Impact des allégations santé dans les messages publicitaires

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Impact des allégations santé dans les
messages publicitaires télévisés
sur les pratiques alimentaires des enfants
Kafia AYADI * & Pascale EZAN **
* IAE de Rouen (ATER) et IAE de Caen (Doctorante) - NIMEC
3 avenue Pasteur – 76186 Rouen Cedex
Groupe ESC Rouen
** IUT d’Evreux (Université de Rouen) - NIMEC
55 rue Saint Germain - 27000 Evreux
Groupe ESC Rouen
Sections de rattachement : 06
Secteur : Tertiaire
RÉSUMÉ. : Depuis février 2007, la France a pris des mesures obligeant les industries
agroalimentaires à insérer des messages sanitaires dans les annonces publicitaires et
promotionnels de certains aliments et boissons ; ceci afin de prévenir l’obésité chez les enfants.
Cette mesure est basée sur un paradoxe : la promotion d’un produit alimentaire est suivie d’un
message contradictoire sur les risques d’une mauvaise alimentation pour la santé. L’objectif de
cet article est d’étudier l’impact de ces allégations publicitaires sur les pratiques alimentaires des
enfants. Vingt enfants ont été interrogés à propos de leur perception des messages sanitaires à la
télévision, leur niveau d’adhésion à ces messages et l’impact de ces annonces sur leurs pratiques
alimentaires.
MOTS-CLÉS : Enfant – obésité – allégation santé – pratiques alimentaires – publicité télévisée.
Introduction
L’excès de poids chez l’enfant et l’obésité préoccupent aujourd’hui les pouvoirs
publics. Le surpoids est un phénomène observé au départ aux Etats-Unis. La plupart des
pays occidentaux ont étouchés par cette épidémie vers les années 1990. La situation
est devenue alarmante à partir de 1997 à tel point que le surpoids et l’obésité ont été
reconnus à cette date comme une véritable pandémie qui frappe l’ensemble des pays
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développés ainsi que certains pays en voie de développement. Depuis lors,
l’Organisation Mondiale de la Santé alerte régulièrement les nations du monde entier
sur ce qu’elle nomme « l’épidémie du vingt-et-unième siècle ».
La France n’est pas épargnée par ce phénomène. Alors que ce fléau n’atteignait que
3 % de la population en 1965, il touchait 10 à 12,5 % des enfants en 2006 avec un pic
de 19 % pour les enfants de 8 ans. Les professionnels de santé publique considèrent que
si cette progression évolue au rythme actuel, elle laisse présager une prévalence de près
de 25 % aux alentours de 2020. Outre les problèmes psychologiques, l’obésité induit
des maladies graves qui compromettent la durée de vie des enfants et mettent en péril
les équilibres macro-économiques de la nation.
Cette prise de conscience a d’abord agi comme un catalyseur pour détecter les
raisons de cette épidémie. Dans cette perspective, le rôle du marketing est fortement
évoqué. On nonce notamment le lobbying des industries agroalimentaires qui
commercialisent des produits gras et sucrés à faible teneur nutritionnelle dont elles
assurent la promotion au travers des spots publicitaires particulièrement attractifs
destinés à capter l’attention des jeunes consommateurs. La publicité est donc fortement
décriée en étant considérée comme une des causes majeures de la prise des poids des
enfants.
A cet effet, l’objectif de cet article est d’étudier l’impact des allégations santé
télévisées sur les pratiques alimentaires des enfants. Dans une première partie, nous
exposons les mesures mises en place et les controverses que celles-ci suscitent. La
deuxième partie est consacrée à l’influence de la publicité sur la consommation des
enfants. Après avoir exposé notre méthodologie, nous présentons nos résultats dans une
dernière partie.
1. La réglementation en vigueur : état des lieux et polémiques
Les enfants sont de plus en plus souvent destinataires des publicités télévisées. Les
écrans destinés aux enfants comptent pour 11 % des spots diffusés à la télévision et
représentent 3,5 % des recettes des chaînes. 35 % des spots concernent l’alimentation
au sens large et 14 % d’entre eux sont diffusés lors des émissions jeunesse. Parmi ces
publicités, 55 % portent sur des sucreries et des céréales contre 38 % pour des produits
laitiers.
1.1. Des mesures plus ou moins drastiques en Europe
Le rôle de la publicité télévisée dans la montée de l’obésité est donc un sujet
polémique. Depuis plusieurs années, des associations de consommateurs demandent que
l’on interdise, en France, la publicité télévisée ciblant les enfants. Néanmoins, les
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répercussions de cette réglementation sur la baisse de l’obésité chez l’enfant ne sont pas
forcément probantes si l’on se tourne vers les quatre pays (la Suède, la Norvège, la
Danemark et la communauté flamande de Belgique) qui ont pris des mesures drastiques
en interdisant la publicité télévisée dans les émissions jeunesse. Parmi ces pays, seule la
Suède a réussi à endiguer la montée de l’obésité infantile. De même, au Royaume-Uni,
l’interdiction depuis 2006 des publicités télévisées concernant les aliments les moins
diététiques dans les programmes télévisés destinés aux enfants de moins de 16 ans n’a
pas été accompagnée d’une réduction du surpoids dans cette tranche d’âge.
Dans cette mouvance, certains groupes internationaux comme Coca-Cola ou Kraft
Food ont annoncé qu’ils ne communiqueraient plus auprès des enfants de moins de
douze ans par le biais de la télévision. L’impact éthique de ces choix stratégiques doit
cependant être nuancé dans la mesure les jeunes téléspectateurs ne regardent pas
uniquement les programmes qui les concernent.
Interdire la publicité lévisée se heurte par ailleurs aux groupes de pression des
industriels agro-alimentaires qui avancent des arguments économiques. En effet, la
publicité télévisée est un secteur porteur qui génère de la croissance et par conséquent,
l’interdiction de la publicité alimentaire priverait les chaînes jeunesse d’un financement
propre. Les recettes provenant des annonceurs sont, en effet, réinvesties à 95 % dans les
programmes destinés aux jeunes.
Ainsi, la France est la troisième industrie mondiale de l’animation. Sans ces
investissements générés par la publicité, les émissions jeunesse ne pourraient pas
survivre ou du moins il faudrait songer à des systèmes d’abonnement auxquels une
grande majorité d’enfants n’auraient pas accès.
1.2. Les mesures prises par la France
La France a tranché envers une position intermédiaire visant à prendre en compte les
considérations des différentes parties prenantes. Une réglementation stricte garantissant
une protection de l’enfant et permettant aux annonceurs de promouvoir leurs marques
alimentaires a ainsi été mise en place, suivant les recommandations du premier
Programme National Nutrition Santé mis en place dès 2001. D’ici le mois d’avril 2008,
on s’orienterait cependant vers un encadrement très strict voire une interdiction des
publicités télévisées dans les programmes jeunesse.
Pour le moment, une directive européenne de février 2007, contraint les annonceurs
à l’ajout de messages sanitaires dans les publicités alimentaires télévisées (ou à financer
des programmes de lutte contre l’obésité). L’objectif de l’insertion de messages
sanitaires dans les publicités est de sensibiliser le grand public et notamment les enfants
aux risques d’une mauvaise alimentation sur la santé. Cette mesure concerne la
télévision, Internet, la radio, l’affichage, la presse écrite, les téléphones mobiles et les
prospectus publicitaires ou promotionnels (source : décret 2007-263 du 27 février
2007). En outre, l’Arrêté du 27 février 2007 fixe les conditions relatives aux
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informations à caractère sanitaire à insérer dans les messages publicitaires ou
promotionnels en faveur de certains aliments et boissons.
Beaucoup de professionnels appartenant aux secteurs alimentaires et publicitaires
observent que cet arrêté est mauvais car il repose sur le paradoxe suivant « quelle est la
pertinence d’associer un film efficace et bien fait et un bandeau déroulant
contradictoire » ? De même, on entend ça et des propos émanant des consommateurs
dévoilant que ces messages sanitaires ne servent à rien.
La mise en place récente de cette mesure ne permet pas encore de disposer d’assez
de recul pour savoir si elle aura des répercussions positives sur le taux d’obésité des
enfants. On dispose cependant d’une première évaluation émanant de l’INPES. Selon
l’enquête menée par cet organisme de santé publique, 87 % des Français approuvent
l’application de cette mesure, 70 % d’entre eux affirment avoir mémorisé le message et
79 % considèrent que c’est un bon moyen de sensibilisation à l’importance d’une
alimentation équilibrée. Enfin, 21 % des 15 ans et plus déclarent avoir modifié leurs
habitudes alimentaires et 17 % ont changé leurs comportements d’achat de produits
alimentaires et de boissons.
Cette étude porte principalement sur la population adulte, il nous a semblé
intéressant alors, d’apprécier la façon dont cette disposition a été reçue par le jeune
téléspectateur. Comment la juge-t-il ? Quelle est sa perception quant à l’utilité de cette
nouvelle réglementation ? Prend-il conscience des enjeux de l’équilibre nutritionnel sur
sa santé ? Comment ressent-il cette ambiguïté du discours valorisant d’une part, les
bénéfices d’une marque alimentaire et les messages de prévention du grignotage d’autre
part ? Dans ce dernier cas, il est possible d’imaginer que les enfants développent une
attitude négative envers la marque promue. En effet, comme l’a montré, Brée (2005),
les publicités peuvent être perçues par les jeunes consommateurs comme trompeuses
dès lors que le scénario n’est pas en adéquation avec le discours publicitaire.
2. La publicité télévisée comme facteur d’aggravation de l’obésité chez
l’enfant
La publici destinée aux enfants se distingue de celle de l’adulte en ce qu’elle
constitue « un message relatif à un produit ou un service, dont les enfants de moins de
treize ans sont les seuls utilisateurs ou représentent un élément considérable du marché
en tant qu’utilisateur, et dont la présentation est faite pour attirer avant tout les
enfants
1
». Son objectif est donc d’informer, de persuader et de faire agir en vue de
vendre le produit.
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In « Publicité destinée aux enfants, attestation à des fins publicitaires », rapport du comité de la
politique à l’égard des consommateurs (OCDE), 1992.
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Dans cette perspective, notons que la publicité a fait l'objet du plus grand nombre de
recherches en marketing sur l’enfant. C'est en effet, le média privilégié des jeunes
consommateurs jusqu’à 12 ans
2.
Il constituerait même pour l’enfant, selon certains
chercheurs
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« le moyen de la réalisation de soi dans la consommation ».
On évalue à 145 mn par jour la durée moyenne d’exposition des enfants à la
télévision (Dagnaud, 2003). L’enquête de l’association de défense des consommateurs
UFC-Que Choisir réalisée en 2006 révèle que 60 % des enfants regardent la télévision
en rentrant de l’école. Plus d’un tiers d’entre eux ont un téléviseur dans leur chambre.
70 % des enfants interrogés sont capables de citer les publicités des marques Lion et
Danette et 46 % se souviennent de Chupa Chups. 71 % des parents considèrent,
d’ailleurs, que les publicités influencent les choix alimentaires de leurs enfants. 40 %
d’entre eux déclarent qu’il est très difficile de résister aux sollicitations enfantines et 80
% avouent qu’ils cèdent à leurs demandes.
De nombreuses recherches ont souligné l’impact de la publicité télévisée dans
l’augmentation du poids des enfants (Pécheux et al., 2006). Il convient néanmoins, de
nuancer la portée de ces travaux. Ceux-ci sont relativement anciens et ont été menés
dans les années 70/80 à une période où l’obésité n’était pas encore devenue un problème
alarmant notamment en France. Par ailleurs, il s’agit essentiellement d’études réalisées
Outre-Atlantique dans un contexte qui est différent de ce qu’on peut connaître en
Europe. Enfin, la diversité des méthodologies utilisées (questionnaires soutenant des
objectifs divers, expérimentations de nature différente) ne permet pas d’obtenir un
corpus scientifique suffisamment solide pour confirmer que la publicité aurait un impact
négatif sur l’équilibre nutritionnel (Masserot, 2007). Tout au moins ces recherches
permettent de retirer les enseignements suivants :
- Les enfants passent un temps très important devant leur poste de télévision.
- Ils sont exposés à de nombreux messages publicitaires jouant sur des éléments
affectifs auxquels les enfants sont réceptifs.
Si l’efficacité de la publicité est reconnue dès lors qu’il s’agit de promouvoir des
produits peu diététiques, on peut également s’en servir à des fins plus positives en
diffusant des messages de santé publique.
2
Tarrit J. M., (1987) « La médiatique : le traitement publicitaire des médias », Chotard et associés
éditeurs.
3
Dagnaud M., (2003), « Enfants, consommation et publicité télévisée », éd. La documentation
Française, n° 5166, Janvier 2003.
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