M I S E A U P O I N T Troubles cognitifs et infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ● B. Stankoff* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les troubles cognitifs associés au sida, qui survenaient autrefois chez 20 à 30 % des patients au cours de l’évolution de leur maladie, sont en nette régression depuis l’avènement des associations de molécules antirétrovirales actives comportant des antiprotéases (HAART). ■ Les signes cliniques de l’encéphalopathie liée au VIH évoquent une détérioration intellectuelle de type souscortico-frontal. ■ Deux tableaux distincts peuvent être rencontrés : la démence du sida et les troubles cognitifs modérés associés au sida. ■ La résonance magnétique nucléaire peut révéler une atrophie cortico-sous-corticale, des hypersignaux punctiformes ou une leucoencéphalopathie périventriculaire. Dans certains cas, l’IRM demeure normale. La spectroscopie protonique par résonance magnétique nucléaire aurait une meilleure sensibilité que l’IRM conventionnelle dans l’exploration des troubles cognitifs associés au sida. ■ Il existe une corrélation entre la charge virale du LCR et la charge virale plasmatique. Cependant, une charge virale élevée dans le LCR ne permet pas d’affirmer l’existence d’une encéphalopathie liée au VIH. ■ Le traitement actuel de la démence du sida est celui de l’infection rétrovirale : les associations d’antirétroviraux actifs permettent parfois d’obtenir une amélioration spectaculaire des troubles cognitifs. Les traitements neuroprotecteurs n’ont, pour l’instant, pas fait la preuve de leur efficacité. * Fédération de neurologie, hôpital de la Salpêtrière, Paris. 160 L’ histoire naturelle de l’infection par le VIH est fréquemment émaillée de complications neurologiques. L’atteinte du système nerveux central peut correspondre au développement d’infections opportunistes (toxoplasmose, leucoencéphalopathie multifocale progressive, encéphalite à cytomégalovirus ou à virus varicelle-zona), à la survenue d’un lymphome cérébral primitif ou à l’atteinte directe du cerveau par le VIH. L’existence de troubles cognitifs survenant chez des patients sidéens, en dehors de toute infection opportuniste du système nerveux central, est connue depuis le début de l’épidémie (1). Ces troubles cognitifs liés au VIH ont été successivement appelés encéphalopathie VIH, puis complexe démentiel du sida (AIDS dementia complex) (2), enfin complexe cognitif et moteur associé au sida (3). Ce terme regroupe en fait des tableaux cliniques qui peuvent être très différents en termes d’intensité et d’évolutivité, allant du simple trouble attentionnel, compatible avec une activité quasi normale, à un grand tableau démentiel. L’invasion cérébrale par le VIH semble survenir précocement après la séroconversion. Cette atteinte cérébrale précoce est le plus souvent pauci-symptomatique. Un tableau pseudo-grippal et, plus rarement, des signes et symptômes en rapport avec une méningite ou une méningoencéphalite peuvent survenir. Le plus souvent néanmoins, cette entrée du virus dans le cerveau n’a pas de traduction clinique. L’existence d’une atteinte cognitive mineure, survenant au cours de la période asymptomatique de la maladie, a fait l’objet de nombreuses controverses. La réalité de cette atteinte neuropsychologique précoce reste incertaine, et une des hypothèses est que les troubles cognitifs qui ont été décrits dans certaines études pourraient avoir une origine multifactorielle (troubles psychiatriques, toxicomanie, carences...) sans lien avec l’infection par le VIH. L’atteinte cognitive liée au VIH survient dans la très grande majorité des cas à un stade avancé de la maladie, contemporain d’une immunodépression sévère. La fréquence de cette atteinte cognitive est diversement appréciée selon les études. Si l’on considère les critères cliniques, c’est-à-dire la survenue de troubles cognitifs, ce pourcentage est d’environ 20 à 30 %. Il est, en revanche, beaucoup plus élevé, proche de 60 %, si l’on considère le diagnostic neuropathologique d’encéphalite VIH, c’est-à-dire la mise en évidence de cellules géantes multinucléées à l’examen postmortem. L’incidence de survenue de La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 ces troubles cognitifs serait, par ailleurs, plus élevée chez les patients porteurs de l’allèle E4 de l’apolipoprotéine E. Une diminution de la fréquence de la démence du sida, liée à l’introduction des traitements par la zidovudine, a été suggérée dès 1989 par Portegies (4). L’évolution de cette incidence dans les années à venir, avec la nouvelle “donne” constituée par les nouveaux traitements antirétroviraux qui diminuent de façon très importante la charge virale sanguine et peut-être aussi la charge virale du LCR, reste imprécise. Néanmoins, des résultats récents suggèrent que la fréquence de cette complication a considérablement diminué depuis l’introduction des trithérapies antirétrovirales (5). La rapidité du passage intracérébral du virus après la contamination est un argument important pour supposer que la précocité du traitement antirétroviral constituerait un facteur pronostique important, mais ces données restent à confirmer. Cette atteinte cognitive, spécifique de l’infection du système nerveux central par le VIH, constitue actuellement une des énigmes physiopathologiques de la maladie. En effet, il n’existe pas de corrélation entre l’intensité de l’atteinte cognitive et l’importance des lésions neuropathologiques. En outre, dans le système nerveux central, le VIH infecte principalement les cellules microgliales mais n’infecte pas, ou très peu, les cellules neuronales. Les patients toxicomanes présenteraient ainsi une susceptibilité accrue au développement d’une encéphalopathie, liée à une augmentation de la réactivité microgliale facilitant l’entrée cérébrale du VIH. L’absence d’infection neuronale par le VIH a, par ailleurs, fait envisager l’hypothèse d’une neurotoxicité indirecte à l’origine de l’encéphalopathie. Les médiateurs de cette toxicité restent, en revanche, mal connus et pourraient impliquer le glutamate, l’acide quinolinique, le monoxyde d’azote. ASPECTS CLINIQUES DE L’ENCÉPHALOPATHIE DU SIDA Le tableau clinique de l’encéphalopathie VIH est celui d’une atteinte ou sous-cortico-frontale (2,3). Dominent en effet les troubles de la mémoire, le ralentissement psychomoteur et les troubles de l’attention et de la concentration. Ce tableau neuropsychologique n’a pas de spécificité et peut s’observer dans d’autres atteintes sous-corticales. Les troubles s’installent soit de façon insidieuse, soit rapidement, en quelques semaines. Les plaintes initiales sont le plus souvent une gêne mnésique, avec une difficulté à mémoriser les faits récents, des difficultés professionnelles liées à la fois au ralentissement psychomoteur, à l’atteinte mnésique et à la difficulté de concentration. Parfois, c’est l’entourage qui signale une modification du comportement, à type d’apathie, de repli sur soi, de diminution de l’activité sociale, d’indifférence affective. Ces modifications de comportement font souvent évoquer le diagnostic de syndrome dépressif, fréquemment associé à la maladie, et ce sont leur persistance sous traitement antidépresseur ou leur association à d’autres anomalies neuropsychologiques qui feront suspecter le diagnostic d’encéphalopathie VIH. L’intensité de l’atteinte La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 cognitive peut varier d’un simple trouble mnésique, compatible avec une vie socioprofessionnelle quasi normale, à un grand tableau démentiel, où dominent les éléments frontaux avec apragmatisme majeur, aboulie, grabatisation, mutisme. Parfois, des troubles du comportement de type agitation psychomotrice et épisodes délirants peuvent survenir, mais ce mode de présentation est beaucoup plus rare. La pente évolutive de cette atteinte cognitive est très variable : certains patients s’aggravent en quelques mois, passant d’un trouble cognitif modéré à un tableau démentiel. D’autres, en revanche, gardent des troubles modérés, dont l’évolution peut être fluctuante, mais ne développeront jamais de démence. Cette disparité dans les profils évolutifs n’a pas reçu d’explication, et il est possible que les mécanismes physiopathologiques qui sous-tendent ces deux types évolutifs soient en fait différents. Deux tableaux cliniques distincts sont ainsi définis dans la classification du DSMIV-R : la démence du sida et le trouble cognitif modéré lié au sida. Ces deux tableaux correspondent à des perturbations cognitives de type sous-cortico-frontal, mais dans le cas des troubles cognitifs modérés, les perturbations cognitives sont insuffisantes pour porter le diagnostic de démence (6). À côté de l’atteinte cérébrale liée au VIH a été décrite une atteinte médullaire, sous le nom de myélopathie vacuolaire, qui correspond à une atteinte pyramidale associée à des troubles cordonaux postérieurs, de type sclérose combinée de la moelle. La fréquence de cette myélopathie vacuolaire reste controversée. Il est possible, en effet, que, dans les premières années de l’épidémie, certaines myélopathies attribuées au VIH aient été dues à une infection médullaire par le CMV. L’existence des complications médullaires liées au CMV était alors sous-estimée, et c’est l’introduction des techniques d’amplification génique du CMV dans le LCR qui a permis d’en préciser la fréquence dans les immunosuppressions profondes. ASPECTS NEURORADIOLOGIQUES DE L’ENCÉPHALOPATHIE LIÉE AU VIH Des anomalies de signal en imagerie par résonance magnétique (IRM) sur les séquences pondérées en T2, de petite taille (< 3mm), pouvant être bilatérales et symétriques, touchant la substance blanche, peuvent s’observer chez des sujets séropositifs asymptomatiques et sont probablement cicatricielles de l’encéphalite de séroconversion. Ces lésions, le plus souvent peu nombreuses, restent stables au cours du temps. Les lésions en IRM associées à la démence du sida sont le plus souvent des plages d’anomalies de signal, visibles sur les séquences pondérées en T2 sous la forme d’hypersignaux, bilatéraux et symétriques, périventriculaires, épargnant les fibres en U, prédominant dans les lobes frontaux et pariétaux. Ces lésions sont peu ou pas visibles en T1, et leur signal n’est pas rehaussé après injection de gadolinium sur les séquences pondérées en T1. Elles peuvent devenir confluentes, avec un 161 M I S E A aspect anormal diffus de l’ensemble de la substance blanche, et toucher le tronc cérébral et le cervelet. Dans la majorité des cas, les patients présentant une atteinte cognitive évoluée ont une IRM conventionnelle anormale pouvant révéler une atrophie cortico-sous-corticale, des hypersignaux punctiformes, voire une leucoencéphalopathie étendue périventriculaire. En revanche, les patients présentant un trouble cognitif modéré ont parfois une IRM normale. L’utilisation de séquences FLAIR est alors très utile, car elle peut permettre de mieux visualiser des anomalies peu visibles avec les séquences standards. Le plus souvent, il n’y a pas de corrélation entre l’intensité des anomalies observées en IRM et la gravité de l’atteinte cognitive, ce qui est à rapprocher de l’absence de corrélation entre l’importance de l’atteinte cognitive clinique et les lésions neuropathologiques. Depuis plusieurs années, des études spectroscopiques ont été réalisées chez des patients sidéens. Les anomalies décrites chez des patients présentant une démence du sida sont une élévation du pic de choline et une diminution du pic de N-acétyl-aspartate. L’élévation du pic de choline est probablement le reflet de l’inflammation et/ou de la démyélinisation. La baisse du taux de N-acétyl-aspartate témoigne du dysfonctionnement et/ou de la mort neuronale. Ces études suggèrent, en outre, l’existence d’anomalies spectroscopiques dans la substance blanche, en apparence normale en IRM, chez des patients présentant des troubles cognitifs, mais aussi chez des sujets séropositifs asymptomatiques. Des améliorations des paramètres spectroscopiques après introduction de la zidovudine ont aussi été rapportées (7). U P O I N T CHARGE VIRALE DU VIH DANS LE LCR ET TROUBLES COGNITIFS ASSOCIÉS AU SIDA Le diagnostic de démence associée au SIDA demeure, dans la majorité des cas, un diagnostic d’exclusion posé sur des arguments cliniques et radiologiques. Les résultats des études récentes (dont certaines sont encore en cours), visant à préciser l’apport diagnostique et pronostique de la mesure de la charge virale du LCR chez des patients ayant des troubles cognitifs associés au SIDA, sont encore controversés (8). Cependant, plusieurs points semblent se dégager : • la simple mise en évidence d’une charge virale positive dans le LCR ne constitue pas un élément de diagnostic précoce de l’encéphalopathie VIH, de nombreux patients asymptomatiques ayant une charge virale détectable parfois élevée ; • la valeur de la charge virale du LCR ne semble pas directement corrélée à l’intensité des troubles cognitifs chez un patient donné. Plusieurs études montrent cependant que la charge virale du LCR est globalement plus élevée chez les patients présentant une démence sévère que chez les patients ayant un trouble cognitif modéré ou n’ayant aucun trouble cognitif. Ces études ne trouvent néanmoins pas de différence significative entre les patients asymptomatiques et ceux présentant un trouble cognitif modéré, rendant aléatoire l’utilisation de cette technique dans le dépistage des encéphalopathies VIH débutantes. Néanmoins, il reste à déterminer si l’existence d’une charge virale haute dans le LCR, à un moment donné de la maladie, est un facteur de risque de survenue ultérieure d’une atteinte cognitive. Seules les études longitudinales actuellement en cours pourront répondre à cette question ; • la charge virale du LCR semble étroitement corrélée à celle du plasma. Une telle corrélation sang/LCR suggère que la quantification des ARN viraux du LCR pourrait prendre en compte des virions d’origine double : plasmatiques et issus du système nerveux central. Cette contamination plasmatique serait explicable par les altérations de la barrière hémato-encéphalique mais ne rendrait pas compte, à elle seule, de la quantité de virions dans le LCR, comme le démontrent les observations de patients ayant négativé leur charge virale plasmatique sous l’effet d’un traitement antirétroviral tout en conservant une charge virale élevée dans le LCR. ASPECTS THÉRAPEUTIQUES Figure. IRM encéphalique d’un patient présentant une atteinte cognitive liée au sida en séquence FLAIR : plages d’hypersignaux à prédominance périventriculaire. L’efficacité des différents traitements antirétroviraux sur la survenue et sur l’évolution de l’atteinte neurologique reste imparfaitement connue. Dès le début des années quatre-vingt-dix, un effet bénéfique de la zidovudine sur la survenue de l’atteinte cognitive avait été suggéré. Actuellement, plusieurs molécules antirétrovirales sont en cours d’évaluation, et plus particulièrement l’association de traitements antirétroviraux, ou HAART (highly active antiretroviral therapy), associant nucléosides et une antiprotéase au moins. Les patients recevant ce type de traitement présenteraient … /… 162 La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 … /… R un risque moindre de développer une encéphalopathie liée au VIH (5). Dans certains cas, ces associations d’antirétroviraux permettent d’obtenir une amélioration franche des troubles cognitifs : l’existence d’un ralentissement psychomoteur marqué serait néanmoins un indice de mauvais pronostic. Les études récentes ne permettent pas encore de privilégier une association spécifique d’antirétroviraux dans le traitement de cette encéphalopathie, des améliorations significatives ayant été obtenues à l’aide de différentes combinaisons, avec ou sans inhibiteur de protéase (9) : la pratique actuelle consiste donc en un équilibre optimal des paramètres immunovirologiques que constituent la charge virale plasmatique et le taux de lymphocytes CD4. L’hypothèse d’une neurotoxicité indirecte à l’origine de l’installation de ces troubles cognitifs a, par ailleurs, conduit à envisager l’utilisation d’agents neuroprotecteurs dans l’encéphalopathie VIH. Une étude récente, de courte durée, a ainsi analysé l’action de la nimodipine chez des patients présentant des troubles modérés à sévères : la prise de 90 mg par jour n’a pas permis d’obtenir d’amélioration significative des performances neuropsychologiques chez les patients traités comparés aux sujets sous placebo. En revanche, il existait une tendance non significative à l’amélioration pour une posologie de 300 mg par jour (10). D’autres essais thérapeutiques, visant notamment à évaluer l’efficacité éventuelle d’un agent anti-glutamate, le riluzole, sont actuellement en projet dans plusieurs équipes. ■ É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Snider WD, Simpson DM, Nielsen S et al. Neurological complications of acquired immune deficiency syndrome : analysis of 50 patients. Ann Neurol 1983 ; 14 : 403-18. 2. Navia BA, Jordan BD, Price RW. The AIDS dementia complex : I. Clinical features. Ann Neurol 1986 ; 19 : 517-24. 3. Janssen RS and the working group of the American Academy of Neurology. AIDS task force nomenclature and research case definitions for neurological manifestations of human immunodeficiency virus type 1 (HIV 1) infection. Neurology 1991 ; 41 : 778-85. 4. Portegies P, De Gans J, Lange JMA et al. Declining incidence of AIDS dementia complex after introduction of zidovudine treatment. Br. Med. J. 1989 ; 299 : 819-21. 5. Tardieu M. HIV-1-related central nervous system disease. Curr Opin Neurol 1999 ; 12 : 377-81. 6. Suarez S, Conquy L, Rosemblum O et al. Similar subcortical pattern of cognitive impairment in AIDS patients with and without dementia. Eur J Neurol 2000 ; 7 : 151-8. 7. Vion-Dury J, Nicoli F, Salvan AM et al. Reversal of brain metabolic alteration with zidovudine detected by proton localized magnetic resonance spectroscopy. Lancet 1995 ; 8941 : 60-1. 8. Stankoff B, Calvez V, Suarez S et al. Plasma and cerebro-spinal fluid human immunodeficiency virus type-1 (HIV-1) RNA levels in HIV-related cognitive impairment. Eur. J Neurol 1999 ; 6 : 669-75. 9. Price RW, Yiannoutsos CT, Clifford DB et al. Neurological outcomes in late HIV infection : adverse impact of neurological impairment on survival and protective effect of antiviral therapy. AIDS clinical trial group and neurological AIDS research consortium study team. AIDS 1999 ; 13(13) : 1677-85. 10. Navia BA, Dafni U, Simpson D et al. A phase I/II trial of nimodipine for HIVrelated neurologic complications. Neurology 1998 ; 51 (1) : 221-8. à tous nos lecteurs, à tous nos abonnés, La lettre du neurologue vous souhaite un bel été et vous remercie de votre soutien La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 163