à la capture veulent fuir
l'Anatolie. Le 2 septembre, les Turcs reprennent Eskisehir. Dans le nord, le 3e corps grec
se prépare à battre en retraite jusqu'à la mer de Marmara. Les Turcs décident de faire
poursuivre les unités grecques en retraite afin de les empêcher de former une nouvelle
ligne de défense avec des renforts venus de Thrace. Les 2 et 3 septembre les généraux
Trikoupis et Dighenís tombent dans un piège en descendant les pentes du mont Murat et ils
se rendent avec 5.000 hommes et 500 officiers. Ironiquement, le général Tricoupis
apprend, peu de temps après, qu'il a été nommé commandant-en-chef à la place du général
Hatzianestis. Le moral grec s'effondre. Le gros des forces grecques réussit malgré tout à
atteindre la cote égéenne. Le 5 septembre une nouvelle division débarque à Smyrne pour
aider à tenir la ville face aux Turcs, mais les soldats se mutinent. Le 6 et le 7 septembre,
l'armée de Kemal s'empare de Balikesir, Bilecik et Aydin. La situation est désespérée pour
l'armée grecque qui abandonne Nif, qui commande la dernière trouée de la barrière de
montagne à l'est de Smyrne, pour se diriger vers la péninsule d'Urla au sud-ouest de la ville
afin d'être évacuée d'Anatolie.
 9 septembre 1922 : en Grèce, le gouvernement démissionne, tandis que la cavalerie turque
entre dans Smyrne. Les quartiers grecs et arméniens de la ville furent incendiés et
pillés, alors que les quartiers turcs et juifs sont restés indemnes. L'objectif de
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ère
Noureddine-Pacha, un des proches de Mustafa Kemal, commandant des forces turques
dans le district de Smyrne, est en effet l'extermination des populations chrétiennes
smyrniotes et ses instructions sont largement suivies. De nombreux Grecs et Arméniens
réfugiés dans la ville sont ainsi atrocement massacrés par l'armée turque. Le métropolite
orthodoxe Chrysostome de Smyrne, qui a refusé de s'enfuir avec les troupes grecques, est
lynché en place publique devant les yeux d’une patrouille française qui ne fera rien pour le
sauver. Ses oreilles, son nez et ses mains sont alors coupés, tandis qu'il est énucléé avec un
couteau. Son cadavre écartelé fut trainé jusque au quartier turc où il fut livré aux chiens.
Les assaillants turcs n’épargnent même pas les résidents étrangers. Des nombreuses
sources rapportent des scènes épouvantables d’agressions d’infirmières françaises de la
Croix-Rouge, des Britanniques retraités, des italiens commerçants, etc. Les chrétiens
affolés cherchent à trouver refuge sur des navires grecs encore présents dans les ports de la
côte égéenne parce que les bateaux étrangers (il y en avait 21), qui ont reçu l'ordre de leurs
gouvernements de rester neutres, refusent tous - à l'exception d’un bateau japonais - de
prendre à leur bord des réfugiés. De très nombreuses personnes se noient en essayant
d'utiliser les petits bateaux de pêche pour embarquer à bord des navires présents, ou pour
aller au large. Les navires européens au large refusent les réfugiés qui tentent de les
accoster. Il y eu même des cas où les équipages des bateaux alliés frappaient depuis les
ponts à coup de bâton les mains des malheureux qui s’y accrochaient pour se sauver du
massacre (!) Selon le «Times» de Londres : «Les autorités turques déclarent franchement
que c’est leur intention délibérée de laisser tous les Grecs mourir, et leurs actions vont
dans le même sens que leurs déclarations». Le correspondant du «Times» télégraphiait de
Constantinople le 16 septembre qu’«un détachement naval anglais, qui gardait l'usine à
gaz, assista au viol, en pleine rue, de plusieurs femmes grecques par des soldats turcs. Les
marins anglais ne purent pas intervenir, ayant reçu l'ordre formel de s'abstenir de toute
action en dehors de la surveillance des gazomètres» 12. Le «Belfast News Letter» écrit :
«L’effroyable histoire de barbarie et de cruauté qui est mise en œuvre par les Turcs
d’Angora fait partie d’une politique systématique d’extermination des minorités
chrétiennes d’Asie Mineure». Il est estimé que plus de 100.000 chrétiens (chiffre
probablement sous-estimé vu l’étendue des destructions et des massacres) ont péri dans des
conditions atroces suite à la prise de la ville par les nationalistes turcs. À la suite de ces
massacres, certains députés du parlement turc demandent que Noureddine-Pacha soit
condamné à mort et il est décidé de le juger. Cependant, le procès est ensuite révoqué par
l'intervention de Mustafa Kemal. Mais, la partie la plus terrifiante et la plus abominable des
massacres turcs fut l’élimination de tous les Grecs et Arméniens de l'intérieur et des côtes
de l'Asie-mineure occidentale, sans distinction de sexe ni d'âge, par la méthode système
infernal de la captivité civile. Elle consistait d’arrêter tous les hommes valides, entre 17 et
47 ans, pour les déporter dans l'intérieur de l'Asie Mineure et les y tenir en état de captivité
jusqu'à la fin des hostilités. Les prisonniers étaient conduits vers l’intérieur par lots de 3 à
4.000 personnes au prix de marches forcées épuisantes, pendant lesquelles la majorité
12
Témoignage recueilli en français dans le livre de René Puaux, «La Mort de Smyrne», Edition de la Revue des
Balkans, Paris, 1922, et en anglais dans le livre de Lysimachos Oeconomos : «The Martyrdom of Smyrne and
Eastern Christendom», London : George Allen et Unwin Ltd Ruskin House, 40, Museum Street, W. C. I.
21
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d’eux succombait au mauvais traitement ou ils étaient vendus pour une ou deux livres
turques à la populace ivre du sang chrétien et désireuse de mettre en morceaux un «kiafir»,
c'est-à-dire un infidèle. Il n’y a aucun doute que la responsabilité primordiale de tous les
crimes accomplis par les Turcs à la suite de leur entrée à Smyrne revient à Moustafa Kemal
et à ses troupes, commandées par Noureddine-Pacha. Mais il y a aussi la responsabilité des
gouvernements européens de l'époque, des politiciens, intellectuels, journalistes, etc.
turcophiles (tels que Millerand, Franklin-Bouillon, Pierre Loti…), qui ont toléré et facilité
ces crimes par leur passivité, voire la complicité. Il y a enfin la responsabilité de la
délégation grecque à la Conférence de Lausanne, conduite par Venizélos, dont la défence
de la question spécifique du massacre des prisonniers civils chrétiens par les Turcs a été
manifestement insuffisante. Ces crimes resteront donc impunis et seront vite oubliés par les
politiciens aussi bien grecs (Venizélos proposera Mustafa Kemal pour le prix Nobel de la
paix en 1930 !!!), qu’occidentaux (admission de la Turquie au sein de la SDN en 1932).
 11 septembre – 28 novembre 1922 : coup d'État orchestré par les colonels Nikólaos
Plastíras et Stylianós Gonatás. Le coup d’État réussit, ce qui oblige le roi Constantin à
abdiquer le 24.09.1922 et à quitter la Grèce le 30.09.1922. La population et l'armée dans sa
grande majorité exigent le châtiment des responsables de la défaite (kátharsis). Le
25.10.1922, un tribunal d'exception est mis sur pied pour juger les militaires et les hommes
politiques considérés comme responsables de la défaite. Le 06.11.1922, huit inculpés sont
renvoyés devant le Tribunal militaire pour haute trahison. Le procès débouche sur la
condamnation à mort des anciens Premiers ministres Petros Protopapadakis, Nikólaos
Stratos et Dimitrios Goúnaris et des généraux Georgios Baltatzis, Nikólaos Theotokis et
Georgios Hatzianestis, qui seront fusillés à Goudí (campement militaire dans la banlieue
d’Athènes) le 28.11.1922.
 2 décembre 1922 : ouverture devant le Tribunal militaire du procès du prince André, 4ème
fils du roi Georges 1er et frère du roi Constantin 1er de Grèce. En tant que commandant du
2ème Corps d'armée en Asie-mineure, il est accusé d'avoir «reçu l'ordre, le 27 août 1921,
d'aller au combat, d'avoir refusé d'obéir face à l'ennemi, son refus formel ayant été
enregistré dans le rapport militaire sous le numéro 1491.27.8.21, et d'avoir commandé à
ses hommes de faire mouvement dans une autre direction». Ce refus de combattre avec
abandon d'une position de la part d'un officier supérieur aurait mis en difficulté le 3ème
corps d'armée au moment où les Turcs lançaient une contre-attaque durant la bataille de la
Sakarya, et aurait obligé l'armée grecque à reculer. Déclaré coupable, le prince André était
passible pour ce crime de la peine de mort. Le Tribunal lui a infligé cependant une peine de
bannissement à vie en raison «de sa totale inexpérience du commandement d'unités
supérieures et des circonstances dans lesquelles il se trouvait». Cet adoucissement de la
sanction s'explique par le contexte politique de ce procès : Plastiras, aussi bien que
Venizélos, savaient l'intérêt que la Grande-Bretagne accordait au sort du prince André.
C'est ainsi que l'amiral britannique Gerald Talbot se chargea d'accompagner le prince
déchu sur le chemin de l'exil. Il est décédé le 03.12.1944 à Monte-Carlo. Le prince Philip,
duc d’Édimbourg, mari de la reine Élisabeth II du Royaume-Uni, est le fils unique du
prince André de Grèce et de la princesse Alice de Battenberg.
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Images N° 12 & 13 : la catastrophe de Smyrne
Massacres, déportations et incendie des quartiers chrétiens de la ville par les troupes ottomanes suite à
l’évacuation des forces grecques de l’Asie-mineure en septembre 1922. Les horreurs commises par les
Turcs sont reflétés dans la phrase du Consul des USA George Horton, en quittant la ville: «une des plus
vives impressions j'ai apporté de Smyrne a été un sentiment de honte que j'appartiens à la race humaine…».
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 11 octobre 1922 : Après la prise de Smyrne (09.09.1922), Mustafa Kemal se dirige vers la
Thrace, mais se voit interdire la traversée des Dardanelles par les Britanniques. Déterminé,
le 29.09.1922, il ordonne deux régiments d'élite de marcher vers les positions britanniques
à Chanak. Le commandant Charles Harington refuse de donner à ses troupes l’ordre de
tirer sur les Turcs et demande des instructions à son gouvernement. Londres hésite, mais
les Britanniques ne sont plus soutenus par les Français, qui avaient déjà retiré leurs troupes
des Dardanelles et qui évoquent l’éventualité d'éclatement d'un nouveau conflit où la
Russie soviétique serait du côté de la Turquie. La France envoie en toute hâte son
diplomate Franklin-Bouillon réputé pour ses convictions turcophiles. Celui-ci s’excelle et
prend tous les engagements susceptibles à satisfaire Mustafa Kemal. Ce dernier accepte
donc d’ouvrir des pourparlers le 3 octobre 1922 à la mairie de Mudanya sur la rive sud de
la mer de Marmara. Quatre généraux participent à la conférence : un Britannique, un
Français, un Italien et le Turc İsmet-Pacha İnönü. Les Grecs sont tenus à l’écart, bien que
les négociations portent sur des questions vitales pour eux. Un accord est trouvé, à peine 2
heures avant que les Britanniques ne commencent les hostilités. Les Alliés (autrement dit
le Royaume-Uni, la France et l'Italie) s'engagent à obliger les Grecs à se retirer de la
Thrace orientale et promettent d'évacuer le plus rapidement possible le territoire turc. Un
armistice fondé sur ces principes est signé à Mudanya le 11.10.1922, qui entre en vigueur
le 15.10.1922, un jour après que les Grecs aient accepté de signer les accords. L'Armistice
de Moudanya sera suivi par le traité de Lausanne sur la rive nord du lac Léman qui sera
signé le 24.07.1923. Les troupes turques entrèrent en Constantinople le 06.10.1923.
Image N° 14 : les militaires alliés sur le quai de Moudanya
(Ils ne semblent pas très animés de l’accueil peu accommodant qui leur a été réservé…)
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 24 juillet 1923 : les vainqueurs de la Grande Guerre signent à Lausanne, sur les bords du
lac Léman, avec la Turquie de Mustafa Kemal - vaincue en 1918 et devenue vainqueur par
leurs propres fautes (discordes, hypocrisies, duplicités, déloyautés, faussetés, conspirations,
trahisons, inconséquences, flottements, indécisions, faiblesses, négligences, omissions,
aveuglements, illusions, chimères, gaffes, bévues, erreurs, etc.) – un traité qui annule et
remplace le précédent traité de paix signé à Sèvres, le 10 août 1920, par les représentants
du sultan. Les Turcs nationalistes et leur chef, Mustafa Kemal, prennent ainsi une
spectaculaire revanche sur les Alliés et hypothèquent lourdement le destin du MoyenOrient et de l’Europe pour les années à venir.
Par le traité de Lausanne:
- les Turcs récupèrent une pleine souveraineté sur les Détroits, Constantinople (Istanbul) et
son arrière-pays européen (Thrace orientale), ainsi que sur l'Arménie occidentale, le
Kurdistan occidental et la côte orientale de la mer Égée (Smyrne, Éphèse...).
- la frontière avec l'Irak est dessinée en pointillé. Elle est confirmée trois ans plus tard par
la Société des Nations, qui octroie à titre définitif la région de Mossoul à l'Irak.
- les «Capitulations», établies en 1536 entre le sultan Soliman le Magnifique et le roi de
France François 1er, et plus tard élargies à d'autres pays européens, sont abolies ; ces
conventions octroyaient aux Occidentaux des droits particuliers en Turquie, ainsi qu'un
droit de regard sur le sort fait aux chrétiens de ce pays.
- les troupes françaises qui s'étaient installées en Cilicie, au sud, ne conservent plus qu'une
enclave, le sandjak d'Alexandrette, qu'elles évacueront au profit de la Turquie (une fois de
plus !) en 1939.
- une annexe au traité prévoit - fait inédit - des échanges de populations entre la Grèce et la
Turquie. 1,3 million de réfugiés grecs sont forcés de quitter leurs terres ancestrales d'Ionie,
du Pont et de Thrace orientale et arrivent précipitamment, dépouillés de leurs biens, en
Grèce, qui se voit confrontée à un défi humanitaire sans précédent. La Grèce, en retour,
expulse quelque 350.000 Turcs, mais la minorité turque de la Thrace occidentale est exclue
de cet échange de populations en contre partie du maintien de la population grecque de
Constantinople. Plus de 500.000 Grecs furent déportés vers l’intérieur (à l’instar des
Arméniens en 1915-16), mais très peu survécurent. La république laïque de Mustafa Kemal
– fondée sur les principes «un état, une terre, une religion, une langue, une race», ne
compte plus qu'une poignée de Grecs regroupés autour du patriarcat de Constantinople,
tandis que ceux-ci représentaient encore un cinquième de la population turque une
décennie plus tôt.
- la Turquie post-ottomane émerge des négociations de Lausanne sous la forme d'un
quadrilatère massif dont seulement le coin nord-ouest, avec Constantinople (Istanbul) et
son arrière-pays, appartient au continent européen (3% de la superficie du pays).
- fort de son triomphe, Mustafa Kemal va pouvoir proclamer la République turque (qui ne
tolérera que le culte musulman, mais qui sera dénommée par euphémisme «laïque»), sur
les ruines du vieil Empire multiculturel ottoman.
Notons ici l'étrange similitude entre le surnom de Staline «Le petit Père du peuple» et le
surnom «Atatürk» («le père des Turcs») que s'est donné Mustafa Kemal.
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Image N° 15 : Monument de la République, Istanbul13
Carte N° 2 : La Turquie suite au traité de Lausanne (24.07.1923)
13
Monument situé sur la place Taksim, à Istanbul (Constantinople) pour commémorer la création de la
République turque en 1923. Dévoilé le 8 août 1928, il a été conçu par le sculpteur italien Pietro Canonica et
l'architecte Giulio Mongeri en pierre et en bronze 84 tonnes ramenées de Rome. Mikhaïl Frounze, un important
leader de la Révolution d'Octobre, et Kliment Voroşilov, un maréchal de l'Union soviétique, sont parmi le
groupe derrière Mustafa Kemal Atatürk. Leur présence dans le monument, ordonnée par Mustafa Kemal Atatürk,
est un éloge à l'importante aide militaire et financière accordée par Vladimir Lénine pendant la guerre grécoturque de 1920 - 22. En accordant cette aide, Lénine a voulu se venger des Grecs pour avoir envoyé des troupes
en Russie qui se sont battues aux côtés des Français pour aider les Armées Blanches contre l’Armée Rouge.
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3.1 Préambule
A la fin de la Grande guerre, quatre traités enterraient les empires allemand, austro-hongrois
et ottoman, que nous qualifierons de camp du Mal puisque celui des agresseurs notamment de
petits peuples tels que les Belges, les Serbes, les Arméniens, les Maronites, les Assyrochaldéens, les Grecs d'Anatolie :
- Le traité de Versailles du 28 juin 1919 avec l’Allemagne, qui affirmait l'indépendance de la
Tchécoslovaquie, de la Pologne, et faisait retour à la France de l'Alsace-Lorraine ;
- Le traité de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 avec l'Autriche et le traité de
Trianon du 4 juin 1920 avec la Hongrie, qui marquaient l'effondrement de l'Empire austrohongrois, affirmaient l'interdiction d'une unification entre l'Autriche et l'Allemagne et
consacraient la séparation de l’Autriche et de la Hongrie avec une réduction corollaire de
leurs territoires au profit de l'Italie, la Roumanie, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ; et
- Le traité de Sèvres du 10 août 1920 avec la Turquie, l’allié oriental des Empires centraux,
qui, en gros, réservait à la Grèce la Thrace orientale (sauf Constantinople) avec l'ouest
anatolien, affirmait l'existence d'une Arménie indépendante, prévoyait la création d'un
Kurdistan autonome, chargeait la France d'un mandat sur la Cilicie et réduisait l'Empire
ottoman à quelque 120.000 km2.
Le traité de Sèvres a été l’aboutissant logique de l’intervention de l’Humanité en Turquie. Il
mettait fin à la puissance ottomane accumulée depuis le 14ème siècle par des conquêtes
sanglantes et des occupations brutales de plusieurs pays asiatiques et européens. Il libérait la
plupart des populations non-turques d’une emprise ottomane de plusieurs siècles, soit en
plaçant leur territoire sous le mandat des Principales Puissances alliées, soit en l’annexant à
l’État congénère. Il limitait, en outre, le souveraineté de l’État ottoman ainsi réduit, aussi bien
au nom du droit humain, en lui imposant la protection des minorités, qu’au nom du droit
international, en le plaçant sous un véritable contrôle militaire, économique et financier. En
particulier, l’Arménie si durement touchée par un génocide impitoyable, recevait, avec la
reconnaissance de son indépendance, l’espoir de se voir adjuger par le Président Wilson des
parties ou même la totalité de quatre vilayets de l’Arménie turque.
Mais alors qu'en Europe l'Allemagne était mise à genoux et tenue à l'œil, en Asie Mineure les
vainqueurs occidentaux, travaillés par les mêmes rivalités qu'au XIXème siècle, se gardaient de
désarmer l'Empire ottoman vaincu et se contentaient au début de regarder la rébellion
kémaliste, les uns avec scepticisme et curiosité, les autres avec intérêt et complaisance. A
peine sept mois après, en mars 1921, les Principales Puissances alliées, réunies à Londres en
Conférence avec les Turcs et les Grecs, se déjugeaient de leur œuvre et, surtout, en reniaient
l’esprit. Aux ennemis Turcs, auxquels elles avaient dicté leurs volontés à Sèvres, elles
proposaient maintenant des conditions de paix considérablement adoucies et ce, aux dépens
de leurs alliés Grecs, qui avaient si vaillamment combattu à leur côté sur le Front d’Orient.
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3.2 La revanche allemande
Déjà au début des années 1920, des observateurs lucides perçurent le désir de revanche
allemand, ainsi que la stratégie et les tactiques correspondantes que cette revanche nécessitait.
La stratégie visait à combattre en Anatolie le traité de Versailles en détruisant celui de
Sèvres. La tactique consistait à diviser les Alliés, à les épuiser et à parachever leur lassitude.
La victoire du bolchevisme en Russie et l'émergence du mouvement kémaliste en Turquie, les
deux réunis dans l’objectif commun de combattre les puissances alliées «infidèles» et
«impérialistes», seront les instruments majeurs dont l’Allemagne s’en servira habilement afin
de parvenir à ses fins.
3.3 Le sursaut nationaliste turc : Mustafa Kemal Atatürk, l’homme
providentiel au service de l’Allemagne
Après avoir imposé à Lénine le traité de Brest-Litovsk dont les conséquences pour les
Arméniens et autres peuples du Caucase furent funestes, les Allemands trouveront en Mustafa
Kemal un personnage dévoué à leur cause depuis longtemps, qui avait déjà servi sous les
ordres d’un général allemand Otto Liman von Sanders (Liman-Pacha) dans la bataille de
Gallipoli. Mustafa Kemal est un homme de culture moyenne. Il est très ambitieux, habile et
rusé, souvent de mauvaise foi. Energique cependant et tenace, il est l'admirateur fervent de la
pensée allemande et de l'esprit d'organisation germanique. Il arrive à se faire remarquer, pour
la première fois, lors de la révolution des Jeunes-Turcs en 1908. Mis de côté par de plus
habiles que lui, Enver par exemple, il conserve vis-à-vis de celui-ci une haine irréductible.
L'occasion de passer aux choses sérieuses se présente pour lui lorsque le grand vizir Damad
Ferid-pacha (l'un des signataires ottomans du Traité de Sèvres) crut opportun de l'envoyer en
province en lui donnant le titre d'inspecteur de la 9e armée stationnée à Erzéroum. Il s'agissait
d'éloigner un soldat remuant et de profiter en même temps de ses talents d'organisateur pour
maintenir intactes les forces militaires dont la démobilisation était pourtant exigée par
l'armistice.
Les Alliés, surtout les Britanniques, connaissent bien Mustafa Kemal depuis ses actions
contre les ANZAC lors de l’opération amphibie ratée dans les détroits de Dardanelles en
1915. Ils auraient dû se méfier de lui et de sa nouvelle mission, et prendre toutes les mesures
nécessaires pour le surveiller de près afin de le neutraliser, mais ils ne le feront pas. Il s’agit
d’une négligence de taille 14.
14
Certains analystes y voient la main d’une vaste conspiration visant à éviter aux Alliés les frais d’une
occupation armée prolongée de l’Empire ottoman qui comportait pour eux les risques d’un «Djihad» à
déclencher par les musulmans opprimés de l’Asie-mineure et du Moyen-Orient. Les Alliés auraient alors
sciemment appuyé Mustafa Kemal - qui d’après certaines sources fut un adepte de la communauté secrète des
«Dönmeh» (issus d’une communauté séfarade expulsée alors d’Espagne et venue s’établir dans la Grèce sous
domination ottomane ), un franc-maçon et un agent secret britannique - de renverser le régime traditionnaliste du
sultan et de le remplacé par un régime révolutionnaire occidentalisé et «laïque», avec lequel ils pourraient
ensuite faire des affaires en toute sécurité. L’évolution des évènements fait beaucoup réfléchir sur la crédibilité
de cette hypothèse…
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Dans les régions menacées par les troupes alliées, Mustafa Kemal met rapidement en place
des organisations qui visent à la fois défendre les droits des musulmans, mais aussi organiser
la résistance armée. Ces organisations de défense doivent empêcher la réalisation des desseins
alliés par la résistance passive ou active. Des officiels ottomans, aidés par des allemands,
participent et organisent ce mouvement, tandis que des militaires collaborent avec des bandes
d'irréguliers pour organiser la guérilla. Les munitions saisies par les Alliés sont ainsi
secrètement transportées d'Istanbul en Anatolie centrale.
En mai 1919, le mouvement nationaliste turc peut déjà compter sur deux corps d'armée, le
20ème commandé par Ali Fouad à Ankara et le 15ème à Erzeroum commandé par Kazim
Karabekir, mais également sur les unités irrégulières. A la demande de Mustafa Kemal,
l'amiral Rauf Bey coordonne l'action de ces différents groupes, tandis que la petite ville
d'Ankara (alors Angora) sur le plateau anatolien devient le centre de l'organisation de la
résistance nationaliste.
Mustafa Kemal débarque le 19 mai à Samsun, puis se rend à Havza. Son statut de héros de la
bataille de Gallipoli lui donne le prestige requis pour établir des contacts avec des militaires et
des nationalistes, et ainsi structurer le mouvement de résistance. Le 2 juillet, Kemal reçoit un
télégramme du Sultan lui demandant de cesser ces activités rebelles en Anatolie et de
retourner à Istanbul. Il refuse d'obtempérer. Des officiers nationalistes proches de lui
organisent un congrès à Sivas en juin 1919, qui se donne pour but de rassembler les forces
nécessaires pour combattre les occupants alliés. Le Sultan ordonne alors l'arrestation de
Kemal. Les nationalistes révolutionnaires répondent en septembre en mettant sur pied un
comité représentatif, embryon d'un véritable gouvernement.
En janvier 1920, la Chambre des députés ottomans se réunit. En son sein se forme un groupe
nationaliste qui cherche à faire élire Mustafa Kemal président de la Chambre. Pour mettre fin
à cette situation les Britanniques décident (enfin) de placer la Turquie sous leur contrôle. Le
15 mars 1920 les soldats britanniques occupent les principaux bâtiments de la capitale
ottomane et arrêtent les responsables nationalistes qui sont alors déportés à Malte. Le 11 avril
1920, le dernier parlement ottoman est dissous sur ordre du Sultan Mehmed VI. Le système
politique ottoman s'effondre en quelques jours et le Sultan apparaît désormais comme une
marionnette aux mains des Alliés. De nombreux intellectuels, dignitaires et chefs militaires
turcs se mettent alors au service de Mustafa Kemal qui déclare que le seul gouvernement légal
turc est désormais le comité représentatif d'Ankara. C'est dans cette ville que se réunit, en
mars 1920, le Grand Parlement National qui se choisit comme président Mustafa Kemal et
investit en avril un gouvernement provisoire turc pour mener la résistance contre les Alliés.
Pour l'heure, le rusé Kemal affirme toujours vouloir se battre pour le Sultan et afin de le
libérer de la tutelle des Alliés.
La première tâche de Mustafa Kemal est de former une armée. Pour cela il se tourne vers les
bolcheviks, qui viennent de prendre le pouvoir en Russie, trop contents de trouver un
partenaire qui se réclame de «laïque» comme eux et désireux de lutter contre l'impérialisme
occidental. Kemal rencontre une délégation soviétique dirigée par le général Semyon
Boudienny, qui demande seulement le contrôle des territoires caucasiens sous souveraineté
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russe en 1914, en contrepartie d’une aide économique et militaire soviétique significative qui
permettra à Kemal d'organiser une véritable armée.
Le Sultan, pour ôter toute légitimité au mouvement nationaliste, lance contre Kemal une
fatwa 15, suscitant ainsi des soulèvements en Anatolie, armés par les Britanniques, contre les
nationalistes. Les kémalistes les répriment violemment instituant des tribunaux d'exception
qui condamnent à la pendaison ceux qui sont pris prisonniers. Ils doivent également affronter
l'armée du Sultan qui vient en aide aux rebelles anti-kémalistes. Mais rapidement ces derniers
sont écrasés par les troupes circassiennes d'Ethem. Les Britanniques envoient alors de petites
unités pour leur faire face et les empêcher de se regrouper. Le 13 avril 1920, les premiers
combats s'engagent à Düzce, puis s'étendent à Bolu et Geredé. Pendant un mois le nord-ouest
de l'Anatolie est ainsi le théâtre d'affrontements, jusqu'à la bataille d'Izmit du 14 juin 1920.
L'armée du Sultan et les unités britanniques ont l’avantage numérique, mais les soldats du
Sultan désertent en masse. Quelques jours plus tard, les troupes nationalistes, victorieuses,
approchent d'Istanbul. Les Britanniques sont prêts à faire sauter les dépôts de munitions et
d'armes. Mais les navires et les avions britanniques ouvrent le feu contre les troupes de Kemal
les forçant à se retirer.
Si le danger kémaliste est pour l’instant écarté, la panique s'est emparée de la capitale
ottomane après la défaite des troupes du Sultan. Le général britannique George Milne
demande donc des renforts et estime qu'il lui faut 27 divisions pour défaire les nationalistes.
Mais les Britanniques ne disposent pas de ces divisions et surtout l'opinion publique ne peut
accepter une intervention militaire de cette ampleur, alors que la Grande Guerre vient à peine
de prendre fin. Pourtant les Alliés ont des atouts: près de 38.000 soldats britanniques et
indiens, 59.000 soldats français dont des troupes coloniales, 18.000 soldats italiens, entre
30.000 et 50.000 soldats géorgiens constitués en unités irrégulières, 20.000 soldats arméniens.
Le contingent grec est le plus nombreux et passe de 80.000 hommes en 1919 à près de
300.000 en 1922. Si les Américains n'envoient pas de troupes, l'amiral Mark Bristol sert de
conseiller militaire. Mais ces forces sont dispersées et agissent indépendamment les unes des
autres. Surtout chaque nation alliée se fixe des objectifs propres qui entrent en concurrence
avec ceux de leurs partenaires. C’est la fin de l’Entente.
Conscients que le Sultan est incapable de venir à bout des nationalistes, les Britanniques se
tournent vers la seule force bien entraînée, disciplinée et capable d'affronter les Turcs: l'armée
grecque. Le 22 juin 1920, avec l'accord des Anglais, les Grecs passent à l'offensive en
Anatolie en direction du nord et de l'est. Ils cherchent ainsi à asseoir leur domination sur
l'Asie-mineure et contrôlent rapidement l'ouest et une partie du nord-ouest de l'Anatolie. En
un mois ils occupent la côte égéenne au nord de Smyrne et le rivage sud de la mer de
Marmara. L’ancienne capitale ottomane Bursa tombe aux mains des Grecs le 8 juillet, et ils
atteignent Usak au bord du plateau anatolien. Ils envahissent également la Thrace orientale et
15
Une «fatwa» est, dans l'islam, un avis juridique donné par un spécialiste de loi islamique sur une question
particulière. En règle générale, une fatwa est émise à la demande d'un individu ou d'un juge pour régler un
problème où la jurisprudence islamique n'est pas claire. Dans les pays où la loi islamique est la base du droit
civil et droit pénal, les fatwas sont débattues par les prélats nationaux avant d'être émises, après qu'un consensus
a été obtenu. Dans ces cas, ils sont rarement contradictoires et ont force de loi. Exemple : La fatwa demandant
l'assassinat de Salman Rushdie, auteur du roman «Les Versets Sataniques».
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prennent sa capitale Adrianople (Edirne) où le roi Alexandre 1er fait une entrée triomphale le
25 juillet 1920. Les Grecs sont désormais devant les portes de Constantinople, un rêve
national nourri depuis la prise de Constantinople par les Turcs ottomans le 29 mai 1453.
Mustafa Kemal et les nationalistes sont alors dans une situation critique. Ils sont menacés par
les Grecs à l'ouest, mais également par les Français qui occupent la Cilicie au sud et les
Arméniens au nord-est. L’aide économique et militaire soviétique, la division qui règne parmi
les Alliés et, surtout, la trahison des Italiens et la volte-face des Français, va leur permettre de
renverser la situation. Vaincus en 1918, ils se convertiront en vainqueurs, et dicteront leurs
conditions à Lausanne en 1922.
3.4 L’accord franco-turc séparé du 9 mars 1921 : la débâcle et la
volte-face française en Cilicie
En vertu des accords «Sykes-Picot» de 1916, les Français prennent le contrôle du Liban et de
la Syrie et cherchent à consolider leur zone influence jusqu'aux montagnes du Taurus en
Cilicie en vertu du Traité de Sèvres. Leur intérêt pour cette région était surtout motivé par la
ferme de Mercimek (Mercimek Çiftliği) 1.100km², soit la taille de la Martinique, qu’ils
comptaient prendre en remboursement des dettes ottomanes. Ils débarquent à Mersin 16, le 17
novembre 1918, 15.000 volontaires arméniens encadrés par 150 officiers français qui
s'emparent de Tarse (ancienne capitale de la Cilicie) le 19 novembre. Avant la fin 1918, la
France contrôle également les trois provinces d'Antep, Marache et Urfa. Devant eux, pas
d’armée turque, seulement des bandits et des résistants irréguliers. Kemal envoie donc des
officiers pour organiser la guérilla contre les Français.
La stratégie de Mustafa Kemal était de concentrer ses efforts sur le front principal contre
l’ennemi héréditaire, la Grèce. Comparés aux Grecs, les Français étaient une menace de
second ordre. Mais si les Français cédaient, il était sûr que la partie grecque céderait aussi (et
cela fut le cas). Les Turcs coopéraient déjà avec les tribus arabes de la région, et les
musulmans locaux s’opposèrent farouchement aux Français, d’autant plus que ces derniers
choisirent de ne pas engager des forces suffisantes pour contrôler un territoire aussi vaste que
celui de Cilicie, mais de s’appuyer sur des milices arméniennes.
A partir de novembre 1919 des troubles éclatent à Marache qui devient rapidement le théâtre
d'une guérilla urbaine, ce qui oblige Français et Arméniens à quitter la ville en février 1920.
La rébellion s'étend rapidement à l'ensemble de la région. La ville d'Urfa est reprise aux
Français en mai 1920. Le 28 mai, la garnison française de Pozanti est capturée. A l'est, dans
les monts du Taurus, les Turcs prennent d'assaut le fort d'Haçin le 16 octobre 1920. Les
Français sont obligés de battre en retraite.
Vu l’évolution défavorable sur le terrain, les Français décident de changer de stratégie et
entament des pourparlers secrets avec les nationalistes turcs dans l’espoir d’arriver à un
16
Ville portuaire de la Cilicie (en grec Μερσίνα), nommée Zephyrion (en grec ancien Ζεφύριον) durant l’époque
des Seleucides, connue au nom latinisé de Zephyrium durant l’époque Romaine.
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accord avec eux qui leur permettrait de préserver malgré tout leurs intérêts dans la région.
Cela aura des conséquences néfastes pour les Alliés, notamment pour les Grecs qui
supportaient le poids principal de l’affrontement avec les Turcs sur le front d’Ankara, mais
aussi pour les Arméniens sur le front du Caucase.
Alors que l’Entente ne reconnaissait auparavant que le gouvernement du Sultan Mehmet VI,
le gouvernement français d’Aristide Briand (16.01.1921 – 12.01.1922) 17 rompt la triple
Entente et conclut une paix séparée avec le gouvernement de la Grande Assemblée Nationale
de Turquie (Mustafa Kemal). Un premier accord franco-turc fut signé, à Londres, le 9 mars
1921, par Aristide Briand et Békir Sami bey cf. supra).
Les buts que poursuivait le gouvernement français en concluant l’accord franco-turc séparé de
Londres ont été exposés avec force par le Président du Conseil français, Aristide Briand, aux
séances de la Chambre des députés et du Sénat français, les 11 et 12 juillet 1921 : «La France,
déclarait M. Briand, est une puissance musulmane» (sic !) 18. Elle doit reprendre sa vieille
politique traditionnelle vis-à-vis de la Turquie qui se reconstituera fatalement. Il faut donc
procéder à la conclusion immédiate de la paix avec les Nationalistes turcs qui «au point de
vue militaire tiennent la clef de la situation», mettant fin à l’effusion du sang français et à une
situation militaire en Cilicie devenue intolérable. Cela rendra possible pour la France
d’exercer son mandat en Syrie dans les conditions de bon voisinage avec la Turquie, sans être
obligée à de lourds sacrifices pour le maintien d’une grande armée d’occupation. La France
obtiendra la libération immédiate des prisonniers français et procèdera l’évacuation de la
Cilicie, après que des garanties seraient prises, en commun avec les Turcs, suffisantes pour
assurer la protection des minorités (en fait, ces garanties ne seront jamais appliquées).
3.5 L’accord italo-turc séparé du 12 mars 1921 : la trahison italienne
Dans le même esprit, l'Italie conclut un accord avec la Turquie le 12 mars 1921 pour obtenir
des concessions minières et commerciales.
L’accord italo-turc signé également à Londres, le 12 mars 1921, entre le Comte Sforza et
Békir Sami Bey, établit une collaboration économique italo-turque, avec droit de priorité pour
les concessions d’ordre économique à accorder par l’État turc dans certaines parties de
l’Anatolie méridionale. De son côté, le gouvernement royal d’Italie s’engagea «à appuyer
efficacement auprès de ses alliés toutes les demandes de la Délégation turque relatives au
traité de paix, spécialement la restitution à la Turquie de la Thrace et de Smyrne» (art. 4).
L’accord ne devait cependant entrer en vigueur qu’en vertu d’une convention définitive qui
serait stipulée «immédiatement après la conclusion d’une paix assurant à la Turquie une
existence viable et indépendante et acceptée par elle».
17
Clemenceau et Briand sont devenus des adversaires durant la Première Guerre mondiale. Clemenceau a dit de
lui qu'il était un «imbécile». (Source : wikipedia).
18
Cf. André Mandelstam «La Société des Nations et les Puissances devant LE PROBLÈME ARMÉNIEN»,
Chapitre X «Les accords séparés de Londres et le traité turco-russe de Moscou».
http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c10
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En commentant, à la séance du 19 mars 1921 de la Chambre des députés italienne, l’accord
qu’il avait conclu avec Békir Sami Bey, le Compte Sforza expliqua qu’il avait recherché une
entente directe avec la Turquie au sujet de l’action économique qu’en vertu de l’action
tripartite l’Italie était appelée à développer dans la partie méridionale de l’Anatolie et dans le
bassin d’Héraclée. Il était dans l’intention du gouvernement italien, dit le Comte Sforza, que
cette action se développât sur une base de parfaite coopération entre l’Italie et la Turquie et
que fussent éliminés tous les inconvénients d’ordre politique qui pourraient entraver l’activité
économique et financière italienne. «Une vaste zone en Asie Mineure est dorénavant ouverte
à notre activité économique spéciale, en accord cordial avec le gouvernement turc qui s’est
rendu pleinement compte de la loyauté des intentions de l’Italie, laquelle ne désire rien autant
dans l’Orient que de voir une Turquie prospère, politiquement forte, maîtresse incontestée
dans sa maison»…
En signant ainsi à Londres des accords séparés avec la Turquie, la France aussi bien que
l’Italie, s’étaient montrées animées des dispositions les plus conciliantes envers la puissance
ennemie qui avait retardé l’heure de leur victoire sur l’Allemagne, et toutes les deux, mais
surtout la France, consentaient à d’importants sacrifices politiques dont la récompense était
plus qu’incertaine.
En effet, le rapprochement soviéto-kémaliste déjà manifesté sur le front du Caucase contre
l’Arménie et renforcé par la signature du traité d’amitié russo-turc de Moscou du 16 mars
1921 qui proclamait la solidarité russo-turque dans la lutte commune contre l’Impérialisme,
devait évidemment encore surexciter le chauvinisme des dirigeants d’Angora, sûrs maintenant
d’un appui plus efficace des nouveaux maîtres de Moscou. Aussi une campagne haineuse
s’engagea-t-elle immédiatement dans les milieux du Parlement turc et dans la presse
kémaliste contre les accords conclus à Londres par Békir Sami Bey. Ces dispositions
chauvines furent encore naturellement accrues par l’échec qui avait suivi la fin de la
Conférence de Londres, la défaite des Grecs lors des batailles d'İnönü (janvier - mars 1921) et
de leur repli des sur leurs positions de départ. Bientôt Békir Sami Bey dut donner sa
démission et, le 19 mai 1921, un nouveau Cabinet fut constitué, dans lequel le ministère des
affaires étrangères fut confié au négociateur du traité de Moscou, Youssef Kémal Bey.
Dans ces conditions, le Parlement d’Angora, enhardi par la situation générale toujours plus
favorable à la Turquie, refusa de ratifier l’accord franco-turc de Londres du 09.03.1921. Le
gouvernement kémaliste présenta alors au gouvernement français des contre-propositions qui
exigeaient, entre autres, l’évacuation de la Cilicie par les Français avant la conclusion de
l’armistice, des rectifications à la frontière turco-syrienne au profit de la Turquie, ainsi qu’une
transformation des clauses économiques prévues par l’accord de Londres. D’autre part, le
gouvernement d’Angora refusait d’accorder les garanties nécessaires de sécurité aux
populations des régions évacuées.
D’autre part, l’accord italo-turc du 12.03.1921 ne fut pas ratifié davantage par la Grande
Assemblée turque que l’accord turco-français.
Ainsi, le mouvement franco-italien pour la révision du traité de Sèvres avait abouti, non
seulement à l’échec de la Conférence de Londres, mais encore au rejet par les Turcs d’Angora
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des deux tentatives de paix séparées de la France et de l’Italie. Mais, le régime kémaliste
sortait gagnant de cette mésaventure alliée, car il obtenait la reconnaissance en tant
qu’interlocuteur des Alliés au niveau diplomatique.
3.6 Le traité franco-turc du 20 octobre 1921 : une duperie colossale
Après le coup de théâtre du Parlement d’Angora, Aristide Briand choisit donc d’entamer
officieusement des négociations avec les nationalistes turcs cette fois-ci à Angora. Sans rien
dévoiler de son projet à son alliée la Grande-Bretagne, le président du Conseil confie cette
délicate mission à un député naïf Henry Franklin Bouillon. Du côté turc, il faut souligner avec
quelle habileté les négociations d’Angora sont menées par la Turquie. La figure charismatique
de Mustafa Kemal, qui dirige lui-même la délégation turque, influe énormément sur l’issue
des négociations. Mais l’envoi de Franklin Bouillon – un ancien député turcophile et sans
expérience diplomatique – pour négocier un accord qui doit rétablir les relations avec la
Turquie et amorcer la pacification de l’Orient fait l’objet d’une forte polémique. Subjugué par
le mouvement nationaliste et son leader, Franklin Bouillon accepte toutes les exigences
turques sans obtenir la concrétisation des requêtes françaises, mettant ainsi la France dans une
position modeste et déférente, ce qui permet au leader kémaliste de prendre l’ascendant.
Dans l’ensemble, les Turcs sont gagnants. Ils obtiennent le départ des troupes françaises de
Cilicie et la cessation de l’état de guerre. Les prisonniers respectifs sont immédiatement remis
en liberté et amnistiés. Néanmoins, les kémalistes refusent l’amnistie pour les Turcs
musulmans qui ont collaboré avec la France. Le Journal des Débats souligne que «la France
fait seule des concessions». La France renonce effectivement au désarmement des populations
et des bandes rebelles, ainsi qu’à la constitution d’une force de police turque assistée par des
officiers français. Le général Henri Gouraud dénonce le fait que cette convention ne prévoit
pas «la présence de quelques officiers français dans la gendarmerie chargée de maintenir
l’ordre dans les territoires devant revenir à la Turquie», comme il avait été prévu aux
paragraphes B et C de l’accord de Londres. Le paragraphe F de cet accord qui garantissait aux
minorités non seulement l’égalité absolue des droits, mais aussi un «équilibre pour la
constitution de la gendarmerie et de l’administration municipale», est remplacé dans le traité
d’Angora par un article VI qui efface à ce sujet toute distinction entre la Turquie et les autres
puissances occidentales. Le gouvernement de la Grande Assemblée nationale de Turquie
déclare que «les droits des minorités solennellement reconnus dans le Pacte National seront
confirmés par lui sur la même base que celle établie par les conventions conclues à ce sujet
entre les puissances de l’Entente, leurs adversaires et certains de leurs alliés». En dehors de
cette vague promesse turque, le traité d’Angora n’offrait aux populations des pays évacués
qu’une «amnistie plénière» à définir.
On ne retrouve pas non plus dans l’accord d’Angora le paragraphe G de l’accord de Londres
relatif à la collaboration économique franco-turque et aux concessions à accorder à la France.
Ce paragraphe y a été remplacé par une série de lettres du ministre des affaires étrangères
d’Angora à Franklin-Bouillon qui, à part la concession à un groupe français des mines dans la
vallée de Harchite, ne contient que des promesses très élastiques.
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Le traité d’Angora, considéré comme un accord local, ne fut pas soumis par le gouvernement
français à la ratification des Chambres. Il y donna lieu néanmoins à des discussions, tant du
point de vue des pertes territoriales qu’il comportait pour la France en comparaison avec le
traité de Sèvres, que du point de vue de la situation dramatique qu’il créait aux Arméniens.
À la séance du Sénat français du 27 octobre 1921, Aristide Briand, Président du Conseil,
donna quelques explications sommaires sur l’accord d’Angora. Il insista à nouveau sur la
nécessité pour la France, vu l’impossibilité de ramener la paix générale en Orient, de conclure
un accord local avec les Turcs en Cilicie. Et, après avoir constaté que les premières tentatives
d’arriver à cet accord s’étaient heurtées «à l’intransigeance de l’Assemblée d’Angora», mais
que depuis les conversations avaient pu être reprises avec la Turquie par l’intermédiaire de M.
Franklin-Bouillon, il ajouta : «Nous avons trouvé en Turquie des sympathies ardentes pour la
France, un vif désir et de réparer une faute, en grande partie du reste imposée à ce peuple, et
de reprendre les traditions anciennes. L’accord a été signé…». Lors de la discussion qui eut
lieu à la Chambre sur le budget de la Syrie, M. Moutet constata qu’un certain nombre de
mesures qui paraissent efficaces pour la protection des Arméniens et qui figuraient dans
l’accord du 9 mars 1921 avaient disparu dans celui du 20 octobre 1921, et il s’inquiéta tout
spécialement de savoir si l’organisation de la gendarmerie prévue par le premier accord
résultait encore du second. Aristide Briand lui répondit que le gouvernement de la République
avait été amené, dans l’intérêt de la cessation des hostilités, à faire des concessions sur ce
terrain. «L’Assemblée d’Angora… », dit le Président du Conseil, «…est jeune, ardente,
patriote, passionnée ; elle a un souci d’indépendance qu’à sa place vous auriez
naturellement. Elle n’a pas voulu laisser handicaper l’avenir par des organisations militaires
sur son territoire. Nous avons discuté longuement, comme il convenait, mais sur ce terrain
nous avons pensé que ce genre de précautions pouvait être remplacé par d’autres et qu’une
espèce de contrôle moral, qui n’est pas non plus dépourvu de moyens matériels, pouvait se
substituer à l’idée d’une organisation de gendarmerie...»19.
Au Sénat encore, le 29 décembre 1921, MM. Flandin et de Lamarzelle critiquèrent vivement
l’accord d’Angora comme n’assurant pas la protection des Chrétiens. Ernest Flandin rappela
le martyre des Arméniens pendant la guerre, ainsi que les services rendus à la cause des Alliés
par ceux d’entre eux qui s’étaient enrôlés sous les drapeaux français ou qui avaient combattu
dans les armées russes et qui, après la débâcle de celles-ci, avaient seuls continué la lutte
contre les Turcs. Il rappela au Président du Conseil ses propres promesses d’entourer
l’évacuation do la Cilicie de toutes les précautions indispensables pour la sûreté des
Arméniens ; et il constata l’absence, dans l’accord d’Angora, de toutes ces précautions,
remplacées par de simples promesses du gouvernement d’Angora de confirmer les droits des
minorités. Il déclara que, dans ces conditions, il comprenait que les populations de la Cilicie
se fussent «senties peu rassurées par cette vague phraséologie». À ces critiques de son
œuvre, Aristide Briand opposa la raison d’État. Comme il l’avait déjà fait lors de la discussion
de l’accord de Londres, le Président du Conseil français indiqua la nécessité de mettre une fin
19
Cf. André Mandelstam «La Société des Nations et les Puissances devant LE PROBLÈME ARMÉNIEN»,
Chapitre XII «L’accord franco-turc d’Angora du 20 octobre 1921 et l’exode des Arméniens de la Cilicie».
http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c12
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aux hostilités et l’impossibilité pour la France de rester en Cilicie, sans y maintenir une armée
de 100.000 hommes. Il ajouta que le triomphe définitif des Turcs sur les Grecs – déjà
anticipé ! - pourrait éventuellement imposer à la France les frais d’une expédition militaire de
200 à 300.000 hommes. D’autre part, l’accord d’Angora permettait à la France l’exercice
paisible de son mandat en Syrie et lui assurait un bénéfice moral dans le monde musulman
tout entier, lequel avait accueilli avec enthousiasme l’entente franco-turque.
De la belle phraséologie politicienne qui tente à dissimuler l’abandon par la France, des
privilèges que lui avait reconnus l’accord tripartite signé à Sèvres et un affaiblissement
considérable de la protection qui avait été précédemment accordée aux minorités.
Il n’est donc pas étonnant que, dès la signature de cet accord, une panique indescriptible
s’empara-t-elle des populations chrétiennes, qui redoutaient la vengeance des Turcs après que
le pays aurait été évacué par les troupes françaises. Le gouvernement français a dès lors
essayé de les rassurer. Le 8 novembre 1921, le général Gouraud lança une proclamation
expliquant aux populations que le gouvernement d’Angora leur avait garanti les mêmes droits
que ceux généralement concédés aux minorités dans les pays européens (!!!), et les
exhortaient à rester dans leurs foyers. Enfin, MM. Franklin-Bouillon et Laporte, consul de
France, de concert avec les autorités turques, organisèrent dans différentes parties de la Cilicie
des réunions avec les représentants de diverses populations chrétiennes pour les convaincre de
la suffisance des garanties obtenues et les inciter d’y rester.
Objectif raté. Toutes ces fausses assurances verbales de la part des auteurs de féroces
massacres dans un passé trop récent ne purent ramener la confiance dans leurs âmes et enrayer
la panique qui s’était emparée des populations chrétiennes de la Cilicie. L’exode continua de
plus belle et des torrents de Chrétiens affolés, principalement des Arméniens 20, affluèrent vers
les ports de la Cilicie et à la frontière syrienne. Ce fut encore en vain que Franklin-Bouillon,
Hamid Bey et Mouheddine Pacha lancèrent, le 28 novembre 1921, une proclamation
commune mettant la population de la Cilicie en garde contre «une campagne méthodique…
organisée par les ennemis de la paix pour jeter l’alarme dans les populations chrétiennes et
les forcer à quitter la Cilicie», et déclarèrent que les deux gouvernements s’étaient «engagés
d’honneur à faire respecter les garanties stipulées»…
Pendant des semaines, les bâtiments portant les émigrés arméniens errèrent — tels des navires
fantômes — dans la Méditerranée, trouvant porte close en Egypte, en Palestine, à Chypre
(alors sous domination britannique). Une partie de ces malheureux finit par être accueillie par
la Grèce. Mais le plus grand nombre des fugitifs ne trouva asile que sous le drapeau tricolore,
dans les territoires de la Syrie et du Liban mandatés par la France. Ceux qui ont cru aux
pseudo-assurances turques et sont restés sur place seront cruellement massacrés par les turcs
peu après l’évacuation des troupes françaises.
20
Selon des estimations, la population arménienne de la Cilicie à l’époque était de plus de 300.000 âmes, suite à
l’afflux des rescapés du génocide d’autres régions de l’Empire ottoman. L’importance de la population
arménienne était telle que pendant un moment les autorités françaises songèrent d’établir un Foyer national
arménien en Cilicie (appelée d’ailleurs «petite Arménie»).
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Du point de vue kémaliste, l’accord d’Angora est un important succès diplomatique car il
comporte des avantages immédiats pour la Turquie. Mais il marque également une rupture du
front allié contre les nationalistes turcs, car il implique une reconnaissance officielle par la
France du nouveau pouvoir d’Ankara. Les forces françaises se retirent définitivement de
Cilicie en janvier 1922, après la signature du traité d’Angora conclu avec Mustafa Kemal,
mais dès la fin 1920 les nationalistes turcs savent déjà qu'ils n'ont plus rien à craindre sur ce
front. Cela leur permettra de se concentrer désormais sur le front principal gréco-turc. La
tache leur sera facilitée par la fourniture d’armement gratuit et le soutien politique qu’ils
recevront des Français !
Quant au gouvernement italien, il donna pendant cette période à la Turquie d’Angora un
nouveau signe de ses bonnes dispositions, en évacuant Adalia (Antalya) au mois de juin
1921 21. Pire encore, il n’hésite pas de fournir des armements, des munitions, des informations
et une assistance militaire aux forces kémalistes opérant contre les Grecs en Anatolie.
3.7 L’accord commercial anglo-soviétique du 16 mars 1921 : un coup
de poignard dans le dos de l’Entente
Le 16 mars 1921, un jour avant l’assaut final contre Kronstadt 22, le gouvernement britannique
signa avec la RSFSR à Londres l’accord commercial anglo-soviétique. En ce faisant, les
Britanniques rompent aussi avec l’Entente et reconnaissait de fait le gouvernement
bolchevique en échange de la suspension de toute propagande contre les Anglais en
Afghanistan et en Inde 23.
Par une curieuse coïncidence, ce 16 mars 1921, c’est-à-dire le jour même où sir Robert Horne
et Leonid Krassine échangeaient leurs signatures à Londres, et quelques jours seulement après
la conclusion des accords séparés Briand-Békir Sami et Sforza-Békir Sami, Gueorgui
Tchitcherine et Youssef Kémal Bey apposaient leurs sceaux sur le fameux traité d’amitié
turco-soviétique russo-turc de Moscou (cf. infra).
21
Ville fondée en 150 av. J.-C. par Attale II, roi de Pergame, qui l'appela Attaleia (en grec Ἀττάλεια, actuelle
Antalya). Depuis Adalia, les Italiens collaboraient avec les forces nationalistes turques et leurs fournissaient des
informations concernant le mouvement des troupes grecques sur le front d’Anatolie…
22
La révolte de Kronstadt contre le pouvoir bolchevique s'est déroulée en Russie soviétique en mars 1921. Les
révoltés étaient notamment des marins révolutionnaires, qui avaient formé l'avant-garde de la révolution
bolchevique de 1917 et qui revendiquaient contre le parti bolchevik que les conseils ouvriers puissent déterminer
librement le déroulement de la révolution. La révolte fut écrasée par une intervention de l’armée rouge, sous les
ordres de Mikhaïl Toukhatchevski, décidée par Trotsky, qui fut suivie d’une répression sanglante des insurgés.
Ces événements et leur interprétation sont un objet de désaccord au sein des mouvements révolutionnaires. À
l'époque des faits, le débat a opposé les socialistes-révolutionnaires et les anarchistes aux bolcheviks. Les
premiers considéraient la révolte de Kronstadt comme légitime et émanant du peuple, pouvant déboucher sur une
démocratie directe, fédérale, réelle, et les derniers la présentaient comme «bourgeoise» et risquant de déboucher
sur une invasion des armées blanches. La révolte débuta le 2 mars 1921 et fut vaincue militairement deux
semaines plus tard.
23
Cet accord fut l'un des premiers accords que le nouveau pouvoir soviétique signa avec les principaux pays du
monde. Peu de temps après, le 6 mai 1921, fut signé l’accord de commerce germano-soviétique, accord dans
lequel Berlin a reconnu de facto la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) comme le seul
gouvernement légitime de l'Etat russe.
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3.8 Le traité d’amitié turco-soviétique du 16 mars 1921 : l’instrument
de vengeance de Lénine pour l’appui des Alliés aux Russes blancs
Si le rôle des Soviets dans l’avènement même du Kémalisme ne peut être encore déterminé
avec précision, aucun doute n’est toutefois possible en ce qui concerne l’importance de
l’appui que le mouvement nationaliste turc, une fois déchaîné, trouva auprès de la Russie
communiste 24.
Dès son triomphe en Russie, la République des Soviets avait inauguré une politique orientale
qui visait au soulèvement de tous les peuples orientaux contre l’«Impérialisme» des
puissances occidentales. Elle était tout particulièrement dirigée contre la domination de
l’Angleterre aux Indes. Se rendant bien compte que l’Orient, si arriéré au point de vue
économique, ne présentait pas un sol propice pour une propagande et une révolution purement
communiste, le gouvernement de Moscou se déclara un ardent partisan du droit de tous les
peuples de l’Orient à l’autodétermination.
Le 24 novembre 1917, le gouvernement des Soviets publia une proclamation «à tous les
travailleurs musulmans de la Russie et de l’Orient», qui garantit aux Musulmans russes
l’autonomie de leur vie nationale et culturelle et déclara abolis le traité anglo-russe sur les
zones d’influence en Perse, ainsi que les traités secrets de la Russie avec les puissances
occidentales sur la cession de Constantinople, le partage de la Turquie et l’annexion de
l’Arménie.
Le 31 octobre 1918, la Ligue pour La libération de l’Orient se constitua à Moscou. Cette
Ligue avait pour but d’unifier toutes les tendances particulières de l’Orient, réveillé pour une
nouvelle vie, afin de créer de cette manière un front unique de l’anti-Impérialisme dans l’Asie
même, berceau de l’Impérialisme. Sa tactique consistait à s’appuyer sur les prolétaires
exploités de l’Orient, qu’elle organiserait afin de détruire les régimes despotiques et de créer
une Internationale de l’Orient. Elle devait, en même temps, pour éviter l’éclosion d’un
Impérialisme asiatique, favoriser la fondation d’États-Unis de l’Asie sur la base de la
souveraineté des peuples. L’émancipation nationale devait être accompagnée de
l’émancipation sociale, qui paraissait possible malgré l’état économique arriéré de l’Orient.
Les événements prouvèrent que l’idée de l’émancipation des peuples, absolument contraire
aux tendances centralistes du Bolchévisme, ne fut pour les Soviets qu’un moyen de réaliser
leur propre «Impérialisme communiste». Mais, au commencement de leur règne, les Soviets
étaient bien forcés de se poser en émancipateurs des peuples musulmans de la Russie, aussi
bien pour s’assurer leur appui dans la lutte contre les Blancs que pour créer au Bolchévisme le
prestige nécessaire auprès des peuples asiatiques. Ils réussirent à atteindre ces deux buts.
24
Une preuve de cette importance est donnée par le monument Cumhuriyet Anıtı (ou Monument de la
République), placé sur la place Taksim, à Istanbul pour commémorer la création de la République turque en
1923. Il a été conçu par le sculpteur italien Pietro Canonica et construit en deux ans et demi par l'architecte
Giulio Mongeri en pierre et en bronze 84 tonnes ramenées de Rome. Mikhaïl Frounze, un important leader de la
Révolution d'Octobre, et Kliment Voroşilov, un maréchal de l'Union soviétique, sont parmi le groupe derrière
Mustafa Kemal Atatürk. Leur présence dans le monument, ordonnée par Mustafa Kemal Atatürk, est un éloge à
l'aide militaire accordée par Vladimir Lénine pendant la guerre gréco-turque en 1920-22.
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La politique libérale des Soviets envers les peuples musulmans de la Russie ne fut cependant
pas de longue durée. Après leurs victoires sur les armées blanches en 1920-1921, les
Bolcheviks établirent le régime soviétique dans tous les territoires musulmans de l’ancienne
Russie, en l’accompagnant d’exactions et de persécutions suivies de soulèvements et de
répressions sanglantes. Cette soviétisation forcée ne laissa aux peuples musulmans qu’une
certaine autonomie régionale et non pas nationale, sur laquelle le gouvernement des Soviets
établit un contrôle de plus en plus étroit.
Mais les contradictions de la politique orientale bolchévique éclatèrent surtout sur les confins
de l’ancien Empire russe voisinant avec le monde musulman extérieur, notamment dans le
Caucase. Dans l’Azerbaïdjan, les Bolcheviks se trouvèrent en face de la vision
pantouranienne qu’ils entendaient exploiter à leur profit, mais qui se tournait souvent contre
eux-mêmes. La République tatare de l’Azerbaïdjan, occupée par les Anglais après l’armistice
de Moudros, était devenue un État vassal de la Turquie, à laquelle la liait une convention
militaire secrète, conclue en 1919. Après la défaite de Denikine et le départ des Anglais, le
gouvernement azerbaïdjanais développa une politique nationaliste prononcée. Cependant les
Soviets, qui jouissaient des sympathies des ouvriers russes et arméniens des puits de pétrole,
avaient su en même temps, par une habile agitation, disposer en leur faveur une partie de la
population musulmane. Aussi réussirent-ils à s’emparer de Bakou le 27 avril 1920 presque
sans coup férir. Mais, comme toujours, leur victoire dans l’Azerbaïdjan fut suivie de
réquisitions, d’insurrections et de répressions impitoyables ; après quoi les Bolcheviks
recommencèrent leur jeu de coquetterie avec le nationalisme musulman.
Pendant l’été de 1920, Enver-Pacha fit un voyage de Berlin à Moscou et y posa les jalons
d’une alliance turco-russe. Durant ce même été, Mustafa Kemal et Tchitcherine échangèrent,
des Notes au sujet de «la lutte commune contre l’Impérialisme étranger qui menace les deux
pays». Début septembre 1920, le Congrès des peuples orientaux eut lieu à Bakou, où sur 1891
délégués, on compta 235 délégués turcs. Ce Congrès ne s’occupa guère du sort des peuples
musulmans de la Russie, mais il accueillit avec enthousiasme l’appel que lança Zinoviev sur
la nécessité de déclarer la guerre sainte à l’Impérialisme. Zinoviev n’épargna pas toutefois
dans ses critiques le gouvernement d’Angora, auquel il reprocha le maintien du Sultanat. Dans
sa résolution, le Congrès déclara que la direction de la lutte pour la liberté des peuples
orientaux passait entre les mains du prolétariat communiste. Et un «Conseil de la
propagande et de l’action des peuples d’Orient» fut créé avec siège à Bakou.
Comme on le voit, le Bolchévisme n’a nullement caché que l’idée de l’auto-disposition des
peuples d’Orient était pour lui un moyen, et non pas un but. Un communiste d’importance
comme Boukharine l’a déclaré expressément au 8ème Congrès du parti communiste russe. Et
l’idéologue principal de la politique bolchéviste d’Orient, Michel Pavlovitch, dans une
célèbre brochure intitulé «Les questions de la politique nationaliste et coloniale de la IIIème
Internationale», parue en 1920, expliqua clairement que la libération des peuples d’Orient,
pour être réelle, devait être accompagnée de la chute des classes capitalistes indigènes, car
autrement tous les États libérés commenceraient, sans nul doute, les uns avec les autres, des
guerres nationalistes sans merci. Quant aux Turcs, Pavlovitch s’est parfaitement rendu compte
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que la Turquie d’Enver-Pacha avait été impérialiste et que celle de Kemal ne saurait être non
plus pour les Soviets un fidèle et sûr allié. D’où son affirmation que «l’alliance avec la
Turquie de Kemal, ne peut avoir qu’un caractère temporaire».
Il est évident qu’en présence de ces déclarations, le gouvernement d’Angora ne pouvait se
faire la moindre illusion sur les buts finals de la politique des Soviets. Il savait parfaitement
que, le cas échéant, il serait «soviétisé», aussi bien que l’Azerbaïdjan. Et, de son côté, il ne
renonçait aucunement à l’idéal pantouranien. Mais en attendant, il trouvait son profit dans la
réalisation du but plus immédiat de la politique de Moscou, à savoir la destruction en Asie du
pouvoir des Alliés et surtout de l’Angleterre. C’est pourquoi Mustafa Kemal ne pouvait
refuser l’alliance des Soviets, qui fut scellée par le traité d’amitié turco-soviétique du
16.03.1921 25. Il en retira d’ailleurs d’appréciables profits. L’Arménie indépendante, comme
nous l’avons indiqué plus haut, fut écrasée par une attaque combinée des Bolcheviks, des
Turcs et des Tatares, et, tout en tombant sous le régime soviétique, elle dut céder à la Turquie,
par le traité d’Alexandropol (02.12.1920), les deux tiers de son territoire. Ainsi, l’entente, qui
s’établit pendant la période de 1919-192 entre les pouvoirs kémaliste et bolchévique, avait été
avant tout une collusion. Tout en trouvant leur profit à agiter devant les Alliés le spectre d’une
alliance formidable qui pourrait jeter finalement tous les peuples d’Asie sur l’Europe,
Bolcheviks aussi bien que Kémalistes s’observaient craintifs, chacun étant prêt à profiter du
premier signe de faiblesse de l’autre.
C’est le jeu continuel des forces soviétique et kémaliste, qui tantôt se rapprochaient et tantôt
s’éloignaient l’une de l’autre, qui a le plus faussé la politique des gouvernements occidentaux
vis-à-vis de la Turquie et de la Russie soviétique pendant cette période. Car ces
gouvernements ont eu la vision fallacieuse que la Turquie musulmane ne pouvait être un allié
des Soviets, que la rupture entre bolchévisme et kémalisme était imminente et ils ont tenté des
efforts maladroits pour la hâter.
Ainsi, l’Angleterre s’est lourdement trompée en pensant qu’en nouant des relations
commerciales avec les Soviets on les amènerait à renoncer à leur propagande révolutionnaire
dans le monde musulman de l’Asie. Les rappels du gouvernement britannique au
gouvernement soviétique sur la «propagande», après la signature de l’accord anglo-soviétique
du 21.03.1921, sont innombrables. La «propagande» est à l’origine des plus grandes crises
dans les relations entre les deux pays : la crise de 1921, l’ultimatum de Curzon de 1923, la
crise de la «lettre de Zinoviev» 26 et finalement la rupture (1927). Et non moins grave fut
25
Ce traité fut précédé par la conclusion, à Moscou même, de deux traités significatifs avec l’Afghanistan. En
effet, à la date du 28 février 1921, la Russie rouge signait un traité avec ce pays assurant à l’Afghanistan l’aide
russe, financière et autre, stipulant la création de consulats et affirmant le principe de la liberté des nations de
l’Orient. Un traité entre la Turquie et l’Afghanistan fut encore signé, également à Moscou, le 1er mars suivant.
Ce traité proclama, lui aussi, le principe de l’indépendance de tous les peuples de l’Orient et stipula une
assistance mutuelle contre la politique d’invasion et d’exploitation des puissances impérialistes ; plus nettement
que dans le traité avec la Russie, l’Afghanistan recevait la promesse de l’aide militaire de la Turquie et de
l’envoi d’instructeurs turcs ; enfin, par un article significatif, l’Afghanistan reconnaissait la Turquie comme
«guide de l’Islam».
26
La «lettre de Zinoviev» est une lettre, prétendument écrite par Grigori Zinoviev, alors encore membre du
Politburo et chef du Comintern, qui appelle à la mutinerie des forces armées britanniques et encourage les
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l’erreur de la France qui traita avec le Kémalisme dans l’espoir de le détacher de l’alliance
avec le Bolchévisme par quelques concessions territoriales en Cilicie, alors que celui-ci devait
trouver conforme à ses visées révolutionnaires de soutenir massivement tant financièrement
que militairement les Turcs dans leurs efforts de déloger les Alliés de tous les anciens
territoires de l’Empire ottoman.
Malheureusement, les Alliés durent bientôt se rendre compte que Turcs et Bolcheviks étaient
également incapables de mesurer à leur juste valeur les démarches pacifiques qu’ils
entreprenaient à leur égard et qu’ils ne considéraient les accords de Londres que comme des
succès dus à la faiblesse des Alliés, ainsi qu’à la crainte salutaire inspirée par leur union. Et,
très naturellement, un pareil état d’âme devait amener Angora et Moscou à resserrer
davantage leurs liens, dans l’espoir d’arracher aux Alliés de nouvelles concessions. C’est
exactement ce qui s’est passé avec le Traité franco-turc du 20.10.1921.
La politique des Alliés ne put, à temps utile, se rendre compte ni du degré de la haine
commune de l’Occident qui alimentait l’étrange alliance de Moscou et d’Angora, ni de la
nécessité de combattre simultanément les deux co-associés afin de les maîtriser, au lieu de les
ménager successivement. C’est aussi que cette politique occidentale erronée ne sut discerner
le rôle qu’aurait pu jouer - dans l’intérêt de la sécurité en Europe et de la paix mondiale - un
fort État arménien tampon entre le Bolchévisme et le Kémalisme dans le Caucase, et un fort
État grec aux frontières de l’Europe avec l’Asie.
Par contre, cette absurde politique occidentale a contribué à la turquification complète de
l’Asie-mineure, à l’extermination de 3,5 millions de Grecs, de 1,5 million d’Arméniens et de
500.000 Assyro-Chaldéens qui y vivaient depuis des siècles avant l’arrivée des Turcs, en
définitif à la sauvegarde de l’Empire ottoman sous la désignation trompe-l'oeil d’une
«Turquie laïque moderne», maintenant toujours un pied sur l’Europe (Thrace orientale Constantinople, qu’eux-mêmes ont refusé aux Grecs) !!!
Ainsi, une grande occasion fut perdue de stabiliser le Moyen-Orient au profit de
l’Occident, dont les répercussions néfastes se révèlent aujourd’hui. Les combattants
alliés de l’expédition de Gallipoli et du Front d’Orient sont morts pour rien…
Dr. Angel ANGELIDIS
Ex-Conseiller au Parlement Européen
Bruxelles, juillet 2015
travailleurs à la révolution socialiste. Publiée à la fois par le gouvernement et par le Daily Mail le 25 octobre
1924, cette lettre, aujourd’hui reconnue comme un faux, déchaîne les passions à l’automne 1924.
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Image N° 16 : Le croiseur cuirassé «Georgios Averoff»
Le croiseur cuirassé «Georgios Averoff», navire amiral de la marine royale grecque, avec le roi Alexandre Ier à
son bord, devant la Sainte Sophie de Constantinople, en automne de 1918 (Peinture de A. Prosalentis).
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