Amélogénèse imparfaite : protocole de traitement d`un cas (PDF

ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE
nL’amélogenèse imparfaite est une affec-
tion héréditaire qui se manifeste par
des défauts amélaires en denture tem-
poraire et permanente.Cette anomalie
génétique n’est pas nécessairement associée à une
pathologie générale ou à une maladie systémique.
Son incidence est de 1/700 à 1/14 000 selon la
population étudiée et les critères de diagnostic uti-
lisés [1-3]. La transmission génétique de cette af-
fection peut se faire selon le mode dominant, ré-
cessif, ou lié au chromosome X [4, 5].
Sur le plan phénotypique, il existe 4 formes recon-
nues d’amélogenèse imparfaite : hypoplasique, hy-
pomature, hypominéralisée et mixte [6].
La forme hypoplasique est caractérisée par un émail
d’épaisseur réduite dont la surface peut présenter
des puits ou des fissures. Dans la forme hypominé-
ralisée,l’émail est friable,décoloré et s’élimine rapi-
dement.Dans le type hypomature,l’émail a un aspect
opaque et crayeux [7]. Ces défauts amélaires peu-
vent être associés à des problèmes éruptifs,une attrition
sévère,une perte de dimension verticale d’occlusion
et une béance. Si les problèmes les plus sévères se
rencontrent dans la forme hypominéralisée, les
doléances esthétiques sont toujours exprimées par
les patients,quelle que soit la forme de l’amélogenèse
imparfaite. Radiologiquement, cette affection se
manifeste par des couronnes de morphologie altérée,
parfois une disparition de la couche d’émail ou une
densité similaire à celle de la dentine.
>Catherine MILLET
>Élias BITTAR
>Renaud NOHARET
(Lyon)
>Frédérique PFEFFER
(Lissieu)
>Jean Pierre DUPREZ
(Lyon)
L’amélogenèse imparfaite constitue
un groupe d’anomalies du développement
affectant la structure et l’apparence
clinique de l’émail de toutes les dents.
Ce trouble congénital se caractérise
par une altération amélaire qui peut
présenter plusieurs formes cliniques.
La prise en charge précoce est capitale
chez les enfants atteints car elle permet
d’atténuer les répercussions fonctionnelles,
esthétiques et psychologiques.
Le traitement est généralement mis
en place durant l’enfance et poursuivi
à l’âge adulte.
Protocole de traitement de
l’amélogenèse imparfaite
Mots-clés
> Amélogenèse
imparfaite
> Dimension
verticale
d’occlusion
> Enfant
> Prothèse fixée
Clinic -Novembre 2009 - vol. 30 1
Le père présente une amélogenèse imparfaite
hypoplasique traitée à l’âge adulte par de la prothèse
fixée.Par ailleurs,sont rapportés des problèmes den-
taires similaires chez deux cousines germaines du
côté paternel.
Examen clinique
L’examen du visage de face et de profil ne montre
pas d’asymétrie particulière.
L’examen clinique endobuccal met en évidence un
émail fin et rugueux laissant apparaître par endroits
la dentine sous-jacente sous forme de taches jaunes
aussi bien sur les dents temporaires que permanentes.
On peut noter également des dents très fines et
espacées,surtout dans les secteurs antérieurs maxil-
laire et mandibulaire (fig. 2). Les dents présentent
une faible hauteur coronaire,elles sont indemnes de
caries et le niveau d’hygiène est correct (fig. 3).
Delphine se trouve en phase d’établissement de la
denture adulte jeune. À la mandibule comme au
maxillaire, les secondes prémolaires et deuxièmes
molaires n’ont pas encore évolué. En effet, les
deuxièmes molaires temporaires sont encore pré-
sentes sur l’arcade. La 74 est restaurée par un amal-
game. La 21 présente une couleur grisâtre, un bord
libre fracturé et une reconstitution au composite sur
la face palatine. Selon les dires de l’enfant, le traite-
ment date de l’année précédente par suite d’une
chute ayant entraîné une fracture de la dent qui s’est
ensuite infectée.
Fondé sur l’examen clinique et radiographique, le
diagnostic est parfois difficile lorsque certaines
caractéristiques cliniques sont associées dans des phé-
notypes différents [8]. Le diagnostic doit pourtant
être réalisé précocement afin de commencer le trai-
tement en denture lactéale [9].Le traitement esthé-
tique et fonctionnel varie en fonction de la sévérité
de l’atteinte : reconstitutions coronaires partielles
(composites, inlays, facettes), prothèses amovibles
(conventionnelles ou supraradiculaires), reconstitu-
tions complètes fixes. Par ailleurs, ce traitement
nécessite généralement une prise en charge multi-
disciplinaire [10-12].
Dans cet article, sont décrits le traitement initial et
la restauration à long terme d’une enfant atteinte de
cette affection
Cas clinique
Delphine,9 ans,accompagnée de sa mère,se présente
en consultation au Service d’odontologie des Hos-
pices civils de Lyon.Elle est adressée par son praticien
traitant pour diagnostic.La fillette se plaint de dents
sensibles à la mastication et aux aliments acides. En
outre, elle souffre de son sourire inesthétique lié à
un émail d’aspect rugueux et à l’incisive centrale
supérieure gauche dépulpée (fig. 1).L’anamnèse
médicale ne révèle aucune pathologie. Au niveau
des antécédents familiaux,on constate que les deux
frères et la mère de Delphine ne sont pas atteints.
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ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE
1. Vue antérieure avec l’incisive centrale
permanente gauche (21) fracturée chez
Delphine, âgée de 9 ans.
2. Vue occlusale des dents permanentes
antérieures mandibulaires.
3. Vue clinique de face le jour de la
première consultation.
4. Supraclusion incisive importante.
1
2
3
45
5. Orthopantomogramme.
L’examen des rapports dento-dentaires révèle une
classe II division 1 avec une supraclusion incisive très
importante, le bord libre des incisives mandibulaires
vient au contact de la gencive palatine maxillaire (fig. 4).
Les sommets cuspidiens des premières molaires mon-
trent des zones d’usure et sont déjà émoussés. La
dimension verticale d’occlusion (DVO) est réduite.
On note également un overjet important (1 cm),
probablement consécutif à une succion du pouce.
Examen radiologique
L’examen radiologique (orthopantomogramme)
montre un os alvéolaire de bonne densité et la pré-
sence de tous les germes à l’exception de celui de
la 18. L’émail est visible radiographiquement mais
présente une épaisseur minime. Le traitement
endodontique de la 21 est insuffisant (fig. 5).
Diagnostic et proposition thérapeutique
Le tableau clinique oriente vers un diagnostic d’amé-
logenèse imparfaite de type hypoplasique.Afin de
préserver les structures dentaires et leur vitalité,une
restauration prothétique globale est recommandée.
Les conséquences d’une abstention thérapeutique
sont expliquées aux parents et à l’enfant.Cette der-
nière a beaucoup souffert du préjudice esthétique,
elle est de ce fait prête à fournir de gros efforts pour
y remédier.
Le traitement initial englobe la reprise du traitement
endodontique très insuffisant de la 21 et la réalisation
de coiffes pédodontiques. Celles-ci permettent de
supprimer les sensibilités et d’augmenter la dimension
verticale d’occlusion. La phase transitoire consiste
en la réalisation du traitement orthodontique. La
prothèse fixée d’usage sera réalisée à l’âge adulte.
Après obtention du consentement éclairé,les diffé-
rentes étapes peuvent débuter.
nPhase initiale
La première séance est consacrée à la motivation,
aux conseils d’hygiène,à la prophylaxie et aux conseils
alimentaires (éviter sucreries et sodas).
Pendant la deuxième séance, les 34, 36, 44, 46 sont
préparées et des couronnes préformées métalliques
en nickel-chrome (Ion®, 3M Santé) sont mises en
place sur les 36 et 46 ainsi que des coiffes préformées
en polycarbonate (Ion®, 3M Santé) sur les 34 et 44
(fig. 6 et 7).
La préparation intrasulculaire des 4 dents est effec-
tuée sous anesthésie locale avec une fraise diamantée
conique.C’est une préparation de dépouille a minima
avec un léger congé.Les couronnes métalliques sont
choisies en fonction de la taille du moignon et de
la dimension verticale d’occlusion que l’on veut res-
taurer. Les coiffes en polycarbonate sont ajustées et
affinées aux limites des préparations,par meulage du
rebord cervical à l’aide d’une pointe montée en
carborandum. Les coiffes sont rebasées avec une
résine autopolymérisable (Unifast®,GC). Elles sont
scellées avec un ciment verre ionomère (CVI Fuji I®,
GC) après un polissage soigneux. Ces couronnes
provisoires permettent de rétablir la dimension ver-
ticale d’occlusion en se fondant sur des critères
esthétiques et phonétiques. Au cours de la même
anesthésie, il est procédé à l’extraction des 75 et 85
déjà fortement résorbées.
Il faut noter que la séance de travail est entrecoupée
de nombreuses périodes de repos car la bouche de
la patiente est de petite taille.
La troisième séance est consacrée à la préparation
des 14,16,24,26 et à la mise en place de couronnes
et de coiffes préformées.Cette séance permet d’éta-
blir définitivement la nouvelle dimension verticale
d’occlusion (fig. 8 et 9).
Pendant la quatrième séance, la reprise du traite-
ment endodontique sur la 21 et l’obturation par
condensation ultrasonique latéro-verticale sont réa-
lisées (fig. 10).
Les deux séances suivantes sont consacrées aux pré-
parations des incisives et des canines maxillaires et man-
dibulaires et à la mise en place de couronnes préfor-
mées en polycarbonate.Celles-ci sont ajustées et rebasées
aux limites cervicales des préparations (fig. 11 et 12).
Clinic - Novembre 2009 - vol. 30 3
ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE
6 et 7. Préparation et
mise en place d’une
couronne préformée
métallique sur la 46 et
d’une coiffe en
polycarbonate sur la
44 (Ion®, 3M Santé).
Extraction
de la 85.
6
7
la surempreinte avec un polysulfure moyenne viscosité
dans un porte-empreinte individuel (fig. 14).Les
rapports intermaxillaires sont enregistrés. Après
essayage des armatures en or (fig. 15) et du biscuit,
une séance est consacrée au réglage soigneux des
formes et des fonctions dynamiques (latéralité et
protrusion). Les couronnes céramo-métalliques
sont glacées avant scellement au CVI (Fuji I®,GC)
(fig. 16 et 17).Un contrôle semestriel est alors imposé
à Delphine qui est pleinement satisfaite du résultat
esthétique et fonctionnel.
Discussion
Le diagnostic précoce est important pour différentes
raisons. La première est de pouvoir exclure l’exis-
tence d’une pathologie systémique qui peut avoir
comme conséquence une hypoplasie de l’émail. La
seconde est de pouvoir mettre en ?uvre des mesures
préventives. En effet, l’absence de traitement pré-
coce aura des conséquences directes liées à la défi-
cience amélaire – douleurs, sensibilités, aspect ines-
thétique – et des conséquences indirectes – attrition,
perte de la dimension verticale d’occlusion,réduction
de la longueur d’arcade, migrations dentaires, phé-
nomènes de compensation (interposition linguale,
nPhase transitoire
Les dents étant toutes préparées, le traitement
orthodontique de classe II division 1 avec supra-
clusion est entrepris.
– il débute par la pose d’un activateur pour une
durée de 6 mois ;
– il se poursuit par la mise en place d’un appareillage
multibagues (fig. 13).
Selon l’orthodontiste, le collage des brackets sur les
coiffes provisoires facilite grandement le traitement.
En effet,le collage sur un émail défectueux est plus
difficile et aléatoire.Au cours de cette phase ortho-
dontique qui a duré 2 ans, les coiffes provisoires ne
se sont pas descellées.
Il faut noter la réalisation de coiffes en nickel-chrome
sur les deuxièmes molaires et de coiffes en polycar-
bonate sur les secondes prémolaires lorsqu’elles ont
fait leur apparition sur l’arcade.
nConfection de la prothèse d’usage et maintenance
Delphine, en fin de croissance, est maintenant âgée
de 16 ans. La restauration prothétique finale peut
être entreprise.Les coiffes transitoires sont déposées
et les préparations dentaires affinées.L’empreinte des
préparations est prise dans des logettes en résine avec
un polysulfure basse viscosité (Permlastic®, Kerr) et
4Clinic - Novembre 2009 - vol. 30
ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE
8 et 9. Dimension verticale d’occlusion augmentée par les couronnes et coiffes
préformées sur les premières molaires et premières prémolaires.
11 et 12. Préparation des piliers antérieurs et mise en place des coiffes provisoires. 10. Radiographie de la 21 après
reprise du traitement endodontique.
8
11 12
9
10
béance antérieure,bi-proalvéolie) [13].Enfin,le trai-
tement est important pour des raisons fonctionnel-
le et esthétique mais aussi pour l’impact psycholo-
gique et l’amélioration de la qualité de vie du patient.
Le plan de traitement dépend de différents facteurs
tels que l’âge,le statut socio-économique,le type et
la sévérité de l’affection et la situation intrabuccale
au moment du plan de traitement [10, 14]. Patient
et praticien doivent discuter des avantages et in-
convénients des différentes options thérapeutiques
possibles. La prise en charge est dans de nombreux
cas multidisciplinaire,associant la dentisterie restau-
ratrice,la prothèse,l’orthodontie et parfois même la
chirurgie maxillo-faciale.L’omnipraticien ou l’odon-
tologiste pédiatrique en est le maître d’œuvre.
Dans le cadre du Service d’odontologie de Lyon,
une fois la stabilité des arcades atteinte lors de la
phase transitoire, nous procédons depuis plusieurs
années à la réhabilitation prothétique avec des res-
taurations en céramique basse fusion sur armature
or (Dégunorm®, Dégudent) en privilégiant les
reconstitutions unitaires [15].Ces réhabilitations glo-
bales permettent à l’adolescent d’aborder le passage
à l’âge adulte sans problèmes fonctionnels ni com-
plexes esthétiques. Leur succès est conditionné par
une très bonne hygiène et si possible une absence
de tabagisme qui fragiliserait le parodonte.
Conclusion
La mise en œuvre précoce du traitement est pri-
mordiale pour préserver le capital dentaire de l’en-
fant en assurant une fonction qui lui permettra de
pouvoir s’alimenter sans difficulté et en maintenant
une esthétique qui évitera qu’il puisse se sentir « dif-
férent ». n
>Catherine MILLET
PU-PH
Responsable du Département prothèses
>Élias BITTAR
Ancien assistant des Universités - PH
>Renaud NOHARET
Assistant hospitalo-universitaire
Service d’odontologie des Hospices civils
de Lyon,
6-8 place Depéret,
69365 Lyon Cedex 07.
>Frédérique PFEFFER
Prothésiste dentaire,
6 allée des Chevreuils,
69380 Lissieu.
>Jean Pierre DUPREZ
MCU-PH,
Responsable de l’Unité fonctionnelle
de pédodontie,
Service d’odontologie des Hospices civils
de Lyon,
6-8 place Depéret, 69365 Lyon Cedex 07.
Clinic - Novembre 2009 - vol. 30 5
ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE
13. Appareillage sur les coiffes provisoires. En fin de traitement
orthodontique, Delphine est âgée de 12 ans.
14. Empreinte des préparations au polysulfure.
15. Essayage des 28 chapes en or et contrôle de l’occlusion.
13 14 15
16 et 17. Contacts occlusaux en or
sur prémolaires et molaires
maxillaires pour stabiliser
l’occlusion.
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