Des risques liés aux prélèvements à cœur arrêté (1)

publicité
33223_1068.qxp
18.4.2008
8:42
Page 1
point de vue
Des risques liés aux prélèvements
à cœur arrêté (1)
I
l est des sujets avec lesquels on ne
saurait plaisanter. C’est tout particulièrement vrai avec la pratique des
prélèvements d’organes dits «à cœur arrêté».
Acte I
Il y a un an, face à la pénurie de greffons disponibles, neuf équipes chirurgicales hospitalières françaises étaient autorisées à effectuer, à titre expérimental, des
prélèvements sur des victimes d’arrêt cardiaque. Au terme d’une longue réflexion
l’Agence française de la biomédecine avait
en effet décidé de lancer un programme
expérimental de prélèvement d’organes,
non plus chez des personnes en situation de coma dépassé, et maintenues en
survie artificielle dans des services de
réanimation, mais chez des individus dont
le cœur vient de cesser de battre et qui
n’ont pas pu être réanimés. Cette pratique avait progressivement été abandonnée en France.
Sur la base de résultats obtenus dans
plusieurs pays étrangers (Belgique, PaysBas, Royaume-Uni, Japon et Espagne) et
sans que le législateur ne se soit prononcé sur le sujet, un consensus s’était progressivement dégagé pour estimer que
certaines personnes en situation de mort
encéphalique après un arrêt cardiaque
persistant pouvaient être considérées
comme des donneurs d’organes. Les deux
premiers prélèvements de ce type avaient
été pratiqués avec succès, fin 2006, à
Lyon. En avril 2007 neuf équipes hospitalo-universitaires (Angers, Bordeaux,
Lyon, Marseille, Nancy, Strasbourg, Paris
ainsi que Saint-Louis, la Pitié-Salpêtrière
et Kremlin-Bicêtre) se préparaient à tenter d’obtenir des résultats équivalents à
ceux enregistrés à l’étranger. Saisie de la
question, l’Académie nationale de médecine estimait alors que le protocole défini
par l’Agence de biomédecine «était conforme à toutes les dispositions éthiques
et déontologiques». En pratique, les prélèvements ne pourraient être effectués
que dans les six heures qui suivent l’arrêt cardiaque initial, et ce en respectant
une série de précautions techniques et
éthiques.
Ces prélèvement ne pourraient concerner, pour l’essentiel, que des personnes
ayant fait un arrêt cardiaque en dehors de
tout contexte de prise en charge médicalisée ainsi que celles pour lesquelles le
massage cardiaque et la ventilation mécanique n’ont pas été efficaces. Les autorités françaises avaient aussi, pour des
raisons éthiques, interdit les prélèvements
1068
chez les personnes dont l’état de santé
a conduit à une décision médicale d’arrêt de soins en réanimation. Dans La
Revue du Praticien le professeur Alain Tenaillon, (Agence de la biomédecine) observait néanmoins que cette catégorie représentait l’essentiel des donneurs à cœur
arrêté aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au
Japon ou au Royaume-Uni.
Acte II
Dans son édition du 15 avril le quotidien Le Parisien évoque sur ce thème un
«cas qui sème le trouble». L’affaire trouve
son origine dans une récente réunion des
membres d’un groupe de travail de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP) sur les enjeux éthiques des prélèvements à cœur arrêté. «En bref, il s’agit
d’un arrêt cardiaque a priori consécutif à
un infarctus du myocarde car étant survenu chez un homme de 45 ans coronarien
connu, ne suivant pas son traitement et
ayant présenté des prodromes caractéristiques, peut-on lire dans le compte-rendu de cette réunion. L’intervention très
rapide du SAMU (no flow inférieur à dix
minutes) assortie d’une réanimation bien
conduite ne permet la reprise d’aucun
rythme (asystolie). La proximité d’un établissement où une intervention de corodilatation pouvait être effectuée motive la
décision de poursuivre les manœuvres
de réanimation à visée thérapeutique (notamment planche à masser) et un transport rapide vers cet hôpital. A l’arrivée, il
n’existe toujours aucune reprise d’activité
cardiaque. La décision de pratiquer une
coro-dilatation fait l’objet d’une nouvelle
évaluation, notamment avec l’équipe des
cardiologues sur place, et est remise en
question : sur le plan technique, une telle
intervention ne s’avère pas faisable (notamment du fait de la planche à masser).
La personne est donc considérée à partir
de ce moment comme un donneur potentiel à cœur arrêté. L’équipe de coordination est alertée. Les chirurgiens (non
immédiatement disponibles à l’arrivée du
patient) arrivent et procèdent à l’abord
des vaisseaux, ce qui permet de mettre
en place une ECMO (après plus de 1 h 30
de non-reprise d’activité cardiaque). La
CEC installée est totale (indisponibilité immédiate de sonde avec ballonnet d’obstruction sus-diaphragmatique). En retirant
les champs opératoires, le patient présente des signes de respiration spontanée, une réactivité pupillaire, et un début
de réaction à la stimulation douloureuse.
Autrement dit, il existe des "signes de vie"
(ou symptômes) – énoncé équivalent à
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 23 avril 2008
l’absence des signes cliniques de la mort.
On constate par ailleurs une reprise de
l’activité cardiaque. Après plusieurs semaines émaillées de complications graves, le
patient marche et parle (les détails concernant l’état neurologique ne sont pas
connus, mais ce constat suffit ici à l’illustration du propos pour notre réunion).»
Acte III
L’Agence de la biomédecine a aussitôt réagi à la publication du Parisien. Ses
responsables ont expressément tenu à
rappeler que le protocole de prélèvement
sur personne décédée après un arrêt cardiaque ne permet d’envisager le prélèvement que si le décès est dûment constaté
et signé par le médecin en charge de la
personne. «Le cas rapporté sur le site de
l’espace éthique de l’AP-HP est un patient pour lequel la mort n’a jamais été
constatée, expliquent-ils. Il est d’abord
nécessaire de rappeler que tout a été
mis en œuvre par les équipes médicales
pour sauver le patient. Par ailleurs, ainsi
que rappelé dans le compte-rendu sur le
site de l’espace éthique de l’AP-HP, le patient n’était pas décédé et aucun constat
de décès n’a donc été fait pour cette personne en arrêt cardiaque. Le prélèvement
en vue de greffe n’était donc pas envisageable à ce stade de la prise en charge
du patient.»
Les responsables de l’Agence soulignent que cette pratique est en place depuis plusieurs années dans un certain
nombre de pays étrangers : «En Espagne,
par exemple, l’activité de prélèvement sur
donneurs décédés après un arrêt cardiaque représente à Barcelone et Madrid
respectivement 20% et 63% des prélèvements, avec des résultats équivalents
aux prélèvements sur donneurs en état
de mort encéphalique. Aux Pays-Bas, les
prélèvements sur donneurs décédés après
arrêt cardiaque représentent 30% de la
totalité des prélèvements rénaux. D’autres
pays comme le Royaume-Uni ou les EtatsUnis pratiquent également ce type de
prélèvement. La France a pu s’appuyer
sur l’expérience de ces pays étrangers
pour mettre en place cette pratique. Il
faut rappeler que chaque année, plus de
13 000 personnes sont en attente d’une
greffe d’organes. Ainsi, au 31 décembre
2007, le prélèvement sur personnes décédées après arrêt cardiaque a permis de
réaliser 43 greffes rénales.»
(A suivre)
Jean-Yves Nau
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2008
00
Téléchargement