LE MOT DE JÉRÉMIE NIEL
La campagne n’est pas paisible, elle est bruyante, elle grouille. Les hommes et les bêtes rodent,
les yeux grand ouverts, tournent autour de cette grange reconvertie en maison et isolée du monde,
qui n’attire que les fantômes. La campagne est un long cauchemar, un voyage au bout de la nuit
que seuls la nature, le soleil pourront adoucir.
Dans ce monde menaçant, doit-on être vrai et asocial (et partir en courant), ou bien hypocrite et
jouer le jeu social (pour faire société avec les autres personnages) ? Corinne, Richard et Rebecca
ont fait le choix du jeu. Mais ils connaissent mal ses règles. Ou plutôt, ils ne parviennent pas à
bien les appliquer. Alors ils ne jouent pas, ils mentent. Ils mentent à l’autre, ils se mentent à eux-
mêmes. Ils ne jouent pas, ils simulent, ils simulent l’amour, le bonheur. Simulation et mensonge
s’articulent dans La campagne pour parler en même temps de l’être social que nous sommes et
de la question de la théâtralité, sur scène comme dans la vie.
Les conventions des relations sociales, la difculté, voire l’impossibilité que pose le devoir de les
respecter, la notion de solitude inhérente à l’appréhension du monde, de soi et de l’autre... Ces
thèmes se contractent dans un huis clos étouffant où les émotions contenues et chuchotées sont
somatisées plutôt qu’exprimées.
Les paroles de Corinne, Richard et Rebecca surgissent de leurs entrailles, elles sont compulsives,
elles se posent dans l’oreille du spectateur comme un dernier soufe, elles sont une caresse qui
cherche à occuper le silence, assourdissant et envahissant. Les mots de Crimp, traduits par
Guillaume Corbeil dans une langue orale et sèche qui rend hommage au texte d’origine, décrivent
la surface, mais ils ne cessent de prendre les couleurs des bas-fonds. Par eux, ssures, on voit
plus bas, et ce n’est pas toujours beau.
Un espoir ? L’espoir est dans l’art, la littérature, dans cette écriture d’une construction troublante
de précision. L’espoir est dans l’humour que portent malgré eux ces personnages perdus. L’espoir
est aussi dans la nature qu’on voit par la fenêtre, cette nature qui nous appelle. La campagne est
une pièce romantique. La contemplation, la fuite vers l’ailleurs, cette pulsion vers l’inaccessible
géographique ou métaphysique ; ces thèmes sont centraux, en contraste avec l’enfermement
que vivent les personnages. Là-bas se rejoignent ce qu’on ne peut trouver ici : le fantasme, le
bonheur – l’utopie nalement. Là-bas, assis sur une pierre, au bout de la trail, on peut admirer la
campagne, et les humains s’y débattre, on peut aussi regarder le ciel et respirer. Romantique, je
vous dis…
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