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part et d'autre de son geste, laisse retomber, choses désormais extérieures,
sourdes à tout échange, et comme mortes l'une à l'autre, la Raison et la Folie.
C'est là sans doute une région incommode. Il faut pour la parcourir renoncer au
confort des vérités terminales, et ne jamais se laisser guider par ce que nous
pouvons savoir de la folie. Aucun des concepts de la psychopathologie ne devra,
même et surtout dans le jeu implicite des rétrospections, exercer de rôle
organisateur. Est constitutif le geste qui partage la folie, et non la science qui
s'établit, ce partage une fois fait, dans le calme revenu. Est originaire la césure qui
établit la distance entre raison et non-raison ; quant à la prise que la raison exerce
sur la non-raison pour lui arracher sa vérité de folie, de faute ou de maladie, elle
en dérive, et de loin. Il va donc falloir parler de ce primitif débat sans supposer de
victoire, ni de droit à la victoire ; parler de ces gestes ressassés dans l'histoire, en
laissant en suspens tout ce qui peut faire figure d'achèvement, de repos dans la
vérité ; parler de ce geste de coupure, de cette distance prise, de ce vide instauré
entre la raison et ce qui n'est pas elle, sans jamais prendre appui sur la plénitude
de ce qu'elle prétend être.
Alors, et alors seulement, pourra apparaître le domaine où l'homme de folie et
l'homme de raison, se séparant, ne sont pas encore séparés, et dans un langage
très originaire, très fruste, bien plus matinal que celui de la science, entament le
dialogue de leur rupture, qui témoigne d'une façon fugitive qu'ils se parlent
encore. Là, folie et non-folie, raison et non-raison sont confusément impliquées :
inséparables du moment qu'elles n'existent pas encore, et existant l'une pour
l'autre, l'une par rapport à l'autre, dans l'échange qui les sépare.
Au milieu du monde serein de la maladie mentale, l'homme moderne ne
communique plus avec le fou : il y a d'une part l'homme de raison qui délègue
vers la folie le médecin, n'autorisant ainsi de rapport qu'à travers l'universalité
abstraite de la maladie ; il y a d'autre part l'homme de folie qui ne communique
avec l'autre que par l'intermédiaire d'une raison tout aussi abstraite, qui est ordre,
contrainte physique et morale, pression anonyme du groupe, exigence de
conformité. De langage commun, il n'y en a pas ; ou plutôt il n'yen a plus ; la
constitution de la folie comme maladie mentale, à la fin du XVIIIe siècle, dresse le
constat d'un dialogue rompu, donne la séparation comme déjà acquise, et enfonce
dans l'oubli tous ces mots imparfaits, sans syntaxe fixe, un peu balbutiants, dans