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« Quand on est dans le fond, on doit être
solidaire pour trouver des solutions. » Lu-
cidité du diagnostic, marche de coopé-
ration, recherche de politiques innovantes : les
trois axes du colloque « veloppement écono-
mique: quelles stratégies intercommunales pour
demain ? » sont réunis dans la formule de Jean
Malapert. Le président de la communauté de
communes du Coglais était l’un des 250 partici-
pants de cette manifestation organisée le 28 juin,
au Sénat, par l’AdCF et l’Institut supérieur des
métiers (ISM).
Si la recette miracle pour enrayer, à un niveau
local, les effets de la crise na évidemment pas
été trouvée, des présidents de communau ont
néanmoins ouvert des pistes pour en amortir les
impacts et identifier des leviers possibles pour re-
bondir. De nombreux témoignages ont signalé des
pièges à éviter, à la faveur de leur expérience de
terrain. Un terrain pluriel d’ailleurs, tant il est vrai
que tous les bassins d’emploi ne subissent pas les
turbulences économiques avec la même violence.
Vulnérabilité des bassins industriels
La crise 2008-2009 a en effet mis en évidence la
vulnérabilide certains types de territoires par
La crise économique n’est pas égalitaire avec les territoires. Si elle frappe de plein fouet les plus vulnérables,
et notamment beaucoup de bassins industriels ruraux, d’autres semblent traverser la crise sans même
la voir, en raison des puissants amortisseurs dont ils disposent et de la faible exposition de leurs activités
aux turbulences mondiales. Pour autant, ne plus jurer que par l’ « économie résidentielle » ne saurait être
la réponse magique des territoires. Chacun a conscience de la nécessité de combiner différents types
d’activités et d’éviter des phénomènes caricaturaux de spécialisation. Le colloque organisé par l’AdCF et
l’Institut supérieur des métiers (ISM) le 28 juin dernier, au Sénat, a permis de débattre de la reformulation en
cours des stratégies intercommunales de développement.
« L’économie résidentielle peut aussi coûter
très cher, les départements sont en train de s’en
apercevoir. » Loïc Cauret, président de Lamballe
Communauté
« Il était plus facile de convaincre les politiques
d’accompagner le développement des entreprises
quand le retour de taxe professionnelle ramenait
trois fois la mise initiale. » Geneviève Fioraso,
vice-présidente de Grenoble-Alpes Métropole
Dans la
turbulence
de la
crise économique
Dossier Mutations éco
rapport à d’autres qui ne « la sentent quasiment
pas passer », comme le montrent les travaux
conduits par léconomiste Laurent Davezies (cf.
interview p. 9), dans le cadre de l’Observatoire
des impacts territoriaux de la crise constitué par
l’AdCF et la CDC. Les premiers frappés sont les
bassins demploi de sous-traitance industrielle,
ruraux ou semi-ruraux, qui ne disposaient de
quasiment aucun amortisseur (peu d’emploi pu-
blic, peu d’attractivité résidentielle…)
Ce sont les mêmes qui, en vingt-cinq ans et à
travers trois crises, ont le plus souffert. Les
secteurs industriels et manufacturiers « prennent
le choc de plein fouet et, une fois la crise passée,
ne retrouvent pas le niveau dactivi antérieur,
comme peut le faire le BTP ou les services. À lex-
ception de lagroalimentaire et lautomobile », pré-
cise Laurent Davezies.
Pour les territoires concernés, « pas de si-
lience » en vue: le choc conjoncturel ne fait que
s’ajouter à une crise profondément structurelle.
« La crise, qui est sans doute loin d’être achee,
vèle une série de crises structurelles, remettant
en cause notre modèle d’économie industrielle »,
© AdCF
© AdCF
N° 148 - Septembre 2010 AdCF Intercommunalités
explique l’économiste. D’ailleurs, les grandes mé-
tropoles et les territoires dits résidentiels passent
entre les mailles.
L’illusion du « tout résidentiel »
Faut-il pour autant parier sur la seule « écono-
mie résidentielle »? S’il na pas inventé le concept,
Laurent Davezies est celui qui en a diffusé auprès
des collectivités la connaissance à travers ses nom-
breux travaux. Même s’il en a montré l’importance
considérable dans les économies locales (à travers
les revenus redistribués par les transferts sociaux
ou les salaires publics), Laurent Davezies est le
premier à se montrer critique sur les stratégies de
développement strictement résidentielles. « Ce qui
est horrible, c’est que tout le monde pense que je
suis le chantre de l’économie résidentielle », a-t-il
confié à la salle. Luniversitaire, par ailleurs doc-
teur en urbanisme, qualifie même de « cyniques »
les cideurs locaux qui parieraient exclusive-
ment sur ce moteur économique. Et d’ajouter, un
rien sabusé : « cyniques ou fidèles au mandat
que leur imposent certains électeurs, tout dépend
du point de vue ». Car continuer à attirer des
activités productives, exposées à la concurrence
internationale, n’est pas de tout repos localement.
Les stratégies cyniques, Marc Andro nest pas du
genre à les accepter lorsqu’il prédit les ravages de
« l’illusion sidentielle » dans les politiques lo-
cales. Cest même avec une certaine colère que le
vice-président de Quimper Communauté, chargé
du développement économique, touristique et de
l’aménagement de l’espace, dénonce « les collec-
tivités (qui) ont compris que la réforme de la TP
ne favorisait plus les activités économiques et de-
mandent maintenant aux industries de s’instal-
ler plus loin ». Ce serait un très mauvais calcul, a
renchéri Geneviève Fioraso, vice-présidente de
Grenoble-Alpes Métropole et députée de l’Isère,
qui a pour sa part décidé de « ne pas faire le choix
d’un veloppement contre un autre ». Lagglomé-
ration rhône-alpine se garderait d’ailleurs bien de
miser sur « une économie de vieux », en cherchant
à capter le pouvoir d’achat de seniors fortunés.
D’ailleurs, « même les vieux riches coûtent cher,
car ils vont vivre très longtemps », ironise l’élue
grenobloise. « C’est très bien de vouloir cupérer
les baby boomers solvables, mais ça ne dure qu’un
temps », confie, dans le même sens, Charles-Éric
Lemaignen, président de la communauté
d’Orléans Val-de-Loire.
« Soigner les niches et l’innovation »
« Léconomie sidentielle peut aussi coûter très
cher aux collectivités en termes de services et de
prestations. Les départements sont en train de sen
apercevoir », note Loïc Cauret, en énumérant les
services sociaux associés à la présence de certains
publics. « Les territoires qui concentrent les retrai-
tés riches subissent du même coup une pression ur-
baine et foncière très élevée », ajoute le président de
Lamballe Communauté.
Si, promis juré, ces élus nentendent pas manger de
ce pain-là, c’est aussi parce que leurs opportunités
locales sont ailleurs. Grenoble a bâti son velop-
pement sur la haute technologie et poursuit sur sa
lancée car « pour un emploi de haute technologie,
trois emplois sont générés dans la sous-traitance,
la recherche et les services », se félicite Geneviève
Fioraso ; 80 % des 200 millions d’euros du projet
Minatec relèvent ainsi de l’argent public. « Il était
plus facile de convaincre les politiques daccompa-
gner le développement des entreprises quand le re-
tour de taxe professionnelle ramenait trois fois la
mise initiale », craint toutefois l’élue grenobloise.
« Il faut soigner les niches et l’innovation, être à
lécoute des opportunités », demeure convaincu
Charles-Éric Lemaignen, en prenant l’exemple
d’un ancien chercheur qui a créé, dans l’agglomé-
ration d’Orléans, une entreprise de traitement des
phosphates dans les nappes phréatiques. Cette dé-
marche « découte » serait également indispensable
à l’égard des entreprises en difficulté. « Il faut voir
les dirigeants et les salariés, s’interroger avec eux. »
À la question posée par le colloque « Déve-
loppement économique : quelles stratégies
intercommunales pour demain ? », nombre de
témoignages ont répondu par l’idée que les
politiques de développement économique,
d’urbanisme et de maîtrise foncière sont inti-
ment liées. « Je n’avais jamais senti à ce point-
là, et si fortement, que l’on ne peut pas abor-
der l’un sans l’autre », a confié Loïc Cauret. Et
le président de Lamballe Communauté de s’in-
terroger, au passage, sur « le type d’ingénierie
à mettre à disposition des territoires ».
« L’urbanisme est une carte maîtresse du dé-
veloppement économique », est également
convaincue Estelle Grelier, présidente de la
communauté de communes de Fécamp. Une
carte à jouer, notamment pour accompagner
l’évolution des parcs d’activités. Compétition
territoriale et développement durable obligent,
les programmes immobiliers récents sont da-
vantage soucieux de l’intégration paysagère,
de la maîtrise des impacts des activités éco-
nomiques sur l’eau ou le bruit, de la collecte
des déchets, ou encore de l’accessibilité et des
services aux salariés. « Les grandes agglomé-
rations qui n’offrent pas, dans leurs zones d’ac-
tivités, des crèches intégrées, un plan de dé-
placement d’entreprises et des infrastructures
soucieuses de la consommation d’énergie
sont en dehors du coup », prévient Jean-Pierre
Moure, 1er vice-président délégué à l’urbanisme
de Montpellier Agglomération le PDE
concerne 45 000 salariés.
Indissociable de l’urbanisme, « la problé-
matique du foncier est au cœur des enjeux »,
ajoute Charles-Éric Lemaignen, président de la
communauté d’Orléans Val-de-Loire. « Si on ne
dispose pas d’un établissement public foncier,
il faut, a minima, flécher les espaces dédiés à
l’activité dans les SCoT et, si possible, dans
des PLU et, si possible encore, constituer des
réserves foncières », conseille-t-il en mettant
en garde contre les friches industrielles et
commerciales que, cette fois encore, « seule la
politique d’urbanisme peut gérer ». VL
Urbanisme et économie :
deux politiques intimement liées
« C’est le rôle des communautés d’associer
le plus en amont possible les décideurs
économiques. » Jacques Chabal, président de
la communauté de communes du Pays du Cheylard
« Europe-région-bloc local est le schéma le plus
intégré qui nous tirera vers le haut (avec l’État
dans le rôle de grand péréquateur). »
Estelle Grelier, présidente de la communauté de
communes de Fécamp
« La notion de chef de file doit progresser pour
gagner en lisibilité et en efficacité du point de
vue du temps, du résultat et de la gestion des
deniers publics. » Dominique Braye, président de
la communauté de Mantes-en-Yvelines
crise économique
© AdCF
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© Leonid Nyshko - Fotolia.com
N° 148 - Septembre 2010 AdCF Intercommunalités
D’autres relations avec les collectivités…
La crise rebat les cartes des relations avec les autres
niveaux de collectivités. Dominique Braye, prési-
dent de la communauté de Mantes-en-Yvelines, en
appelle à une « union sacrée » dans laquelle s’expri-
merait « une solidarité intercommunale et intraré-
gionale ». De tels partenariats doivent être animés
par un chef de file, notion qu’il espère bien voir
progresser « pour gagner en lisibilité et en efficacité
du point de vue du temps, du résultat et de la ges-
tion des deniers publics ».
Dans son esprit, selon qu’il s’agisse d’accompagner
un pôle de compétitivité, d’encourager le capital-
risque local ou d’aider la création d’entreprises, le
chef de file pourra être la région, le département
ou la communauté. « Europe-région-bloc local est
le schéma le plus intégré qui nous tirera vers le
haut, avec l’État dans le rôle de grand péréqua-
teur », considère Estelle Grelier, présidente de la
communauté de communes de Fécamp et députée
européenne, en soulignant son faible départemen-
talisme et en précisant qu’elle ne croit malheureu-
sement « plus trop » aux ambitions péréquatrices
de l’État.
Pour Jacques Chabal, président de la communauté
de communes du Pays du Cheylard, un problème
se pose « lorsqu’il y a deux chefs de file ». Selon lui,
la compétence revenant de droit à la région, les
communautés « doivent être pour la quotidien-
neté, dans la réalité des bassins de vie ».
Malgré les différences de territoires et de sensibi-
lité, un consensus réunit ces élus sur la nécessité
de placer les communautés en situation de « chef
de file » du développement économique local.
Dominique Braye a regretté le « statu quo légis-
latif » sur la question. Le sénateur des Yvelines
observe que « le terrain, en attente d’une simpli-
fication, est déjà organisé ». « Lorsque les régions
reconnaissent les pays, cela leur permet davoir un
nombre limité d’interlocuteurs de terrain », illustre
l’élu breton Marc Andro. Le pays peut coordonner
utilement les actions de plusieurs communautés,
notamment en matière de veloppement touris-
tique, de promotion territoriale ou d’animation des
tissus dentreprises. À la tête d’une communauté de
6 500 habitants, Jacques Chabal se félicite ainsi que
le territoire de Valdac (Valence Drôme Ardèche
Centre, 200 000 habitants) prenne en charge la
prospective et la veille économique à l’échelle de
plusieurs communautés.
… et avec le monde économique
Ces nouvelles stratégies passent par un renouveau
de la relation avec le monde économique. Les té-
moignages des élus et des représentants consulaires
on montrer la nécessité croissante pour les entre-
prises de dialoguer avec les intercommunalités et
les communes, y compris sur des sujets connexes à
leur compétence économique comme les déchets,
L’ouvrage « L’action
économique des
communautés, res-
sources et modes
d’intervention de
l’intercommuna-
lité au service du
développement écono-
mique local », publié en juin dernier,
est disponible auprès de ses éditeurs,
l’AdCF et l’ISM.
Contact AdcF :
Anne-Sophie Blanchard,
les réseaux (voirie, assainissement, énergie…), les
solutions de garde d’enfants pour les actifs, les
déplacements de salariés et de marchandises…
Des communautés se dotent d’outils de concerta-
tion avec les chefs d’entreprise via les conseils de
développement ou des instances analogues. Mais
attention! « On parle beaucoup, chacun amène une
idée mais, si l’instance de démocratie participative
nest pas fédérée et soutenue par les élus, la réflexion
risque de se concentrer sur des détails du quotidien
et pas sur une vision politique économique », a averti
Jacques Chabal. Sa recette: « c’est le rôle des com-
munautés d’associer le plus en amont possible les
décideurs économiques » et de les aider à parvenir
à une position « unanime ».
En la matière, l’étude de l’AdCF et de l’ISM sur les
relations avec les milieux consulaires montre que
celles-ci sont plus collaboratives qu’il y a quelques
années et que la division du travail se précise.
« Nous respectons l’expertise des consulaires, nous
ne cherchons pas à dédoubler leurs champs de com-
pétence », témoigne Marc Andro, vice-président de
Quimper Communauté. « Les bureaux détudes font
des diagnostics, donnent des chiffres et repartent ;
les consulaires, par définition, nont pas ce genre de
pratique », témoigne un représentant d’une com-
munauté de communes de Dordogne.
« La seule fois que la chambre
de métiers m’a sollicitée»
Tout dépend, encore, des territoires. « La seule
fois que la chambre de métiers m’a sollicitée, c’était
pour me demander daccueillir un centre Leclerc ! »,
a regretté Estelle Grelier, tout en évoquant en re-
vanche le « guichet unique » créé par la commu-
nauté avec la CCI et le Medef.
Au sein de Montpellier Agglomération, les relations
avec la chambre de métiers sont « excellentes » s’est
félicité Jean-Pierre Moure premier vice-président
de la communauté d’agglomération. Lélu est éga-
lement ravi du travail collaboratif réalisé avec la
chambre d’agriculture sur la déclinaison du SCoT
en PLU. Les politiques de pôles de compétitivité, de
clusters ou de « grappes d’entreprises » ont trans-
formé depuis dix ans la nature des rapprochements
entre communautés, organismes consulaires et
monde de l’entreprise. Lenjeu est désormais de
« faire des choses ensemble » et de conduire des
actions concrètes dans des champs tels que l’inno-
vation, la gestion prévisionnelle de l’emploi et des
compétences, ou encore l’accompagnement de la
création d’entreprises.
Si l’accueil des entreprises et la mise à disposition
d’une offre foncière constituera encore pour long-
temps le cœur de métier des communautés (96
% des communautés d’agglomération et 73 % des
communautés de communes, selon une enquête
2009 de l’AdCF), chacun sait bien qu’il faudra de
plus en plus agir sur l’ensemble du cycle de vie de
l’entreprise pour susciter un « écosystème » favo-
rable. En termes de retombées fiscales, ce nest pas
le seul capital investi au départ qui comptera mais
la capacité du tissu local d’entreprises à accroître
sa valeur ajoutée. « Avant, on calculait l’investisse-
ment en fonction du retour dans la TP. La réforme
fiscale nous incitera à un vrai pacte financier, beau-
coup plus intégré en termes d’urbanisme, de ve-
loppement économique, dans le cadre d’une straté-
gie territoriale plus globale », anticipe Charles-Éric
Lemaignen en se qualifiant d’ « optimiste lucide ».
Une posture que nombre d’élus aimeraient égale-
ment adopter, mais sans cacher pour autant leurs
inquiétudes du moment.
Valérie Liquet
Dossier Mutations éco
« La réforme fiscale nous incitera à un vrai pacte
financier, beaucoup plus intégré en termes
d’urbanisme, de développement économique,
dans le cadre d’une stratégie territoriale plus
globale. » Charles-Éric Lemaignen, président de
la communauté d’Orléans Val-de-Loire
« Les collectivités qui n’offrent pas, dans leurs
zones d’activités, des crèches intégrées, un plan
de déplacement d’entreprises et des infrastruc-
tures soucieuses de la consommation d’énergie
sont en dehors du coup. » Jean-Pierre Moure,
vice-président de Montpellier Agglomération
88
© CEA MINATEC pierrejayet.com
Dans l’agglomération de Grenoble, le campus d’inno-
vation Minatec de 20 hectares compte parmi les cinq
premiers mondiaux en micro et nanotechnologies. Les
70 000 m2 de locaux abritent 4 000 personnes, dont
2 400 chercheurs, 1 200 étudiants, 600 industriels et
spécialistes du transfert technologique. Une ville
dans la ville.
© AdCF
© AdCF
La crise de 2008-2009 a-t-elle touché
les mêmes territoires que celle de 1993 ?
On dit que le choc de cette crise na pas été si impor-
tant et, à certains égards, moins violent que celui de
1993. Ce qui est sûr, c’est que le type de zone d’em-
ploi de loin le plus pénaliest, une nouvelle fois,
nos fameux petits bassins demploi industriels. Ce
sont ceux qui ont les plus fortes spécialisations dans
les emplois douvriers qualifiés ou non, avec peu de
cadres et d’ingénieurs. Ils enregistrent, en moyenne,
une variation de 43 % de leur taux de chômage.
Il serait abusif de parler de « coup de grâce » (je pré-
fère employer lexpression « sur-choc »), mais la vio-
lence avec laquelle nos fameux systèmes productifs
locaux industriels ont vu leurs activités frappées,
pour lessentiel dans la partie nord du pays, suggère
que la crise a é une bonne prédatrice en s’attaquant
aux plus faibles. D’autant que, on la vérifsur les
cennies passées, les pertes d’activis industrielles,
aclérées lors des récessions, sont des pertes défini-
tives. Ce qui est perdu nest jamais retrouvé.
Il ny a pas là de choc conjoncturel (qui suggèrerait
que les emplois industriels feraient du yo-yo comme
les autres secteurs), mais un choc structurel.
Pourquoi parlez-vous de « double peine »
pour les territoires les plus durement
touchés cette fois-ci ?
La géographie des destructions d’emplois se recoupe
souvent avec celle des territoires qui ont vu leurs
recettes fiscales amputées par le remplacement de la
taxe professionnelle. C’est saisissant en région Pays
de la Loire, en Rhône-Alpes et dans le Nord-Est,
notamment en Alsace-Moselle. Mais ce nest pas vrai
partout: les régions méridionales et le Nord-Pas de
Calais ne sont pas concernés par cette corrélation.
Certains territoires roulent aujourd’hui sur des pistes
fones; ils n’ont aucun amortisseur pour rebon-
dir. Et ce ne sont pas les coupes de la RGPP (Ndlr:
vision générale des politiques publiques) dans
les effectifs de l’État territo-
rial (restructuration militaire,
réforme de la carte judi-
ciaire, etc.) qui permettront
de développer une économie
domestique.
Combiné à lérosion de leurs
finances publiques, ce ressac
de la présence publique s’ap-
parente me à une triple
peine. Ces territoires seront-
ils demain placés sous perfusion? Il me semble qu’il
y a un vrai sujet pour la Datar.
Quels sont les territoires qui ne semblent
pas subir la crise ? Cette situation est-elle
durable ?
Les territoires productifs qui s’en sortent le mieux
sont plutôt de grandes villes dotées d’actifs quali-
fiés (associant ingénieurs, cadres, techniciens, voire
ouvriers qualifiés). Dautres parviennent à contrôler le
chômage grâce à l’emploi public, sanitaire et social, et
d’autres grâce à une demande locale forte qui soutient
les emplois du commerce, de l’artisanat, des services
à la personne.
Ces territoires « résidentiels » étaient les grands pri-
vilégiés de la crise de 1993. Ils se trouvent toujours
dans une situation globalement proe (à part les
territoires qui tirent des navetteurs leurs revenus
résidentiels dactifs qui sont presqu’aussi frappés
que les territoires « productifs »). Les chocs sur le
tourisme, limmobilier, la construction et la faible
augmentation probable des
emplois publics (qui devraient
leur bénéficier au premier
chef, vu leur croissance mo-
graphique) n’ont pas empêché
quune grande partie du Sud et
de l’Ouest du pays, spécialisés
dans la réponse à la demande
des nages, na finalement que
peu souffert de ces deux années
de crise « exceptionnelle ».
Attention toutefois aux conclusions hâtives. On avait
observé, sur la crise de 1993, que le choc avait d’abord
été plus violent dans les territoires productifs non
métropolitains, puis, avec un délai dun an, s’était
placé vers les métropoles, avec pour sultat que ce
sont elles, et notamment l’Île-de-France, qui avaient
finalement le plus souffert de l’ensemble de la période
de crises (en termes de PIB et d’emploi)...
Propos recueillis par Olivier Crépin
et Valérie Liquet
(*) La crise et nos territoires : premiers impacts, édition AdCF et
CDC pour la recherche, octobre 2010.
9
Intercommunalités AdCF 148 - Septembre 2010
INTERVIEWS
Professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris et expert indépendant, Laurent Davezies a réalisé, pour
le compte de l’AdCF et de l’Institut CDC pour la recherche (Caisse des Dépôts), une étude sur les premiers
impacts territoriaux de la crise de 2008-2009. Il nous livre, quelques jours avant sa publication*,
un avant-goût de ses observations.
Laurent Davezies
La crise a été
une bonne prédatrice
en s’attaquant aux
plus faibles
Évolution du chômage : +30 à +170 % Évolution du chômage : +8 à +30 %
Évolution du taux de chômage
entre le 2e trimestre 2008
et le 1er trimestre 2010
47
170
41
30
29
23
8
Source des données :
Dares & Pôle emploi
…amorti, ici L’impact, là…
!"#$"#%&'()"
Hausse
%
en
TYPOLOGIE DES MOTEURS
DU DÉVELOPPEMENT LOCAL
Les zones d’emplois impactées selon
leur moteur de développement local
Source des données : Calcul d’après l’Oeil
IDF
Productif
Public
Social
Résidentiel
Prol moyen
Productif & Social
Productif & Public
Productif, Public, Social
Productif & Résidentiel
Public & Social
Résidentiel & Public
Résidentiel & Social
© AdCF/MapsDesigners, 2010
Dossier Mutations éco
1010
Mutations économiques, désindustrialisation :
un diagnostic partagé ?
E
n installant, le 8 juillet dernier, la Conrence
nationale de l’industrie, Christian Estrosi a
annon l’entrée en vigueur du dispositif de
200 millions d’euros de soutien à la industrialisa-
tion. Ce dispositif, ouvert aux entreprises jusqu’au 30
juin 2013, vise à accompagner par le biais davances
remboursables des projets dau moins 5 millions
d’euros d’investissement, devant aboutir à la créa-
tion dau moins vingt-cinq emplois dans un délai de
trente-six mois. Objectif: « encourager la localisa-
tion compétitive en France des outils de production
et de R&D, notamment des PME-PMI, et renforcer le
“produire en France ». Un mot d’ordre qui semble
avoir pris en compte, au moins pour partie, les diffé-
rentes études réalisées ces dernières années.
D’abord, selon l’Insee, la France a encore perdu,
depuis 2002, 500 000 emplois industriels (soit 13 %
des effectifs de l’industrie). Les statistiques mon-
trent toutefois que les mutations économiques ne
sont plus de même nature. Les restructurations de
la dernre décennie sont plus fréquentes et concer-
nent tous les secteurs d’activité, contrairement aux
restructurations sectorielles et massives des années
1970 à 1990, qui avaient frappé principalement la
sidérurgie, le textile, les bassins miniers et les chan-
tiers navals.
R&D : réviser le positionnement
Repositionner les efforts de recherche et développe-
ment sonne ensuite, en effet, comme une urgence,
compte tenu du recul global du poids de la France
dans la valeur ajoutée des industries manufactu-
rières des pays de l’OCDE.
Le rapport Beffa de 20051 relevait déjà, à ce titre,
une concentration massive de l’aide publique à la
R&D dans les secteurs de la défense et des grands
programmes historiques (aéronautique, spatial, nu-
cléaire, secteur nanoélectronique), au détriment des
autres secteurs. Lancien PDG de Saint-Gobain pré-
conisait alors la création d’une agence de l’innova-
tion industrielle.
Dans le me esprit, le centre d’analyse stra-
gique (CAS) explique la faiblesse de la R&D privée
L’industrie française a perdu 36 %
de ses effectifs en moins de
vingt ans. Elle est passée
de 5 327 400 emplois en 1980 à
3 414 000 en 2007, selon l’Insee.
Pour mettre fin à cette saignée,
le gouvernement mobilise
200 millions d’euros pour aider à
la réindustrialisation.
L’objectif est d’augmenter de 25 %
la production industrielle française
d’ici fin 2015. Reste à savoir si les
pouvoirs publics ont tiré les leçons
du diagnostic… De ce point de vue,
les analyses ne manquent pas.
Les impacts des mutations économiques
sur les territoires relèvent de la mission
de « l’État-aménageur » qui œuvre dans ce
domaine depuis plus de vingt-cinq ans. La
première politique « fondatrice » date de
1984, avec la définition de quinze pôles de
conversion (dont celui de Decazeville). L’an-
née suivante, suite au rapport Lacaze1 qui
comptabilise 20 000 hectares de friches in-
dustrielles en France (dont la moitié dans le
Nord), l’État et les Charbonnages de France
engagent une politique de traitement des
sites à l’image des opérations menées à la
même époque dans les docks anglais.
L’État a désormais changé de vocabulaire.
Finie la reconversion industrielle. Depuis le
début de la décennie, il parle plus volontiers
de « revitalisation » ou de « réindustrialisa-
tion ». Il a modifié ses outils en conséquence,
sans toutefois chercher à évaluer leur effica-
cité, comme le déplore le Conseil d’orienta-
tion pour l’emploi (COE) dans un récent rap-
port2. Rétrospective.
2002-2003 : Inspirés de la mission Viet3, les
Ciadt des 13 décembre 2002 et du 26 mai 2003
fixent les grandes lignes de l’action de l’État
pour « anticiper et accompagner les muta-
tions économiques », notamment avec la
mise en place de douze contrats de site. La
Mission interministérielle sur les mutations
économiques (MIME) est créée le 28 janvier
2003. Entre 2002 et 2008, 465 conventions de
revitalisation, concernant 6 600 emplois, sont
signées avec des entreprises qui s’engagent
à investir un total de 295 millions d’euros,
soit environ 50 millions d’euros par an.
2005 : Neuf mois après le rapport Beffa inti-
tulé Pour une nouvelle politique industrielle4,
le Ciact du 14 octobre conforte la Datar dans
sa mission interministérielle « d’accompa-
gnement territorial des mutations et de la
compétitivité des territoires ». La Datar ab-
sorbe la MIME et devient Diact (elle retrou-
vera son nom de baptême fin 2009).
2008 : Le président de la République annonce,
le 21 février 2008, sur le site de l’ancienne
usine de Metaleurop à Noyelles-Godault, la
création du Fonds national de revitalisation
des territoires (FNRT). Depuis la suppression
du Comité interministériel pour les restructu-
De la politique de reconversion industrielle à la réindustrialisation
française par un mauvais positionnement sectoriel.
Il observe également la faible intensité en R&D des
entreprises de taille intermédiaire et note que la va-
lorisation économique des investissements privés
en R&D est relativement faible2.
De l’industrie aux services
Tout récemment, la Direction générale du Trésor
a publié une analyse du recul de l’emploi dans l’in-
dustrie, en distinguant les déterminants extérieurs
(concurrence internationale) des déterminants in-
rieurs aux frontres françaises. La concurrence
étrangère naurait contribué qu’à hauteur de 13 % à
la baisse de l’emploi industriel entre 1980 et 2007.
Sur la même période, il apparaît surtout que « la
recherche d’une plus grande efficaci par les entre-
prises sest traduite par un recours croissant à lexter-
nalisation (sur le territoire) dune partie des activités
industrielles vers le secteur des services. » La Direc-
tion générale du Trésor estime ces transferts d’em-
plois à 25 % des pertes d’emplois industriels. Elle
évalue par ailleurs à 30 % la part des pertes d’emplois
imputable à « la déformation de la structure de la
demande qui a accompagné les gains de productivité
réalisés dans léconomie »3.
Cette série montre que l’anticipation et l’accompa-
gnement des mutations économiques représentent
un enjeu global dadaptation permanente : adaptation
N° 148 - Septembre 2010 AdCF Intercommunalités
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