N° 1217 - janvier-février 1999 - 44
LA VILLE DÉSINTÉGRÉE ?
la société, plus les “casseurs” faisaient figure de barbares que leur
rejet hors de la société et leur absence d’intégration présente et futu-
re conduisaient à une violence par bien des aspects proprement
écœurante.
La plupart du temps, cette violence est ainsi expliquée par le vide.
L’absence du social engendre des situations anomiques et un dérè-
glement généralisé des conduites. À défaut de normes et de règles,
l’individu perd ses repères et se montre incapable de construire une
personnalité stable. Surtout, il ne peut contrôler ses comportements,
ses désirs ou ses pulsions. Deux grands schémas de raisonnement sont
développés pour rendre compte de la violence en ces termes, mais
aussi pour la réduire. Selon le premier, l’anomie s’explique essen-
tiellement par le défaut des valeurs. La “crise” de la famille, celle de
l’école, celle du modèle d’intégration, ou encore le triomphe de l’in-
dividualisme, en effaçant les limites et en sapant les fondements
légitimes de l’autorité, ouvrent la porte à une véritable barbarie. Pour
remédier à cet état de fait, il faut rétablir l’ordre social par la réaf-
firmation des repères, des instances de contrôle et d’autorité, qui
offriront aux individus les ressources normatives nécessaires à la sta-
bilité de leur comportement. Pour le second schéma, les inégalités
sociales et la misère brisent les personnalités. Les groupes ou les indi-
vidus sont désaffiliés. Privés de social, ils sont plongés dans une
souffrance qui altère leur individualité. La violence s’explique alors
par la haine et la rage des jeunes de banlieue, conséquences de leur
exclusion. La solution doit être recherchée dans l’augmentation de
la participation sociale. La réduction des inégalités n’a pas simple-
ment pour objectif de soulager la misère, elle fournit à l’individu les
moyens d’une intégration sociale salutaire.
Une telle conception, dans l’une ou l’autre de ses versions, consis-
te à exiler la violence. Sa signification lui est toujours extérieure, soit
dans l’anomie, soit dans les inégalités, autrement dit, dans un ordre
social dont elle est l’envers. C’est pourquoi la violence est entière-
ment déterminée, alors que les conduites sociales normales sont
autonomes. Elle est portée par des individus incapables d’agir libre-
ment pour des raisons morales ou sociales, c’est-à-dire par des
“barbares”(1). Depuis, la violence est imprévisible, irrationnelle et irré-
gulière, alors que l’ordre rend les conduites sociales prévisibles,
rationnelles et régulières. La violence est la négation de la liberté et
de la rationalité de l’individu qui fondent la vie sociale.
Aussi, la violence se situe-t-elle au-delà des frontières de la socié-
té normale. Elle est portée par des marginaux mal intégrés. Elle fait
irruption avec l’infini des désirs et des pulsions quand l’individu ne
1) - La couverture d’un
numéro récent de
l’hebdomadaire Le Point,
annonçait ainsi un reportage
sur les jeunes de banlieue :
“Les nouveaux barbares”.