La fille au manteau rouge
On se croise tous les matins, un café dans la main, à huit heures et demie. Il
commence à faire froid, tu portes un manteau rouge et tes joues ressemblent à des
pommes. On se croise tous les matins, et je ne t’ai jamais rien dit. Tu attends le bus en
lisant un livre, tu as lu Dorian Grey au moins quinze fois ( si on regarde la couleur que
les pages ont acquise, c’est facile de savoir ), mais je crois que tu préferes Oliver Twist.
Tu souris toujours quand tu tournes la page, moi aussi j’adore Dickens.
Je sors de chez moi, je traverse la rue, et je te vois rentrer dans le Starbucks d’en
face. Tu ne prends jamais rien à manger, tu n’aimes pas les petits-déjeuners. Quand je
rentre dans le café, tu as déjà fait ta commande, tu remets tes gants, et tu pousses la
porte pour en sortir. On se croise toujours à la porte, je connais déjà ton parfum, quelque
chose à la menthe, je crois.
Je prends mon café pas de sucre, pas de lait , et je traverse à nouveau la rue
pour attendre le bus. Je pourrais prendre mon café à la maison, je sais, mais je n’aime
pas faire la vaisselle lorsque je viens de me lever, et maman haït voir des verres sales
sur la table de la cuisine; donc je traverse la rue, je rentre dans le Starbucks et j’achète
un café 50 millilitres pas-de-sucre-pas-de-lait très chaud. Même chemin chaque jour,
sauf le week-end. Alors là, je ne te vois pas ( on ne se croise pas les weeks-ends, pars-tu
hors de la ville? ).
Tu prends le bus quarante-quatre, qui arrive à huit heures et quarante-quatre
( selon l’heure que m’indique mon portable ) et qui descend vers l’Est de la ville. Moi,
je prends le dix-huit, vers l’Ouest.
Ce serait bien de te demander ton prénom, peut-être, ou de te dire que j’ai lu Le
vieillard et la mer cinquante mille et une fois, mais le café me brûle la langue et effraye