travaux dirigés : la construction sociale de la réalité

TRAVAUX DIRIGÉS : LA CONSTRUCTION SOCIALE DE LA RÉALITÉ
Documents d'après Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, La Construction sociale de la réalité, Méridiens
Klincksieck, 1986, Chapitre 2 « La société comme réalité objective ».
Questionnement préliminaire
1. Faut-il plutôt dire que l'amérindien influe sur son tipi, ou que le tipi a des conséquences sur l'amérindien ?
2. Faut-il dire que la science a des effets sur l'homme, ou que l'homme a des effets sur la science ?
3. Faut-il penser que l'homme crée la société, ou que la société impose à l'homme ses comportements ?
(développez).
--> Dans la tradition durkheimienne, la sociologie est à tendance déterministe : elle explique les
comportements individuels par les normes sociales. Par exemple, Émile Durkheim a montré que le suicide peut
s'expliquer par la société dans laquelle on vit : ce n'est donc, pour lui, pas fondamentalement un acte individuel,
mais un acte social, déterminée. Une telle sociologie, qui explique l'action de l'individu par les normes sociales
est dite sociologie holiste.
---> Dans une autre tradition sociologique, la sociologie cherche davantage à expliquer les comportements
sociaux à partir des décisions individuelles. Par exemple, Raymond Boudon explique que les inégalités de
réussite scolaire des individus de catégories sociales différentes proviennent de décisions individuelles. Ainsi,
les individus font un calcul coût/avantage de la poursuite d'études : cela coûte du temps et de l'argent, mais
permet d'obtenir un diplôme. Or, pour les enfants de catégories populaires, le coût des études est supérieur, et
l'avantage est moindre (disons qu'ils s'arrêtent plus tôt, dès qu'ils obtiennent un diplôme supérieur à celui des
parents). Ce type de sociologie est qualifiée d'individualisme méthodologique.
---> Nous allons ici nous demander s'il n'existe pas une voie intermédiaire entre ces deux sociologies.
Partie 1 : l'activité humaine est sujette à l'accoutumance
Toute activité humaine est sujette à l'accoutumancea. Toute action répétée fréquemment se fond dans un
modèle, qui peut ainsi être répété avec peu d'effort. L'accoutumance implique que l'action en question peut être
reproduite dans le futur de la même manière et en faisant peu d'efforts.
Même l'individu solitaire sur son île déserte inscrit ses activités dans l'habitude. Quand il s'éveille le matin et
se met à essayer de construire une pirogue avec des allumettes, il se peut qu'il marmonne à lui-même : « et ça
recommence », alors qu'il aborde la première étape d'une méthode de travail qui en contient dix. Même l'individu
solitaire a droit au moins à la compagnie de ses habitudes de travail.
L'accoutumance implique l'importante acquisition psychologique du rétrécissement des choix. Alors qu'en
théorie il peut y avoir des centaines de façons de construire une pirogue en allumettes, en pratique
l'accoutumance réduit cette multitude à une unique possibilité.
a. Accoutumance habitude
4. Donnez un exemple d'activité humaine sujette à l'accoutumance.
--> Exemple du travail à la chaîne : accoutumance physique qui augmente le rythme.
--> Exemple de tout apprentissage : lorsqu'un fait une erreur, on sait la fois d'après qu'il faut l'éviter. À terme, on
parvient à réaliser la tâche sans se tromper.
5. Expliquez la phrase soulignée.
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Partie 2 : les individus créent des typifications réciproques
On parle d'institutionnalisation chaque fois que des classes d'acteurs effectuent une typification réciproqueb
d'actions habituelles. En d'autres termes, chacune de ces typifications est une institution. L'institution établit que
les actions de type X seront exécutées par les acteurs de type X. Par exemple, l'institution de la loi pose que les
têtes seront tranchées et dans des circonstances spécifiques, et que des types spécifiques d'individus
exécuteront la sentence (des bourreaux, ou des membres d'une caste impure, ou des vierges en-dessous d'un
certain âge, ou ceux qui ont été désignés par un oracle).
Imaginons que deux personnes provenant de mondes sociaux entièrement différents se mettent à interagir.
Ces individus proviennent de deux sociétés différentes et n'ont aucune idée des façons de vivre de l'autre
société. Il est possible d'imaginer un Vendredi rejoignant notre constructeur de pirogues en allumettes sur son
île déserte. Appelons simplement nos deux personnes A et B.
Comme A et B interagissent, des typifications seront produites très rapidement. A observe B en train d'agir. Il
attribue des motivations aux actions de B et, voyant que les actions se répètent, typifie les motivations comme
récurrentes. Comme B continue à agir, A est vite capable de se dire : « ah, il recommence ».
Au cours de leur interaction, ces typifications seront exprimées par des modèles spécifiques de conduite.
C'est-à-dire que A et B commenceront à jouer des rôles l'un par rapport à l'autre. Ce phénomène se produira
même si chacun continue à exécuter des actions différentes de celles de l'autre. A intériorise les rôles joués par
B et se base dessus pour se créer son propre « jeu de rôles », son propre modèle de comportement. Par
exemple, le rôle de B dans la préparation de la cuisine devient tout d'abord pour A un modèle du comportement
de B, puis il s'intègre comme un des éléments du rôle pris par A dans la préparation de la cuisine : A ne fait
telles actions que parce qu'il sait que B en fait d'autres (et inversement). Une série d'actions typifiées
réciproquementc émergera donc, actions qui seront rendues habituelles sous la forme de rôles.
Le gain le plus important que les deux individus retirent de ce développement consiste en la capacité pour
chacun de prédire les actions de l'autre. Parallèlement, leur action commune devient prévisible. Le « et il
recommence » devient un « et nous recommençons ». Ainsi, les deux acteurs sont-ils délivrés d'une très forte
tension. Ils épargnent du temps et de l'effort, non seulement dans des tâches externes quelconques qu'ils
accomplissement séparément ou ensemble, mais aussi en termes psychologiques.
Leur vie commune est maintenant définie au travers d'une sphère élargie d'activités routinières que les
individus peuvent anticiper. Ce qui se passe appartient en grande partie à la trivialité de la vie quotidienne qu'ils
partageront tous les deux. Cela signifie qu'ils construisent un décor, qui servira à stabiliser à la fois leurs actions
séparées et leur interaction. La construction de ce décor fait de routine rend possible à son tour une division du
travail entre chacun des deux acteurs, ouvrant la voie aux innovations, qui exigent un plus haut niveau
d'attention. En d'autres termes, le processus de construction d'un monde social se met en marche.
b. Pour Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, la « typification » est le fait de se créer un modèle de
comportement. Par « typification réciproque », ils veulent ainsi dire que chaque individu a un modèle mental du
comportement de son voisin.
c. C'est-à-dire donc des modèles de comportement réciproques (A sait que B remplit tel rôle, B sait que A
remplit tel autre rôle).
6. Cherchez dans votre vie un exemple de situation dans laquelle vous « typifiez » l'action d'un autre individu.
--> Exemple : un nouveau prof en début d'année. Dès qu'on ouvre la bouche pour discuter avec son voisin, le
prof nous donne une punition. Je sais en conséquence qu'à l'avenir, avec ce prof, si je ne veux pas de punition
je ne dois pas parler.
7. À partir de la phrase soulignée, vous expliquerez comment une typification engendre la création de rôles
sociaux.
8. Pourquoi cette création de rôles sociaux permet-elle un gain de temps et un gain d'efforts psychologiques ?
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--> Gain de temps, car je sais tout de suite que faire pour que l'autre agisse comme je le souhaite ; ou que ne
pas faire pour que l'autre n'accomplisse pas une action que je ne souhaite pas.
--> Gain psychologique, car je ne suis plus dans l'inconnu de la relation : je n'ai pas à angoisser de la réaction
de mon partenaire. Je sais que quand je dis « bonjour, ça va ? », il va me répondre « bonjour, oui, et toi ? », et
qu'il ne va pas me faire un exposé de 10 minutes sur son état de santé ; ou lorsqu'un individu agit comme cela,
je sais par avance que je ne dois pas lui demander comment il va.
9. Dans l'exemple des têtes tranchées, identifiez les différents statuts en présence, et les rôles qui s'y attachent.
Partie 3 : la construction du monde social
La question qui se pose alors est la suivante : quelles seront les actions faisant l'objet d'une telle typification
réciproque ? La réponse globale à cette question peut se formuler ainsi : les actions qui sont pertinentes à la fois
aux yeux de A et de B dans le cadre de leur situation commune. Le travail, la sexualité et la territorialité sont des
points centraux probables de la typification.
Poussons notre raisonnement plus loin, et imaginons que A et B ont des enfants. À ce niveau, la situation
change qualitativement. L'apparition d'une troisième partie change le caractère de l'interaction sociale entre A et
B. Le monde institutionnel créé dans la situation qui mettait en présence, à l'origine, A et B, est maintenant
transmis à d'autres. Les typifications créées dans la vie commune de A et B deviennent maintenant des
institutions historiques. Elles acquièrent alors en effet une autre qualité cruciale : les institutions sont vécues
comme étant au-dessus et en-dessous des individus qui ne font que les incarner. En d'autres termes, les
institutions sont maintenant vécues en tant que détentrices d'une réalité propre, une réalité à laquelle l'individu
doit faire face comme un fait extérieur et coercitif.
Lors de la transmission à la génération suivante, l'objectivité du monde institutionnel « s'épaissit » et « se
durcit », non seulement pour les enfants, mais aussi, par un effet de miroir, pour les parents. Le « on
recommence » devient maintenant « voici comment ces choses sont faites ».
C'est seulement à partir de ce point qu'il devient possible de parler d'un monde social, dans le sens d'une
réalité compréhensive et donnée à laquelle l'individu réagit d'une manière analogue à la réalité du monde
naturel. L'homme intégré dans une collectivité et son monde social interagissent entre eux. Le produit agit en
retour sur le producteur. Il existe trois moments dans la création de la réalité sociale : (1) la société est une
production humaine ; (2) la société est une réalité objective ; (3) l'homme est une production sociale.
10.Pourquoi les typifications deviennent-elles des « institutions historiques » lorsqu'un troisième individu
intervient ?
--> Parce qu'elles se désincarnent : ce n'est plus A qui construit des pirogues, mais « le père ». Et A ne fait
qu'incarner l'institution du père, c'est-à-dire le statut de père. Lorsque les fils de A auront des enfants, ils
reproduiront ses comportements, car ils incarneront alors ce statut, qui s'est donc détaché de la personne A.
11.Expliquez la phrase soulignée.
12.En suivant l'optique de Berger et Luckmann, comment peut-on expliquer l'inégalité entre hommes et
femmes : est-elle due à l'action des individus, est-elle imposée par la société ?
--> Elle est en partie due aux actions des individus, en partie imposée à travers la socialisation. On peut ainsi
penser que les multiples interactions entre hommes et femmes ont créé au fil des siècles les institutions que
sont aujourd'hui « le mari » et « l'épouse ». Ces institutions sont transmises aux individus à travers la
socialisation, mais ces institutions ne sont pas fixes, elles évoluent en fonction des typifications des individus.
Par exemple : un homme se retrouve par hasard marié à une féministe, qui refuse de lui amener sa bière
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lorsqu'il regarde son match de foot. Après une période d'étonnement et de vaines disputes, il aura intériorisé que
son épouse n'apporte pas la bière. Ainsi, le statut « d'épouse » qui sera transmis aux enfants de ces personnes
sera différent du statut qui avait été transmis au père : le rôle de serveuse de bière en sera soustrait.
13.Comment situer ces auteurs, qualifiés « d'interactionnistes », dans l'opposition entre holisme et
individualisme méthodologique ?
14.Expliquez cette citation de Philippe Corcuff : « dire qu’une maison est ‘construite’ signifie simplement qu’elle
est le résultat d’un travail humain et qu’elle n’a pas été là de toute éternité, et non qu’elle n’existe pas. »
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