FONCTIONS RÉELLES ET DIMENSION DE KRULL Inta Bertuccioni Une question qu’on se pose quand on apprend la définition de dimension de Krull est celle de déterminer la dimension de l’anneau des fonctions continues sur un espace topologique. La réponse se trouve, par exemple, dans l’excellent ouvrage de Gillman et Jerison [GJ], mais elle y est un peu cachée. Il vaut peut-être la peine de l’expliciter, en démontrant, de façon simple et directe, le théorème ci-dessous. Soit C(X) la R-algèbre des fonctions réelles continues sur un espace compact de Hausdorff X. Pour tout x ∈ X soit mx = {f ∈ C(X) | f (x) = 0} l’idéal maximal des fonctions qui s’anullent en x. Soit Cx le localisé de C(X) en mx . Il est facile de voir, en utilisant la régularité de X, que Cx est la R-algèbre des germes de fonctions continues en x. Théorème. S’il existe un p ∈ X pour lequel Cp 6= R, alors la dimension de Krull de X est infinie. Remarque. Il se peut que Cx soit égal à R même si x n’est pas un point isolé. Preuve. Un théorème bien connu dit qu’en associant à chaque point x de X l’idéal maximal mx on obtient un bijection entre X et l’ensemble des idéaux maximaux de C(X). On en déduit le Lemme 1. Tout idéal premier P de C(X) est contenu dans un unique idéal maximal. Preuve. En effet, soient mx et my deux idéaux maximaux distincts. Choisissons deux ouverts disjoints U 3 x et V 3 y. Puisque {x} et X \ V sont des fermés disjoints, il existe une fonction f non nulle en x mais identiquement nulle sur X \ U . De même, il existe une fonction g non nulle en y mais identiquement nulle sur X \ V . On aura f g = 0 ∈ P , et comme P est premier, f ∈ P ou g ∈ P , mais ni f ni g n’est contenu dans mx ∩ my . Donc P ne peut pas être contenu dans mx ∩ my . Soit P un premier de C(X), et soit mx l’unique idéal maximal qui le contient. Son localisé P = Pmx est un premier de C(X)mx = Cx . Le quotient C(X)/P est local et coı̈ncide donc avec son localisé Cx /P. L’anneau C(X) est, de façon évidente, partiellement ordonné: f ≤ g si et seulement si f (x) ≤ g(x) pour tout x ∈ X. De façon générale, si A est un anneau commutatif partiellement ordonné et I un idéal de A, pour que l’ordre sur A induise un ordre partiel sur A/I il faut et il suffit que I soit convexe: si b ∈ I et 0 ≤ a ≤ b, alors a ∈ I. Démontrons que les premiers de C(X) sont convexes. Typeset by AMS-TEX 2 INTA BERTUCCIONI Lemme 2. Soient f et g des fonctions continues sur X. Si, |f (x)| ≤ |g(x)| pour tout x ∈ X, alors f 2 est un multiple de g. Preuve. On voit sans peine que la fonction réelle h définie par h(x) = f (x)2 /g(x) si f (x) 6= 0 et h(x) = 0 si g(x) = 0 est continue. On a donc f 2 = gh. Corollaire 3. Tout idéal premier P de C(X) est convexe. Preuve. . Si g ∈ P et 0 ≤ f ≤ g on a f 2 ∈ P et donc f ∈ P . Dans C(X) on a évidemment |f | ≥ 0 et −|f | ≤ 0. De f 2 − |f |2 = 0 ∈ P on déduit qu’on a toujours f ≡ |f | ≥ 0 (mod P ) ou f ≡ −|f | ≤ 0 (mod P ) et donc le quotient C(X)/P est non seulement ordonné, mais totalement ordonné. Notons A le quotient de C(X) par P . Puisque tout premier de C(X) est convexe, il en est de même des premiers de A. Or, si p ∈ Spec(A) et a ∈ p, on a −a ∈ p et, grâce à la convexité, on voit que p contient tout l’intervalle [−a, a]. Ceci entraı̂ne que p est une réunion d’intervalles et que, si p et q sont deux premiers, l’existence d’un a ∈ q \ p implique p ⊂ q. Autrement dit: Proposition 4. L’ensemble des idéaux premiers de A est totalement ordonné par inclusion. Soit maintenant p ∈ X tel que Cp 6= R, ce qui revient à dire que mp Cp 6= (0). Lemme 5. L’idéal maximal mp Cp contient un idéal premier 6= mp Cp . Preuve. Si mp Cp ne contenait aucun autre premier, l’idéal mp Cp serait un nilidéal, donc nul. Corollaire 6. L’idéal maximal mp contient proprement un premier P . Pour achever la démonstration du théorème, il suffit de voir que la dimension de A = C(X)/P = Cp /P est infinie. Notons m l’idéal maximal de A. Puisque P est un premier différent de mp mais autrement arbitraire, il suffit de montrer l’existence d’un premier q 6= (0) de A, strictement plus petit que m. Soit a un élément positif quelconque de m, représenté par un f ∈ C(X), qu’on peut supposer ≥ 0. Soit q le radical nilpotent de (a). La proposition 4 entraı̂ne que q est un premier, évidemment non nul. Soit g la fonction définie par g(x) = | log(f (X))|−1 si f (x) 6= 0 et g(x) = 0 si f (x) = 0. Pour tout entier naturel k il existe un voisinage U de p tel que g(x)k ≥ f (x) pour k tout x ∈ U . Pour les germes f et g de f et g on a donc g k ≥ f pour tout k. La classe b de g dans A appartient à m. Il suffit maintenant de voir que b ∈ / q. Si b était dans q, il existerait un entier naturel n tel que bn = ac pour un c ∈ A. On aurait alors bn+1 ≤ abc et comme bc ≤ 1 (tout c ∈ A est borné par un réel), on en déduirait bk ≤ a pour tout entier k assez grand. D’autre part, d’après la définition de g, on a aussi bk ≥ a, d’où bk = a pour tout k assez grand. On aurait alors bk+1 − bk = 0, ce qui est impossible car b n’est ni nul ni inversible. References [GJ] L. Gillman and M. Jerison, Rings of Continuous Functions, Van Nostrand, 1960.