Particularités anatomocliniques du cancer de la vessie au

dossier thématique
Cancer de la vessie
chez le sujet âgé
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012
2020
Particularités anatomocliniques
du cancer de la vessie au-delà de 80 ans
Clinico-pathological aspects of bladder carcinomas among patients
after 80 years old
P. Camparo*, E. Comperat**
* Centre de pathologie
Amiens-Picardie,
et service depathologie,
hôpital Foch, Suresnes.
** Service d’anatomie
et de cytologie
pathologique,
hôpital de la Pitié-
Salpêtrière, Paris.
L
e cancer de la vessie représente le cinquième
cancer en France. Avec 7 800 nouveaux cas
par an, il est responsable de 3 % des décès par
cancer. L’âge moyen de survenue est de 69,8 ans.
Il touche environ 3 fois plus les hommes. Parmi les
facteurs de risque connus, le tabac est le plus impor-
tant, mais il faut également noter le rôle de colorants
(comme l’aniline), de certaines classes thérapeu-
tiques (cyclophosphamides) et d’agents infectieux
(Schistosoma haematobium) [1]. D’un point de vue ana-
tomopathologique, il s’agit dans plus de 90 % des cas
d’un carcinome urothélial. Dans la très grande majorité
des situations, ces cancers (80 %) sont superfi ciels
(Ta) : seules 20 % des tumeurs urothéliales infi ltrent
d’emblée la paroi vésicale. D’architecture papillaire,
les cancers non infi ltrants paraissent saillant dans la
lumière vésicale, et se caractérisent au niveau micros-
copique par l’absence de franchissement de la mem-
brane basale épithéliale. La classifi cation de l’OMS
distingue dans ce groupe non infi ltrant les formes
de bas potentiel de malignité, les carcinomes papil-
laires non infi ltrants de bas grade de malignité et les
carcinomes papillaires non infi ltrants de haut grade
de malignité (2). Ces formes super cielles récidivent
dans 50 à 70 % des cas. Trente pour cent évolueront
plus ou moins tardivement vers des formes infi ltrantes.
Le pronostic des formes infiltrantes est essentiel-
lement lié au degré d’infi ltration : atteinte du chorion
(T1 : tumeurs de la vessie n’infiltrant pas le muscle
[TVNIM]), du muscle détrusor (T2), de la graisse
péri vésicale (T3) ou des organes de voisinage (T4)
[fi gure]. Certains variants morphologiques (micropa-
pillaires, plasmocytoïdes, à cellules indépendantes ou
sarcomatoïdes, par exemple) possèdent un potentiel
plus agressif que les formes urothéliales classiques.
Chez les patients âgés, la prise en charge chirurgicale
de ces tumeurs se heurte − à côté des difficultés à
apprécier le caractère récidivant et potentiellement
agressif des formes superficielles ou la gravité des
formes infi ltrantes − à des comorbidités parfois lourdes.
En particulier, la consommation de tabac peut être
responsable d’atteintes cardiovasculaires ou respira-
toires invalidantes.
Afi n d’analyser les particularités anatomocliniques des
tumeurs de la vessie du sujet âgé de plus de 80 ans, une
étude rétrospective et monocentrique a été menée par
Points forts
highlights
»
Environ 10 % des patients présentant des tumeurs de la vessie
sont âgés de plus de 80 ans.
»
À cet âge, les comorbidités (essentiellement cardiovasculaires
[> 40 %], respiratoires [10 %], neurologiques [10 %] et métaboliques
[10 %]) sont fréquentes (82 %).
»
Histologiquement, ces formes sont volontiers de haut grade et
de stade élevé.
»
La prise en charge thérapeutique se heurte aux problématiques
des morbidités associées, se révèle moins effi cace et avec plus
d’eff ets indésirables que chez des patients moins âgés.
Mots-clés : Vessie – Cancer – Âge – Comorbidités – Pathologie –
Pronostic – Traitement.
Bladder carcinomas in patients older than 80 years old
represent approximatively 10% of bladder carcinomas.
Comorbidities are common (82%) with cardiovascular
disease (> 40%), chronic respiratory disease (> 10%),
neurologic diseases (10%), diabetis and obesity (10%).
Pathology often demonstrated tumors of high grade
and stage.
Pronostic is worse and adverse eff ects of therapeutics
are more commonly observed in regard to age and
comorbidities.
Keywords: Bladder Carcinomas Age Comorbidities
Pathology Prognosis Treatment.
Figure. Tumeurs de la vessie (2).
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012
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Urothélium
Cis T3aT1 T4aTa T3bT2 T4b
Muscle super ciel
Viscères adjacents
Musculaire muqueuse
Graisse périvésicale
Muscle profond
Fixation petit bassin/
paroi abdominale
Particularités anatomocliniques du cancer de la vessie au-delà de 80 ans
le service d’anatomie pathologique (ACP) de l’hôpital
Foch (Paris). Lensemble des cas de tumeurs de la vessie
traités dans cet hôpital (résections transurétrales de
la vessie [RTUV], biopsies [BV], cystectomies) entre
2005 et 2010 a été extrait de la base de données du
service d’ACP à l’aide du système de codifi cation des
actes (Adicap). Les patients qui avaient 80 ans ou plus
au moment de leur consultation ont été retenus, et
leurs dossiers cliniques et anatomopathologiques ont
été analysés à partir des données informatisées dispo-
nibles. Ont ainsi été colligés les antécédents urolo-
giques (antécédents de tumeurs vésicales, grade, stade,
localisations, nombre d’épisodes) ou autres (cardiovas-
culaires, respiratoires, neurologiques, métaboliques,
chirurgicaux, autres). Les comptes rendus anatomo-
pathologiques ont été revus. Le type histologique,
le grade, le stade, l’évolution (récidives et nombre,
survie sans récidive, progression, survie globale) ont
été notés. Durant cette période, 2 329 patients ont
été traités chirurgicalement pour une tumeur de la
vessie (RTUV, BV, cystectomie) [groupe général]. Parmi
eux, 260 (11,2 %) étaient âgés de 80 ans ou plus au
moment du traitement (groupe âgé). L’âge moyen
des patients dans le groupe âgé était de 84,88 ans
(extrêmes : 80-101) versus 69,78 ans dans le groupe
général (extrêmes : 21-101). Le sex-ratio était de 3:1
(195 hommes, 65 femmes), équivalent dans les
2 groupes. Les antériorités cliniques sont indiquées dans
le tableau I. L’âge au premier épisode était en moyenne
de 82,97 ans (extrêmes : 58-101). L’histoire de la maladie
urologique avait débuté avant 80 ans pour seulement
34 patients (13,8 %). En moyenne, dans ce cas, les
patients avaient présenté 2,53 épisodes antérieurs
(extrêmes : 1-10, médiane : 2). Histologiquement, il
s’agissait dans 97 % des cas de carcinomes urothéliaux
classiques. Les variants histologiques − micropapillaires,
neuro endocrines, malpighiens − étaient rares (3 %).
Le tableau II indique le ratio des stades histologiques
relatifs dans les 2 groupes. Dans 11,5 % des cas, il y
avait une atteinte urothéliale non vésicale associée,
synchrone ou non, essentiellement rénale ou pyélo-
calicielle (30 cas), moins fréquemment urétérale (8 cas),
exceptionnellement urétrale (2 cas).
Le suivi moyen était de 24 mois ; 27 % des patients
ont eu un suivi inférieur à 2 mois (perdus de vue).
En dehors des sujets perdus de vue, le suivi moyen a
été de 33 mois. Le nombre moyen de récidives était
de 1,98, 57 % des patients n’ayant présenté qu’un
épisode unique. Les récidives étaient donc observées
dans 43 % des cas, avec une moyenne de 3,37 épisodes
(médiane : 3). Une cystectomie a été réalisée dans 18,8 %
des cas, cystectomie initiale dans un peu plus d’un quart
de ces cas (27 %). Au cours de ces cystectomies, le stade
histologique était T3-4 dans 57,9 % des cas. Lévaluation
de l’impact de la maladie urothéliale sur la survie n’a
pas pu être eff ectuée.
Tableau I. Contexte clinique.
Habitudes toxiques
Intoxication tabagique : 29,91 %
Exogénose : 15 %
Pathologies cardiovasculaires
Hypertension artérielle : 31,91 %
Autres atteintes cardiovasculaires
Troubles du rythme 11,35 %
• Angor : 11,13 %
• Infarctus du myocarde : 5,14 %
• Artérite : 2,36 %
Valvulopathie : 0,64 %
Pathologies respiratoires
BPCO : 13,06 %
Asthme, tuberculose, insuffi sance respiratoire chronique : 3,54 %
Pathologies neurologiques
Accident vasculaire cérébral : 8,78 %
Démence : 3,86 %
Pathologies métaboliques
Diabète : 8,99 %
Obésité : 11,78 %
Absence d’antécédents cliniques : 18,8 %
Tableau II. Stades histologiques des tumeurs de la vessie selon l’âge.
Stade (TNM 2009)
Groupe âgé (%)
Groupe général (%)
p
pTa bas grade
23,5
59,3
< 0,0001
pTa haut grade
23,5
15,1
< 0,001
pT1
21,5
15,5
< 0,02
≥ pT2
32
10,1
< 0,0001
dossier thématique
Cancer de la vessie
chez le sujet âgé
De cette analyse, il ressort tout d’abord que les formes
histologiques observées au-delà de 80 ans sont
quasiment exclusivement des formes urothéliales
classiques. Les variants morphologiques classiquement
plus agressifs sont exceptionnels. Cependant, un travail
de K.S. Cho et al., réalisé en 2009, a montré sur une série
de 1 587 patients (sur 5 ans) que, dans la population la
plus âgée (> 70 ans), les tumeurs étaient signifi cativement
plus volumineuses (p = 0,45), plus souvent multifocales,
de plus haut grade et de plus haut stade (p < 0,01 pour
chacun des 3 paramètres) [3]. Les résultats de notre travail
confi rment ces données. En particulier, la fréquence des
stades TVNIM et surtout de ceux qui sont supérieurs
ou égaux à pT2 est très signifi cativement plus impor-
tante (p < 0,02 et p < 0,0001 respectivement). De même,
les formes superfi cielles sont en moyenne de grade plus
élevé. Une hypothèse expliquant le caractère agressif
de ces tumeurs est qu’il s’agirait de formes évoluant
depuis plus longtemps. Cependant, comme le montre
la présente série, il s’agit le plus souvent de formes
de novo. Seuls 13,8 % des patients ont déjà présenté
ou ont déjà été traités pour des épisodes antérieurs.
Une autre hypothèse estime que l’exposition prolongée
aux facteurs de risques toxiques (tabac) ou professionnels
pourrait être une des causes de l’agressivité particulière
de ces formes chez le sujet âgé. Cette hypothèse est
en particulier évoquée par S.F. Shariat et al. dans une
revue critique de la littérature (4). Limpact des condi-
tions du suivi médical des patients âgés (exclusion des
suivis médicaux professionnels, diffi cultés d’accès aux
soins, etc.) n’a pas été évalué dans la littérature. À stade
égal, l’âge constitue un facteur indépendant de mauvais
pronostic (récidives, progression, survie sans récidive) [5].
Dans une série de 206 patients âgés de 75 ans ou plus,
avec un suivi moyen de 14,7 mois, C. Bolenz et al. ont
observé une mortalité de 38,3 %. Mais, à côté de l’âge
(p = 0,017), ces auteurs soulignent l’importance des
comorbidités (p = 0,007), un performance status faible
(p = 0,001) et un stade plus élevé (p = 0,019) comme
facteurs de risque les plus importants (6).
Dans une série de 820 patients âgés de plus de 55 ans,
G.R. Prout et al. observent que dans le sous-groupe
des patients âgés de plus de 75 ans, l’intoxication
tabagique est plus importante (38 % versus 30 %)
et les maladies cardiovasculaires et respiratoires
plus fréquentes (hypertension artérielle, broncho-
pneumopathie chronique obstructive [BPCO] : 50 %
versus 15 %) que dans le groupe moins âgé (7).
Dans notre travail, ces comorbidités sont observées
chez 81,1 % des patients, et sont essentiellement
d’ordre cardiovasculaire ou liées à lintoxication
tabagique (tableau I). Pour G.R. Prout et C. Bolenz, lâge
et la gravité des comorbidités constituent des éléments
importants infl uençant le choix des thérapeutiques
mises en place et le suivi des recommandations
proposées par les guidelines, notamment dans le cas
de tumeurs T2 ou supérieures (6, 7). À grade et à stade
égal, les options thérapeutiques proposées par les
guidelines (résection, BCG thérapie, cystectomie, etc.)
se révèlent, chez le sujet âgé, moins effi caces et leurs
eff ets adverses sont plus fréquents (6). Ainsi, dans une
étude portant sur 238 patients traités par BCG thérapie,
un âge supérieur à 75 ans constitue un élément de
mauvaise réponse. À 2 ans, la survie sans progression
est de 65 % dans le groupe de plus de 75 ans, et de
87 % dans le groupe de moins de 75 ans (p < 0,01).
En analyse multivariée, l’âge demeure un facteur de
risque indépendant (HR = 2,9 ; IC95 : 1,7-4,9) [8].
Concernant la cystectomie, une étude rétrospective
portant sur 1 054 patients, dont 50 étaient âgés de plus
de 80 ans, a montré que les complications chirurgicales
à court et moyen termes étaient aussi fréquentes quel
que soit l’âge (9). Ces résultats ont été confi rmés par
plusieurs travaux (10), qui montrent par ailleurs que la
survie sans récidive et la survie globale chez les patients
âgés sont moins bonnes (11).
Ainsi, les cancers de la vessie du sujet âgé de plus
de 80 ans sont presque tous des formes urothéliales
classiques. Ces tumeurs sont plus volontiers de haut
grade et de haut stade et, à grade ou stade égal, de plus
mauvais pronostic. L’âge et l’importance des comor-
bidités sont des éléments restreignant les possibilités
thérapeutiques. Enfi n, ces traitements sont généra-
lement moins effi caces.
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