11/11/2016 L`écologie rend-elle la démocratie plus difficile

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11/11/2016 L’écologie rend-elle la démocratie plus difficile ?
« Examinons donc...
LE JEUNE SOCRATE. Quoi ?
L’ÉTRANGER. Si parmi les sciences qui assemblent il en est quelqu’une qui, de propos délibéré,
compose son œuvre, si humble qu’elle soit, d’éléments bons et mauvais ; ou si toute science ne
s’attache pas de tout son pouvoir à écarter le mal pour retenir ce qui est bon et convenable, et de
ces parties semblables ou dissemblables, réunies en un tout, former une seule chose et une seule
idée.
LE JEUNE SOCRATE. Eh ! Sans doute.
L’ÉTRANGER. Donc, la politique non plus, celle qui nous a paru conforme à la nature et vraie, ne
consentira pas à composer un État de citoyens bons et mauvais ; tout au contraire, elle les éprouvera
d’abord par l’éducation, et, après cette épreuve, elle les confiera à des hommes capables de les
instruire sous sa propre direction. Elle surveillera tout, présidera à tout, comme l’art du tisserand
surveille ceux qui cardent et préparent les objets nécessaires à ces tissus, et préside à leurs travaux,
assignant à chacun sa tâche, et disposant tout pour le mieux en vue du résultat définitif.
LE JEUNE SOCRATE. Fort bien.
L’ÉTRANGER. De même, il me semble que la science royale, ayant la puissance de commander, ne
permettra à aucun de ceux qui donnent au nom de la loi l’instruction et l’éducation, d’établir des
exercices qui ne feraient pas naître des habitudes favorables au mélange qu’elle médite, mais qu’elle
autorisera ceux-là seulement. Quant à ceux qui ne peuvent se former avec les autres au courage, à la
tempérance et en général à la vertu, mais qu’un naturel violent et pervers entraîne à l’impiété, à
l’injustice et au désordre, elle s’en débarrasse en leur infligeant la mort, l’exil et les plus terribles
châtiments.
LE JEUNE SOCRATE. Voilà bien ce qu’on dit.
L’ÉTRANGER. Ceux qui croupissent dans l’ignorance et l’abjection, elle les met sous le joug de
l’esclavage.
LE JEUNE SOCRATE. Parfaitement.
L’ÉTRANGER. Quant aux autres, dont la nature est capable d’actions généreuses, pour peu que
l’éducation leur vienne en aide, et qui peuvent avec le secours de l’art se prêter au mélange
convenable, elle les conserve, elle se sert comme d’une sorte de chaîne du caractère fortement
trempé de ceux qui ont plus de penchant à la force ; et ceux qui sont portés à la modération, qui ont
quelque chose de doux et de liant qui les fait ressembler au fil de la trame, mais qui sont en
opposition avec les premiers, elle s’efforce de les lier et de les entrelacer de la manière suivante.
LE JEUNE SOCRATE. De quelle manière ?
L’ÉTRANGER. D’abord en unissant, suivant les rapports de parenté, la partie immortelle de leurs
âmes par un lien divin, et au-dessous de celle-là la partie animale par des liens humains.
LE JEUNE SOCRATE. Explique-moi encore ce que tu veux dire.
L’ÉTRANGER. L’opinion vraie, sur le beau, le juste, le bien et leurs contraires, est-elle solidement
assise dans les âmes, je l’appelle divine, si c’est dans une espèce de la nature des démons qu’elle se
trouve.
LE JEUNE SOCRATE. C’est à merveille.
L’ÉTRANGER. Or, nous savons que, seuls, le politique et le bon législateur sont capables, la muse de
la science royale aidant, de produire cette disposition chez les citoyens qui ont reçu une bonne
éducation, ainsi que nous le disions à l’instant même.
LE JEUNE SOCRATE. C’est vraisemblable.
L’ÉTRANGER. Quant à celui qui est incapable d’obtenir ce résultat, ne lui appliquons jamais les noms
dont nous cherchons maintenant la définition.
LE JEUNE SOCRATE. Parfaitement.
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L’ÉTRANGER. Quoi donc ? L’âme forte ainsi pénétrée de la vérité ne s’adoucira-t-elle pas, et ne
voudra-t-elle pas par-dessus tout entrer en commerce avec la justice ; si elle n’y participe pas,
n’inclinera-t-elle pas au contraire vers un naturel sauvage ?
LE JEUNE SOCRATE. Impossible qu’il en soit autrement.
L’ÉTRANGER. Mais quoi ? Le naturel modéré, en participant de son côté à l’opinion vraie, ne
deviendra-t-il pas sage et prudent, comme il convient dans un État ; s’il en est privé, n’aura-t-il pas, et
ne méritera-il pas d’avoir la honteuse réputation d’un homme simple et sans esprit ?
LE JEUNE SOCRATE. Tout à fait.
L’ÉTRANGER. Ne dirons-nous pas qu’aucun tissu, aucun lien solide et durable ne saurait jamais unir
les méchants aux méchants, ni les bons aux méchants ; et qu’aucune science ne tenterait jamais
cette entreprise ?
LE JEUNE SOCRATE. Sans doute.
L’ÉTRANGER. Et qu’il n’y a que les hommes qui apportent en naissant des instincts généreux, et dont
l’éducation est conforme à la nature, qui peuvent être ainsi formés par les lois ; et c’est le remède
que produisent l’art et la science, et c’est le lien divin qui, comme nous l’avons dit, accorde entre
elles les parties dissemblables et contraires de la vertu.
LE JEUNE SOCRATE. C’est on ne peut plus vrai.
L’ÉTRANGER. Pour les autres liens, ceux qui sont humains, quand le lien divin est établi, il n’est guère
difficile ni de les concevoir, ni, après les avoir conçus, de les former.
LE JEUNE SOCRATE. Comment, et quels liens ?
L’ÉTRANGER. L’union des sexes, la procréation des enfants, les établissements et les mariages. Car,
hommes et femmes, la plupart ne sont pas convenablement alliés au point de vue de la génération
des enfants.
LE JEUNE SOCRATE. Que veux-tu dire ?
L’ÉTRANGER. La poursuite de l’argent et du pouvoir en de pareilles affaires mérite-t-elle seulement
qu’on prenne la peine de la blâmer ?
LE JEUNE SOCRATE. Non. »
Platon, Le Politique (Vème siècle av. JC), 308b-310a
« Des rochers audacieux suspendus dans l'air et comme menaçants, des nuages orageux se
rassemblant au ciel au milieu des éclairs et du tonnerre, des volcans déchaînant toute leur puissance
de destruction, des ouragans semant après eux la dévastation, l'immense océan soulevé par la
tempête, la cataracte d'un grand fleuve, etc.; ce sont des choses qui réduisent à une insignifiante
petitesse notre pouvoir de résistance, comparé;» avec de telles puissances. Mais l'aspect en est
d'autant plus attrayant qu'il est plus terrible, pourvu que nous soyons en sûreté; et nous nommons
volontiers ces choses sublimes, parce qu'elles élèvent les forces de l'âme au-dessus de leur mé-
diocrité ordinaire, et qu'elles nous font découvrir en nous-mêmes un pouvoir de résistance d'une
tout autre espèce, qui nous donne le courage de nous mesurer avec la toute-puissance apparente de
la nature. En effet, de même que l'immensité de la nature et notre incapacité à trouver une mesure
propre à l'estimation esthétique de la grandeur de son domaine nous ont révélé notre propre
limitation, mais nous ont fait découvrir en même temps, dans notre faculté de raison, une autre
mesure non sensible, qui comprend en elle cette infinité même comme une unité, et devant laquelle
tout est petit dans la nature, et nous ont montré par là, dans notre esprit, une supériorité sur la
nature considérée dans son immensité; de même, l'impossibilité de résister à sa puissance nous fait
reconnaître notre faiblesse en tant qu'êtres de la nature, mais elle nous découvre en même temps
une faculté par laquelle nous nous jugeons indépendants de la nature, et elle nous révèle ainsi une
nouvelle supériorité sur elle : cette supériorité est le principe d'une espèce de conservation de soi-
même bien différente de celle qui peut être attaquée et mise en danger par la nature extérieure, car
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l'humanité dans notre personne reste ferme, alors même que l'homme cède à cette puissance. Ainsi,
dans nos jugements esthétiques, la nature n'est pas jugée sublime en tant qu'elle est terrible, mais
parce qu'elle engage la force que nous sommes (qui n'est pas la nature) à regarder comme rien les
choses dont nous nous inquiétons (les biens, la santé et la vie), et à considérer cette puissance de la
nature laquelle, il est vrai, nous sommes soumis relativement à ces choses) comme n'ayant aucun
empire sur nous-mêmes, sur notre personnalité, dès qu'il s'agit de nos principes suprêmes, de
l'accomplissement ou de la violation de ces principes. La nature n'est donc ici nommée sublime que
par l'imagination qui l'élève jusqu'à en faire une exhibition de ces cas l'esprit peut se rendre
sensible sa propre sublimité ou la supériorité de sa propre destination sur la nature. »
Kant, Critique de la faculté de juger §28 (1790)
« Mais qu'en est-il donc de la relation réelle entre éthique et politique? N'ont-elles absolument rien
à voir entre elles, comme il est arrivé qu'on le dise? Ou bien est-il exact au contraire que c'est la
même «éthiququi vaut pour l'action politique comme pour toute action? On a cru parfois que ces
deux affirmations constituent une alternative exclusive: l'une ou l'autre devrait être exacte. Mais est-
il bien vrai qu'une éthique quelconque au monde puisse formuler des commandements de contenu
identique pour les relations érotiques et commerciales, familiales et officielles, pour les relations que
l'on entretient avec sa femme, sa marchande de légumes, son fils, son concurrent, son ami, un
accusé? Se peut-il réellement que les exigences éthiques que l'on fait valoir à l'égard de la politique
soient indifférentes au fait que celle-ci oeuvre avec un moyen très spécifique, le pouvoir, derrière
lequel se tient la violence? Ne constatons-nous pas que les idéologues bolchévistes et spartakistes,
précisément parce qu'ils emploient ce moyen qui est celui de la politique, produisent exactement les
mêmes résultats que n'importe quel dictateur militaire? En quoi, sinon précisément par la personne
des détenteurs du pouvoir et leur dilettantisme, la domination des conseils d'ouvriers et des soldats
se distingue-t-elle de celle d'un quelconque détenteur du pouvoir du régime antérieur? En quoi
même la polémique de la plupart des représentants de l'éthique prétendument nouvelle contre les
adversaires qu'ils critiquent se distingue-t-elle de celle de n'importe quel autre démagogue? Par la
noblesse de l'intention, s'entend-on répondre. Soit. Mais c'est du moyen dont il est question ici, et
les adversaires contre lesquels on combat revendiquent tout aussi bien, avec une entière sincérité
subjective, la noblesse de leurs intentions ultimes. «Qui s'empare de l'épée mourra par l'épée», et la
lutte est toujours la lutte. Alors, l'éthique du Sermon sur la montagne? Le Sermon sur la montagne -
on entend par l'éthique absolue de l'Evangile - est une chose plus sérieuse que ne le croient ceux
qui se plaisent aujourd'hui à citer ces commandements. On ne peut pas plaisanter avec lui. A lui
s'applique ce qu'on a dit de la causalité dans la science: c'est un fiacre que l'on ne peut pas arrêter à
sa guise pour y monter ou en descendre selon son humeur. Il faut l'accepter totalement ou pas du
tout, c'est précisément son sens, si on veut en tirer autre chose que des trivialités. Ainsi, par
exemple, le jeune homme riche: «Il s'éloigna avec tristesse, car il avait de nombreux biens.» Le
commandement de l'Evangile est inconditionnel et univoque: donne ce que tu as, tout, purement et
simplement. L'homme politique dira: c'est là une exigence excessive, socialement absurde aussi
longtemps qu'elle ne s'applique pas à tous. Donc il faut des impôts, des prélèvements, des
confiscations, en un mot: la coercition et l'ordre doivent être imposés à tous. Mais ce n'est pas du
tout ce qu'exige le commandement éthique, conformément à son essence. Ou encore: «Tend l'autre
joue!» Sans condition, sans demander ce qui autorise l'autre à te frapper. C'est une éthique de
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l'indignité, sauf pour un saint. C'est bien cela: il faut être un saint en toutes choses, au moins par la
volonté, il faut vivre comme Jésus, les apôtres, saint François d'Assise et ses pareils, et cette éthique
fait alors sens et elle est l'expression d'une dignité. Autrement non. Car s'il est dit, en conséquence
de l'éthique d'amour acosmique: «Tu ne dois pas résister au mal par la violence», la proposition qui
vaut pour l'homme politique est au contraire: tu dois résister au mal par la violence, faute de quoi tu
es responsable de sa propagation. Quiconque prétend agir selon l'éthique de l'Evangile, qu'il
s'abstienne des grèves (car elles relèvent de la coercition) et qu'il rejoigne les syndicats jaunes. Mais
qu'il ne parle surtout pas de «révolution». Car ce que cette éthique prétend enseigner n'est
certainement pas que la guerre civile, précisément, serait la seule guerre légitime. Le pacifiste qui
agit selon l'Evangile refusera de prendre les armes, ou bien il les déposera, comme on l'a
recommandé en Allemagne, et cela à titre de devoir éthique, pour mettre fin à la guerre et par à
toute guerre. L'homme politique dira: le seul moyen sûr de discréditer la guerre pour tous les temps
à venir aurait été une paix sur la base du statu quo. Car les peuples se seraient demandé: à quoi a
servi la guerre? Elle aurait été rendue absurde, ce qui n'est pas possible maintenant. Car les
vainqueurs - du moins une partie d'entre eux - vont en tirer des bénéfices politiques. Et le
comportement qui nous a rendu impossible toute résistance est responsable de cet état de choses.
Désormais, une fois passé le moment de la lassitude, c'est la paix qui sera discréditée, et non la
guerre. On a là une conséquence de l'éthique absolue.
Enfin, le devoir de vérité. Il est inconditionnel pour l'éthique absolue. On en a tiré les conséquences
suivantes: on publiera tous les documents, avant tout les documents qui accablent notre propre
pays, et, sur la base de ces publications unilatérales, on reconnaîtra notre culpabilité,
unilatéralement, sans condition, sans égard aux conséquences. L'homme politique estimera que,
quant au résultat, cela ne favorise pas la vérité, mais que cela l'obscurcit avec certitude du fait des
abus et du déchaînement des passions. Il constatera que seul un établissement des faits
systématique et multilatéral, effectué par des observateurs impartiaux, pourrait être fécond, et que
toute autre démarche peut avoir, pour la nation qui procède de la sorte, des conséquences que des
décennies ne suffiront pas à corriger. Mais l'éthique absolue ne s'interroge précisément pas sur les
«conséquences».
C'est ici que réside le point décisif. Nous devons prendre conscience que toute action d'inspiration
éthique peut obéir à deux maximes profondément différentes l'une de l'autre et dont l'opposition est
irréductible. Elle peut être orientée selon une «éthique de la conviction» ou selon une «éthique de la
responsabilité». Non pas que l'éthique de la conviction soit identique à l'absence de responsabilité,
et l'éthique de la responsabilité identique à l'absence de conviction. Il n'est naturellement pas
question de cela. Mais il y a une opposition profonde entre l'action qui se règle sur la maxime de
l'éthique de la conviction (en termes religieux: «le chrétien agit selon la justice, et il s'en remet à Dieu
pour le résultat»), et celle qui se règle sur la maxime de l'éthique de responsabilité selon laquelle l'on
doit assumer pour les conséquences (prévisibles) de son action. Vous pouvez expliquer de la manière
la plus convaincante possible à un syndicaliste imbu de l'éthique de la conviction que les
conséquences de son action seront d'augmenter les chances de la réaction, d'accroître l'oppression
de sa classe et de freiner l'ascension de celle-ci, cela ne fera pas la moindre impression sur lui. Si les
conséquences d'une action inspirée par la pure conviction sont mauvaises, le syndicaliste ne se
considère pas comme responsable, mais il impute cette responsabilité au monde, à la stupidité des
autres hommes ou à la volonté de Dieu qui les a faits ce qu'ils sont. Le partisan de l'éthique de la
responsabilité compte au contraire précisément avec ces défauts moyens des hommes, il n'a, comme
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Fichte l'a justement dit, aucun droit de présupposer leur bonté et leur perfection, il ne se sent pas en
état de rejeter sur d'autres les conséquences de sa propre action, dans la mesure il pouvait les
anticiper. Il demandera que ces conséquences soient imputées à son action. Le partisan de l'éthique
de conviction ne se sent «responsable» que d'une chose: empêcher que ne s'éteigne la flamme de la
pure conviction, par exemple la flamme de la protestation contre l'injustice de l'ordre social. Attiser
toujours à nouveau cette flamme est le but de ses actions, parfaitement irrationnelles si l'on les juge
du point de vue de leur résultat possible, et qui ne peuvent et ne doivent avoir qu'une valeur
exemplaire.
Mais le problème n'est pas encore résolu avec ce qui précède. Aucune éthique au monde ne peut
éluder le fait que pour atteindre des fins qui sont «bonnes», on est obligé, dans de nombreux cas, de
s'accommoder de moyens douteux ou au moins dangereux du point de vue moral, ainsi que de la
possibilité, voire de la probabilité de conséquences accessoires mauvaises. Et aucune éthique au
monde ne peut dire quand et dans quelle mesure la fin bonne du point de vue moral «sanctifie» les
moyens et les conséquences accessoires moralement dangereux.
Pour la politique, le moyen décisif est la violence, et l'étendue de la tension, au plan éthique, entre
moyen et fin peut s'inférer du fait que, comme chacun sait, les socialistes révolutionnaires (tendance
de Zimmerwald) se sont réclamés, déjà durant la guerre, du principe que l'on pouvait formuler de
cette manière frappante: «Si nous avons à choisir entre quelques années de guerre, suivies par la
révolution, et la paix maintenant, sans révolution, nous choisissons encore: quelques années de
guerre!» A la question suivante: «Qu'est-ce que cette révolution peut apporter?», tout socialiste
ayant reçu une formation scientifique aurait répondu qu'il ne pouvait être question d'un passage à
une économie que l'on puisse nommer socialiste au sens où il l'entend, mais que se reconstituerait
une économie de la bourgeoisie qui pourrait seulement éliminer les éléments féodaux et les restes
de la dynastie. Et c'est pour ce modeste résultat que l'on était prêt à accepter «quelques années de
guerre encore»! Il faut bien reconnaître que même quelqu'un qui possède de solides convictions
socialistes pourrait rejeter une fin qui exige des moyens de ce genre. La situation est exactement la
même chez les bolchéviques et les spartakistes, et en général dans toutes les espèces de socialisme
révolutionnaire, et il est naturellement extrêmement ridicule d'entendre, venant de ce côté, des
condamnations morales de la «politique de la violence» des hommes du régime précédent, pour
avoir fait usage de ce même moyen, aussi pleinement justifié que puisse être par ailleurs le rejet de
leurs buts.
C'est ici, sur ce problème de la sanctification des moyens par la fin, que même l'éthique de conviction
paraît devoir échouer absolument. Et de fait, d'un point de vue logique, elle n'a qu'une possibilité qui
est de condamner toute action qui emploie des moyens moralement dangereux. D'un point de vue
logique, disons-nous, car il est vrai que dans le monde des réalités nous ne cessons de faire
l'expérience que le partisan de l'éthique de conviction se transforme soudain en prophète
millénariste et que, par exemple, ceux qui prêchaient à l'instant «l'amour contre la violence»
appellent à la violence au moment suivant - à la violence ultime qui instituerait un état toute
violence serait anéantie -, de même que nos militaires disaient à chaque offensive que c'était la
dernière et qu'elle apporterait la victoire et donc la paix. Le partisan de l'éthique de conviction ne
supporte pas l'irrationalité éthique du monde. C'est un «rationaliste» cosmo-éthique. Chacun de
ceux parmi vous qui connaissent Dostoïevski se rappelle la scène du Grand Inquisiteur dans laquelle
le problème est exposé de manière pertinente. Il n'est pas possible de concilier l'éthique de la
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