Dossier Pédagogique La Campagne - Théâtre La Coupole à Saint

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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
JEUDI 12 MAI 20h30
Durée : 1h30 sans entracte
Compagnie Le Talon Rouge
LA CAMPAGNE
SOMMAIRE
→
Distribution / Résumé
3
A propos du spectacle
3
Extraits / vidéos
6
En images
6
Biographie
6
Pistes de travail
8
Pour aller plus loin
14
Bibliographie, sources
15
TARIFS SCOLAIRES
9.50 € groupe scolaire pour la séance tous publics
5.50 € carte Vita Culture (disponible à l’accueil du théâtre)
2
→ DISTRIBUTION
Texte de Martin Crimp et traduction de Philippe Djian (L’Arche Editeur)
Mise en scène de Catherine Javaloyès
Avec
Nancy Guyon, François Kergourlay, Catherine Javaloyès
Collaboration artistique : Guillaume Clayssen
Dramaturgie : Pascale Lequesne
Lumières : Xavier Martayan
Musiques et son : Pascal Doumange
Scénographie : Alexandre Fruh
Costumes : Gwendoline Bouget
Travail du geste : Marie Dufaud
Comité de lecture : lebAbel
Construction : Pierre Chaumont
Soutiens : DRAC Alsace, Région Alsace, Conseil général du Bas-Rhin, Ville de Strasbourg,
Spedidam, Boulevard des Poductions
Création novembre 2014 au Taps-Laiterie à Strasbourg.
→ RESUME
Corinne et son époux Richard ont quitté la ville pour la lande anglaise. Une nuit, celui-ci
ramène une jeune inconnue, trouvée étendue au bord de la route. Enfin, c’est ce qu’il dit. Et
nous voilà à balancer nos lampes torches sur ces trois personnages, sur leurs joutes verbales,
leurs chemins qui finissent en culs de sac, sur leurs vies en morceaux, sur des débris de vérité.
À soulever les tapis avec eux, nous prenons un risque : passer de témoins à complices dans ce
décor propret semé de chausse-trappes et d’énigmes à ne pas résoudre. Un triangle amoureux
qui détourne les règles du jeu avec un humour mordant, plein de silences et de fureur. So
british !
→À PROPOS DU SPECTACLE
■ Note d’intention
La mise en scène sera au service d’un texte qui est un chemin de crête où l’on peut craindre
une chute d’un côté ou de l’autre. Le suspens y prend le pas sur l’action. Les mots deviennent
des acteurs menaçants, inquisiteurs, cyniques. Dès le premier acte Crimp place une tension. Le
spectateur est sur un chemin pentu où les dialogues glissent à coup de phrases ébréchées, de
sons répétés, de dialogues sinueux soutenus par un rythme obsédant. Corde raide, jeu de
funambule.
Les cinq actes, cinq batailles, s’achèvent par une figure de shifumi (ciseaux – pierre – feuille).
Les dialogues sont alors autant de parades, d’esquives, de coups ciblés qui portent la force, la
violence et l’incongruité de cette situation centrale de mari embarrassé d’amener sa jeune
maitresse dans la nouvelle maison familiale. Martin Crimp nous avertit : et si tout cela n’était
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qu’un jeu, quelles en seraient les règles ? Il questionne la vérité des choses : comment savoir ce
qui est exact et ce qui ne l’est pas. Ce qui est prétendu vrai serait-il à demi faux ? Où trouver les
composants de ma vérité ? Le langage, dans La Campagne, cache plus qu’il ne révèle.
« Je ne sais pas si cette question du non-dit est particulièrement anglaise. Même si quelqu’un comme
Harold Pinter est un expert en la matière. En tout cas, il est certain que, tout au long de La
Campagne, il y a une discussion sur ce qui peut ou ne peut pas être dit. (...) en tant qu’écrivain dont
le métier consiste à se servir du langage, il m’est nécessaire de croire jusqu’à un certain point que
celui-ci peut être utilisé pour produire du sens. Il y a là un paradoxe, et cette question débattue tout
au long de la pièce est peut-être aussi l’expression de ma propre anxiété. » Martin Crimp
La pièce s’inscrit dans la lignée des comédies de menaces de Pinter. L’autre est menaçant, le
rapport des personnages aux objets (ciseaux–sac-verre d’eau–montre–chaussures) est ambigu,
les coups de téléphone de Morris, collègue de cabinet de Richard, sont inquiétants ; les
situations de départ se déforment et prennent un chemin de traverse inattendu. Mais Crimp
ne manque pas de mettre de la distance dans son univers de thriller psychologique.
Avec La Campagne l’auteur propose une partition formelle pleine de fausses notes et de
déraillements. Une distance « so british » qui nous fera jongler en continu entre le drame et la
comédie.
D’autre part la fausse candeur de certains dialogues ne serait-elle pas une piste à creuser ? La
symbolique du conte pour enfants se camouffle entre les lignes : Corinne en Belle au Bois
dormant se pique et réclame en vain un baiser à son prince charmant, Rebecca est un peu le
loup dans le Petit Chaperon Rouge, déguisé pour entrer dans la chaumière, Morris - cet ami
inquiétant, « dans son affreux tweed » pourrait endosser le rôle de la méchante sorcière dans
Blanche Neige.
Quel piège est tendu au milieu de tout cela au spectateur de cette drôle d’intrigue ? N’ y a-t-il
pas chez Crimp comme chez Hitchcock, une « direction de spectateur » ? La lecture de La
Campagne donne l’impression de pouvoir anticiper l’action alors qu’en fait il n’en est rien.
Pourquoi cela ? Qui est sous la coupe du texte ? Comment cette pièce en ellipses et énigmes
confie-t-elle un rôle au spectateur ? Peut-il le refuser ?
Le texte, d’une grande technicité littéraire, peut nourrir la dramaturgie. D’où la nécessité en
première étape d’identifier les paramètres d’élocution et les niveaux de langage afin d’en
extraire tous les sens volontairement cachés et révélés dans les dialogues : digressions –
questions leitmotiv– questions sans réponses - répétitions obsessionnelles– usage incongru
d’adverbes – injonctions surprenantes–recours systématique aux pauses – frottement de
répliques – polysémie – anaphores… Grâce à ce travail de repérage stylistique et sémantique,
nous ferons surgir le sens enfoui à la surface des mots pour qu’ils nourrissent notre
dramaturgie.
Comment traiter le paradoxe de la prépondérance du vocal pour cet art de la présence qu’est le
théâtre ? Le langage n’est pas fait que de mots : tout ce qui apporte du sens est langage et au
premier chef, le corps. Que signifie alors donner la parole au corps ? Avec Marie Dufaud,
chorégraphe, nous préciserons le langage de ce corps d’acteur et de sa présence. Nous
travaillerons une certaine esthétique du corps, une poétique de mouvements pour
essentialiser gestuelle et déplacements dans une économie et une précision qui fera écho au
travail de l’écriture de Martin Crimp. Nous construirons une grammaire de gestes pour faire
vibrer l’immobilité, l’effacement - de ce théâtre sans bruits forts, sans scandale apparent. Nous
rechercherons à créer du rapport entre le faire et le dire, entre le répétitif verbal et le répétitif
physique. Chaque personnage aura son propre vocabulaire, sa propre mécanique. Le corps
tentera de dire ce que les mots camoufflent.
Catherine Javaloyès, novembre 2013
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■ Création sonore
Pascal Doumange proposera un matériau musical et sonore dans les interscènes, en suivant
des indices de jeu indiqués dans le texte « ciseaux-pierre–papier ». A l’instar de la structure
verticale du texte, une musique de style contre point pourra suivre la structure des dialogues
dans une superposition de mélodies distinctes (cordes - violons con sordino - instruments à
vent – piano - contrebasse....). Elle pourra soit prolonger l’ambiance du tableau précédent, soit
annoncer l’ambiance du tableau suivant. On pourra aussi envisager une musique non
illustrative proche de l’interlude. Les pauses musicales feront écho aux pauses textuelles de La
Campagne. La tension dramatique pourra être soit ponctuée par un son, soit par une rupture
sonore.... La matière sonore va soit créer du vide, soit le remplir.
Pour le design sonore Pascal Doumange utilisera des sons naturels qu’il retravaillera au
moyen de l’informatique et de sons de synthèse. La diffusion de ces ambiances sonores dans
un lointain éclatera l’espace scénique du huis clos.
Le traitement de la voix des acteurs, amplifiée par des micros hf permettra de saisir comme
dans un gros plan cinématographique, la moindre vibration, le moindre souffle de ces trois
personnages saisis dans leur intimité la plus troublante. Bien plus qu’une enveloppe sonore,
l’amplification des voix mettra en miroir les notions de proximité et de distance qui
constituent deux des pièces maitresse de ce jeu de construction verbale qu’est La Campagne.
■ Création lumières
Nous chercherons à mettre l’intime au premier plan sans le surexposer, dans les profondeurs
de champ dessinées par la scénographie, les lumières et le son. Pour chaque acte, et à partir de
la « bulle » émotionnelle de chaque personnage, nous élaborerons un répertoire de distances
physiques d’interaction dans les duos. Ce que diront les acteurs et ce que feront leurs corps
devront être en relation permanente, d’une extrême justesse. Nous travaillerons les contrastes
de rythmes, de lumières (par exemple la luminosité de l’acte cinq comme une fausse sortie du
tunnel) et de sons, dans un décor épuré flanqué d’un mur amovible.
J’aimerais travailler des zones de jeu réservées à la projection de fantasmes, entre les cinq
tableaux par exemple, des lieux où le rêve, l’inconscient, pourraient s’exprimer librement.
L’espace - temps des quatre premiers actes est minimal. Martin Crimp indique dans ses
didascalies : « Même scène, quelques minutes plus tard… ». Comment traiter ce temps
suspendu où les échanges verbaux se cristallisent ?
Les lumières de Xavier Martayan nous mettront sur la voie d’une réponse. Nous naviguerons
entre des ambiances réalistes et des ambiances de polar - contre-jours et lumières blanches -.
Nous plongerons dans des temporalités confuses de brouillards anglais et d’onirisme. Les
lumières ne chercheront pas toujours à rendre visible, elles garderont parfois les visages et les
corps des comédiens dans l’ombre pour laisser l’imaginaire du spectateur faire son œuvre.
Des colonnes de lumières ouvertes comme des portes sur la campagne vivante vont créer des
ouvertures vers un extérieur imaginaire, des zones d’errance, des lignes de fuite. La lumière
dans cette forme de huis-clos prendra en charge les profondeurs de champs, les plans
superposés, les champs -contre – champs, les gros plans, les floutés.
Comme dans un thriller de cinéma la lumière « zoomera » sur les objets comme pour les
surdimensionner et faire grossir un suspens qui va déplacer l’action et faire diversion. Le mur
imaginé par la scénographie servira aussi de support à la projection d’images subliminales –
images furtives qui mettront en marche l’inconscient du spectateur.
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■ Costumes
Ayant pour habitude et nécessité de travailler les costumes avec les acteurs, en complément du
texte, ou de la mise en scène, trois axes se dessinent :
-
Un drame bourgeois
Les costumes rendront compte du contexte bourgeois, mais tendront à ne laisser apparaître
aucun autre signe que celui-ci, laissant le soin au texte de dévoiler petit à petit la vie intérieure
des personnages. Il s’agira de créer un costume d’époque, mais de notre époque. A l’image d’un
Tchekov.
-
Deux femmes au look similaire
Nous attacherons également une attention toute particulière à ne pas marquer de différence
entre le « look » de l’épouse et celui de la maîtresse (style « Comptoir des cotonniers », la mère
/la fille). Si Richard trompe sa femme, ce n’est pas par lassitude ou l’envie de changement. Une
femme en vaut une autre, qui en vaut une autre etc… Ces femmes sont pour Richard « une
femme », et les problématiques qui s’y rapportent sont identiques et se déclinent à l’infini.
D’autre part les deux femmes rencontrent des problématiques communes, liées au prince
charmant et à leurs rêves de princesse. Le fuseau dans La belle au bois dormant symbolise le
sexe. La blessure au fuseau/ciseau serait le franchissement des interdits sexuels. Le
symbolisme du ciseau est alors lié à la notion de nécessité, de destin irréductible, tel que la
naissance et la mort. Corinne en se piquant franchi les étapes de la vie et devient une femme,
Rebecca en piquant Richard lui demande de franchir une étape et de devenir un homme.
-
Le conte de fée
Les références au conte de fée sont nombreuses. Certaines peuvent être prises en charge par
les costumes. Sorte d’extractions, d’échappées oniriques. Corinne dit qu’elle se plait à la
campagne et rêve de communion avec la nature, mais coud des robes de cocktail.
Pauline Kieffer, septembre 2013
→EXTAITS / VIDEOS
■ Extraits actes II et III
ACTE II
Corinne - Richard
_ Quel «chemin» ?
_ Quoi ?
_ Quel « chemin » ? Qu’est-ce que tu veux dire par « elle est montée dans la voiture »?
_ L’emmener chez Morris. Parfait.
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_ Que veux-tu dire, « elle est montée dans la voiture » ? Quand est-elle montée dans la voiture ?
C’est pour ça que Morris est arrivé ?
_ Pourquoi Morris est arrivé ?
_ Pourquoi il est arrivé. Pourquoi il a demandé où tu étais.
_ Ecoute: je ne peux pas te mentir.
_ Mais, tu m’as menti. Le chemin ? Tu m’as déjà / menti.
_ Je suis en train de l’expliquer, j’essaye.
_ Quel chemin ?
_ Je n’en sais rien. Un chemin, un chemin, un chemin comme tu en trouves.
Comme on en trouve, tout simplement. (doucement)
C’était sur la carte. C’était son idée.
C’est elle qui est montée dans la voiture. Et je refuse d’être blâmé - pas par toi - pas par Morris.
ACTE III
Rebecca – Corinne
_ (calmement et avec intensité) Mais vous voulez dire quoi, « juste un après-midi » ?
Vous voulez dire quoi, « un homme qu’elle ne connaît pas » ? Vous êtes aveugle ou quoi ?
Vous êtes complètement aveugle ?
Et pourtant, vous êtes condescendante avec moi. Vous me faites la leçon. Avec votre maison,
votre terre, vos enfants.
Et vous m’accusez moi, d’être sentencieuse ?
_ Pourquoi est-elle montée dans ta voiture. Je croyais que tu l’avais trouvée sur le bord de la
route mais maintenant, voilà qu’elle est montée dans ta voiture et te voilà en train de rouler le
long d’un chemin. Elle est complice. Es-tu en train de dire que vous étiez complices - ou quoi ?
que tu... Ecoute-moi. Tu es en train de dire quoi exactement, Richard ?
Hein?
_ D’accord, j’ai donc annulé les visites, mais les visites sont sans importance.
Je connais ces gens-là, ils décrochent le téléphone et c’est docteur-ceci, docteur-cela, juste afin
que je puisse leur donner une ordonnance pour quelque chose qu’ils pourraient acheter euxmêmes à la putain de pharmacie du coin. Douleurs de poitrine, douleurs de poitrine. Eh bien
évidemment il avait des douleurs de poitrine.
■ Vidéo
https://vimeo.com/125663431
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→ EN IMAGES
Crédit PHOTO : Raoul Gilibert Productions Photographiques
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→ BIOGRAPHIES
■ LA COMPAGNIE LE TALON ROUGE
La compagnie Le Talon Rouge a créé des scènes impliquant le public et les acteurs par des
textes d’auteurs français : Mad about the Boy - Mon amour – Petites Pauses Poétiques, etc. –
Grammaire des mammifères. Cette fois–ci elle puise dans un répertoire, toujours
contemporain, mais traduit de l’anglais au service de Martin Crimp, auteur reconnu pour sa
production riche et diversifiée. Après la déconstruction apparente, l’éclatement des unités au
profit d’un texte tenant tout en équilibre, place à un théâtre de situation qui inventorie les
genres connus : tragédie, comédie noire, théâtre de l’intime, thriller psychologique.
Prolongeant sa complicité avec le public, ce nouveau pas mène la compagnie vers une autre
étape. Après avoir interrogé la forme de l’objet dramatique, la manière de raconter l’histoire
de nos vies, nos occupations et nos préoccupations, La Campagne propose une autre façon
d’aborder la création tout en continuant à jouer avec la place du spectateur.
L’auteur y dessine avec finesse et méticulosité des personnages aux traits à la fois simples et
complexes qui avancent dans leur propre obscurité, au bord de leur propre vide. Ici, il ne s’agit
plus de représenter, de « révéler » ce dont on aurait déjà, grâce à la « réalité », une
connaissance spéculaire, autrement dit un référent, mais de rendre manifeste une latence, de
faire apparaître quelque chose qui est de l’ordre de l’enfoui, de l’inconscient, mais qui n’en est
pas moins réel : le théâtre n’est plus le lieu du simulacre, mais le lieu d’une expérience unique.
Le théâtre comme lieu de « l’expérience intérieure » (G. Bataille), ce « voyage au bout du
possible de l’homme » remplace, dans le théâtre expérimental, le théâtre comme lieu de représentation mimétique.
La compagnie réinterroge ici le mode de représentation théâtrale à travers un langage qui
s’interroge lui aussi. Dans La Campagne, le langage est le lieu où les personnages se disent, se
répètent, cherchent à exister et à se rendre réels, dans une atmosphère à la fois menaçante et
ludique.
■ L’AUTEUR MARTIN CRIMP
Martin Crimp est né en 1956 à Dartfort dans le Kent. Après des études à l’université de
Cambridge, il commence une carrière de dramaturge à l’Orange Tree Theatre de Richmond et
écrit pour la radio. Après avoir obtenu le John Whiting Award for Drama en 1993, ainsi que
plusieurs bourses d’écriture, il fait une résidence d’auteur à New York, puis devient, en 1997,
auteur associé au Royal Court Theatre de Londres. Ses pièces, reconnues au-delà des frontières
britanniques au cours des années 1990, dissèquent notre époque contemporaine avec humour
et cruauté. Martin Crimp a déjà traduit et adapté en anglais bon nombre d’auteurs français
parmi lesquels Molière, Marivaux, Genet, Ionesco ou encore Koltès.
Dans une écriture cisaillée, il délaisse les conventions de la narration, rompt avec les
catégories théâtrales et se place ainsi comme un auteur post-dramatique. C’est en ces termes
qu’il qualifie le métier d’écrivain : on écrit parce qu’on aime ça ou parce qu’on a la nécessité de
le faire ; les jours sans, aussi, vous font comprendre que vous êtes écrivain.
En 2002, il est joué au Théâtre National de Chaillot (Le Traitement, mis en scène par
Nathalie Richard), en 2006, il est à l’honneur lors du festival d’Automne à Paris. Son univers est
ancré dans le concret du réel et en même temps, toujours sur le fil, pourtant il est toujours
prêt à dérailler et à s’abîmer dans l’absurde. Devenu un auteur majeur, ses pièces sont
traduites et jouées dans de nombreux pays d’Europe, notamment en France, en Suisse et en
Allemagne.
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■ LE TRADUCTEUR : PHILLIPE DJIAN
La Campagne (The country) est une pièce anglaise, traduite par Philippe Djian. L’Arche
Editeur a publié la plupart des pièces de Martin Crimp en français. Philippe Djian est luimême auteur. Il écrit des romans, des nouvelles, il est aussi scénariste et parolier. C’est grâce à
l’adaptation cinématographique de son roman 37°2 le matin (1986) qu’il s’est fait connaitre du
grand public.
■ LA MISE EN SCENE : CATHERINE JAVALOYES
Juste après sa maîtrise d’anglais et son deug d’histoire de l’art (Université Paul Valéry à
Montpellier), Catherine Javaloyès entre à l’école Jean Périmony de Paris. Ses autres professeurs
sont les comédiens Claude Evrard, François Beaulieu de la Comédie Française, Rosine Rochette
du Théâtre du Soleil, Anne-Marie Philipe, André Dussolier... Elle travaille la danse avec Odile
Duboc, Georges Appaix, Dominique Pasquet, le chant avec Nicole Jouy, suit des stages de
formation avec Philippe Mentha, Ada Brown Mathe, Olivier Chapelet.
Elle commence par le théâtre gestuel de rue, avec Stéphane Lemaire, à Paris et Avignon.
Sur scène, elle a travaillé Marivaux, Molière, Laclos, Daniel Besnehard, Dario Fo, Rémi de Vos,
Schnitzler, Strindberg, Franca Rame, Prévert, Gao Xingjian, Günter Grass, Christophe Tostain,
Emmanuel Adely, Sylvain Levey, Orkény ou William Pellier.
Elle est comédienne pour le collectif Stéphane Lemaire, L’Attrape-Silence Théâtre, le
Théâtr’Reis, le Théâtre Lumière, la compagnie Théâtrino, Des Châteaux en l’air, Plume
d’éléphant et sa compagnie Le Talon Rouge.
Pour le cinéma, elle tourne avec Marie Didierjean, Félix Olivier, Edouard Niermans,
Alexandre Castagnetti et Pierric Gantelmi, Podz, Jean-Philippe Amar, Philippe Claudel,
Alexandre Pidoux… Elle fait entendre de nombreux auteurs contemporains et autres dans des
lectures publiques (Actuelles aux Taps, médiathèques, musées contemporains, lieux atypiques,
en France et à l’étranger) ou dans ses travaux d’ateliers.
Elle enregistre des dramatiques pour France-Culture, prête régulièrement sa voix (en doublage
et en commentaires) et assure des directions artistiques pour la chaîne franco-allemande Arte.
Elle partage la scène avec des musiciens comme Jean-Marc Foltz, Philippe Ochem, Pascal
Doumange, Francesco Rees ou Fawzy Al Aiedy. Depuis 20 ans, elle anime régulièrement des
ateliers théâtre pour adultes et adolescents, des stages en milieu professionnel.
Elle dirige un atelier théâtre au TAPS de Strasbourg pour un groupe de comédiens amateurs
depuis octobre 2012, avec des textes de Gilles Granouillet et d’ Odön von Horvath.
Elle est artiste associée aux TAPS (Théâtre Actuel et Public de Strasbourg) jusqu’en juin
2016.
→ PISTES DE TRAVAIL
■ Crimp et les auteurs britanniques : contexte
En Grande-Bretagne, à la fin des années cinquante, La paix du dimanche (1956) de John
Osborne est prise comme emblème par les «jeunes gens en colère», les «angry young men». Les
auteurs de cette époque–là utilisent le cynisme comme arme littéraire pour critiquer la société
anglaise.
Dans les années soixante, les dramaturges de l’absurde voient, selon d’Eugène Ionesco,
« l’homme comme perdu dans le monde, toutes ses actions devenant insensées, absurdes,
inutiles ». Beckett devient un des chefs de file de ce théâtre où des dialogues décousus et sans
suite n’ont d’autre effet que de confirmer la fatalité qui domine les êtres et qui les fige dans
une permanence définitive, sans passé et sans avenir.
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Les années 70-80, donnent naissance à une génération d'écrivains dont les pièces sont fondées
sur le miroitement d'une vérité insaisissable. Harold Pinter écrit des pièces sur des relations
inexpliquées, avec un humour inquiétant, et le polémique Edward Bond dénonce de façon
implacable la violence du monde moderne. À leur suite, Sarah Kane témoigne dans ses pièces
de son mal de vivre et de ce même monde violent. Elle s’inscrit dans le mouvement «In yer face
theatre», «le théâtre coup de poing», ou théâtre de la provocation. Dans les années 90, le
théâtre de Martin Crimp aplanit les excès, mais ses comédies de l’absurde, limpides et
complexes laissent entrevoir la folie des personnages.
Ils sont sans cesse occupés par la pensée et l’effort de rechercher le mot juste. Ses pièces sont
des partitions musicales. A travers les mots et une écriture fragmentaire, Martin Crimp fait
planer le deuil et l’absence sur un plateau ouvert à l’au-delà.
Proposition : Pouvez-vous situer cet auteur dans le contexte du théâtre anglais contemporain ?
Demander à un ou plusieurs élèves de faire quelques recherches en vue d’un exposé à ses
camarades. Il pourra se nourrir de ce petit résumé.
■ LA CAMPAGNE : DECOUVRIR LA PIECE PAR LA LECTURE
1)
la quatrième de couverture du livre
Lisez-la à voix haute de façon chorale (à plusieurs). Que nous dit-elle ? Correspond-elle à
l’idée que l’on se faisait du titre ?
C’est Rebecca qui parle.
Le docteur, c’est Richard.
Les médicaments, ce sont le traitement dont Rebecca a besoin pour avoir moins mal. Les
enfants sont absents, en tous cas, on ne les voit pas. Mais ce sont peut-être les spectateurs
aussi.
L’organe que Richard ausculte, c’est le cœur.
Le ton est donné. Nous ne nous promènerons pas dans les champs de façon désinvolte avec
cette Campagne. Il y sera question de sentiments auscultés, malmenés, examinés à la loupe,
décortiqués au scalpel.
Restez attentifs pendant la représentation, amusez-vous à vous souvenir du texte de cette
quatrième de couverture. L’aviez-vous imaginé joué de cette façon ?
Les didascalies : elles nous donnent des repères de temps (le présent, quelques minutes plus
tard), de lieu (intérieur nuit une grande pièce, des chaises en bois, une vieille table), de jeu (elle
découpe, elle rit, ils rient faiblement), de rythme (pause, longue pause, silence).
Elles indiquent à la fin de chaque tableau, un élément de jeu du Shifumi (pierre – ciseaux
– papier).
Connaissez-vous les règles du shifumi ? Vous y avez sans doute joué dans votre enfance.
Quels liens pourriez-vous faire entre les codes de ce jeu et ceux de la pièce ?
Vous interrogerez la manière dont la mise en scène du Talon Rouge aura pris en compte
les indications écrites par l’auteur.
Le signe « / » marque le point de la réplique où le dialogue se chevauche. Ce signe apparaît au
centre de bons nombres de dialogues. Les personnages parlent souvent en même temps.
S’écoutent-ils vraiment ? Pourquoi sont-ils impatients de dire d’après vous ?
Vous vous ferez une opinion personnelle après la représentation.
Martin Crimp utilise ce procédé dans quelques-unes de ces pièces, comme dans La ville par
exemple.
2) Une écriture formelle
Préambule : Martin Crimp écrit des fictions, puis des pièces de théâtre. Au départ, il se dit
influencé par Beckett, puis, peu à peu, il trouve son propre chemin. «La lecture de
James Joyce m'a bouleversé. Je n'ai plus écrit de la même manière après voir adoré
Finnegans Wake.» Martin Crimp change alors sa façon d'aborder l'écriture théâtrale.
«Je choisis d'abord la forme, ensuite vient le sujet.»
11
D'où une écriture parfois savante, cisaillée qui délaisse la narration. Probablement les
Bahamas, pièce radiophonique écrite en 1987, « marque la rupture avec mes toutes premières
pièces », explique-t-il.
- Son théâtre est un théâtre de la fausse conversation, il faut déchiffrer les codes d’une écriture
induisant ce rapport si particulier entre des personnages en recherche ou en perte de repères.
L’histoire pourrait être simple mais l’on est intrigué par ces dialogues ambigus, où les mots, les
phrases fusent comme dans un jeu de fléchettes dont la cible serait un peu floue.
L’écriture de La Campagne, très « pintérienne », avance sur le mode du secret, du contenu
occulté et de l’étrange.
On pourrait dire qu’il ne s’y passe rien, en apparence. L’action se situe dans la parole cisaillée
et fluide; c’est la force de cette pièce bourrée d’indices et de fausses pistes; on peut la lire
comme une carte où les chemins se croisent, s’arrêtent brusquement, se divisent, nous
éclairent pour mieux nous perdre. Une parole qui interroge, qui ment, qui domine et esquive.
Les dialogues fusent comme un échange de balles dans une partie de ping–pong en cinq
parties.
Deux élèves peuvent faire une lecture active de la première scène. Un troisième prendra
les didascalies en charge.
On pourra demander au reste de la classe ses premières impressions.
Commencez un repérage de signes qui peuvent produire de l’étrangeté selon vous.
Pour guider le travail des élèves :
- Il n’y a pas de scène d’exposition; l’auteur nous laisse volontairement dans le noir au début
des dialogues. Par exemple, on ne connaitra vraiment la profession de Richard qu’à l’acte II.
Tous les éléments qui nous aideraient à suivre logiquement cette histoire sont occultés. Puis
ils apparaissent au fur et à mesure que la pièce se déroule.
- Les personnages n’ont pas de nom indiqué en amorce du dialogue. Les lecteurs s’attribueront
leurs personnages respectifs en fonction du sens ou du contexte.
Quel travail cela implique-t-de la part du lecteur ?
- Les questions sans réponses et les hypothèses se succèdent dans la pièce. Le doute s’installe.
- Les négations s’empilent les unes sur les autres jusqu’ à friser l’absurde.
Faites-en une petite liste.
- Les verbes transitifs sans complément d’objet. Ex : Acte I « tu lui as donné quelque chose pour
la faire ». Coquetterie de langage ou technique du non–dit ?
Relevez la fréquence des « / ». Que disent-ils sur le fonctionnement de la pensée de ces
personnages ?
- La parole chez M. Crimp est performative. Elle est déclinée en exercices de style.
- Les pauses : elles abondent, renforcent le suspens, déroutent, interrogent le sens de ce qui se
dit.
Demandez à l’élève d’imaginer ce qui peut se jouer dans ces moments de suspension.
(jeu de regards, actions, déplacements, implication du spectateur…)
- Des connecteurs illogiques (p 37 – mais chaque vert était différent)
- Les métaphores : très nombreuses ex Acte I « Je réalise quelque chose » (dit Corinne en
découpant ses images)
- Les actions : ne sont pas nombreuses, mais extrêmement précises : découpage, coups de
téléphones, jeu avec la montre…
Amener l’élève à se familiariser avec ce théâtre mental. Lui faire analyser les pensées des
personnages.
- Les répétitions obsessionnelles : les personnages se répètent de manière artificielle.
- Pour employer un terme musical, Martin Crimp use de ces « ostinati » comme pour refléter
la nature obsessive du couple.
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Donnez quelques exemples.
Relevez les mots, les expressions ou les structure de phrases qui se font écho à l’intérieur
d’un acte ou d’un acte à l’autre.
3) L’histoire
C’est une intrigue linéaire construite en cinq scènes ou tableaux. Les personnages sont
clairement délimités : un médecin londonien, sa femme et Rebecca, une jeune chercheuse
américaine. L’histoire se passe de nos jours.
Richard et Corinne ont quitté Londres depuis peu pour vivre dans la lande anglaise.
Le couple voit son équilibre perturbé par des personnages absents et par la présence
lancinante d’un troisième personnage : Rebecca. Un soir, Richard ramène au foyer une jeune
inconnue qu’il a trouvée étendue sur le bord de la route, prétend-il. De dialogues en défilades,
le doute s’installe peu à peu dans l’esprit de sa femme puis au gré des ricochets des dialogues,
dans celui du spectateur.
Demander aux élèves de faire un résumé de l’histoire. Il sera intéressant de noter les
orientations ou les points de vue divergents.
La Campagne inventorie des genres connus : le vaudeville, la comédie noire, le théâtre de
l’intime, le thriller, le conte de fées…
A quels autres univers d’auteurs dramatiques pense-t-on à la lecture de la pièce ? Ou
même de certains passages de la pièce ?
Samuel Beckett – Harold Pinter – Eugène Ionesco – Michel Vinaver – entre autres.
Pourquoi pourrait-on dire que le fantôme de Shakespeare plane au-dessus de cette
écriture ?
On pense à la comédie pastorale As you like it (Comme il vous plaira - 1599), à la tragédie
Macbeth (1606) ou à la tragicomédie The Winter’s Tale (Le Conte d’hiver - 1610). Il y a dans ces
pièces, une contiguïté du comique et du tragique, on y conjure toujours des spectres noirs, on y
frôle en permanence une menace et une folie dont des auteurs britanniques contemporains
comme Martin Crimp ont certainement hérité.
Citez les contes connus auxquels Martin Crimp peut faire référence.
La bergère et ses moutons, Cendrillon qui enfile ses chaussures qui ne lui vont pas, La Belle au
bois dormant à laquelle Corinne pourrait s’identifier en quémandant désespérément un
baiser,
Alice au Pays des Merveilles, évoluant dans un monde aux dimensions rétrécies…
Walter Deverell (1827-1854)
4) Les personnages
Certains sont là, sur scène, d’autres sont évoqués, d’autres sont en filigrane.
Les premiers sont Richard (médecin londonien), Corinne (son épouse) et Rebecca (étudiante en
histoire, maitresse de Richard). Les seconds, sont ceux dont on parle, comme les enfants. Les
derniers ne font que parler, et surtout relancer l’action, mais de loin, sans être ni visibles ni
directement entendus (Morris, Sophie).
Après la lecture de la pièce, définissez le nombre exact de personnages. Etablissez une
carte d’identité pour chacun d’après les informations que vous allez recueillir.
5) Des thématiques
Le théâtre de Crimp : un théâtre de questions.
Dans La Campagne il est question du couple et de ses dérivés : amour et désamour, crise et
complicité, errance des individus; celle de Richard s’acclimate à celle de Corinne. Leurs
errances entremêlées ne serait-elle pas l’unique chose qui les réunit ? Et la sécurité de la
Campagne n’est-elle pas que tous les dangers y sont connus, nommés et répertoriés ? Les
repères habituels ne sont que des habitudes, le mensonge et la vérité des apparences, comme
la réalité ou l’illusion, les mots s’épuisent dans leurs manipulations jusqu’à céder la place,
silencieusement, au non-dit.
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Cette Campagne dissèque au scalpel une situation de couple faussement ordinaire. Elle révèle
l’existence d’une profondeur des êtres, en laissant le spectateur toujours libre de dire laquelle;
elle sonde avec ironie et mordant leurs errances à la fois drôles et tragiques.
Au milieu du couple, il y la troisième personne, celle qui le fait vaciller ou le cimente, on ne
sait plus. Avec elle, toute la question du bonheur, du désir, de l’amour passionnel, de l’état de
manque, de la dépendance, des compulsions. On interroge le couple, l’amour, la vie. On
combat pour sa vie, son existence dans un refuge de campagne qui prend des allures de piège.
Le temps est le temps présent questionné par un passé très lointain.
L’auteur s’amuse à brouiller les pistes. Il bouscule le spectateur. Le monde qu’il nous décrit est
à la fois familier et singulier, le réel n’est pas toujours facile à saisir.
Faire un relevé des termes qui font comprendre que le théâtre est sans cesse convoqué
dans la pièce de Martin Crimp, qu’il joue son propre rôle.
ex : c’est un personnage – on a eu droit à une scène ? – je vais devoir faire semblant…
Faire la liste des questions que la lecture du texte a suscité –quels éléments de réponses la
mise en scène sera-t-elle à même d’apporter ? Comment les personnages évoqués vont-ils
prendre vie ? Qu’attendez-vous de la mise en scène ? Qu’elle vous surprenne ? Qu’elle
répondre à l’idée que vous vous faites de la pièce à la lecture ? Qu’elle vous amène à vous
poser d’autres questions pertinentes ?...
→ POUR ALLER PLUS LOIN
■ L’écriture théâtrale britannique : soit les écrivains contemporains, soit l’évolution du
théâtre anglophone de Shakespeare à Sarah Cane.
■ Martin Crimp et le théâtre anglais contemporain (exploration des formes dramatiques,
dramaturgie du déplacement, un personnage bouc-émissaire ...)
■ Etude thématique : La Ville de Martin Crimp par opposition à la Campagne.
→ BIBLIOGRAPHIE / SOURCES
■ La Campagne – Martin Crimp, édition l'Arche
■ www.lacoupole.fr
■ http://www.compagnie-letalonrouge.fr/
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→ CONTACT
03 89 70 90 23
Théâtre La Coupole
2, Croisée des Lys
68 300 SAINT-LOUIS
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