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La Canso
800 ans apres la Croisade contre les Albigeois
n°3 - Février 2009
Le catharisme et son
enracinement en
Languedoc
Les cathares furent-ils nombreux en Languedoc ?
Édito
L
e programme des manifestations
culturelles organisées en Languedoc
dans le cadre de la commémoration
de la Croisade contre les Albigeois
se met peu à peu en place. Dans
l’Aude, comme d’ailleurs dans les
départements voisins, nombreux sont
les rendez-vous proposés. Colloques
et conférences, expositions, spectacles
et festivals, lectures et concerts, autant
de témoignages de la place que tient
encore dans notre mémoire collective
cette période de notre histoire, qu’on
s’intéresse à l’expédition guerrière et
à ses conséquences ou à la poésie des
troubadours occitans, à leurs textes
satiriques et polémiques ou à la place
qu’ils donnent à l’amour courtois dans
leur œuvre.
n attendant la publication par nos
soins du programme définitif dans
l’Aude, je ne peux que vous engager
à en découvrir un avant-goût dans ce
nouveau numéro de La Canso.
E
Marcel Rainaud
Sénateur de l’Aude
Président du Conseil général
C
omment évaluer l’impact du
catharisme en Languedoc ? Nous ne
disposons pour ce faire que des archives de
l’Inquisition (enquêtes et interrogatoires)
et de quelques documents isolés nés
de la conjoncture (liste des dissidents
résidant dans la cité de Béziers établie
par l’évêque de la ville). Comme toutes
les sources médiévales, ces textes doivent
être interprétés avec prudence (les listes
ne tiennent-elles compte que des chefs de
famille ou de tous les individus ?) et ne
peuvent nous donner que des estimations
approximatives.
isquons nous toutefois à donner
quelques chiffres. Pour la ville de
Toulouse dont la population est évaluée
vers 1260 à environ 25 000 à 30 000
habitants, Jean-Louis Biget estime le
nombre des dissidents à 1 500 personnes
soit 5 à 6 % des Toulousains. On retrouve
la même proportion à Albi. A Béziers en
1209, lors de la prise de la ville, les cathares
représentent 10 % de la population. JeanLouis Biget considère que « jamais les
bons hommes n’ont eu pour fidèles plus
R
de 10 % de la population urbaine ». Les
enquêtes menées par l’Inquisition dans
certains villages du Lauragais en 12451246 permettent de se faire une idée plus
précise de l’impact du catharisme dans les
campagnes. Ainsi apprend-on qu’à SaintMartin-Lalande, 17,5 % des habitants
reconnaissent avoir eu des entretiens
avec les bons hommes. Pour Mas-SaintesPuelles, cette proportion est comprise
entre 11 et 14 %.
ributaires des sources, les historiens
doivent faire preuve d’une extrême
prudence. Compte tenu de la nature
des documents exploités (archives
des juridictions destinées à éradiquer
l’hérésie), il est évident qu’un certain
nombre d’hérétiques ou de sympathisants
ne se sont pas déclarés comme tels et
échappent donc aux dénombrements.
Cependant l’analyse des résultats obtenus
permet d’observer la relative faiblesse
numérique des fidèles des bons hommes
et des bonnes femmes.
T
Une approche sociologique est-elle possible ?
L
a confrontation des sources littéraires
du XIIIe siècle, des archives de
l’Inquisition et des actes royaux permet de
replacer assez précisément la dissidence
dans le contexte social de la fin du XIIe et
du XIIIe siècle. Dans une lettre adressée en
1177 par Raymond V, comte de Toulouse,
au chapitre général de Cîteaux (de fait,
les historiens s’accordent désormais à
considérer ce document comme émanant
Pour en
savoir plus
Pour découvrir cette société
méridionale du XIIIe siècle, les
ouvrages ne manquent pas. Nous
voulons toutefois vous signaler deux
ouvrages fondamentaux qui méritent
d’être mieux connus du grand public :
- Laurent Macé, Les comtes de
Toulouse et leur entourage (XIIeXIIIe siècles). Rivalités, alliances et
jeux de pouvoir. Toulouse, Privat,
2000.
- Hélène Débax, La féodalité
languedocienne (XIe-XIIe siècles).
Serments, hommages et fiefs dans le
Languedoc des Trencavel. Toulouse,
Presses Universitaires du Mirail,
2003.
Édité par le Conseil général de l’Aude
Centre administratif départemental
11855 Carcassonne cedex 9
Directeur de la publication :
Alain Tarlier
Rédaction :
Archives départementales de l’Aude
41 avenue Claude Bernard
11855 Carcassonne cedex 9
Responsable de la rédaction :
Sylvie Caucanas
Photographies : A. Estieu,
A. Fernandez (Archives
départementales)
Tirage : 3 000 exemplaires,
publication gratuite
Compogravure :
t2p numéric 04 68 77 22 22
Impression : De Bourg - Narbonne
de l’ordre cistercien lui-même désireux
de justifier l’intervention de l’Église
catholique en Languedoc), on peut
lire : « les plus nobles de ma terre sont
déjà atteints par le mal de l’infidélité,
entraînant avec eux une multitude de gens
qui ont abandonné la foi… ». Raymond VI
fut-il lui-même tenté par le catharisme ?
C’est en tout cas ce qu’affirme bien haut le
cistercien Pierre des Vaux de Cernay : « à ce
qu’on rapporte, partout où il va, il mène
avec lui des hérétiques… afin, au cas où il
viendrait à mourir, de mourir entre leurs
mains ». Cette opinion doit être nuancée.
Si on s’en rapporte aux récents travaux
de Laurent Macé, le comte de Toulouse
ne semble pas avoir, à aucun moment,
adhéré aux croyances dissidentes mais
il est certain qu’il a toléré la présence
d’hérétiques dans son entourage et qu’il
leur a même assuré protection. Il en a
été de même pour son neveu et vassal
Raymond Roger de Trencavel, vicomte de
Béziers, Albi et Carcassonne.
Donation à l’abbaye
de Lagrasse par
Gérard d’Alaric, 1125
(A. D. Aude, H 25)
L
es liens féodaux
et familiaux, fondamentaux dans
l’organisation de la
société de l’époque,
imposent aux princes
toulousains et à leurs
principaux
vassaux
une certaine prudence.
Comment
chasser
les hérétiques de son
domaine sans porter
atteinte aux relations
de fidélité nouées
avec ses vassaux et sans mettre en
danger son assise politique. En effet, le
catharisme a pénétré largement la petite
et moyenne aristocratie languedocienne.
De nombreuses raisons peuvent
expliquer cette situation. L’absence du
droit d’aînesse dans le processus des
successions en Languedoc est à l’origine
d’une fragmentation des seigneuries : les
mêmes biens font à chaque génération
l’objet de partages et le nombre de
coseigneurs s’accroît, amenuisant d’autant
leurs ressources. C’est dans cette petite
aristocratie appauvrie que le catharisme
prend souvent racine, et cela d’autant plus
facilement que ces seigneurs s’opposent
régulièrement à l’Église romaine pour
la préservation de leur patrimoine. Les
chartriers, notamment celui de l’abbaye
bénédictine de Lagrasse, témoignent des
rapports conflictuels qui existent entre les
établissements monastiques et certains
seigneurs au cours de la deuxième moitié
du XIIe siècle. Ces derniers remettent
souvent en cause les donations et
aumônes que leurs parents ont pu faire
à l’abbaye pour leur salut personnel,
réduisant d’autant le patrimoine familial.
Par ailleurs, sont fort impopulaires les
efforts menés par l’Église romaine pour
obtenir des seigneurs laïcs la restitution
des dîmes ecclésiastiques que ceux-ci
percevaient encore dans le Midi malgré
les condamnations prononcées à la suite
de la réforme grégorienne. Cette hostilité
marquée à l’égard des établissements
religieux jugés trop riches et trop
puissants politiquement et socialement,
on la rencontre également dans la
culture des élites aristocratiques et
urbaines : les troubadours qui chantent
l’amour courtois critiquent souvent
assez durement la vie menée par les
clercs romains, dénonçant la trahison
du message évangélique. Certains,
tels Raimon de Miraval ou Peire Vidal,
fréquentant les cours des seigneurs
cathares du Carcassès, apparaissent
suspects aux yeux de l’Église.
À
la lecture des archives inquisitoriales,
on constate que les femmes adhèrent
en assez grand nombre au catharisme :
en pays toulousain, elles représentent au
cours de la première moitié du XIIIe siècle
45 % des hérétiques. Cette présence est
déjà mentionnée au siècle précédent dans
une lettre adressée en 1143 à Bernard
de Clairvaux par Evervin, prévôt des
prémontrés de Steinfeld : « ces apôtres de
Satan [les hérétiques] ont parmi eux des
femmes, continentes à ce qu’ils disent,
veuves, vierges ou leurs épouses, les
unes au nombre des élues, les autres des
croyantes… ». Les témoignages en ce sens
ne manquent pas. Ainsi que l’écrit Anne
Brenon : « vers 1180, toute une génération
de la moyenne et petite aristocratie,
dames en tête, est chrétienne cathare et
ces bonnes dames transmettront leur
aspiration religieuse au berceau à leurs
enfants et petits-enfants ». Mais pour
quels motifs un nombre aussi important
de femmes adhère-t-il à cette forme de
christianisme ? Peut-être parce qu’elle offre
à celles-ci les moyens de mener une vie
chrétienne consacrée et
d’accéder à un certain
pouvoir
sacerdotal.
Nombreuses sont, au
sein même des villages,
les maisons religieuses
cathares regroupant
des femmes qui mènent
une vie apostolique
active, ouverte sur
l’extérieur (hospitalité,
soins aux malades,
prosélytisme),
au
contraire des moniales
catholiques cloîtrées.
’étude des chroniques
et des sources
inquisitoriales laisse
penser que le castrum
constitue un lieu
privilégié de vie pour
le catharisme occitan.
Ce système d’habitat
original, propre aux
pays
méridionaux
et à l’Italie du Nord,
regroupant
autour
du donjon ou de
l’église les maisons du
village, fait coexister
au sein des mêmes
murailles coseigneurs,
chevaliers, artisans et paysans, facilitant
ainsi les échanges au sein de la société.
Toutefois, si le castrum se rencontre
si souvent dans l’histoire de l’hérésie,
c’est peut-être parce qu’il incarne la
seule forme d’habitat organisé. Comme
l’écrit Benoît Cursente, « l’existence
d’un tel cadre de vie n’implique, par
lui seul, aucun déterminisme direct ».
Géographiquement le développement
de l’hérésie ne correspond en effet que
très partiellement à l’aire de diffusion
du castrum : la Provence et le Languedoc
oriental demeurent étrangers au
« nouveau christianisme ». Les relations
entre le castrum et l’hérésie constituent
assurément une piste de recherches qui
ne sauraient être négligées mais doivent
être considérées avec quelque prudence.
ombreux et divers sont donc les
facteurs qui se conjuguent pour
assurer le succès du catharisme en
Languedoc. Gageons que les nombreux
travaux scientifiques entrepris aujourd’hui
par les historiens et les archéologues
permettront d’approfondir la question.
À découvrir
Saviez-vous que le
département de l’Aude, et tout
particulièrement l’histoire
du catharisme, ont inspiré de
nombreux auteurs de bandes
dessinées ? C’est pourtant
une réalité que le Comité
Départemental du Tourisme de
l’Aude vous invite à découvrir au
travers d’une exposition « L’Aude,
pays cathare en bandes
dessinées ».
N
Pour tout renseignement et
réservation :
[email protected]
L
Un logo pour les
manifestations culturelles
organisées dans le cadre de
la Commémoration de la
Croisade
Château de Durfort
(cliché S. Nelli)
À demander aux
Archives départementales de l’Aude
([email protected])
Des rendez-vous à ne
pas manquer
D
ans le cadre de la commémoration du huit centième anniversaire de la croisade
contre les Albigeois, le Conseil général de l’Aude vous invite aux manifestations
culturelles suivantes :
- Conférence inaugurale par Gérard Gouiran, professeur de littérature occitane
médiévale à l’Université Paul Valéry-Montpellier III, sur le thème : « La Chanson
de la Croisade, un chant de résistance » le 3 avril 2009 à Lagrasse à 18 h 00.
- Les tables rondes organisées pour permettre au grand public de prendre
connaissance des derniers résultats de la recherche historique et d’engager le
débat avec des historiens confirmés :
- le 24 avril 2009 à Carcassonne : « Catharisme et croisade » ;
- le 19 juin 2009 à Limoux : « La culture méridionale au XIIIe siècle » ;
- le 11 septembre 2009 à Castelnaudary : « La société méridionale au
XIIIe siècle » ;
- le 18 septembre 2009 à Lézignan-Corbières : « Châteaux et forteresses
seigneuriales, habitat et peuplement au XIIIe siècle » :
- le 9 octobre 2009 à Narbonne : « Conséquences de la croisade contre
les Albigeois ».
Le programme détaillé des tables rondes et des manifestations festives organisées autour de ces
différentes conférences historiques sera communiqué ultérieurement.
D
u 17 septembre au 28 novembre 2009, les Archives départementales de l’Aude
vous convient à découvrir la société méridionale au XIIIe siècle au travers
d’une exposition présentée à Carcassonne, à la Maison des Mémoires « Au temps de
la croisade ». Objets religieux, civils ou militaires, chartes médiévales et cartulaires
originaux, des documents et des œuvres d’art exceptionnels seront montrés pour la
première fois au public audois.
Le quatrième concile de Latran en 1215,
prononçant la déchéance de Raymond VI comte de Toulouse
Manuscrit de la Chanson de la Croisade (BNF, ms fr. 25425, f°81)
En avantpremière
Voici le programme de la première
table ronde qui se tiendra à
Carcassonne (Conseil général, salle
Gaston Defferre) le 24 avril 2009 de
17 h à 19 h 30
Catharisme
et croisade
- Genèse des catharismes. Nouvelles
perspectives, par Pilar Jimenez,
docteur en histoire.
- L’Église cathare face à la Croisade,
par Anne Brenon, archivistepaléographe.
- La croisade contre les Albigeois
et la notion de croisade, par Alain
Demurger, maître de conférences
honoraire de l’Université de Paris IPanthéon-Sorbonne.
- Aspects militaires de la croisade,
par Martin Alvira-Cabrer, Université
Complutense à Madrid.
Entrée gratuite. Inscription auprès
des Archives départementales de
l’Aude par courrier (41 avenue Claude
Bernard, 11855 Carcassonne cedex 9)
ou par mail [email protected]
Château de Termes
(fonds René Nelli, cliché Jean-Louis Gasc)
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