Schizophrénie et détention : angles d`approche

LInformation psychiatrique 2010 ; 86 : 181-90
À PROPOS DE
Schizophrénie et détention : angles dapproche
Michel David
RÉSUMÉ
Kurosawa dans son film Rashomon présente un viol à partir des versions des divers protagonistes. Selon le rôle, les places,
les intérêts, les émotions, les passions des uns ou des autres, les versions diffèrent. Rien « dobjectif ». Les troubles
schizophréniques et la détention peuvent aussi sappréhender en fonction du point de vue des protagonistes. À la barre
peuvent notamment être appelés lhistorien, lépidémiologiste, le juge, lexpert, le personnel pénitentiaire, les psychiatres
des SMPR/DSP et des secteurs, le politique et ladministratif. Chacun jurera de dire la vérité. Celle quil faut mi-dire ou celle
quil est impossible à dire car les mots y manquent comme disait lAutre. Quid de lirresponsable responsabilisé ou du
responsable irresponsabilisé ? Aura-t-il voix au chapitre ?
Ces éclairages multiples peuvent-ils aider à mieux percevoir lévolution des concepts et à infléchir nos pratiques ?
Mots clés
:
schizophrénie
,
psychiatrie pénitentiaire
,
service médico-psychologique régional
,
expertise psychiatrique
,
dangerosité
,
responsabilité pénale
,
détenu
ABSTRACT
Schizophrenia and detention: possible angles of approach? Kurosawas film Rashomon rape scene is narrated in
versions told by different protagonists. According to the role, places, interests, emotions and passions of one or the
other versions differ. Nothing is objective. Schizophrenic disorders and detention may also be perceived based on
the protagonists viewpoint. The historian, epidemiologist, the judge, the expert, prison staff, the psychiatric SMPR/
DSP and sectors, the political and administrative staff may all be summoned before the bar to testify. Each person
will swear to tell the truth. That which is only partially said or that which is impossible to say as words will be
missing.
What can one make of the responsible person who is made irresponsible or the irresponsible person who is made
responsible? Will their voice be heard?
Can these multiple insights help to better perceive changing evolution of concepts and alter our practical clinical approach?
Key words
:
schizophrenia, psychiatric prison service, regional medical-psychological, psychiatric, hazard, penal liability,
prisoner
RESUMEN
Esquizofrenia y prisión : diversidad de enfoques. Kurosawa en su película Rashomon presenta una violación
partiendo de las versiones de los diferentes protagonistas. Según el papel, las situaciones, los intereses, las emociones,
las pasiones de unos o de otros, difieren las versiones. Nada « objetivo ». Los trastornos esquizofrénicos y la prisión
pueden también aprehenderse en función del punto de vista de los protagonistas. Pueden ser llamados a declarar
particularmente el historiador, el epidemiologista, el juez, el perito, el personal penitenciario, los psiquiatras de los
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010 181
doi: 10.1684/ipe.2010.0595
Centre hospitalier de Montéran, Psychiatre des hôpitaux, chef de secteur, Service médicopsychologique régional, Baie-Mahault, Saint-Claude,
Guadeloupe ; Société caraïbéenne de psychiatrie et de psychologie légales
Tirés à part : M. David
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010 181
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
SMPR/DSP (servicio médico psicológico regional/dirección de los servicios penitenciarios, NdT) y de los sectores, el
político y el administrativo. Cada uno jurará que dice la verdad. La que hay que decir a medias o aquella imposible de
decir pues nos faltan las palabras como decía el Otro. ¿ Qué pasa con el irresponsable responsabilizado o el
responsable irresponsabilizado ?
¿ Pueden estos enfoques múltiples ayudar a ver mejor la evolución de los conceptos e inflexionar nuestras prácticas ?
Palabras claves
:
esquizofrenia
,
psiquiatría penitenciaria
,
servicio médico-psicológico regional
,
peritaje psiquiátrico
,
peligrosidad
,
responsabilidad penal
,
recluso
Précautions dusage
Notre discipline éprouve certaines difficultés à mettre le
psychisme en équation, ou plus modernement à le faire
entrer dans une démarche évaluative plus ou moins actua-
rielle, très en vogue dans les mouvances criminologiques.
Mon propos sera donc construit autour du vécu et du res-
senti quotidien dune pratique difficilement « cadrable ».
Comme pour le film de Kurosawa Rashomon, que Colette
Chiland [2] aime à recommander à ses internes, les repré-
sentations des uns et des autres sur les psychoses ou les
schizophrénies en détention vont osciller entre ce que cha-
cun, professionnels du soin, de la justice ou de la tyrannie
des opinions publiques et politiques y mettra. Parfois, seule
émergera limage du schizophrène dangereux et obligatoi-
rement criminel.
Ce propos sera donc complètement dénué de lobjectivité
imparfaite en matière de sciences humaines que daucuns
souhaiteraient pour se rassurer. Considérant que Freud énon-
çait trois métiers impossibles : soigner, gouverner, éduquer,
que dire de la mégalomanie de ceux qui ont la prétention de
soigner en prison ? Milieu hostile par finition et bloc opé-
ratoire septique qui réinfecte psychiquement chaque patient
au retour de sa séance de thérapie quand il regagne lenfer de
sa cellule en détention.
Le témoignage subjectif, partiel et partial des protagonis-
tes sera convoqué pour apporter leurs mensonges sincères
afin dévoquer les psychoses en milieu pénitentiaire et les
conséquences de ces engagements sur lévolution des
concepts et des pratiques, conformément à la thématique de
ces 28
es
Journées de la Société de lInformation psychia-
trique. Cela est dautant plus important que la loi péniten-
tiaire vient dêtre enfin votée à lissue dune course de lenteur
bien quexaminée sous le régime de la procédure durgence.
Ainsi début septembre 2009, un article du Monde intitulé
« Prisons : comment effacer la honte ? » [14] augurait du
débat à venir en présentant le point de vue de cinq profes-
sionnels. Quelques extraits de trois intervenants.
Jean-Marie Lecerf, sénateur UMP, rapporteur de la loi
pénitentiaire (« Les avancées de la loi pénitentiaire ») :
« Tous ceux qui visitent les prisons sont frappés par le
nombre croissant de personnes atteintes de troubles men-
taux quils y rencontrent. Pour bon nombre dentre elles, la
prison na aucun sens, et elles errent en milieu carcéral,
compliquent la vie de leurs codétenus et du personnel
pénitentiaire sans être soignées de manière satisfaisante.
Ce paradoxe sexplique par deux faits. Dune part, le légis-
lateur a permis, dans lhypothèse où le trouble mental a
seulement altéré et non aboli le discernement, que
lauteur des faits reste punissable. Dautre part, les évolu-
tions de la psychiatrie ont entraîné une réduction drastique
du nombre des lits et de la durée des séjours hospitaliers.
« Dans ces conditions, les jurys dassises, estimant que
seule la prison peut désormais protéger la société des per-
sonnes dangereuses atteintes de troubles mentaux, ne pro-
noncent que très peu dacquittements pour irresponsabilité
pénale. En outre laltération du discernement, qui devrait
à tout le moins constituer une circonstance atténuante,
entraîne au contraire un allongement de la peine. Lorsque
lon connaît le taux élevé de suicides en hôpital psychia-
trique, on imagine la fragilité de cette population en milieu
carcéral. Une initiative commune à la justice et à la santé
simpose sur ce point, dans les meilleurs délais ».
Catherine Paulet, chef de service SMPR de Marseille,
présidente de lASPMP (avec un article au titre fort,
«Lépicentre des souffrances ») : « Certes, les pouvoirs
publics vont renforcer le dispositif de soins psychiatriques
en milieu pénitentiaire, prenant acte dune situation dont la
communauté psychiatrique ne doit pas saccommoder car
elle a une large part de responsabilité dans le phénomène.
La venue de soignants en prison a permis dapporter des
soins de qualité aux personnes en souffrance ou en
demande. Mais désormais le dispositif de soin est victime
de son succès. Il légitime lincarcération de personnes
souffrant de pathologies mentales graves. Et il soulage la
communauté psychiatrique et la société de la charge que
constituent le suivi et laccompagnement des patients dif-
ficiles à soigner. À cette théorie inclusive a répondu une
pratique dexclusion avec un surcroît de peine par réflexe
de défense sociale face à la folie, porteuse dincompréhen-
sible et surtout de danger ».
Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux priva-
tifs de liberté (« La punition carcérale est inséparable de la
réinsertion ») : « La prison est inséparable, contrairement à
ce quon feint souvent dignorer, de deux autres politiques
publiques. En premier lieu, la santé psychiatrique : quon
envisage la prise en charge des maladies mentales en prison
est en soi préoccupant. En second lieu, laccompagnement
M. David
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010182
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
des plus pauvres : la prison connaît encore trop de sorties
sèches, en dépit des dévouements, et les choses se pré-
senteront mieux lorsque le système pénitentiaire nagira
pas seul, mais sera corrélé avec lappareillage social du
dehors, aussi performant que possible, destiné aux person-
nes précaires ».
Angle historique
La référence historique sera succincte. Souvent, exer-
cice académique obligé, il peut être fastidieux. Une brève
référence au passé servira ici dintroduction pour montrer
une certaine constance dans les constats. Ainsi, il y a tout
juste 100 ans, dans les Archives danthropologie crimi-
nelle,laliéniste suisse Paul Louis Ladame consacrait une
revue de la littérature aux psychoses pénitentiaires. Il était
frappé par limportance du contexte sur létat mental de
certains détenus : « Ce qui frappe avant tout cest le chan-
gement presque incompréhensible de lattitude du détenu
dès quon la transféré []Àlagitation furieuse, aux actes
de destruction, aux tentatives de suicide, au refus de nour-
riture, aux angoisses dune confusion mentale délirante ou
à la stupeur et aux hallucinations terrifiantes de la prison
succèdent soudain, dans 90 pour 100 des cas, le calme,
lordre, le travail, le bon vouloir, lobéissance à la disci-
pline. Le délire se dissipe comme par enchantement. On
ne saurait imaginer un contraste plus étonnant [12]. »
Angle épidémiologique
Environ un siècle après la revue critique de P.L. Ladame
sur les psychoses pénitentiaires, F. Rouillon et al. [17] ont
mené une étude épidémiologique sur les troubles mentaux
en milieu pénitentiaire. Quelques données significatives
sont à relever. Toutefois, les auteurs signalent : « Ces résul-
tats, sils sont solidessur un plan scientifique, nen sont
pas moins à interpréter avec prudence. En effet, en milieu
carcéral, la notion épidémiologique de trouble mental doit
être relativisée. Les résultats observés montrent quun
pourcentage élevé de détenus est en état de souffrance
psychique. Dans un contexte demprisonnement (privation
de liberté, de lenvironnement familial, de sexualité, etc.),
cette souffrance psychique ne relève cependant pas néces-
sairement dun état pathologique. Ce résultat est évident
pour les troubles anxio-dépressifs, mais, plus curieusement,
il sapplique aussi aux troubles psychotiques. En effet, la
perte de contact avec la réalité est un élément central de
tout trouble psychotique. Or la vie carcérale est un facteur
de risque majeur de déréalisation. Pour prendre en compte
cette difficulté, la méthode dévaluation diagnostique utilisée
dans létudeaéclatélecadrenosographiquedestroubles
psychotiques en de nombreuses entités : schizophrénie, bouf-
fée délirante aiguë, schizophrénie dysthymique, psychose
chronique non schizophrénique (paranoïa, psychose halluci-
natoire chronique), type de psychose non précisé. Les
cliniciens ont ainsi pu limiter le recours à la catégorie schizo-
phréniepour les patients les plus caractéristiques ; les autres
catégories, en particulier les types de psychose non précisée
font référence généralement à des modalités de fonctionne-
ment mental dallure psychotique, mais pas nécessairement
à un trouble mental cliniquement avéré ».
Ces importantes dernières remarques cliniques sont pro-
bablement à relier avec les observations de changements
détat brusque relaté par P.L Ladame et qui rendent sou-
vent la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire, très
dépendante du contexte carcéral, souvent incertaine.
Les données de létude de F. Rouillon peuvent égale-
ment être mises en relation avec les études de la Drees de
1999 [6] et 2002 [7] et la revue de littérature de Fazel [8] :
tableaux 1 et 2.
Sur le SMPR de la Guadeloupe, on relève de manière
constante 5 % de personnes détenues souffrant incontesta-
blement de schizophrénie (gravement malade), et au total
15 % de diagnostics associant schizophrénies et autres
troubles psychotiques englobant les gravement malades et
les manifestement malades (soit 25 à 75 détenus pour une
population denviron 500 à 650 détenus pour le CP de
Baie-Mahault. Les mêmes proportions se retrouvent à la
maison darrêt de Basse-Terre pour une population denvi-
ron 220 détenus pour 130 places).
Angle états généraux de la condition
pénitentiaire (cahiers de doléance)
Dans la perspective de la préparation de la loi péniten-
tiaire, des états généraux de la condition pénitentiaire ont
été organisés et clos le 14 novembre 2006. Puisquil
semble que les états généraux soient la solution à tous les
Tableau 1.Épidémiologie de la santé mentale des personnes détenues en prison.
Entrants sous
NRL
Psychoses SCZ BDA SCZ
dysthymique
PHC Psychose
non pre
´cise
´e
Dress n˚4 1995 3,5 % 4 %
Dress n˚181 2002 8 %
Rouillon 21,4 % 7,3 % 0,1 % 2,6 % 7,3 % 4,1 %
Fazel 4 %
Schizophrénie et détention : angles dapproche
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010 183
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
problèmes, citons-en quelques extraits qui ont un rapport
avec notre sujet. Toutefois, on peut se demander si les seuls
états généraux qui ont réellement compté dans notre pays
ne seraient pas ceux de 1789. Depuis il sagirait que de
pâles répétitions pour amuser la galerie. Préparant cette
communication, je me demandais si cette remarque nallait
pas sembler quelque peu politiquement incorrecte, un tan-
tinet gauchiste. Jeus lheur de trouver un avis similaire
récent émis par un magistrat, Christian Byk dans la
sérieuse et quelque peu austère revue Médecine et Droit
dans un article intitulé « Lapport des états généraux au
débat bioéthique » [1]. Il voit dans les états généraux une
recherche de légitimité par les pouvoirs publics aboutissant
à un leurre médiatique pour dissimuler de nouveaux pou-
voirs sur les corps : « La banalisation du nom d’“états
généraux(également appliqué à lorganisation de débats,
mis en place dans le même esprit mais sur des questions de
nature et dimportance très différentes) montre quil sagit
là bien plus dune nouvelleméthode de gouvernance des
questions politiquement sensiblessusceptible de rénover
limage ringarde et décriée des études dimpact et des son-
dages. Cela relève de la politique médiatique, du politi-
quement correctsans grande volonté de déstabiliser
lordre des choses, bien au contraire»
Citons quand même quelques avis inutilement émis :
1. Transférer systématiquement en milieu hospitalier
spécialisé les détenus souffrant de graves troubles psychia-
triques (cahiers de doléance). 60 % des détenus jugèrent
comme prioritaire le transfert systématique en milieu hos-
pitalier spécialisé des détenus souffrant de graves troubles
psychiatriques. 80 % estiment quil est nécessaire de la met-
tre en œuvre. Cette action apparaît comme une priorité pour
7 familles sur 10, 8 travailleurs sociaux sur 10, 8 surveil-
lants sur 10, 8 avocats sur 10, 8 personnels de santé sur 10, 8
intervenants extérieurs sur 10.
2. Conseil économique et social. Avis sur les conditions de
la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France
février 2006. Ainsi que le recommande le Conseil de
lEurope, les personnes souffrant de maladies mentales et
dont létat de santé mentale est incompatible avec la déten-
tion en prison devraient pouvoir être systématiquement
détenues dans un établissement spécialement conçu à cet
effet.
3. Commission nationale consultative des Droits de
lhomme. Étude sur les droits de lhomme dans la prison
11 mars 2004. La CNCDH a déjà eu loccasion de rappeler
lurgence de « linstauration daménagements de peines
spécifiques aux malades mentaux, compte tenu de laccen-
tuation des pathologies psychiatriques résultant de la déten-
tion ». Une procédure daménagement de peine particulière
doit être organisée. Dans ce cadre, les modalités de saisine
des juridictions devraient être adaptées pour faire face à
léventuelle incapacité des intéressés.
4. Cour des comptes. Rapport public et thématique : garde
et réinsertion, la gestion des prisons 2006. Aujourdhui, le
fonctionnement des Ucsa ne pose de difficulté que sur deux
plans. [] Les plus graves (pathologies) concernent la prise
en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques.
Le système de soins en milieu carcéral, structuré autour des
services médicaux psychologiques régionaux (SMPR), nest
plus en mesure de répondre à une demande croissante.
Sagissant des conditions de vie en détention, il serait indis-
pensable de procéder à lévaluation de ladéquation des
moyens à disposition des Ucsa aux besoins, en vue de les
redéfinir.
5. Commissaire aux droits de lhomme du Conseil de
lEurope. Rapport sur le respect effectif des droits de
lhomme en France suite à sa visite du 5 au 21 septembre
2005. Le nombre de malades mentaux en prison pose
dénormes problèmes, tant au niveau de la prise en charge
de ces détenus qui sont avant tout des malades, quau
niveau de la gestion de ce type de prisonniers [] Cette
situation pose dimposants problèmes au personnel péni-
tentiaire.
Extraite de la déclaration finale se trouve la doléance
suivante : « Dans le cadre de cette loi pénitentiaire, les
états généraux demandent [] Que cette loi consacre le
fait que les personnes dont létat de santé, psychique ou
physique, est incompatible avec la détention doivent être
libérées. Le cas échéant, lÉtat doit veiller à mettre en place
des structures propres à laccueil de ces personnes. En par-
ticulier, les auteurs dinfraction souffrant de graves trou-
bles psychiatriques doivent être pris en charge dans des
structures de soins adaptées à leur traitement et assurant
la sécurité de leur personne et des tiers [
Angle judiciaire
Le point de vue sera différent selon quil sagit du juge
dinstruction (JI), du juge des libertés et de la détention
(JLD), du procureur ou du juge dapplication des peines
(JAP). Et encore au niveau pré-sentenciel, faudrait-il diffé-
rencier les affaires criminelles et les affaires correctionnelles.
Évidemment, dans les affaires criminelles, le magistrat va
se forger une opinion essentiellement au travers du regard
de lexpert, notamment pour soulager son angoisse à juger
[9] selon la formule bien connue de Michel Foucault.
Tableau 2.Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes
détenues en prison. F. Rouillon et al.
E
´chelle de gravite
´
CGI [18]
Manifestement
malade
Gravement
malade
Sd De
´pressif 39,3 % 22,8 %
Manie/hypomanie 7,3 % 4,5 %
Schizophre
´nie 8 % 6,7 %
Psychose chronique non
schizophre
´nique
8 % 5,4 %
M. David
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010184
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Dans les affaires correctionnelles et notamment dans les
comparutions immédiates, il est peu utile de rappeler que
lexpertise est rare et le traitement des affaires expéditif
(D. Simonot).
Dans ces deux situations, lincarcération neutralisante
est, sans le dire, quoiqueest préférée à lhospitalisation
en psychiatrie, satisfaisant les aspirations sécuritaires
actuelles de notre société.
Pour le JAP, le mécanisme est inversé : comment neu-
traliser ce fou qui va être libéré ? « Mon bon docteur du
SMPR, ne pouvez-vous pas nouslhospitaliser avant sa
libération ? » Reprenant les formes du « nous parental »
quand le gamin a la méchanceté de « nous faire sa vilaine
maladie ou nous rendre ses mauvaises notes scolaires »
Si la personne concernée ne peut relever de la rétention de
sûreté, ne pourrait-on pas compter sur un ersatz psychia-
trique afin de créer ce que le philosophe Claude-Olivier
Doron appelle un continuum de sécurité et de contrôle [5].
En somme, dans cette occurrence-là : annulation de la
schizophrénie ; dans cette occurrence-ci sur reconnaissance
de la schizophrénie et notamment sa dangerosité potentielle.
Deux exemples :
1. Affaire correctionnelle (tentative de vol dun véhicule
automobile). Dès lincarcération sur la notice individuelle
de prévenu majeur (dans le cadre dune comparution immé-
diate) sont cochées les cases demandant un examen psy-
chiatrique urgent et une mise en observation au SMPR. Le
magistrat a ajouté à la main : « Nécessité absolue et urgente
de le présenter au SMPR dès son arrivée car il paraît
délirant. » Quelle est la situation médicale : patient âgé de
35 ans ayant eu de multiples hospitalisations sous contrain-
tes en psychiatrie. Le patient présente un contact « moyen »
avec une coopération un peu délicate à lentretien mais ce
qui est le plus notable est limportante schizophasie rendant
le dialogue « surréaliste ». Malgré des antécédents darticle
122-1, lincarcération est décidée sans expertise préalable.
Il sagit typiquement du genre de prévenu qui à laudience,
interrogé par le magistrat, donnera à celui-ci limpression
quil se moque de lui : au vol sajoutera « loutrage à magis-
trat » et la remarque du style « Cher monsieur, vous allez
avoir tout le temps de réfléchir à tout cela en prison ».
2. Affaire criminelle. Jeune femme de 28 ans. Appel de la
JI : impossible de faire un entretien. La juge semble terrori-
sée. Nombreuses expertises dont une dun psychiatre chef
de secteur qui la connaît bien suite à des hospitalisations
dans son service. Altération mais pas abolition, état limite.
Toutes les autres expertises évoquent une schizophrénie et
une abolition du discernement. Étroit travail thérapeutique :
on évite lHO D 398. La patiente reconnaît et se tient à sa
version sur le temps. Elle soutient sêtre défendue dune
tentative de viol et avoir porté des coups de couteau. Aux
Assises, pour ce meurtre, elle ne sera condamnée quà 4 ans
après que lavocat général lui a demandé si elle préférait la
prison ou lHPSans hésitation, elle préfère la première
(pas si folle finalement ?).
Angle expertal
La doctrine expertale la plus répandue et dont on ne peut
contester la cohérence ne liste pas des maladies conduisant
automatiquement à des abolitions où à des altérations du
discernement mais sefforce à lissue dune discussion
médico-légale de mettre en relation létat mental du pré-
sumé auteur dune infraction et lacte commis. Une patho-
logie schizophrénique peut être identifiée tout en laissant
lauteur responsable de son infraction et donc punissable.
Passons également sur la question de laggravation de la
sanction en cas daltération, déjà évoquée in limine par le
sénateur JM Lecerf.
Insistons également sur le fait quil ne faut pas mettre
sur le compte des experts psychiatres, comme on le fait
parfois trop souvent et trop facilement, laugmentation du
nombre de malades mentaux en prison. Les non-lieux
psychiatriques (ou plus exactement maintenant le nombre
dordonnances dirresponsabilité mentale) se maintiennent
autour des 250/an. Ce sont surtout les condamnations
correctionnelles, sans expertise, qui alimentent le flux
dentrée de malades mentaux en prison.
Le cas du patient schizophasique est illustratif de ces
problèmes. SDF de longue date, il ne veut pas se faire soi-
gner. Il sait quil ne doit pas voler, ce quil fait de manière
utilitaire pour subsister et il ne conteste pas le caractère
transgressif de son acte. En prison, après loutrage à magis-
trat, cest loutrage à surveillants et à codétenus. Une
impossible communication dans une cellule à trois ou qua-
tre, dans des situations de rapports de force permanents où
il faut incessamment ou discuter ou cogner. Un déficit
indéniable dans les compétences diplomatiques loblige à
un repli sur des modalités de communication plus expédi-
tives dont les conséquences sont fréquemment le mitard.
Expliquer ces situations aux surveillants sans trahir le
secret professionnel, tout en sefforçant de faire passer un
message, en reconnaissant implicitement la pathologie
mais en naccédant pas à lhospitalisation, oblige à déve-
lopper des aptitudes pédagogiques jésuitiques. Dans ces
cas, il y a une discordance, en phase avec celle du sujet,
entre la qualité de son discernement eu égard à sa respon-
sabilité pénale et sa capacité dadaptation à la prison.
La mission dinformation du Sénat (Lecerf et Michel)
actuellement en cours devrait sintéresser à ce point et
non pas seulement à la question de la responsabilité.
Autre cas intéressant, caricatural davis expertal. Un
jeune homme de 22 ans est incarcéré pour menaces physi-
ques sur une femme sur la voie publique avec quelques
propos scabreux. Manifestement schizophrène, son adapta-
tion carcérale est délicate. Une hospitalisation sera menée
et se déroulera de manière optimale pendant deux mois.
Pour lexpert : diagnostic de schizophrénie. Jusque-là tout
va bien, on est daccord. Mais lexpertise de deux pages
(une demie consacrée à la clinique et à la discussion
médico-légale ; le reste pour la mission et les conclusions)
Schizophrénie et détention : angles dapproche
LINFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, 2 - FÉVRIER 2010 185
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 10 100%

Schizophrénie et détention : angles d`approche

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !