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l’art, pensée de l’être, ou bien élucidation de ses propres concepts, l’esthétique comme discipline
philosophique est un concept ouvert – sans même parler des développements liés aux sciences
humaines qui s’intéressent à l’art (psychologie, sociologie, économie, histoire, anthropologie). Ces
difficultés sont sans doute irréductibles parce que liées à l’écart du discours (toujours généralisant,
cherchant l’essence du beau, l’essence de l’art) et son objet (le beau et l’œuvre d’art étant toujours
sensible, toujours singulier, résistant au langage, à la compréhension ordinaire, utilitaire et
conceptuelle). Nul doute que l’esthétique, le discours sur l’œuvre d’art est grevé au départ d’une
double hypothèque, disloquée par une tension entre le jugement subjectif et la prétention à
l’universalité, l’affect subjectif et la volonté d’intelligibilité. Elle ne saurait sans renier son objet, par
nature sensible et concret, donc singulier, se transformer en une sorte de « métaphysique du beau »
sur laquelle elle doit pourtant appuyer ses jugements de valeurs et ses analyses en tant que
« science » plus ou moins normative et générale. Mais elle ne saurait sans tomber dans le particulier,
l’arbitraire, voire le bavardage, se confondre avec une critique des œuvres qui ne s’appuierait ni sur
des principes déterminés ni sur des concepts philosophiques plus précis. Au-delà du partage
moderne entre jugement objectif de fait et jugement relatif de valeur, cette double appartenance
laisse l’esthétique mal définie, inquiète, partagée entre deux exigences opposées. Cette dualité
reflète très bien la nature ambivalente de son objet : l’art. En effet, l’œuvre appartient au monde
sensible, elle vient à nous par la voie des sens. Mais il va de soi qu’elle ne s’adresse pas seulement
aux sens... Ambiguïté du « sens » ... L’esthétique est difficile à définir. Elle échappe à l’opposition
de la pure connaissance (que veut dire cette œuvre ?) et de la seule sensibilité immédiate (« moi » je
trouve ça beau), de même qu’à l’idéal d’univocité et de définition de la philosophie (même si à
l’origine elle se confond avec l’éclat de cet idéal !). Elle communique avec une chaîne de concepts
et de thèmes plus ou moins compatibles avec cet idéal et avec le projet de dépassement du sensible :
le corps, la matière, la subjectivité, la sensibilité, le désir, le plaisir, l’affectivité, l’illusion,
l’imagination, la fiction, l’erreur, le mensonge, l’apparence… De plus, la facilité avec laquelle la
beauté peut être attribuée, indépendamment des œuvres d’art, à des choses ou à des personnes
spontanément qualifiées de belles (un beau paysage), sans même qu’elles présentent forcément un
intérêt premièrement esthétique (une belle farce, un beau geste, une belle chaise) est évidente. C’est
pourquoi la plupart des travaux contemporains d’esthétique ont le plus souvent renoncé à repérer des
normes du beau, à l’exemple de la logique par rapport au vrai ou de la morale par rapport au bien, au
moment même où l’art lui-même a débordé le lien avec le beau. Elles font porter leurs recherches
soit sur le l’étude des formes elles-mêmes (selon une méthode structurale ou sémantique), soit sur
rapport de ces formes dans leur développement historique (Panofsky), soit sur les relations qui
peuvent exister entre une œuvre et son créateur (approche sociologique ou psychologique). Dans
tous les cas, une approche plus descriptive ou plus explicative, plus phénoménologique, prend le
dessus sur l’approche prescriptive.