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fondamentaux. Ceux-ci peuvent être succinctement caractérisés comme suit : le théâtre en
Chine a été constamment un art à la fois dramatique et musical : parties chantées, psalmodiées,
scandées et parlées alternent dans une même pièce. De plus, même dans les parties parlées les
plus prosaïques, l’orchestre, toujours présent, ne se laisse jamais oublier : coups de tambours,
gongs ou cymbales rythment et ponctuent constamment l’élocution du comédien, et le
percussionniste-chef d’orchestre participe autant que l’acteur à l’expression dramatique. Bref,
le théâtre traditionnel chinois est à chaque instant musical
. D’où son nom moderne de xiqu
戲曲, qui signifie littéralement « jeu dramatique » (xi 戲) et « airs » (qu 曲), ou encore « arias
dramatiques » si l’on lie grammaticalement les deux morphèmes. Il serait donc plus juste de
parler de « théâtre chanté » chinois, même si on ne peut guère éviter le terme d’ « opéra
chinois » tant il est passé dans l’usage. Le terme d’opéra n’a pourtant de sens que s’il existe
comme en Occident un « théâtre parlé » qui s’en distingue. Or, un tel genre n’apparut en
Chine qu’au début du XXe siècle, et par imitation de modèles occidentaux.
Le second trait persistant concerne la stylisation du jeu des comédiens : très tôt ont
existé des types de rôles (juese 角色) et des catégories d’emplois prédéfinis, appelés
hangdang 行當. Leur liste et leurs appellations ont varié avec le temps, mais on a, en général,
distingué la catégorie des protagonistes masculins (mo 末, sheng 生, [Figure 1]), des
protagonistes féminins (dan 旦), et des jing 净, encore appelés « visages peints » en raison de
leur impressionnant maquillage multicolore, qui regroupe les personnages violents, emportés,
effrayants ou vils ; de cette dernière catégorie furent tardivement isolés les personnages de
clowns (chou 丑, littéralement « les affreux »). Ajoutons que ces grandes catégories admettent
de nombreuses subdivisions en fonction de l’âge, du caractère ou de l’identité du personnage.
Or, chacun de ces emplois est caractérisé par une hauteur de voix, une gestuelle, un
maquillage particuliers. Cette grande stylisation – réclamant également une grande technicité
– permet à un comédien d’incarner un personnage indépendamment de son âge ou de son
sexe : les hommes ont ainsi toujours pu jouer des rôles de femmes et vice-versa ; un jeune
acteur peut se spécialiser dans les emplois de vieille femme (laodan 老旦) ; une actrice tenir
un emploi de « visage peint » (jing) guerrier, etc. Cette stylisation a aussi pour conséquence le
caractère non naturaliste du théâtre chinois : on peut s’y passer de décors, les comédiens
délimitant l’espace par le mime, et le passage du temps peut être librement accéléré ou ralenti,
parfois au cours d’une même scène.
Pour une étude portant sur la dimension vocale et musicale d’un genre important du xiqu, voir Wichmann, 1991.