Catherine Wihtol de Wenden Les facteurs structurels des migrations et leur ancrage urbain On compte aujourd’hui 232 millions de migrants internationaux dans le monde et 740 millions de migrants internes. Le sud attire de plus en plus et, d’ici quelques années, il y aura autant de migrants se dirigeant vers le sud (sud-sud et nord-sud, soit quelques 110 millions aujourd’hui) que de migrants allant vers le nord (nord-nord et sud-nord, soit 120 à 130 millions aujourd’hui). Au nord comme au sud, les migrants façonnent les villes : cosmopolitisme dans un contexte d’urbanisation galopante de la planète et villes mondes (mais pas toujours villes globales, au sens où l’entend Saskia Sassen car ce ne sont pas toujours des centres de décision mondiaux). De nouveaux espaces urbains voient le jour, sans cesse réinventés, comme les banlieues urbaines, les centre villes, mais aussi les friches urbaines ghettoïsées, les lieux d’habitation improvisés au sud par les catastrophes environnementales, les camps qui deviennent des villes dans le cas des migrations forcées ou les bidonvilles. Plutôt que d’analyser ces nouvelles formes de villes, on se penchera sur les causes structurelles qui sont à l’origine des nouvelles configurations migratoires dans les pays de départ et de transit : exode rural, attraction des modes de vie occidentaux grâce à la circulation de l’information, transferts de fonds (400 milliards de dollars envoyés en 2012), individualisation des modes de vie et désir de réaliser son projet d’existence, fixation des prix agricoles et des matières premières à l’échelle mondiale qui font préférer la ville car la vie rurale permet difficilement d’accéder à la monétarisation de l’économie, progrès de l’éducation, refus du fatalisme consistant à rester là où l’on est né, crises politiques. Cette migration liée à des causes structurelles est à la fois à l’origine d’une migration interne, d’une migration de transit pour ceux qui accèdent difficilement aux réseaux internationaux de passage, mais aussi d’une économie de la frontière régie par les passeurs et d’une migration internationale. De nouvelles villes de transit apparaissent au sud, avant la traversée de la frontière vers le nord, au Maroc, en Turquie, au Mexique. Des villes frontières sont aussi des lieux de migration, comme Istanbul, Tijuana et bien d’autres. Mais la ville est aussi la source de nouveaux liens transnationaux commerçants, entrepreneuriaux, affectifs, culturels, fruits d’une économie du voyage et de l’échange. Un aperçu de l’état des travaux sur les facteurs structurels de la migration du sud au nord et du sud au sud, qui prend sa source dans les villes du sud mais se déploie dans d’autres villes sera présenté ici. La première partie sera consacrée aux causes du départ dans plusieurs régions migratoires du monde (Amérique latine, Afrique, Proche et Moyen orient, Asie) en mettant l’accent sur le caractère structurel de ce mouvement dans les sociétés du sud et mettra en lumière les liens qui sous-tendent cette mobilité : espaces migratoires, systèmes migratoires régionaux, régimes migratoires institutionnels qui facilitent ou entravent ces mouvements. Une seconde partie sera consacrée aux espaces de transit, souvent liés aux contrôles de frontières qui transforment des villes du sud en espaces urbains provisoires et clandestins, ou aux camps qui s’urbanisent dans la durée. Une troisième partie sera centrée sur les villes du nord et du sud confrontées aux afflux migratoires : déplacés environnementaux menaçant les mégapoles situées en bord de mer (notamment en Asie), villes réceptacles de l’exode rural parfois entravé, comme en Chine, par l’interdiction d’aller vers la ville mais le plus souvent improvisé, banlieues urbaines dans les zones d’arrivée ou centres villes ethnicisés comme à Londres, à Paris ou à New York. Enfin, l’accent sera mis sur l’urbanisation galopante de la planète du futur, la poursuite lente mais continue des migrations, les nouveaux profils migratoires, les perspectives démographiques. La question urbaine va devenir un enjeu essentiel des migrations de demain. Quelques cartes accompagneront cette présentation, sur l’urbanisation comparée des villes de plus de dix millions d’habitants, sur l’emplacement de ces villes dans le contexte du changement climatique et leur vulnérabilité, sur les villes de passage, sur le tourisme mondial et l’implantation de seniors au soleil, source de nouvelles formes d’urbanisation et sur quelques formes de répartition des populations dans quelques villes multiethniques. Sources : Catherine Wihtol de Wenden Atlas mondial des migrations, 3ème édition, Paris, Autrement, 2012 Les nouvelles migrations. Lieux, hommes, politiques, Paris, Ellipses, 2013 Le droit d’émigrer, Paris, CNRS éditions 2013 Pour accompagner les migrations en Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2013 On s’appuiera aussi sur les travaux de Michel Agier, Michel Peraldi, Anaïk Pian, Alain Tarrius, Mehdi Allioua, Carine Gherassimov, Sophie Body-Gendrot.