
A. Vighetto, C. Tilikete / Neurochirurgie 55 (2009) 272–278 273
Ces syndromes ont en commun de comporter une hyper-
activité neurogène, génératrice de spasmes intermittents des
muscles oculomoteurs, à l’origine de diplopie paroxystique.
Au-delà de la diversité des étiologies, parmi lesquelles figurent
les conflits vasculonerveux, ils ont également en commun
certains mécanismes physiopathologiques. Ils associent
l’existence de lésions focales et partielles, à la fois myéliniques
et axonales, sur le trajet fasciculaire ou tronculaire, de l’un
des nerfs oculomoteurs, avec un réaménagement nucléaire de
l’activité neuronale, ces lésions étant à l’origine d’anomalies
spatiales ou temporelles de la transmission de l’influx nerveux.
Enfin, ils répondent généralement aux médicaments stabilisants
de membrane, tels la carbamazépine ou le gabapentin.
Ils se distinguent par leur séméiologie, par le caractère spon-
tané ou provoqué du trouble moteur oculaire, par le nerf moteur
oculaire concerné et par l’étiologie.
1. Le syndrome de neuromyotonie oculaire
1.1. Présentation clinique
La neuromyotonie oculaire se manifeste par une diplopie ou
par un strabisme monoculaire épisodique, de survenue sponta-
née ou induite par le maintien d’une position du regard. Elle
se caractérise par des spasmes toniques, brefs, durant quelques
secondes, d’un ou de plusieurs muscles oculomoteurs dépen-
dant d’un même nerf oculomoteur. Typiquement, ces spasmes
sont déclenchés par le maintien du regard en position excentrée
et la diplopie survient lorsque l’œil tente de revenir en position
primaire.
Le motif de consultation est ainsi une diplopie paroxystique,
qui peut être verticale ou horizontale. Le diagnostic est assuré
par la démonstration du trouble oculomoteur intermittent. En cas
de neuromyotonie du III, il peut s’agir du déclenchement d’une
ésotropie avec limitation de l’abduction de l’œil homolatéral,
après un mouvement de version (latéralité) soutenue, sollicitant
le muscle droit médial (Miller et Newman, 2005). Il peut aussi
s’agir d’une infraduction persistante avec limitation de la supra-
duction, après le maintien prolongé d’une infraversion (Versino
et al., 2005). Les manifestations précédentes peuvent s’expliquer
par le maintien anormal d’une activité tonique dans un muscle
oculomoteur, respectivement le droit médial et le droit inférieur.
Il a également été décrit un défaut paroxystique de mouvements
verticaux d’un œil, associé à une rétraction palpébrale, alors que
l’examen oculomoteur est normal entre les épisodes (Salmon
et al., 1988). Dans ce dernier cas, le phénomène spasmodique
intéresse simultanément les muscles droit inférieur, droit supé-
rieur et releveur de la paupière supérieure. Nous avons décrit
un cas comportant une rétraction palpébrale supérieure, avec
ésotropie et limitation de l’infraduction, de la supraduction et
de l’abduction, après le maintien pendant 20 à 30 secondes du
regard vers le haut (Tilikete et al., 2000). La contraction tonique
intéresse alors les mêmes muscles que dans le cas précédent,
ainsi que le muscle droit médial. En cas de neuromyotonie du
VI, le syndrome se manifeste sous la forme d’une exotropie épi-
sodique avec diplopie horizontale et limitation de l’adduction
(Barroso et Hoyt, 1993).
Dans environ deux cas sur trois, la neuromyotonie sur-
vient après le maintien d’une position oculaire excentrée durant
plusieurs secondes. La diplopie et/ou le strabisme résulte du
maintien de la contraction tonique, d’un défaut de relaxation,
du muscle sollicité, celui-ci étant innervé par le nerf oculomo-
teur atteint. L’une des circonstances déclenchantes naturelles
peut être la rotation de la tête et des yeux lors de la conduite
automobile au moment du stationnement. Dans ces cas, la repro-
duction du symptôme au décours du maintien de la posture
oculomotrice assure le diagnostic. Dans les autres cas, la sur-
venue est spontanée, répétitive au cours de la journée, sans
être spécifiquement liée à un contexte oculomoteur. Il n’existe
aucun symptôme associé, notamment de douleur. L’examen ocu-
lomoteur intercritique s’avère normal dans 60 % des cas et
relève une « parésie » d’un nerf oculomoteur dans les autres
cas (Miller et Lee, 2004). Dans certains de ces derniers cas,
le déficit oculomoteur de base pourrait en fait relever, non pas
d’un déficit oculomoteur, mais d’une contraction tonique per-
manente de l’un ou de plusieurs des muscles dépendant du nerf
oculomoteur affecté par la neuromyotonie. Dans de tels cas,
la coexistence d’une composante tonique avec la composante
phasique de la neuromyotonie oculaire peut être démontrée
par la disparition concomitante de ces deux composantes avec
le traitement médical par la carbamazépine (Versino et al.,
2005).
1.2. Électrophysiologie
Le spasme musculaire résulte d’une hyperactivité neurogène
dans le territoire considéré. De rares cas ont pu être étu-
diés avec un enregistrement électromyographique des muscles
oculomoteurs. Alors que l’examen au niveau des muscles
squelettiques était normal, il a été montré une activité spon-
tanée continue des unités motrices du muscle releveur de
la paupière supérieure, avec des bouffées brèves de poten-
tiels d’action de haute fréquence, associée à des tracés de
contraction volontaire normaux et à une absence de postdé-
charges (Tilikete et al., 2000). Le profil électromyographique
est ainsi, au moins dans ce cas, celui d’un syndrome d’activité
continue des unités motrices, terme caractérisant la neuro-
myotonie, mais limité au territoire oculomoteur, justifiant
ainsi parfaitement l’appellation syndromique de neuromyoto-
nie oculaire (Tilikete et al., 2000). Si la neuromyotonie est
permanente, la phase spasmodique « clinique » est contem-
poraine d’un défaut de relaxation musculaire, du fait de
décharges inappropriées des neurones ou axones du III, IV ou
VI.
La neuromyotonie oculaire est consécutive à une lésion
focale et incomplète du tronc nerveux, au niveau périphé-
rique. Elle résulte probablement à la fois des conséquences
locales, comportant des lésions myéliniques et axonales ainsi
que d’un réaménagement central de l’activité neuronale dans les
noyaux oculomoteurs. Les premières peuvent rendre compte de
la cocontraction musculaire par le fait de courts-circuits éphap-
tiques, avec transmission interaxonale de l’activité électrique,
le second peut rendre compte de l’hyperactivité neurogène avec
une instabilité des membranes.
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