Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique Particularités anatomocliniques du cancer de la vessie au-delà de 80 ans Clinico-pathological aspects of bladder carcinomas among patients after 80 years old P o i nt s f o rt s » Environ 10 % des patients présentant des tumeurs de la vessie sont âgés de plus de 80 ans. » À cet âge, les comorbidités (essentiellement cardiovasculaires [> 40 %], respiratoires [10 %], neurologiques [10 %] et métaboliques [10 %]) sont fréquentes (82 %). » Histologiquement, ces formes sont volontiers de haut grade et de stade élevé. highlights P. Camparo*, E. Comperat** » La prise en charge thérapeutique se heurte aux problématiques Comorbidities are common (82%) with cardiovascular disease (> 40%), chronic respiratory disease (> 10%), neurologic diseases (10%), diabetis and obesity (10%). Pathology often demonstrated tumors of high grade and stage. des morbidités associées, se révèle moins efficace et avec plus d’effets indésirables que chez des patients moins âgés. Pronostic is worse and adverse effects of therapeutics are more commonly observed in regard to age and comorbidities. Mots-clés : Vessie – Cancer – Âge – Comorbidités – Pathologie – Pronostic – Traitement. Keywords: Bladder – Carcinomas – Age – Comorbidities – Pathology – Prognosis – Treatment. L * Centre de pathologie Amiens-Picardie, et service de pathologie, hôpital Foch, Suresnes. ** Service d’anatomie et de cytologie pathologique, hôpital de la PitiéSalpêtrière, Paris. 20 Bladder carcinomas in patients older than 80 years old represent approximatively 10% of bladder carcinomas. e cancer de la vessie représente le cinquième cancer en France. Avec 7 800 nouveaux cas par an, il est responsable de 3 % des décès par cancer. L’âge moyen de survenue est de 69,8 ans. Il touche environ 3 fois plus les hommes. Parmi les facteurs de risque connus, le tabac est le plus important, mais il faut également noter le rôle de colorants (comme l’aniline), de certaines classes thérapeutiques (cyclophosphamides) et d’agents infectieux (Schistosoma haematobium) [1]. D’un point de vue anatomopathologique, il s’agit dans plus de 90 % des cas d’un carcinome urothélial. Dans la très grande majorité des situations, ces cancers (80 %) sont superficiels (Ta) : seules 20 % des tumeurs urothéliales infiltrent d’emblée la paroi vésicale. D’architecture papillaire, les cancers non infiltrants paraissent saillant dans la lumière vésicale, et se caractérisent au niveau microscopique par l’absence de franchissement de la membrane basale épithéliale. La classification de l’OMS distingue dans ce groupe non infiltrant les formes de bas potentiel de malignité, les carcinomes papillaires non infiltrants de bas grade de malignité et les carcinomes papillaires non infiltrants de haut grade de malignité (2). Ces formes superficielles récidivent dans 50 à 70 % des cas. Trente pour cent évolueront plus ou moins tardivement vers des formes infiltrantes. Le pronostic des formes infiltrantes est essentiellement lié au degré d’infiltration : atteinte du chorion (T1 : tumeurs de la vessie n’infiltrant pas le muscle [TVNIM]), du muscle détrusor (T2), de la graisse périvésicale (T3) ou des organes de voisinage (T4) [figure]. Certains variants morphologiques (micropapillaires, plasmocytoïdes, à cellules indépendantes ou sarcomatoïdes, par exemple) possèdent un potentiel plus agressif que les formes urothéliales classiques. Chez les patients âgés, la prise en charge chirurgicale de ces tumeurs se heurte − à côté des difficultés à apprécier le caractère récidivant et potentiellement agressif des formes superficielles ou la gravité des formes infiltrantes − à des comorbidités parfois lourdes. En particulier, la consommation de tabac peut être responsable d’atteintes cardiovasculaires ou respiratoires invalidantes. Afin d’analyser les particularités anatomocliniques des tumeurs de la vessie du sujet âgé de plus de 80 ans, une étude rétrospective et monocentrique a été menée par Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 Particularités anatomocliniques du cancer de la vessie au-delà de 80 ans le service d’anatomie pathologique (ACP) de l’hôpital Foch (Paris). L’ensemble des cas de tumeurs de la vessie traités dans cet hôpital (résections transurétrales de la vessie [RTUV], biopsies [BV], cystectomies) entre 2005 et 2010 a été extrait de la base de données du service d’ACP à l’aide du système de codification des actes (Adicap). Les patients qui avaient 80 ans ou plus au moment de leur consultation ont été retenus, et leurs dossiers cliniques et anatomopathologiques ont été analysés à partir des données informatisées disponibles. Ont ainsi été colligés les antécédents urologiques (antécédents de tumeurs vésicales, grade, stade, localisations, nombre d’épisodes) ou autres (cardiovasculaires, respiratoires, neurologiques, métaboliques, chirurgicaux, autres). Les comptes rendus anatomopathologiques ont été revus. Le type histologique, le grade, le stade, l’évolution (récidives et nombre, survie sans récidive, progression, survie globale) ont été notés. Durant cette période, 2 329 patients ont été traités chirurgicalement pour une tumeur de la vessie (RTUV, BV, cystectomie) [groupe général]. Parmi eux, 260 (11,2 %) étaient âgés de 80 ans ou plus au moment du traitement (groupe âgé). L’âge moyen des patients dans le groupe âgé était de 84,88 ans (extrêmes : 80-101) versus 69,78 ans dans le groupe général (extrêmes : 21-101). Le sex-ratio était de 3:1 (195 hommes, 65 femmes), équivalent dans les 2 groupes. Les antériorités cliniques sont indiquées dans le tableau I. L’âge au premier épisode était en moyenne de 82,97 ans (extrêmes : 58-101). L’histoire de la maladie urologique avait débuté avant 80 ans pour seulement 34 patients (13,8 %). En moyenne, dans ce cas, les patients avaient présenté 2,53 épisodes antérieurs (extrêmes : 1-10, médiane : 2). Histologiquement, il s’agissait dans 97 % des cas de carcinomes urothéliaux classiques. Les variants histologiques − micropapillaires, neuroendocrines, malpighiens − étaient rares (3 %). Le tableau II indique le ratio des stades histologiques relatifs dans les 2 groupes. Dans 11,5 % des cas, il y avait une atteinte urothéliale non vésicale associée, synchrone ou non, essentiellement rénale ou pyélocalicielle (30 cas), moins fréquemment urétérale (8 cas), exceptionnellement urétrale (2 cas). Le suivi moyen était de 24 mois ; 27 % des patients ont eu un suivi inférieur à 2 mois (perdus de vue). En dehors des sujets perdus de vue, le suivi moyen a été de 33 mois. Le nombre moyen de récidives était de 1,98, 57 % des patients n’ayant présenté qu’un épisode unique. Les récidives étaient donc observées dans 43 % des cas, avec une moyenne de 3,37 épisodes (médiane : 3). Une cystectomie a été réalisée dans 18,8 % des cas, cystectomie initiale dans un peu plus d’un quart Cis Ta T1 T2 T3a T3b T4a T4b Urothélium Musculaire muqueuse Muscle superficiel Muscle profond Graisse périvésicale Viscères adjacents Fixation petit bassin/ paroi abdominale Figure. Tumeurs de la vessie (2). Tableau I. Contexte clinique. Habitudes toxiques Intoxication tabagique : 29,91 % Exogénose : 15 % Pathologies cardiovasculaires Hypertension artérielle : 31,91 % Autres atteintes cardiovasculaires • Troubles du rythme 11,35 % • Angor : 11,13 % • Infarctus du myocarde : 5,14 % • Artérite : 2,36 % • Valvulopathie : 0,64 % Pathologies respiratoires BPCO : 13,06 % Asthme, tuberculose, insuffisance respiratoire chronique : 3,54 % Pathologies neurologiques Accident vasculaire cérébral : 8,78 % Démence : 3,86 % Pathologies métaboliques Diabète : 8,99 % Obésité : 11,78 % Absence d’antécédents cliniques : 18,8 % Tableau II. Stades histologiques des tumeurs de la vessie selon l’âge. Groupe âgé (%) Groupe général (%) p pTa bas grade Stade (TNM 2009) 23,5 59,3 < 0,0001 pTa haut grade 23,5 15,1 < 0,001 pT1 21,5 15,5 < 0,02 ≥ pT2 32 10,1 < 0,0001 de ces cas (27 %). Au cours de ces cystectomies, le stade histologique était T3-4 dans 57,9 % des cas. L’évaluation de l’impact de la maladie urothéliale sur la survie n’a pas pu être effectuée. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 21 Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique De cette analyse, il ressort tout d’abord que les formes histologiques observées au-delà de 80 ans sont quasiment exclusivement des formes urothéliales classiques. Les variants morphologiques classiquement plus agressifs sont exceptionnels. Cependant, un travail de K.S. Cho et al., réalisé en 2009, a montré sur une série de 1 587 patients (sur 5 ans) que, dans la population la plus âgée (> 70 ans), les tumeurs étaient significativement plus volumineuses (p = 0,45), plus souvent multifocales, de plus haut grade et de plus haut stade (p < 0,01 pour chacun des 3 paramètres) [3]. Les résultats de notre travail confirment ces données. En particulier, la fréquence des stades TVNIM et surtout de ceux qui sont supérieurs ou égaux à pT2 est très significativement plus importante (p < 0,02 et p < 0,0001 respectivement). De même, les formes superficielles sont en moyenne de grade plus élevé. Une hypothèse expliquant le caractère agressif de ces tumeurs est qu’il s’agirait de formes évoluant depuis plus longtemps. Cependant, comme le montre la présente série, il s’agit le plus souvent de formes de novo. Seuls 13,8 % des patients ont déjà présenté ou ont déjà été traités pour des épisodes antérieurs. Une autre hypothèse estime que l’exposition prolongée aux facteurs de risques toxiques (tabac) ou professionnels pourrait être une des causes de l’agressivité particulière de ces formes chez le sujet âgé. Cette hypothèse est en particulier évoquée par S.F. Shariat et al. dans une revue critique de la littérature (4). L’impact des conditions du suivi médical des patients âgés (exclusion des suivis médicaux professionnels, difficultés d’accès aux soins, etc.) n’a pas été évalué dans la littérature. À stade égal, l’âge constitue un facteur indépendant de mauvais pronostic (récidives, progression, survie sans récidive) [5]. Dans une série de 206 patients âgés de 75 ans ou plus, avec un suivi moyen de 14,7 mois, C. Bolenz et al. ont observé une mortalité de 38,3 %. Mais, à côté de l’âge (p = 0,017), ces auteurs soulignent l’importance des comorbidités (p = 0,007), un performance status faible (p = 0,001) et un stade plus élevé (p = 0,019) comme facteurs de risque les plus importants (6). Dans une série de 820 patients âgés de plus de 55 ans, G.R. Prout et al. observent que dans le sous-groupe des patients âgés de plus de 75 ans, l’intoxication tabagique est plus importante (38 % versus 30 %) et les maladies cardiovasculaires et respiratoires plus fréquentes (hypertension artérielle, bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO] : 50 % versus 15 %) que dans le groupe moins âgé (7). Dans notre travail, ces comorbidités sont observées chez 81,1 % des patients, et sont essentiellement d’ordre cardiovasculaire ou liées à l’intoxication tabagique (tableau I). Pour G.R. Prout et C. Bolenz, l’âge et la gravité des comorbidités constituent des éléments importants influençant le choix des thérapeutiques mises en place et le suivi des recommandations proposées par les guidelines, notamment dans le cas de tumeurs T2 ou supérieures (6, 7). À grade et à stade égal, les options thérapeutiques proposées par les guidelines (résection, BCG thérapie, cystectomie, etc.) se révèlent, chez le sujet âgé, moins efficaces et leurs effets adverses sont plus fréquents (6). Ainsi, dans une étude portant sur 238 patients traités par BCG thérapie, un âge supérieur à 75 ans constitue un élément de mauvaise réponse. À 2 ans, la survie sans progression est de 65 % dans le groupe de plus de 75 ans, et de 87 % dans le groupe de moins de 75 ans (p < 0,01). En analyse multivariée, l’âge demeure un facteur de risque indépendant (HR = 2,9 ; IC95 : 1,7-4,9) [8]. Concernant la cystectomie, une étude rétrospective portant sur 1 054 patients, dont 50 étaient âgés de plus de 80 ans, a montré que les complications chirurgicales à court et moyen termes étaient aussi fréquentes quel que soit l’âge (9). Ces résultats ont été confirmés par plusieurs travaux (10), qui montrent par ailleurs que la survie sans récidive et la survie globale chez les patients âgés sont moins bonnes (11). Ainsi, les cancers de la vessie du sujet âgé de plus de 80 ans sont presque tous des formes urothéliales classiques. Ces tumeurs sont plus volontiers de haut grade et de haut stade et, à grade ou stade égal, de plus mauvais pronostic. L’âge et l’importance des comorbidités sont des éléments restreignant les possibilités thérapeutiques. Enfin, ces traitements sont généralement moins efficaces. ■ Références 1. Chopin D, Gattegno B. Descriptive epidemiology of super- 5. Rachet B, Maringe C, Nur U et al. Population-based cancer 8. Heiner JG, Terris MK. Effect of advanced age on the deve- ficial bladder tumors. Prog Urol 2001;11(5):955-60. survival trends in England and Wales up to 2007: an assessment of the NHS cancer plan for England. Lancet Oncol 2009; 10(4):351-69. lopment of complications from intravesical bacillus CalmetteGuérin therapy. Urol Oncol 2008;26(2):137-40. 6. Bolenz C, Ho R, Nuss GR et al. Management of elderly the elderly: comparison of clinical outcomes between younger and older patients. Cancer 2005;104(1):36-43. 2. Eble JN, Sauter G, Epstein JI, Sesterhenn IA. WHO classification of tumors. Tumors of the genitourinary and male genital organs. Lyon: IARC Press; 2004. 3. Cho KS, Hwang TK, Kim BW et al. Differences in tumor characteristics and prognosis in newly diagnosed Ta, T1 urothelial carcinoma of bladder according to patient age. Urology 2009;73(4):828-32. 4. Shariat SF, Sfakianos JP, Droller MJ et al. The effect of age and gender on bladder cancer: a critical review of the literature. BJU Int 2010;105(3):300-8. patients with urothelial carcinoma of the bladder: guideline concordance and predictors of overall survival. BJU Int 2010; 106(9):1324-9. 9. Clark PE, Stein JP, Groshen SG et al. Radical cystectomy in 10. Froehner M, Brausi MA, Herr HW et al. Complications 7. Prout GR, Wesley MN, Yancik R et al. Age and comorbi- following radical cystectomy for bladder cancer in the elderly. Eur Urol 2009;56(3):443-54. dity impact surgical therapy in older bladder carcinoma patients: a population-based study. Cancer 2005;104(8): 1638-47. cystectomy for bladder cancer in patients over 80 years old. Int Urol Nephrol 2007;39(1):209-14. 11. Yamanaka K, Miyake H, Hara I et al. Significance of radical