3-42-3. Martial Simonin to H. Poincaré

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3-42-3. Martial Simonin to H. Poincaré
[Entre les mois de mai et juillet 1898]
Dans le numéro de mai dernier du Bulletin astronomique, p. 197, qui contient l’analyse d’une Note que vous avez bien voulu présenter l’an dernier aux Comptes rendus de
l’Académie des Sciences, t. CXXIV, p. 1423, 1 je lis que l’hypothèse admise par moi est
en contradiction avec tout ce que l’on sait sur la constitution du Soleil. 2
Cette critique ne me paraît pas exacte ; c’est pourquoi je me permets de vous adresser ces
quelques mots de rectification.
L’hypothèse qui m’a servi de point de départ est extraite du Tome II du Soleil du P. Secchi,
p. 219 et 222. 3
On lit (p. 219) : « Il est remarquable que les phases des diamètres sembleraient avoir
une correspondance avec les inégalités du périgée solaire, découvertes par M. Le Verrier.
Serait-ce là un effet de l’excentricité du centre de gravité du Soleil par rapport au centre
de figure ? En cette matière, on ne peut poser que des questions dont la solution est
réservée à la postérité . . . ».
Dans le même Ouvrage (p. 31), on lit aussi que la chromosphère n’a pas partout et toujours la même épaisseur.
Après de longues réflexions, j’ai été encouragé à vous adresser ma Note par la lecture de
cette conclusion d’un Mémoire de M. Dunér : 4
« Je dois avouer que cette différence entre le temps de rotation dans les différentes latitudes me semble incompréhensible et constitue un des problèmes les
plus difficiles de l’Astrophysique, d’autant plus que les recherches sur la rotation du Soleil, faites à l’aide des mesures sur les facules, semblent contredire
ce ralentissement. »
Dunér, Recherches sur la rotation du Soleil
(Société royale des Sciences d’Upsal, 1891).
La surface solaire m’a donc paru pleine d’énigmes ; aussi me suis-je cru autorisé à me
servir d’une nouvelle hypothèse pour expliquer le mouvement du périhélie de Mercure.
Les calculs de ma Note mènent à cette conclusion. 5
1. Simonin (1897) se propose “d’expliquer, à l’aide d’une hypothèse simple, les différences entre les valeurs
observées et théoriques des longitudes des périhélies ou des nœuds de certaines grosses planètes.”
2. Il s’agit de l’avis suivant de Guillaume Bigourdan :
M. Simonin montre qu’en admettant que le centre de gravité du Soleil diffère de son centre
de figure, on explique les différences entre les valeurs observées et les valeurs théoriques
des longitudes des périhélies ou des nœuds de certaines planètes sans introduire, pour
les autres planètes, une perturbation périodique variable. Malheureusement l’hypothèse
qui sert de base à cette explication est en contradiction avec tout ce que l’on sait de la
constitution du Soleil. (Bigourdan 1898, 18)
3. Secchi 1870.
4. Dunér 1891.
5. Le périhélie de Mercure présentait une avance séculaire anormale de plusieurs dizaines de secondes,
qu’on cherchait à expliquer depuis sa mise en évidence par Le Verrier (1859). Poincaré se penchera sur la
2
Tous se passe comme si les planètes causaient des marées sur la surface gazeuse du Soleil,
de même que la Lune cause des marées sur la surface des mers de notre planète.
Cette conclusion est en tout point conforme à ce que vous dites de l’attraction des planètes
sur le Soleil dans votre Notice sur la stabilité du Système solaire (Ann. du Bur. des Long.,
1898, p. B.14). 6
Que l’on considère ou non cette explication comme une simple interprétations des calculs, qu’on voie là une action de la gravitation, une action électrique ou magnétique,
on peut toutefois se demander si elle conduit, pour une autre planète que Mercure, à un
mouvement anormal du périhélie.
Si l’on admet que, comme cela se passe pour les marées, le rayon du cercle décrit par le
centre de gravité du Soleil autour du centre de figure est proportionnel à rm3 (m, masse de
la planète troublante ; r , sa distance au Soleil), on a, pour la somme approchée des variations séculaires des périhélies et des nœuds des diverses grosses planètes, le Tableau
suivant, où j’admets pour Mercure les variations données par M. Newcomb (Comptes
rendus, t. CXIX, p. 984) : 7
Planètes
Mercure
Vénus
Terre
Mars
Jupiter
Saturne
ı$ C ı d’après
M. Newcomb l’hypothèse Secchi
46" ˙ 6"
2 ˙ 30
5 ˙ 7
9 ˙ 10
"
"
46"˙6"
19 ˙ 6
4 ˙1
0; 1 ˙ 0; 0
0; 1 ˙ 0; 0
0; 001
L’hypothèse actuelle ne semble donc conduire à aucune contradiction et elle explique la
variation séculaire du périhélie de Mercure, qui n’a pu jusqu’alors être encore expliquée.
Il est bien évident que ces calculs ne sont qu’approchés ; j’y ai d’ailleurs négligé les
variations de l’excentricité et de l’inclinaison.
question lors de son cours de 1906–1907 sur “Les limites de la loi de Newton”, dont les notes d’Henri Vergne
ont été conservées aux Archives Henri Poincaré, et un résumé a été publié par Marguerite Chopinet (Poincaré
1953). L’avance anormale disparaîtra dans la théorie d’Einstein (1916) ; voir à ce sujet Roseveare (1982).
6. Poincaré 1898a. Dans ses réflexions sur la stabilité du système solaire, Poincaré évoque l’influence du
phénomène des marées ou des déformations élastiques sur le mouvement du soleil :
Mais le Soleil produit aussi des marées, l’attraction des planètes en produit également sur
le Soleil . . ..
Il ne faudrait pas croire qu’un globe solide, qui ne serait pas recouvert par des mers, se
trouverait, grâce à l’absence des marées, soustrait à des actions analogues à celles dont
nous venons de parler. Et cela, en admettant même que la solidification ait atteint le centre
de ce globe.
Cet astre, que nous supposons solide, ne serait pas pour cela un corps solide invariable ;
de pareils corps n’existent que dans les traités de Mécanique rationnelle.
Il serait élastique et subirait, sous l’attraction des corps célestes voisins, des déformations
analogues aux marées et du même ordre de grandeur. (Poincaré 1898b)
7. Newcomb 1894.
3
Si l’on considère que la période de onze ans, constatée dans certaines études sur le diamètre solaire, concorde avec le temps de révolution de Jupiter, que les conjonctions de
Mercure et de Vénus se succèdent tous les quatre et tous les dix mois, et, par suite, que
les actions respectives de Mercure, Vénus, et Terre peuvent introduire des variations
analogues ou plutôt inférieures à celles qu’on attribue aux erreurs d’observations dues
aux saisons terrestres, il me paraît grave de condamner, a priori, une hypothèse qui rend
mieux compte du mouvement du périhélie de Mercure que celles qui ont été proposées
jusqu’alors.
PTrL. Publiée dans Simonin (1898).
Cite this as : Scott A. Walter et al., eds., Henri Poincaré Papers, Doc. 3-42-3, http://henripoincarepapers.univ- nantes.fr/chp/pdf/simonin1898- 05.
pdf.
Bibliographie
Bigourdan, G. Compte rendu de M. Simonin, Sur le mouvement des périhélies de Mercure
et de Mars et du nœud de Vénus. Bulletin astronomique 15, 5, 1898, 197.
Dunér, N. C. Recherches sur la rotation du soleil. Uppsala : E. Berling, 1891.
Einstein, A. Die Grundlage der allgemeinen Relativitätstheorie. Annalen der Physik 354,
1916, 769–822.
Le Verrier, U. J. J. Théorie du mouvement de Mercure. Annales de l’Observatoire de
Paris 5, 1859, 51–103.
Newcomb, S. Sur les variations séculaires des orbites des quatre planètes intérieures.
Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 119,
24, 1894, 983–986.
Poincaré, H. Sur la stabilité du système solaire. Annuaire du Bureau des longitudes
1898a, B1–B16.
—. Sur la stabilité du système solaire. Revue scientifique 9, 20, 1898b, 609–613.
—. Les limites de la loi de Newton. Bulletin astronomique 17, 3, 1953, 121–269.
Roseveare, N. T. Mercury’s Perihelion : From Le Verrier to Einstein. Oxford : Oxford
University Press, 1982.
Secchi, A. Le soleil : exposé des principales découvertes modernes sur la structure de
cet astre, son influence dans l’univers et ses relations avec les autres corps célestes.
Paris : Gauthier-Villars, 1870.
Simonin, M. Sur le mouvement des périhélies de Mercure et de Mars, et du nœud de
Vénus. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences de Paris 124,
1897, 1423–1426.
—. Lettre de M. Simonin. Bulletin astronomique 15, 9, 1898, 366–368.
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