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LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 23 l N° 827 l 13 OCTOBRE 2009
ENTRETIEN
Coralie Jean-Ailleret
Fragilité du patient âgé : un état dynamique
feste. Plusieurs études ont montré une
corrélation positive entre l’augmentation
de la fragilité mesurée selon cette méthode
et la survenue d’événements associés à
une détérioration du pronostic : chute,
hospitalisation, dépendance ou entrée en
institution.
Mais la fragilité n’est pas
que physique…
Tout à fait. Il existe bien d’autres facteurs
la favorisant, comme l’isolement, une
condition sociale défavorable ou un deuil.
Il faut donc aller vers une vision plus glo-
bale de la santé. Rockwood a ainsi pro-
posé que les praticiens abordent la fragi-
lité en tenant compte non seulement des
critères de Fried mais aussi du nombre
des déficiences recensées chez leur
patient et de leur propre impression cli-
nique, construite à partir de ce qu’ils
savent de son histoire personnelle et de
ses antécédents médicaux. Ces derniers
critères sont particulièrement pertinents
pour les médecins généralistes, qui
connaissent très bien leurs patients âgés.
Pour mieux appréhender cette multi -
factorialité, il est utile de se référer à la
notion de « fragilité globale ». Elle fait
intervenir au moins 5 facteurs. Facteurs
génétiques : en plus des altérations de la
réplication et de la transcription du patri-
moine génétique, il existe vraisembla -
blement des gènes associés à la fragilité
globale, intervenant dans les processus
métaboliques, inflammatoires et de
coagulation. Le parcours de vie rassem-
ble les agressions (de toute nature) subies
par le patient au cours de son existence,
liées à son éducation, ses conditions de
vie et de travail, son alimentation, son acti-
vité physique, des infections, etc. L’adap-
tation au vieillissement physiologique
induit des effets délétères ; par exemple,
l’ostéoporose peut être considérée comme
un processus adaptatif pour s’alléger. Les
pathologies chroniques sont un facteur
évident de fragilisation. Il faut ici insister
sur deux points : les effets iatrogènes
éventuels des traitements et l’importance
des pathologies dépressives, démentielles
ou responsables de troubles nutritionnels.
Enfin, le cadre de vie du patient est
important : relations avec les proches et
les voisins, disponibilité et efficacité des
systèmes d’aide, qualité de la prise en
charge médico-sociale, et notamment de
la coordination des professionnels impli-
qués, etc.
Bergman a proposé de rassembler ces fac-
teurs dans un « parcours de fragilité glo-
bale », comportant 4 étapes. Au fur et à
mesure que le sujet vieillit, il accumule
un certain nombre de déterminants qui
lui sont propres (génétiques, conditions
de vie, hygiène de vie, etc.). À cette étape,
la promotion de la santé et la prévention
sont des éléments cruciaux. Plus ou moins
précocement, apparaissent des patholo-
gies chroniques, dont il est possible de
retarder les effets délétères. Surviennent
ensuite des indicateurs de fragilité,
comme une perte de poids, une diminu-
tion de l’endurance physique, une défi-
cience cognitive. Enfin, dans une dernière
étape, adviennent des événements de
mauvais pronostic, comme une hospitali-
sation ou une admission en institution.
Cependant, il existe des prises en charge
pouvant ralentir ou diminuer l’impact de
ces deux dernières étapes, qui sont celles
d’une fragilité avérée.
Comment définit-on la fragilité ?
Elle est définie de façon consensuelle
comme une diminution de l’homéostasie
et de la résistance face au stress qui aug-
mente la vulnérabilité et les risques d’ef-
fets néfastes tels que la progression d’une
maladie, les chutes, les incapacités et la
mort prématurée par baisse des réserves
fonctionnelles. Elle ne se résume donc
ni à la pathologie multiple, ni à la perte
d’autonomie, ni au vieillissement. C’est un
état dynamique, qui peut être maintenu
en équilibre par des interventions appro-
priées. C’est le stade intermédiaire entre
la « robustesse » et la dépendance.
Quelle est l’origine du concept
de fragilité en gériatrie ?
La plupart des patients âgés ont plusieurs
pathologies chroniques. Mais ils ne
consultent le plus souvent qu’à l’occasion
d’un événement clinique traduisant la
décompensation de l’une d’elles. Dans les
années 1990, plusieurs auteurs ont fait
l’hypothèse que cette décompensation
était favorisée par la plus ou moins grande
fragilité associée à l’âge et qu’il était pos-
sible de mettre en place des stratégies
préventives adaptées.
Pour évaluer cette fragilité, le plus com-
mode était de partir de sa dimension phy-
sique, la plus tangible et accessible à la
mesure. Parmi les nombreuses méthodes
proposées, c’est celle de Linda Fried qui a
prévalu en raison de sa facilité d’emploi.
Elle est fondée sur 5 critères dynamiques :
perte de poids involontaire depuis un an,
diminution de la vitesse de marche, de
l’endurance et des activités et augmenta-
tion de la fatigue. Ils définissent trois états
de fragilité : nulle, intermédiaire et mani-
Gériatre de l’équipe mobile de gériatrie externe, à l’Hôpital européen Georges-Pompidou
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