Rabbi Israël Lipkin de Salant et la tradition du Moussar
NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2010 KOUNTRASS Nº 140 HECHWAN - KISLEV 577126
2 Rabbi Zundel fut le
disciple préféré de rabbi
'Haim de Volozhyn dont
il suivit l’enseignement
de 1803 à 1821, date de
la mort de son maître.
Mû par l’amour d’Erets
Israël que lui avait
inculqué rabbi 'Haim de
Volozhyn, il alla s’établir
à Jérusalem en 1837.
Il s'installera dans le
fameux 'hatser Strauss, où
s'étaient installés d'autres
grands rabbanim se ré-
clamant de cette école.
Le domaine de l‘éducation – que ce soit par le
biais de l’enseignement ou par la médiation de
l’expérience dont on tire des leçons – est donc
souvent concerné par les différents usages de ce
mot. Quand on en considère les différentes accep-
tations, ce même terme sous-tend tout le spectre
des mitswoth : aussi bien les mitzwoth ché-ben
adam laMaqom/qui concernent l’homme vis-à-vis
de son Créateur que les mitswoth ché-ben adam
la'havéro/l’homme vis-à-vis de son prochain. De
ce point de vue, le programme du Moussar, tel que
l’a pensé et élaboré rabbi Israël de Salant puise
aux racines mêmes de la tradition juive.
Dans la mesure où la doctrine du Moussar se
conçoit comme une discipline éducative, il im-
porte aussi d’en cerner les principales dimensions,
de manière à indiquer quels sont ses champs d’ap-
plication. Pour rabbi Israël, le Moussar suppose
d’abord la yirat Chamaïm (la crainte du Ciel), qui
est le fondement de toute sagesse, ainsi que l’en-
seignent les Proverbes (1,2). Partant de ce qui est
son fondement ultime, mais aussi son motif ma-
jeur, le Moussar est par voie de conséquence une
sagesse pratique, puisque muni de la yirat Cha-
maïm, celui qui s’exerce au Moussar est en me-
sure de s’écarter du péché, en distinguant le bien
et le juste. Aussi, une fois expérimenté dans ce
domaine, grâce à la maîtrise des textes et des exer-
cices qui leur correspondent, l’étudiant est à son
tour en mesure de dispenser son instruction aux
autres, an de les éveiller à la vie morale, qui est le
cœur de la vie spirituelle. Toutes les connaissances
liées à cette dernière doivent être communiquées,
pour le bien de tous. N’est-il pas dit que « le frère
aidé par son frère est comme une ville haute et
forte » (Michlé/Proverbes 18,19) ?
L’idée de l’éveil moral est au centre de la ré-
exion de rabbi Israël Salanter, qui a l’habitude
de comparer la pratique du Moussar à l’action du
chofar au mois d’Eloul. L’éveil moral est à la fois
appel et rappel : rappel du peuple à ses propres va-
leurs, appel de chaque personne à s’accomplir à
l’aune de ces mêmes valeurs, en tant qu’elles fon-
dent le sens de la vie.
La tradition du
Moussar
La présentation de ce point pourrait ressembler à
la première michna des Pirqé Avoth, qui présente
la succession des Sages de génération en généra-
tion. Ainsi rabbi Salanter, en son temps, constitue
un maillon cardinal dans la chaîne ininterrompue
de la tradition du Moussar qui, selon la plupart des
historiens du mouvement, commence avec rabbi
Eliyahou, le Gaon de Vilna (1710-1797) qui l’a
transmise à son disciple rabbi Hayim de Volozhin
(1749-1821) qui l’a transmise à rabbi Yossef Zun-
del de Salant (1786-1866) lequel l’a transmise à
rabbi Israël Lipkin de Salant (1810-1883).
Rabbi Lipkin est né à Zhagare, en Lituanie. Il
fut élève de rabbi Tsvi Hirsh Broidé, à la Yechiva
de Salant. Il reçut aussi l’enseignement de rabbi
Zundel de Salant qui demeura à la fois sa réfé-
rence et son modèle d’accomplissement humain2.
En 1840, rabbi Lipkin fut roch Yechiva, avant de
fonder son propre établissement. De cette époque
date la fondation des premiers centres du Moussar.
C’est dans ce contexte qu’il favorisa une édition
populaire des œuvres méditatives susceptibles de
contribuer à l’éducation morale de ceux qui fré-
quenteront ces lieux.
En 1848, pressé d’accepter la fonction de direc-
teur de l’Ecole Rabbinique et du Séminaire des
enseignants de judaïsme – institution créée à l’ins-
tigation des autorités tsaristes pour hâter la russi-
cation de la population juive –, il refusa ce poste
et alla s’établir à Kovno (Kaunas) en 1854 où vit
le jour la première Yechiva du Moussar.
En 1861, il créa la revue Tevouna, qui devait
connaître douze numéros, mais il dut interrompre
sa parution faute de moyens. Tevouna fut le pre-
mier organe de diffusion des idées du Moussar ;
nombreux furent les contributions, tant dans le do-
maine de la halakha que de l’éthique religieuse.
D’autres voyages marquèrent l’activité inlassable