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L’ÉTRANGER. Quoi donc ? L’âme forte ainsi pénétrée de la vérité ne s’adoucira-t-elle pas, et ne
voudra-t-elle pas par-dessus tout entrer en commerce avec la justice ; si elle n’y participe pas,
n’inclinera-t-elle pas au contraire vers un naturel sauvage ?
LE JEUNE SOCRATE. Impossible qu’il en soit autrement.
L’ÉTRANGER. Mais quoi ? Le naturel modéré, en participant de son côté à l’opinion vraie, ne
deviendra-t-il pas sage et prudent, comme il convient dans un État ; s’il en est privé, n’aura-t-il pas, et
ne méritera-il pas d’avoir la honteuse réputation d’un homme simple et sans esprit ?
LE JEUNE SOCRATE. Tout à fait.
L’ÉTRANGER. Ne dirons-nous pas qu’aucun tissu, aucun lien solide et durable ne saurait jamais unir
les méchants aux méchants, ni les bons aux méchants ; et qu’aucune science ne tenterait jamais
cette entreprise ?
LE JEUNE SOCRATE. Sans doute.
L’ÉTRANGER. Et qu’il n’y a que les hommes qui apportent en naissant des instincts généreux, et dont
l’éducation est conforme à la nature, qui peuvent être ainsi formés par les lois ; et c’est là le remède
que produisent l’art et la science, et c’est là le lien divin qui, comme nous l’avons dit, accorde entre
elles les parties dissemblables et contraires de la vertu.
LE JEUNE SOCRATE. C’est on ne peut plus vrai.
L’ÉTRANGER. Pour les autres liens, ceux qui sont humains, quand le lien divin est établi, il n’est guère
difficile ni de les concevoir, ni, après les avoir conçus, de les former.
LE JEUNE SOCRATE. Comment, et quels liens ?
L’ÉTRANGER. L’union des sexes, la procréation des enfants, les établissements et les mariages. Car,
hommes et femmes, la plupart ne sont pas convenablement alliés au point de vue de la génération
des enfants.
LE JEUNE SOCRATE. Que veux-tu dire ?
L’ÉTRANGER. La poursuite de l’argent et du pouvoir en de pareilles affaires mérite-t-elle seulement
qu’on prenne la peine de la blâmer ?
LE JEUNE SOCRATE. Non. »
Platon, Le Politique (Vème siècle av. JC), 308b-310a
« Des rochers audacieux suspendus dans l'air et comme menaçants, des nuages orageux se
rassemblant au ciel au milieu des éclairs et du tonnerre, des volcans déchaînant toute leur puissance
de destruction, des ouragans semant après eux la dévastation, l'immense océan soulevé par la
tempête, la cataracte d'un grand fleuve, etc.; ce sont là des choses qui réduisent à une insignifiante
petitesse notre pouvoir de résistance, comparé;» avec de telles puissances. Mais l'aspect en est
d'autant plus attrayant qu'il est plus terrible, pourvu que nous soyons en sûreté; et nous nommons
volontiers ces choses sublimes, parce qu'elles élèvent les forces de l'âme au-dessus de leur mé-
diocrité ordinaire, et qu'elles nous font découvrir en nous-mêmes un pouvoir de résistance d'une
tout autre espèce, qui nous donne le courage de nous mesurer avec la toute-puissance apparente de
la nature. En effet, de même que l'immensité de la nature et notre incapacité à trouver une mesure
propre à l'estimation esthétique de la grandeur de son domaine nous ont révélé notre propre
limitation, mais nous ont fait découvrir en même temps, dans notre faculté de raison, une autre
mesure non sensible, qui comprend en elle cette infinité même comme une unité, et devant laquelle
tout est petit dans la nature, et nous ont montré par là, dans notre esprit, une supériorité sur la
nature considérée dans son immensité; de même, l'impossibilité de résister à sa puissance nous fait
reconnaître notre faiblesse en tant qu'êtres de la nature, mais elle nous découvre en même temps
une faculté par laquelle nous nous jugeons indépendants de la nature, et elle nous révèle ainsi une
nouvelle supériorité sur elle : cette supériorité est le principe d'une espèce de conservation de soi-
même bien différente de celle qui peut être attaquée et mise en danger par la nature extérieure, car