Nos deux compères sont par nature d’authentiques bêtes de scène, les figures d’un cauchemar
dont ils ont peine à distinguer la part d’invention et la part de réalité.
Secrets inavoués, sorties interdites que l’on tait à sa douce-moitié trompée, délire et esprit
festif, les personnages miment les rencontres mauvaises et fictives.
Qu’est-on soi-même, si ce n’est les projections fantasmatiques dont on a peur ?
Les acteurs, musiciens chanteurs à l’occasion de jolis refrains vaudevillesques, sont tout
bonnement excellents, s’oubliant pour l’accomplissement de leur rôle scénique. Grotesques et
burlesques pour le public, sérieux et graves pour leurs proches bernés, ils suscitent le rire
franc et la moquerie joyeuse.
Benjamin Guillard est un Lenglumé inénarrable – physique expressionniste et inquiétant de
cinéma noir des années vingt, le regard hagard, commentant sa situation et courant sur le
plateau, essoufflé, harcelé par ses craintes et ses frayeurs.
Son partenaire de fête, Mistingue, qu’incarne avec un talent égal le mobile Guillaume
Marquet, assure sa partition avec toute la mesure d’étrangeté souhaitée.
Jean-Pascal Abribat en brave Potard, ami de la famille et propriétaire du parapluie, vêtu de
vert des pieds jusqu’à la tête, est un fantoche et clown burlesque filiforme.
Le valet facétieux Justin, interprété par Pierre Delmotte, allure classe et détachée, mais
enrhumé, n’en pense pas moins sur le compte de son maître, tout en essayant de tirer son
épingle du jeu. Quant à la figure féminine de la pièce, Norine – épouse de Lenglumé -, elle
reste à l’écoute troublée de son abruti de mari, pris de folie. Hélène Francisci dans le rôle ne
se laisse aucunement voler la vedette.
Ajoutons la malice des musiciens, Pauline Denize et Pablo Elcoq, le compositeur.
Grimaces, pitreries, apartés, adresses au public, la représentation passe comme une météorite
scénique, une traînée lumineuse, entre bouffonneries et sourires en coin.