tout autant dans les approches de type synthétique de
l’esthétique que dans des études plus circonstanciées.
Outre qu’une telle accentuation contribue, de façon
délibérée ou non, à occulter d’autres textes qui pour-
raient s’avérer d’une importance égale, voire plus
grande, pour accéder à la pensée musicale d’Adorno,
elle véhicule surtout une vision de la musique ainsi
qu’une conceptualité philosophique qui n’ont rien de
neutre et dont on peut même se demander si elles ne
constituent pas un des grands malentendus de l’accueil
fait jusqu’à présent à Adorno. Au premier chef, il y a
l’idée selon laquelle Adorno serait le penseur par excel-
lence de la « nouvelle musique »2: une quasi-unanimité
au sein des commentaires s’est nouée pour attribuer
à Adorno une approche qui s’organise électivement
autour des bouleversements formels, techniques et
expressifs qui surgissent en musique dans les premières
années du XXesiècle et dont l’œuvre de Schoenberg
serait le témoignage le plus manifeste et le plus exem-
plaire. C’est à ce titre que l’on reconnaît à Adorno, non
sans ambiguïté parfois, le privilège d’être le penseur du
XXesiècle en musique et discute ou commente, d’une
façon au demeurant fort diverse, son rapport soit à
l’« avant-garde »3, soit, de manière plus élargie, à la
« modernité en art »4. S’y ajoute un enjeu philosophique
que l’on ne doit pas minimiser. Car la focalisation sur
Philosophie de la nouvelle musique, avec une lecture qui
tend à se cristalliser unilatéralement sur la probléma-
tique de l’histoire et du progrès, et dans la considération
des concepts esthétiques qui sont jugés la porter – tel
celui de « matériau » qui a fait couler beaucoup
d’encre –, conduit souvent à délaisser la musique pour
2. Dans des registres très différents, on peut citer Heinz-
Klaus Metzger, « Das Altern der Philosophie der Neuen Musik »,
Musik wozu. Literatur zu Noten, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp,
1980, p. 61-89 ; Raymond Court, Adorno et la nouvelle musique, Art
et modernité, Paris, Klincksieck, 1981 ; Jean-Paul Olive, Un son désen-
chanté, Musique et théorie critique, Paris, Klincksieck, 2008.
3. Par exemple Peter Bürger, « L’anti-avant-gardisme dans
l’esthétique d’Adorno », traduction Marc Jimenez, Revue d’esthé-
tique,n
o8, 1985, p. 85-93 ; Jacques Rancière, Malaise dans l’esthé-
tique, Paris, Galilée, 2004.
4. Marc Jimenez, Adorno et la modernité, Vers une esthétique néga-
tive, Paris, Klincksieck, 1986 ; Marc Thibodeau, La Théorie esthé-
tique d’Adorno, une introduction, préface de Jean Grondin, Presses
Universitaires de Rennes, 2008.
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