nombreux sur les chantiers de
construction, dans les usines de mon-
tage automobile ou électrique, à côté
des premières vagues de travailleurs
maghrébins. Brutalement, il y a vingt
ans, au moment où se retournait la
conjoncture démographique et écono-
mique de l’Europe du Sud, qui au sur-
plus entrait de plain-pied dans l’Union
européenne (à l’exception de l’Italie,
qui en était membre fondateur),
l’effondrement du mur de Berlin
ouvrait une nouvelle page des migra-
tions intra-européennes, cette fois-ci
Est-Ouest, au sens géopolitique,
même si géographiquement elles
étaient plutôt Nord-Sud, de l’Europe
centrale et balkanique, vers les rivages
ensoleillés, touristiques et d’agricul-
ture spéculative de l’Europe méditer-
ranéenne. La leçon de cette descrip-
tion sommaire est nette : la
géographie construit les fondements
matériels et spatiaux des migrations,
mais l’histoire, la politique et la
culture, les animent et les modèlent.
Renversement de plus
en plus rapide des phases
migratoires
La succession des phases migratoires
dans le monde méditerranéen, au
cours du siècle et demi écoulé, en est
un témoignage supplémentaire. Ori-
gines, destinations, motivations et
devenirs des mouvements migratoires
dépendent des grands cycles de l’his-
toire générale, mais aussi des transfor-
mations des types de vie et des boule-
versements des techniques,
notamment à travers la rapidité et le
coût des modes de transport. Au
XIXesiècle, nombre de pays méditerra-
néens, essentiellement de la rive Nord,
sont animés par les migrations de peu-
plement transocéanique vers les
« nouveaux mondes » que constituent
alors l’Amérique du Nord (États-Unis,
Canada), plus encore que l’Amérique
du Sud (Argentine) et l’Australie. De
Grèce, d’Italie, de l’empire ottoman,
qui couvre alors le Moyen-Orient, par-
tent des bateaux entiers de migrants
vers les terres promises et les nou-
veaux eldorados. Ruées sélectives, qui
prennent les plus jeunes et les plus
aventureux, sans retour aussi, sauf au
soir de la vie, où quelques « Améri-
cains » viennent agrémenter les places
des villages poussiéreux de Calabre ou
de Crète de leurs souvenirs enjolivés.
La grande crise des années trente, puis
la Seconde Guerre mondiale, vont
rompre ces courants lointains.
Dès les années soixante, la surchauffe
de l’Europe de l’Ouest (les Trente Glo-
rieuses en France), la misère persis-
tante dans l’Europe du Sud font naître
de nouvelles mobilités. Elles sont tout
autant sélectives, des jeunes, hommes
en majorité, avec souvent un début de
formation professionnelle. Mais elles
sont beaucoup moins lointaines, res-
tent à l’intérieur du continent euro-
péen et surtout s’estiment, vues des
pays de départ comme des pays
d’accueil, temporaires, avec des
retours programmés, d’autant plus
faciles que les moyens de transport
(train, automobile, avion) s’amélio-
rent et que leur coût s’abaisse. L’avenir
montrera assez vite l’illusion du
projet. Regroupements familiaux,
crainte d’une fermeture définitive des
frontières au moment de la première
crise pétrolière de 1973, mais surtout
début d’insertion dans les régions
urbaines de travail, assortie d’incom-
préhension grandissante pour le pays
d’origine, surtout quand les enfants
s’ajoutent à la génération des parents,
expliquent le passage progressif du
déplacement de main-d’œuvre au peu-
plement définitif, avec tous les pro-
blèmes liés (intégration, exclusion,
communautarisme). Il montre
l’imprévisibilité relative de l’histoire
migratoire.
Mais bientôt, un autre épisode boule-
verse la donne. L’exemple de la Grèce
en est assez illustratif. En quelques
années, de pays traditionnel d’émigra-
tion, transocéanique, puis vers l’Alle-
magne, l’espace grec devient pour tous
ses voisins balkaniques, voire des pays
beaucoup plus lointains, une terre
d’accueil et d’opulence. Natalité décli-
nante, essor touristique impression-
nant notamment en mer Égée, besoins
de la marine marchande dopée par la
mondialisation, grands travaux (métro
et nouvel aéroport international à
Athènes, autoroutes, pont gigantesque
sur le golfe de Corinthe) accélérés par
les jeux Olympiques de 2004, coïnci-
dent opportunément avec l’ouverture
des frontières de l’Europe de l’Est
(Albanie, Bulgarie, Roumanie,
Ukraine, Russie) et des attractivités
plus inattendues (Pakistan, Philip-
pines). Devant ces mutations, « la
Grèce des Grecs chrétiens », chère aux
colonels de la dictature de 1967 à 1974,
s’efface rapidement devant les
contraintes d’une nation, qui devient
multiculturelle par nécessité. Entre
développement et pureté ethnique,
bon gré, mal gré, la Grèce a choisi.
L’arrivée plus récente encore, notam-
ment en Espagne, de nombreux res-
sortissants de l’Afrique noire subsaha-
rienne, montre la permanence, mais
aussi l’accélération, et l’instabilité des
logiques migratoires. Là encore plus
que la pauvreté ou l’insécurité dans les
pays d’origine, c’est le boom écono-
mique du pays d’accueil qui est le
moteur de la mobilité : spéculation
touristique, spéculation immobilière,
spéculation agricole, souvent dans les
mêmes zones littorales. Au-delà de
l’émotion légitime suscitée par les
conditions de voyage et d’arrivée des
migrants, de l’indignation non moins
légitime devant leurs conditions de vie
et de rémunération, et des tergiversa-
tions bien pensantes des autorités
européennes devant les séjours clan-
destins et les passeurs à la criminalité
peu scrupuleuse, c’est bien le retour-
nement économique (mévente immo-
bilière, crise de l’emploi qui fait sou-
vent recourir à la préférence nationale
dans les zones de cueillette des fruits
et légumes) qui pose la question de la
légitimité de la migration. Plus qu’à la
morale et au droit, elle obéit finale-
ment aux logiques et aux irrationalités
de l’économie.
Les ambiguïtés
du développement
Ces leçons de l’histoire ne méritent-
elles pas d’être méditées ? L’infras-
tructure des sociétés, que constituent
les tendances lourdes de la démogra-
phie, fournit toujours une première
clef. Le temps ne paraît plus favorable,
malgré les apparences, aux grands
mouvements de population qui mode-
laient les visages du peuplement de la
planète : formation des implantations
humaines massives sur le continent
américain au XIXesiècle ou désertifica-
tion rapide de l’Irlande sous l’effet de
l’émigration vers les États-Unis.
L’explosion démographique dans les
pays du Sud pendant la seconde moitié
du XXesiècle a fait des déplacements
de population un correctif de la crois-
sance, une érosion assez superficielle
de l’évolution structurale du peuple-
ment terrestre. Que pèsent les
200 millions évalués de personnes
déplacées de par le monde face aux
4 milliards supplémentaires
d’humains que la planète a comptés en
ACCUEILLIR No252 •décembre 2009 •27
09-12-18126049-PAO
L : 219.996
- Folio : q29
- H : 306.998 - Couleur : INSERT 112Black
- Type : qUNIPHOTOS 13:30:23