Dans les affaires correctionnelles et notamment dans les
comparutions immédiates, il est peu utile de rappeler que
l’expertise est rare et le traitement des affaires expéditif
(D. Simonot).
Dans ces deux situations, l’incarcération neutralisante
est, sans le dire, quoique…est préférée à l’hospitalisation
en psychiatrie, satisfaisant les aspirations sécuritaires
actuelles de notre société.
Pour le JAP, le mécanisme est inversé : comment neu-
traliser ce fou qui va être libéré ? « Mon bon docteur du
SMPR, ne pouvez-vous pas “nous”l’hospitaliser avant sa
libération ? » Reprenant les formes du « nous parental »
quand le gamin a la méchanceté de « nous faire sa vilaine
maladie ou nous rendre ses mauvaises notes scolaires »…
Si la personne concernée ne peut relever de la rétention de
sûreté, ne pourrait-on pas compter sur un ersatz psychia-
trique afin de créer ce que le philosophe Claude-Olivier
Doron appelle un continuum de sécurité et de contrôle [5].
En somme, dans cette occurrence-là : annulation de la
schizophrénie ; dans cette occurrence-ci sur reconnaissance
de la schizophrénie et notamment sa dangerosité potentielle.
Deux exemples :
1. Affaire correctionnelle (tentative de vol d’un véhicule
automobile). Dès l’incarcération sur la notice individuelle
de prévenu majeur (dans le cadre d’une comparution immé-
diate) sont cochées les cases demandant un examen psy-
chiatrique urgent et une mise en observation au SMPR. Le
magistrat a ajouté à la main : « Nécessité absolue et urgente
de le présenter au SMPR dès son arrivée car il paraît
délirant. » Quelle est la situation médicale : patient âgé de
35 ans ayant eu de multiples hospitalisations sous contrain-
tes en psychiatrie. Le patient présente un contact « moyen »
avec une coopération un peu délicate à l’entretien mais ce
qui est le plus notable est l’importante schizophasie rendant
le dialogue « surréaliste ». Malgré des antécédents d’article
122-1, l’incarcération est décidée sans expertise préalable.
Il s’agit typiquement du genre de prévenu qui à l’audience,
interrogé par le magistrat, donnera à celui-ci l’impression
qu’il se moque de lui : au vol s’ajoutera « l’outrage à magis-
trat » et la remarque du style « Cher monsieur, vous allez
avoir tout le temps de réfléchir à tout cela en prison ».
2. Affaire criminelle. Jeune femme de 28 ans. Appel de la
JI : impossible de faire un entretien. La juge semble terrori-
sée. Nombreuses expertises dont une d’un psychiatre chef
de secteur qui la connaît bien suite à des hospitalisations
dans son service. Altération mais pas abolition, état limite.
Toutes les autres expertises évoquent une schizophrénie et
une abolition du discernement. Étroit travail thérapeutique :
on évite l’HO D 398. La patiente reconnaît et se tient à sa
version sur le temps. Elle soutient s’être défendue d’une
tentative de viol et avoir porté des coups de couteau. Aux
Assises, pour ce meurtre, elle ne sera condamnée qu’à 4 ans
après que l’avocat général lui a demandé si elle préférait la
prison ou l’HP…Sans hésitation, elle préfère la première
(pas si folle finalement ?).
Angle expertal
La doctrine expertale la plus répandue et dont on ne peut
contester la cohérence ne liste pas des maladies conduisant
automatiquement à des abolitions où à des altérations du
discernement mais s’efforce à l’issue d’une discussion
médico-légale de mettre en relation l’état mental du pré-
sumé auteur d’une infraction et l’acte commis. Une patho-
logie schizophrénique peut être identifiée tout en laissant
l’auteur responsable de son infraction et donc punissable.
Passons également sur la question de l’aggravation de la
sanction en cas d’altération, déjà évoquée in limine par le
sénateur JM Lecerf.
Insistons également sur le fait qu’il ne faut pas mettre
sur le compte des experts psychiatres, comme on le fait
parfois trop souvent et trop facilement, l’augmentation du
nombre de malades mentaux en prison. Les non-lieux
psychiatriques (ou plus exactement maintenant le nombre
d’ordonnances d’irresponsabilité mentale) se maintiennent
autour des 250/an. Ce sont surtout les condamnations
correctionnelles, sans expertise, qui alimentent le flux
d’entrée de malades mentaux en prison.
Le cas du patient schizophasique est illustratif de ces
problèmes. SDF de longue date, il ne veut pas se faire soi-
gner. Il sait qu’il ne doit pas voler, ce qu’il fait de manière
utilitaire pour subsister et il ne conteste pas le caractère
transgressif de son acte. En prison, après l’outrage à magis-
trat, c’est l’outrage à surveillants et à codétenus. Une
impossible communication dans une cellule à trois ou qua-
tre, dans des situations de rapports de force permanents où
il faut incessamment ou discuter ou cogner. Un déficit
indéniable dans les compétences diplomatiques l’oblige à
un repli sur des modalités de communication plus expédi-
tives dont les conséquences sont fréquemment le mitard.
Expliquer ces situations aux surveillants sans trahir le
secret professionnel, tout en s’efforçant de faire passer un
message, en reconnaissant implicitement la pathologie
mais en n’accédant pas à l’hospitalisation, oblige à déve-
lopper des aptitudes pédagogiques jésuitiques. Dans ces
cas, il y a une discordance, en phase avec celle du sujet,
entre la qualité de son discernement eu égard à sa respon-
sabilité pénale et sa capacité d’adaptation à la prison.
La mission d’information du Sénat (Lecerf et Michel)
actuellement en cours devrait s’intéresser à ce point et
non pas seulement à la question de la responsabilité.
Autre cas intéressant, caricatural d’avis expertal. Un
jeune homme de 22 ans est incarcéré pour menaces physi-
ques sur une femme sur la voie publique avec quelques
propos scabreux. Manifestement schizophrène, son adapta-
tion carcérale est délicate. Une hospitalisation sera menée
et se déroulera de manière optimale pendant deux mois.
Pour l’expert : diagnostic de schizophrénie. Jusque-là tout
va bien, on est d’accord. Mais l’expertise de deux pages
(une demie consacrée à la clinique et à la discussion
médico-légale ; le reste pour la mission et les conclusions)
Schizophrénie et détention : angles d’approche
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, N° 2 - FÉVRIER 2010 185
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