Eugène Labiche
et le vaudeville
Le vaudeville sous la Monarchie de Juillet
et la Deuxième République
Dans l’œuvre d’Eugène Labiche, le vaudeville occupe,
on le sait, une place considérable. Ce genre dramatique
né à l’extrême n du XVIIe siècle et au début du
XVIIIe, grâce notamment à Dufresny et à Lesage, se
caractérisait par la présence, au sein de la pièce, de
vaudevilles, c’est-à-dire de couplets chantés par les
personnages, sur des airs connus. On employait alors,
et on employa longtemps, les expressions comédie à
vaudeville ou comédie mêlée de couplets. Les parties
chantées alternaient avec les parties simplement dites,
comme dans l’opéra-comique, à cette diérence près
que dans ce dernier les airs étaient originaux. Plus
tard, par métonymie, on appela vaudevilles les pièces
gaies mêlant parole et chant. Puis quand les couplets
eurent disparu – entre 1860 et 1870 – on conserva
le même nom pour désigner toute pièce reposant
essentiellement sur le comique de situation.
En 1850, les vaudevilles comportaient beaucoup
moins de couplets qu’au siècle précédent, mais le genre
était encore très en faveur. Le critique Jules Janin ne
dénombrait alors pas moins de 168 vaudevillistes.
Le plus célèbre d’entre eux était Eugène Scribe qui
régnait sur la scène française depuis une trentaine
d’années, très exactement depuis L’Ours et le Pacha
créé en 1820. Il avait profondément transformé le
genre : composé jusque-là de couplets reliés par une
trame légère, le vaudeville se dotait grâce à lui d’une
intrigue solidement charpentée, ménageant nombre de
situations comiques. Tel qu’il était devenu, ce type de
pièce avait néanmoins des ennemis acharnés comme
le poète éophile Gautier. Et bien des lettrés le
méprisaient, lui préférant les comédies de caractère ou
de mœurs au langage plus littéraire, par exemple celles
d’Emile Augier, l’auteur de L’Aventurière (1848). D’où
la conscience des vaudevillistes d’appartenir à une
sorte de race inférieure.
Cela ne les empêchait nullement d’être accablés de
travail et de se voir harcelés par les directeurs des salles
spécialisées dans le vaudeville, comme le Palais-Royal,
qui leur réclamaient sans cesse de nouvelles œuvres :
en eet le public de théâtre étant moins nombreux que
de nos jours, la durée d’exploitation des pièces était
plus brève. Si bien que pour satisfaire à la demande,
ils étaient contraints de travailler à deux ou à trois –
comme ils le faisaient déjà au siècle précédent. Au
surplus, la libre émulsion de talents complémentaires,
l’atmosphère de gaieté spirituelle qu’elle ne manquait
pas de susciter, favorisaient la création comique. C’est
ce qu’avait compris Scribe qui bénécia au total d’une
quarantaine de collaborateurs comme Mélesville ou
Legouvé. Lorsqu’il se présenta à l’Académie, « ce n’est
pas un fauteuil, c’est plusieurs banquettes qu’il lui
faudrait » s’exclama l’un de ses ennemis. Naturellement,
à côté des vaudevillistes qui changeaient souvent
de collaborateurs, on en trouvait qui restaient le
plus souvent dèles au même : il se créait ainsi de
véritables couples comme celui que formaient Duvert
et Lauzanne, sous la Monarchie de Juillet.
Les théâtres auxquels s’adressaient les vaudevillistes
disposaient de troupes permanentes. Un comédien
restait au Gymnase ou au Palais-Royal pour dix,
quinze ou vingt ans. Chaque établissement possédait
ses artistes spécialisés qu’il gardait. Il en résultait une
grande homogénéité de jeu qui contribuait aux succès
obtenus. Elle était d’une importance capitale quand il
s’agissait d’un vaudeville, dont le rythme ne pouvait
être assuré sans la communion parfaite de tous les
éléments de la troupe.
Labiche en 1851
L’auteur avait débuté à l’âge de 23 ans, en 1838, avec
M. de Coyllin ou L’Homme inniment poli. C’était un
vaudeville en un acte écrit à la diable avec deux de
ses camarades, Lefranc et Marc-Michel, qui devaient
gurer plus tard parmi ses collaborateurs habituels.
Ces jeunes gens ne prétendaient absolument pas
révolutionner l’art dramatique, ou gurer plus tard
dans les manuels de littérature. Il ne s’agissait pour eux
que de s’amuser et de puiser à leur gré dans le vivier
de jolies lles que constituait le milieu théâtral. S’ils
avaient choisi le vaudeville, c’est parce que avec le
Eugène Labiche né le 6 mai 1815 à Paris
où il est mort le 22 janvier 1888.