HVXg 3Acte de fondation divin avec la déesse Séshat. Le roi et la divinité délimitent l’espace sacré du temple. Karnak. '' E]VgVdc C' HVXg F[aial[jbc_m[]l_4 jiol]igjl_h^l_f_mgihog_hnm_n f_mpcff_m^_f!|asjn_[h]c_hh_ ?b[ijf[kZ[fhWj_gk[iieY_Wb[i"f[kZ[YedZk_j[iYkbjkh[bb[igk_d[ie_[dj _cfh]d[iZ[iocXeb[i$BWf[di["b[bWd]W][[jbWYhWj_ediocXeb_gk[iiedj b[fhefh[Z[bÊ^ecc[$9ecfbc[djW_h[ZkbWd]W][Yedl[dj_edd[b"b[iocXeb[ bÊ[dh_Y^_j[d[nfh_cWdjbÊ_dÓd_ZWdib[Ód_$?bZedd[kd[fhi[dY[}bÊWXi[dY[$ F[hiedd[d[f[kjle_hbWcehj"cW_ii[iiocXeb[ibÊ[nfh_c[dj$ FWh<[hdWdZIY^mWhp L’acte symbolique est fondateur d’identité. Il permet à la conscience d’intégrer et d’exprimer toutes les composantes de l’être profond, individuel ou collectif. Les rites, les fêtes et les monuments transmettent une sensibilité et une vision du monde particulières, au-delà des apparences ou des événements temporels. La clé symbolique d’une cité se décrypte et se comprend à travers la géographie sacrée, qui inscrit l’intention symbolique de la fondation et du devenir de la cité. B7IOC8EB?GK;:;BÊEH?;DJ7J?ED Les Anciens pensaient que grâce aux rites d’orientation, on accorde la Terre avec le Ciel, et alors elle entrait en résonance avec les forces du Ciel. Par le rite d’orientation selon les points cardinaux, l’homme peut provoquer l’émergence objective du sacré, c’est-à-dire du noyau d’énergies qui entretiennent la Création. Le Centre est le point de départ de l’orientation, en général symbolisé par un poteau sacré qui représente l’axe du monde, le lieu où le Ciel et la Terre se rencontrent. Parfois, la flèche d’une église, un rocher, une île ou une montagne peuvent incarner l’axe du monde. À partir du centre ou « cœur fondateur », on oriente les lieux, en traçant des voies en rapport avec les directions célestes ou telluriques sur lesquelles sont placés les monuments, qui agissent comme des caisses de résonance pour les amplifier. Tout entre en vibration. Ainsi le lieu sacralisé devient un pont entre le monde sensible et le monde divin. Le parcours du soleil est un des axes préférés des Anciens parce que chaque jour, le cycle solaire répète la genèse, l’apogée et la fin de toute vie. Il est le symbole 3À Karnak, trois grands axes sont définis : A : axe temple de Khonsou vers le temple de Louxor, c’est l’axe reliant les deux complexes divins et servant à la fête Opet quand les forces vitales des dieux de Karnak (et du roi) se régénèrent auprès de l’Amon de Louxor. B : appelé axe secondaire, reliant le temple d’Amon au complexe divin de son épouse, Mout. C : axe principal ou axe solaire. E]VgVdc C' '( HVXg de la Création, le mythe éternel. C’est pourquoi la voie qui traverse une ville ou un temple d’est en ouest, à l’exemple du soleil, est leur « ligne de vie ». Cet axe, qui donne au lieu son énergie spirituelle propre, est appelé decumanus depuis la tradition étrusque et romaine. Le second geste rituel du bâtisseur est de tracer une ligne perpendiculaire à l’axe est/ouest : la voie nord/sud, que les Romains appelaient cardo. Ainsi naît la croix cardinale propre à chaque ville. De son centre partiront toutes les voies et toutes les significations de la cité. Chaque branche de la croix est chargée d’une symbolique particulière, liée aux quatre étapes journalières du soleil dans le ciel : c’est l’orientation sacrée de la ville. Tous les monuments construits sur ces deux axes participent de cette symbolique. L’est, où le soleil se lève, nous rappelle les origines, l’aube de la création, mais aussi l’amour de la force divine capable de faire émerger la vie, qui nous fait passer de l’invisible au visible. Le sud symbolise l’apogée du cycle solaire. L’ouest, la fin du cycle, le passage du visible à l’invisible. Le nord, où le soleil continue sa course derrière l’horizon, représente les profondeurs, le point de départ au cœur de la nuit de l’invisible vers le visible. C’est le chemin de l’ascension. B7I79H7B?I7J?ED:KJ;CFI0 B;97B;D:H?;H:;I<ÛJ;I En reproduisant dans les cités, les temples et les palais sa vision mythique, les civilisations anciennes rendaient l’homme contemporain de la naissance du monde. Le retour à l’origine était toujours vécu comme une source de régénération. Les fêtes du calendrier réactualisent annuellement la puissance des commencements. Les rites des fêtes du nouvel an clôturent le cycle temporel, en ouvrent un nouveau et favorisent la régénération totale des temps. Le « dies festus » latin,contient le radical fes qui signifie « consacré » ; le jour de fête rend donc sacré et sort du temps profane. Il établit ainsi un contact avec les forces invisibles ou de l’au-delà qui président à la création. La géographie sacrée permet de connecter les hommes de manière permanente avec l’ordre du monde. B;FIO9>E#9EICE=H7CC; La plupart des civilisations anciennes ont conçu des matrices représentant leur vision de l’ordre du monde. Nous les appelons aujourd’hui des psychocosmogrammes. Il s’agit d’une représentation de l’univers qui permet aux hommes leur réintégration au sein des forces cosmiques. L’exemple le plus connu aujourd’hui est celui des mandalas tibétains. Le psychologue Carl G. Jung démontra que le mandala est une représentation universelle qui répond au besoin naturel de l’espèce humaine, au-delà des différentes formes culturelles, de se situer dans l’ordre du monde et de retrouver son propre centre. Pour décrypter la ville de Thèbes en Égypte, nous tâcherons de comprendre la symbolique du psychocosmogramme égyptien. ') E]VgVdc C' B;FIO9>E#9EICE=H7CC;x=OFJ?;D0 B79HE?N:;L?;;J:;BKC?ÞH; BÊ7N;IK:#DEH::KD?B"7N;:;B7HEO7KJx Pour l’Égypte, le Nil est un axe fondateur, sa source est au « commencement du monde ». Son cours sépare les terres égyptiennes en rive Est (celle des vivants) et rive Ouest (celle des morts). Les Égyptiens s’orientent en regardant vers le sud, direction mystérieuse des sources du Nil. Pour eux, les eaux vivifiantes du fleuve proviennent de la Douat, région invisible entre le monde terrestre et le monde spirituel, qui est la source de toute vie ici-bas. Osiris, qui règne sur la Douat en tant que dieu des morts et de la renaissance, s’identifie d’ailleurs au pouvoir fertilisant de la crue. Il annonce la crue et l’éternel retour de la vie. Ce jour victorieux détermine le début de l’année (le 17 ou 18 juillet). Pour les Égyptiens, le Nil est en effet le reflet sur terre de la Voie lactée. Cet amas d’étoiles représente la source de vie céleste qui, projetée sur terre, devient la source du bonheur et de l’abondance. Si la crue régit le calendrier, elle influence également l’organisation de l’État. En effet, pour tirer bénéfices de l’inondation, il faut la canaliser dans des bassins et canaux d’irrigation. L’État égyptien a créé une extraordinaire administration pour anticiper l’ampleur de la crue et organiser les travaux grâce à un système de stations et de mesure installées tout au long du fleuve, depuis Assouan jusqu’à Memphis. Grâce à ces « nilomètres », les scribes sont en mesure de calculer la hauteur de la crue, de prévenir les populations d’éventuels dangers et d’organiser les travaux des champs. Toutes ces activités sont coordonnées par le pharaon et son conseil, responsables de la gestion de la crue et qui ont pour devoir de garantir le bon ravitaillement du peuple. L’axe du Nil est en profonde relation avec la fonction de la royauté qui est de gérer l’État-Providence égyptien. Grâce à cet axe, la précarité est vaincue et l’espérance demeure. C’est pourquoi l’axe nord-sud s’appelle axe de la royauté ou du pouvoir terrestre. BÊ7N;;IJ#EK;IJ:KIEB;?B" BÊ7N;:;I:?;KNEK7N;9EIC?GK; Le Nil, divisant clairement les terres entre l’Orient et l’Occident, crée le cadre naturel et métaphysique propice à la naissance quotidienne du dieu-soleil Rê et de sa route cosmique. L’horizon oriental symbolise le point de rencontre des énergies créatrices. Appelé « lieu du grand combat », « mer de sang », ce point signale la victoire de la lumière sur les ténèbres et de l’ordre sur le chaos. De lui surgit la vie. L’horizon occidental reçoit le soleil dans sa vieillesse. Sur cette rive, il change de barque, et sous le nom du dieu Atoum, entame d’ouest en est, le chemin du retour. Grâce à sa volonté et à son habileté, il récupère son éternelle jeunesse pour renaître à l’horizon oriental, engendrant ainsi un jour nouveau. Perpendiculaire à l’axe aquatique du Nil, se trouve l’axe de lumière du HVXg soleil, d’est en ouest. Leur croisement détermine ainsi le psycho-cosmogramme qui oriente la géographie sacrée égyptienne. Il s’agit d’une véritable croix de lumière et de vie (fig. 1). 3Figure 1 Le ouas est le sceptre du souffle divin. Sceptre composé d’une branche d’arbre dont la partie supérieure est taillée en forme de tête d’animal représentant le dieu Seth, dieu des orages et des éclairs, la plus formidable énergie du cosmos. Son extrémité inférieure est un crochet qui peut s’enfoncer dans la terre traduisant l’idée de stabilité. Une plume d’autruche est comme plantée dans la tête du Dieu. Elle évoque à la fois le souffle vital et la plume de la Maât (règle universelle qui ordonne le cosmos et juge les morts). Cet emblème indique le puissant pouvoir cosmique de Thèbes, mère de toutes les cités. Première émergence sortie des eaux primordiales, Thèbes est « l’île de la première fois », ce qui a fait dire à la reine Hatchepsout qu’« elle est la région de lumière sur terre ». Elle jouit d’une géographie exceptionnelle, qui permet aux prêtres d’Amon d’incarner les forces du ciel sur la terre. La province dont elle est la capitale s’étend sur une quarantaine de kilomètres suivant l’axe Sud-Nord du Nil. Elle est située dans un lieu particulier où les courbes du Nil lui permettent de profiter, lors de la crue, d’une très grande surface d’irrigation. B;C?H79B;x=OFJ?;D0Dx:K9HE?I;C;DJ:;I7N;I:; B7BKC?ÞH;;J:;BÊ;7K Les Égyptiens ont conscience d’habiter la seule terre au monde où le mariage du feu et de l’eau se réalise naturellement. Le soleil croisant l’axe du Nil dessine quotidiennement une croix orientée selon les points cardinaux. Cette croix spirituelle, que l’on retrouve dans le plan des maisons de vie ou école des scribes, sert de prototype à toutes les constructions pharaoniques (fig. 2) . Chaque point cardinal a un sens symbolique : l’Est, la naissance ; l’Ouest la mort et la régénération ; le Nord, la gestation ; et le Sud, la fécondité. À cette richesse s’ajoute, sur sa rive occidentale, le relief si particulier de la falaise libyque qui fait office de frontière. La Cime thébaine, visible de toutes parts, reproduit la forme du tertre initial, rappel du caractère permanent de la création divine. Peuplée et active sur les deux rives, la ville de Thèbes se partage en ville des vivants à l’Orient et en ville des morts à l’Occident. Amon est le maître des lieux de Thèbes. Son nom signifie « ce qui est inconnaissable ». On le nomme aussi : « le souffle de vie qui réside en toute chose ». Le dieu Amon est à la fois mâle, femelle et fruit de son union. Pour matérialiser ce principe, l’égyptologue JeanClaude Guyon remarque que les prêtres égyptiens lui ont donné une épouse et un fils, qui forment avec Amon-Rê Cette symbolique de la croix a aussi une dimension verticale qui permet de relier la terre au ciel, engendrant harmonie et stabilité. La statue d’Osiris, debout au centre de la Maison de Vie, symbolise cette quête d’immortalité chère à tous les hommes. Par la symbolique de la croix, le monde métaphysique se reflète dans le monde physique et lui donne sens. B7=xE=H7F>?;I79Hx;:;J>Þ8;I Jean-François Champollion, dans ses Lettres d’Égypte, écrit à propos de Thèbes dont la découverte fut pour lui un grand choc esthétique : « Nous ne sommes en Europe que des Lilliputiens… Aucun peuple ancien ni moderne n’a connu l’art de l’architecture sur une échelle aussi sublime (…). Ils concevaient en hommes de cent pieds de haut, et nous en avons tout au plus cinq pieds huit pouces » (Lettre d’Égypte, 24 novembre 1828). Les anciens Égyptiens choisirent le symbole du ouas et de la plume de Maât comme emblème de la ville de Thèbes (Ouaset, la cité du sceptre ouas). 3Figure 2 E]VgVdc C' '* HVXg la triade thébaine : Mout, son épouse, est le modèle de la mère par excellence, et son fils Khonsou est l’esprit devenu incarnation. B7H?L;EH?;DJ7B;:;J>Þ8;I Au cœur de la cité des vivants se trouve le double sanctuaire du dieu Amon, constitué des temples de Karnak et de Louxor. Dans celui de Karnak, le dieu Amon apparaît sous les traits du créateur du monde, associé au disque solaire : Rê. À Louxor, Amon se présente sous la forme du dieu Min, signifiant sa puissance de fécondité et de reproduction. Elle assure la continuité de la royauté pharaonique. Les deux temples tracent les deux axes de la géographie sacrée qui se croisent au cœur de la ville. L’axe solaire Est-Ouest oriente le temple de la création d’Amon-Rê à Karnak et l’axe terrestre Nord-Sud celui d’Amon-Min à Louxor. A7HD7A"B;I7D9JK7?H;:;B79Hx7J?ED B;IJ;CFB;I:Ê7CED"A>EDIEK;JCEKJ Le temple d’Amon-Rê représente la naissance de l’univers. Son axe Est/Ouest, perpendiculaire au Nil, est orienté en fonction du solstice d’hiver (jour le plus court de l’année) symbolisant la renaissance de la lumière. Ce jour-là, le soleil se lève dans son axe. Il se couchera derrière le temple d’Hatchepsout (situé dans le prolongement du temple d’Amon sur la Cime thébaine), le jour du solstice d’été. Orientation qui établit une relation entre les forces de la création et la régénération dans l’au-delà. Le sanctuaire oriental est situé dans une enceinte de trente hectares dont six sont occupés par les temples. Ses frontons, de plus de 500 mètres de long, dessinent la forme trapézoïdale de pylônes regardant vers le ciel. Karnak, en activité pendant plus de 2000 ans, fut en perpétuelle expansion : le temple d’Amon possède ainsi dix pylônes ! Dans la partie sud du sanctuaire de Karnak, se trouve le temple de Khonsou, fils d’Amon. Khonsou symbolise le placenta divin, il est associé au ka et à la force nourricière de l’audelà. Un second axe Nord/Sud organise l’espace, à partir d’un centre cérémoniel circonscrit par quatre obélisques, et le relie au centre du temple actuel. L’intersection des deux axes délimite la partie la plus sacrée des salles hypostyles. Les processions empruntent ce second axe parallèle au Nil. Elles se dirigent à travers une avenue de sphinx vers le temple de Mout, à l’extérieur du temple d’Amon (épouse d’Amon, mère des dieux et du monde). Le Chœur du temple de Mout est au Sud et reçoit la semence d’Amon. Son sanctuaire couvre environ 90 hectares. On y a retrouvé des débris de statues de la déesse lionne Sekhmet (guérisseuse et combative), une des incarnations de Mout. 365 sont debout et 365 autres sont assises : allégories du lever et du coucher du soleil. À l’arrière du temple, un lac en forme de demilune symbolise les eaux primordiales. BEKNEH"B;J;CFB;:KA7HEO7B La puissance de l’axe Nord-Sud s’amplifie dans le temple de Louxor, sanctuaire complémentaire du temple d’Amon à Karnak. Ils sont reliés par une avenue parallèle '+ E]VgVdc C' au Nil, bordée de sphinx, le dromos. Le sanctuaire apparaît comme le temple du ka royal, la part divine et la puissance créatrice du roi. En tant qu’être humain, le roi naît avec son ka, son âme inaltérable. Mais lors des cérémonies du couronnement, il est uni au ka royal, héritage qui se transmet de pharaon en pharaon. Le ka, au même titre que la filiation temporelle, unit tous les monarques entre eux. Louxor est l’édifice du voyage et du parcours rituel du roi. Le temple apparaît comme un lieu magique de rattachement au ka royal. Les rites de la nouvelle année, de la rénovation du temps et du mariage divin y sont fêtés. B;IH?J;I:;BÊKD?ED:;I:;KNH?L;I Les villes des vivants et des morts sont deux aspects d’une réalité unique. Une série de rites annuels relie les deux rives, les vivants, communiant avec leurs ancêtres, puisant les forces de leur propre régénération. Au mois de payni (avril-mai), lorsque les forces du chaos paraissent épuiser les terres d’Égypte, la statue du dieu Amon de Karnak sort du temple pour célébrer la belle fête de la vallée sur la rive occidentale de Thèbes. La procession, guidée par Pharaon, traverse en ligne droite le Nil, prolongeant l’axe sacré du temple, et se dirige vers le temple funéraire de la Reine Hatchepsout. Pharaon passe la nuit près de la statue divine d’Amon pour se régénérer. Au contact des ancêtres, il fait le plein d’énergie (initiatrice de la crue) pour la transmettre à son peuple. Cinq mois plus tard, à la décrue, lors de la fête de l’Opet, célébrée à Louxor pour la régénération du ka des Pharaons, une autre procession traverse le Nil. Les prêtres portent alors la statue du dieu Amon de Louxor, le protecteur du ka royal, et se dirigent vers le temple des Millions d’Années de Ramsès III, Medinet Abu. Là-bas, Pharaon fête le retour de la fertilité et de la prospérité de l’Égypte. Le parcours des deux statues d’Amon recrée la croix de vie et de lumière, reliant d’une manière dynamique et vivante les deux rives de la cité, faisant de Thèbes le modèle de toutes les cités.