Mais le plus important, et J. Wansbrough13 l'avait bien vu, est d'intégrer l'islamisme, qui
sera si successful bien plus tard, par hasard et par des détours tortueux, dans toute une
foule de mouvements sectaires, un bouillon de culture et de religion, celui de la multitude de
prêcheurs, de livres religieux, d'histoires pieuses qui se racontent et se transmettent, de rites
bizarres. L'islamisme glorieux dans sa solitude, puis seul contre tous, phénomène aussi
unitaire et unique que ses prétentions, voilà ce qu'il faut jeter aux oubliettes de la science
historique, jamais assez emcombrées.
Wansbrough l'a mis en évidence par un petit exercice qui a consisté à récupérer dans le
corpus coranique toutes les phrases-types, récurrentes, les "formula" comme il dit,
employées comme emprunts, venues d'ailleurs et qui servent à toute la littérature sectaire de
l'époque, au caractère très polémique. Ainsi, l'islamisme apparaît comme ce qu'il était à ses
débuts, un petit mouvement hystérique et eschatologique, luttant pour sa survie, maniant les
instruments à sa disposition. Telle est la manière dont Wansbrough voit la naissance de
l'islamisme, à travers la notion d' "histoire islamique du salut".14
3
La piste judéo/chrétienne
Mais trêves de bavardages. Ce gros chapitre de notre travail prend en compte une
hypothèse de travail incontournable: prendre l'islamisme comme une forme issue d'un
milieu juif et chrétien, qu'il soit ou non un judéo-christianisme constitué, institutionnel.15 De
cette manière, le mouvement commence comme une hérésie, et une secte, parmi d'autres, et
qui pour des raisons qui ne sont pas toutes élucidées, a connu plus de succès que les autres, et
a écrasé les autres.16
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13 Livres fondamentaux: Quranic Studies: Sources and Methods of Scriptural Interpretation, Oxford, 1977;
The Sectarian Milieu: Content and Composition Of Islamic Salvation History, Oxford, 1978.
14 Rien que la piètre riposte qu'il a suscitée, en qualité, suffit à prétendre que ses travaux doivent
être pris avec le plus grand sérieux (cf. Fazlur Rahman). Les thèses de Wansbrough ont l'avantage
d'apporter de l'air frais et d'ouvrir des perspectives, d'être "seminal", comme disent les Anglo-
saxons, même si certaines de ses conclusions ont été depuis révisées (comme la date, trop récente,
qu'il propose pour la composition coranique). Ses opposants se distinguent par la faiblesse insigne
de leur argumentation, qu'ils veulent compenser par la brutalité, le persiflage, et in fine, la
déformation de ses propos (quand ils l'ont lu, ce qui n'est pas toujours certain); lire à ce sujet une
traduction en français d'un article de H. Berg, "The Implications of, and Opposition to, the Methods
and Theories of John Wansbrough" paru dans la revue Method & Theory in the Study of Religion 9.1
(1997): 3–22, http://lesplumesdupaon.fr/nouveau/fiche610.html
15 La piste est à la mode en ce moment: mais comme souvent, elle est suivie parfois trop vite, parfois
trop loin. Des points de vue christianocentristes peuvent aussi gâcher la démarche.
16 L'idée qui peut être proposée est celle-ci: un expansion militaire, laïque, aurait pu précéder de
peu (ou se faire accompagner, mais accessoirement) d'une réforme religieuse. Par la suite, l'équilibre
s'inverse, et la doctrine s'édifie sur les ruines de la victoire...