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La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 62 • 2e trimestre 2013
Q
ue peut apporter la réflexion de la médecine scolaire sur un sujet aussi
complexe que la phobie scolaire ? Le médecin scolaire se trouve à la croisée
des trajectoires des jeunes concernés, recueillant leurs témoignages, ceux de
leur famille, le diagnostic du médecin généraliste, du psychologue ou du psychiatre,
l’avis des enseignants. Il élabore et propose les dispositifs d’accompagnement de
la scolarité, et travaille en lien avec les enseignants et les professionnels du soin
qui suivent le jeune. C’est de cette position finalement originale que j’aborderai
cette thématique.
Avatars
de la phobie scolaire :
une clinique
médico-scolaire
Christophe GuiGné
Médecin de santé publique
Médecin de l’Éducation nationale
Résumé : La médecine scolaire s’intéresse de près à l’absentéisme scolaire et à la phobie scolaire en
s’inscrivant dans une approche biopsychosociale d’un syndrome pris dans une acception plus
large de syndrome d’inadaptation scolaire. Une étude menée sur la Haute-Savoie permet de
décrire quelques avatars de cette pathologie, leur évolution et les lectures parfois divergentes
qu’en font les jeunes, leur famille, l’école et les professionnels du soin ou de l’éducation. La
signification que revêtent ces retraits scolaires est interrogée et le phénomène connexe de
retrait social chez certains brièvement décrit. Des pistes sont dégagées pour la réinscription
du jeune dans la communauté scolaire et la diminution de la pression ressentie par l’élève, en
particulier celle liée au système d’évaluation.
Mots-clés : Absentéisme scolaire - Approche biopsychosociale - Hikikomori - Médecine scolaire - Phobie
scolaire - Retrait social - Syndrome de Bartleby - Syndrome d’inadaptation scolaire.
Forms of school phobia: a medical-educational clinic
Summary: School health medical services take a great interest in school absenteeism and school phobia.
These services enroll in a biopsychosocial approach of a syndrome considered widely as
educational maladjustment syndrome. A survey conducted in Haute-Savoie allows to describe
some avatars of this pathology, their evolution and the sometimes divergent interpretations
made by the youngsters, their family and educational or health professionnals. The meaning
of these school withdrawals is analyzed and the related social withdrawal phenomenon is
briefly described. Some clues are proposed to integrate the youngsters among the school
community and to decrease the pressure felt by the pupils, especially the one linked with
school assessment.
Keywords: Bartleby syndrome - Biopsychosocial approach - Education maladjustment syndrome - Hikikomori -
School absenteeism - School phobia - School physician - Social withdrawal.
Contribution professionnelle
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La survenue du diagnostic de Phobie scolaire (Ps)
Parfois le médecin connaît l’enfant ou le jeune, en général alerté par l’infirmière
scolaire ou les enseignants pour un absentéisme accompagné ou non de symptômes
évocateurs. Parfois, c’est la réception d’un certificat médical du médecin généraliste
attestant d’une phobie scolaire qui constitue la première alerte après demande à
la famille de justification des raisons d’un absentéisme. Plus rarement, c’est lors
d’une demande d’inscription au Cned « pour raison médicale » (De Ketelaere et
al., 2013) que le médecin scolaire découvre le diagnostic et a posteriori l’existence
d’un absentéisme de longue date en apparence parfaitement toléré par la famille
et l’établissement.
On est frappé par la polysémie de ces absentéismes bien qu’ils soient résumés
au prime abord sous la même étiquette nosographique, et ceci va nous amener à
considérer le tableau d’ensemble.
vers une aPProche bioPsychosociaLe de Lenfant
ou du jeune, de sa famiLLe et de LécoLe
La Phobie scolaire en tant que « psychopathologie » - « disease »
C’est la maladie telle que vue par le médecin, le modèle et la grille de lecture des
symptômes sont bio-médicaux. « Le terme disease renvoie aux anormalités dans
la structure ou le fonctionnement des organes ou du système physiologique et à
tout état organique ou fonctionnel pathologique. Il s’agit de la maladie dans son
acception biologique » (Massé, 1995).
Dans le cas de la PS nos collègues spécialistes de la santé mentale n’ont pas de
critères cliniques univoques ; en témoigne l’absence de la PS en tant que telle de
la CIM10 et du DSMIV et sa présence dans la CFTMEA-R-2000.
M.-F. Le Heuzey décrit dans son ouvrage (2010) la multiplicité des diagnostics
psychopathologiques qui peuvent être portés, mais aussi leurs fréquents recouvrements
et interpénétrations, enfin « l’inférence possible entre facteurs psychopathologiques
et somatiques ».
Dans le cadre de deux études, l’une rétrospective, menée sur les dossiers des
jeunes accueillis dans des dispositifs d’aide pédagogique entre 2001 et 2008 (Guigné,
2011) ; l’autre prospective, que nous menons en Haute-Savoie avec un groupe de
pédopsychiatres, de médecins scolaires et d’enseignants, nous avons recueilli 50
évaluations médico-psychologiques avec une grille standardisée élaborée par les
pédopsychiatres.
L’étude ayant été réalisée avec l’accord exprès des parents et du jeune rien ne prouve
que les jeunes dont la pathologie est décrite ici sont représentatifs de l’ensemble
des jeunes connus :
- 106 jeunes sur les années 2009-2010 et 2010-2011 ont rallié un des dispositifs
pédagogiques mis en place et/ou contacté un des pédopsychiatres du comité de
pilotage de l’étude ;
- 50 garçons (47 %) et 56 filles (53 %) ;
- l’incidence (par définition des seuls cas connus) est comprise selon les années
entre 5,6 et 7 pour 10 000 jeunes scolarisés en secondaire. Un plateau semble
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avoir été atteint depuis 2008-2009 en Haute-Savoie. La prévalence serait alors
d’environ 4 à 5 pour 1000 toujours dans le secondaire1 ;
- 69 familles ont accepté le principe de l’entrée dans l’étude (65 %) ;
- 50 ont renvoyé l’évaluation médico-psychologique ou psychologique (47 %) prévue
dans l’étude.
Les résultats ci-dessous ne portent que sur ces 50 jeunes :
- la moyenne d’âge est de 15 ans. La tranche d’âge 13-17 ans représente ¾ des cas ;
- 2/3 des cas rencontrés sont dans la charnière scolaire des 4
e
, 3
e
, 2
de
. On ne retrouve
pas particulièrement de pic en 6e et en 2de mais plutôt sur les fins de cycle 54 %
des cas en 4-3e ;
- 72 % des jeunes présentaient des pathologies névrotiques, 12 % un état limite,
10 % des pathologies psychotiques, 6 % fiches non renseignées ;
- parmi les pathologies névrotiques on recensait :
20 troubles phobiques et/ou anxieux
4 troubles névrotiques dépressifs
4 troubles névrotiques phobo-hystériques
2 troubles phobo-obsessionnels
2 troubles névrotiques avec inhibition
majeure
1 trouble névrotique avec anorexie
1 trouble névrotique avec dysharmonie
instrumentale
1 trouble névrotique avec deuil
pathologique
1 trouble névrotique avec trouble
narcissique
- 30 % présentaient des troubles associés ayant donné lieu à des rééducations (en
cours ou passées) :
10 troubles du langage
ou des apprentissages
1 jeune à haut potentiel (EIP)
2 déficits cognitifs légers
2 troubles psychomoteurs
- Antécédents
54 % rapportent des difficultés dans le
processus de séparation/individuation
28 % ont eu des soins
pluridisciplinaires en CMP ou CMPP
dans l’enfance.
La Phobie scolaire en tant que vécu par l’enfant ou le jeune - « illness »
« Le terme illness […] évoque les perceptions et les expériences vécues par
l’individu relativement aux problèmes de santé d’ordre biomédical (diseases) ou à
tout autre état physique ou psychologique socialement stigmatisé » (Massé, 1995).
Il correspond au vécu subjectif individuel d’un état de perturbation pathologique.
1. À noter que pour l’ensemble des élèves des collèges du département l’absentéisme lourd (plus de 36
demi-journées d’absence) concerne 8 élèves sur 1000 contre 2 sur 100 dans les établissements les
plus défavorisés. 74 % des avis adressés aux familles pour absentéisme concernent les 4es et les 3es. Il
y a clairement un effet fin de cycle dans la désaffection du collègue qui concernait il y a peu plutôt les
garçons mais actuellement également les filles. Après des années d’augmentation de la scolarisation
dans les pays industrialisés, depuis les années 1980 le décrochage et l’abandon scolaire a commencé à
s’accroître Robertson Collerette (2005).
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Plusieurs auteurs ont été ainsi amenés à proposer une approche plus holistique d’un
« syndrome d’inadaptation scolaire » jetant ainsi un pont avec les professionnels
de l’éducation (Sudres, Brandibas et Fourasté, 2003, 2004).
Dans notre travail chaque jeune donne lieu à des prises de contact régulières et
pour ceux inclus dans l’étude à plusieurs entretiens :
L’environnement familial y est interrogé :
36 % ont des parents séparés
(et vivants) (18 cas)
6 % des enfants sont orphelins de père (3 cas)
4 % ont un père qu’ils ne voient jamais (2 cas)
6 % sont des jumeaux (3 cas)
4 % sont adoptés (2 enfants)
4 % ont été victimes d’abus sexuels
familiaux (2 cas)
Les 5 derniers items sont surreprésentés dans cette cohorte de jeunes par rapport
à la population.
Ceci nous a amenés à chercher lors de l’évaluation initiale des jeunes entrant dans
l’étude (25 profils établis) des facteurs de risque au sens épidémiologique du terme :
- nos faibles effectifs ne permettent de mettre en évidence ni le sexe, ni la place
dans la fratrie, ni les résultats scolaires (hétérogènes et ne différant pas des autres
élèves : moyenne 12 en maths et en français vs 11,5 et 11,25 en contrôle continu
en 3e en Haute-Savoie) ;
- nous avons utilisé certains items extraits du TEDP de M. Janosz (2007) bien que
ceux-ci aient été créés dans une visée prédictive et non descriptive : ils visent à
évaluer l’engagement vis-à-vis de l’école, le sentiment de compétence du jeune,
de maîtrise des résultats scolaires, de respect de la discipline :
- 28 % ont un an de retard contre 22 % en 4
e
et 24 % en 3e dans notre département ;
- sentiment de compétence : seuls 16 % se considèrent comme moins bons que les
autres élèves, 28 % se considérant comme meilleurs ou même « les meilleurs » ;
- 48 % déclarent aimer l’école et 48 % ne pas l’aimer (dont « pas du tout l’aimer » :
16 %) ;
- 8 % voudraient arrêter l’école tout de suite mais 60 % souhaiteraient faire des
études supérieures ;
- peu déclarent perturber volontairement les cours : 4 % « souvent » et 8 %
« parfois » ;
- en revanche 12 % déclarent s’ennuyer « tout le temps », 12 % « souvent » et
48 % « parfois » ;
- 48 % ont le sentiment d’avoir une certaine maîtrise sur leur note mais 4 %
déclarent l’inverse ;
- pour près d’un jeune sur deux les premiers signes ont commencé dans la pré-
adolescence en CM2-6e et 5e :
Angoisses, peur, stress 52 %
Troubles du sommeil 20 %
Douleurs abdominales, nausées 20 %
Nervosité, pleurs, tremblements 12 %
Baisse de moral, ruminations, dépression 12 %
Panique 8 %
Fatigue, asthénie 4 %
Malaise général 4 %
Repli sur les jeux vidéo 4 %
Angines, problèmes ORL 4 %
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Interrogés sur les troubles ressentis au moment de l’entretien (donc lors de
la demande d’aide pour décrochage), les mêmes troubles sont décrits avec une
majoration très importante des troubles du sommeil qui sont présents chez plus
d’une jeune sur deux.
Le lien avec un événement particulier est rapporté dans 44 % des cas
Quand il est précisé nous l’avons rapporté au plus près des termes du jeune :
« agression subie dans le collège »
« cours (de maths, de physique…) trop
stressants car trop en difficulté »
« décès d’un oncle »
« harcèlement par des collégiens sur des
sites sociaux »
« intimidation par des camarades avec menace
de boycott »
« réunion d’orientation et sentiment de
dénigrement de son choix de faire un CAP »
« soucis relationnels avec ses camarades »
« incompréhension des profs qui ne voulaient
pas qu’il utilise son ordinateur »
Si certains de ces événements, et d’autres rapportés, semblent effectivement de
caractère potentiellement traumatogène, d’autres semblent des micro-agressions
banales dans le milieu scolaire (bousculades dans les couloirs, subtilisation du dessert
à la demi-pension etc.), mais vécues comme ciblées, et sur un mode persécutoire. Il n
y a pas alors de causalité linéaire, mais plutôt des mécanismes de défense débordés
par des petits stress répétés. On s’interroge alors sur une possible rationalisation
a posteriori du retrait scolaire sur fond de facteurs prédisposants (de personnalité,
sociaux, familiaux, transgénérationnels, environnementaux…).
On a pu constater aussi pour une part des jeunes que les symptômes étaient
externalisés et interprétés comme des événements « J’ai eu trop mal au ventre,
alors j’ai arrêté. »
Lieux et temps redoutés
Lieux Temps
Établissement 76 %
Classe 52 %
Transports en commun 16 %
Rues 12 %
Cinéma 4 %
Magasins 4 %
Foule 4 %
École de danse 4 %
Rencontres avec les autres jeunes 40 %
Rencontres avec les adultes 12 %
Autres situations 20 %
quand précisé :
« certains cours dans l’établissement
(physique chimie, maths) »
« cours de danse »
« prise parole public, prise de parole en cours
de maths »
Si la part des situations de la vie sociale n’est pas nulle, les situations liées à l’école
sont largement prédominantes. On est aussi frappé par la crainte de la confrontation
aux pairs.
L’absentéisme est-il à interpréter comme la seule « protestation contre les méthodes
restrictives et artificielles de la classe, une rébellion contre l’étouffement de l’activité
et la dénégation d’une vie libre à l’extérieur » comme le faisait Kline en 1897 avec
l’école d’alors… (Fourasté, Brandidas et Sudres, 2003).
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