
Il est convenu de voir le
début de la psychiatrie en
France dans le geste
« mythique » de Philippe
Pinel (1745-1826), méde-
cin philosophe nourri aux
idées des Lumières, libérant les
fous de l'hospice de Bicêtre, sym-
bole de la politique de renferme-
ment de l'Ancien Régime. Il affir-
mait qu'il existe toujours chez eux
une part de raison qui rend pos-
sible un « traitement moral »,
c'est à dire psychologique par
opposition au traitement phy-
sique. Ses successeurs se sont
ensuite attachés à définir le cadre
de celui-ci.
L’asile, un lieu
de ségrégation
De leurs réflexions sont nés : l'asi-
le et la loi de 1838 qui y encadre-
ra pendant plus de 150 ans les
hospitalisations dans un double
souci de protection des individus
et de la société
Mais le projet humaniste initial a
dérivé. L'asile était devenu un lieu
de ségrégation, surpeuplé, où les
malades se chronicisaient et où
on portait atteinte à leurs droits et
à leur liberté.
Pendant la seconde guerre mon-
diale, la surmortalité dans les
hôpitaux psychiatriques, mais
aussi la déportation des malades,
ont rendu la situation insuppor-
table pour un certain nombre de
médecins, d'infirmiers et d'admi-
nistratifs engagés sur le plan poli-
tique, psychanalytique ou reli-
gieux.
Désinstitutionalisation des
patients et dédramatisation
des soins
Bénéficiant des progrès thérapeu-
tiques apportés par la psychana-
lyse et de nouveaux médica-
ments psychotropes, ils ont tenté
les premières expériences de
soins en dehors de l'hôpital, qui
conduiront, par la circulaire de
mars 1960, à la définition de la
politique officielle de « lutte
contre les maladies mentales ».
Celle-ci vise à offrir aux adultes
comme aux enfants qui en ont
besoin des soins hospitaliers ou
ambulatoires, diversifiés, « gra-
tuits », aussi précoces que pos-
sible, et de proximité pour éviter
d'éloigner les patients de leurs
lieux habituels de vie. Elle doit
également permettre une conti-
nuité de prise en charge par une
même équipe (infirmiers, psycho-
logues, assistantes sociales,
médecins) et dans un même sec-
teur géographique.
Cette politique dite de « secteur »
n'a été réellement mise en place
sur l'ensemble du territoire que
dans les années 70-80. Son bilan
est apparu longtemps globale-
ment positif même si celui-ci
devait être nuancé.
Confortée par la loi de 1975 en
faveur des handicapés et l’aug-
mentation du nombre de psy-
chiatres, cette politique a en effet
permis, contrairement à d'autres
expériences étrangères, une
« désinstitutionalisation » pro-
gressive des patients, une dédra-
matisation des soins et leur acces-
sibilité au plus grand nombre. Le
nombre de lits d'hospitalisation
complète a été divisé par 3 en
près d'un demi-siècle, la durée
moyenne de séjour par plus de 5.
80% des patients de la psychia-
trie publique sont exclusivement
suivis en ambulatoire.
Toutefois, sa mise en place a été
inégale selon les endroits et son
application parfois trop rigide.
Son découpage géographique
correspond à une France qui était
plus rurale, et qui était encore
dans l’euphorie des « trente glo-
rieuses ». Il apparait dans certains
cas obsolète et souvent mal adap-
té dans les grandes villes.
Alors à partir des années 90, plu-
sieurs rapports, suivis de plans
ministériels, se sont attachés à
donner de nouvelles impulsions à
la politique de secteur, à en corri-
ger certains défauts, à l’adapter
aux nouveaux besoins et à l’évo-
lution de la société : urbanisation,
vieillissement de la population,
accroissement de la pauvreté,
volonté de maitrise des dépenses
de santé, etc.
Précarité, troubles
psychiatriques, souffrance
psychique
Reposant sur une organisation se
référant aux lieux d’habitation
des patients, elle a du inventer
progressivement des solutions,
comme les équipes mobiles spé-
cialisées, pour essayer d’apporter
des réponses aux besoins psy-
chiatriques des personnes en
situation de grande exclusion :
sans domicile, mais aussi sans
« demande » formulée. En effet,
un tiers des résidents des centres
d’hébergement et de réinsertion
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Protesten° 118 - Juin 2009
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Protesten° 118 - Juin 2009
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Dr Jean-Yves Alexandre
Chef de service à
l’Etablissement public de
santé mentale de
l’agglomération lilloise
s o c i a l e
présente-
rait des troubles psychiatriques
qui ont été à l’origine de leur
désinsertion ; un autre tiers pré-
senterait une « souffrance psy-
chique », une « détresse psycho-
sociale » engendrée par la
précarité de leur situation.
Des patients de plus en plus nom-
breux n’ont pu trouver de places
dans les services dont la capacité
était réduite pour des raisons
médicales mais aussi de plus en
plus gestionnaires (de 32% de
1990 à 97) et dont les moyens
humains diminuaient (effets du
« budget global » obligeant à
réduire chaque année les
charges), alors même qu’aug-
mentaient le nombre des
demandes (+46% pendant la
même période) et le champ
d’intervention dévolu à la psy-
chiatrie.
Les distinctions entre maladie et
santé se sont progressivement
estompées. On est passé officiel-
lement depuis les années 2000 de
la Psychiatrie à la Santé Mentale.
Les équipes psychiatriques doi-
vent travailler avec d’autres pro-
fessionnels du sanitaire ou du
social, avec des bénévoles (asso-
ciations d’usagers notamment) et
les élus, mais aussi affirmer leurs
priorités, ce qui n’est pas sans
poser de problèmes éthiques,
notamment dans une période où
les exigences sécuritaires de la
société sont très fortes.
La psychiatrie : trop « liber-
ticide » ou trop « libérale » ?
Très régulièrement la psychiatrie
est accusée d’être « liberticide ».
En témoignerait la persistance de
39 000 lits d’hospitalisation à
temps complet (publics et privés
confondus), et l’augmentation
régulière (+ de 30% en 5 ans) du
nombre d’hospitalisations sans
consentement. Aussi certains
militent-ils pour une « judiciari-
sation » de celles-ci, qui permet-
trait de mettre fin à une excep-
tion française au sein des pays
européens.
Mais on reproche tout aussi régu-
lièrement, comme actuellement,
à la psychiatrie d’être trop « libé-
rale », de laisser trop rapidement
sortir, au nom de positions
« idéologiques », en fait le plus
souvent aujourd’hui écono-
miques, des patients qui finissent
par se retrouver à la rue, puis en
prison, laquelle serait devenue
aujourd’hui le « seul lieu d’accueil
des personnes souffrant de
troubles psychiatriques graves ».
En effet, selon une étude réalisée
en 2004, 24% des détenus dans
les prisons françaises présente-
raient des troubles psychiques.
Ces chiffres, qui ne peuvent lais-
ser personne indifférent, s’expli-
quent plus par la situation socioé-
conomique de ces patients, et/ou
les conduites d’addictions qu’ils
peuvent présenter par ailleurs,
que par la nature même de leurs
troubles.
Vers une approche
sécuritaire
Toutes les enquêtes internatio-
nales indiquent en effet que les
crimes commis par les malades
mentaux sont l’exception. Ces
derniers sont, en revanche, les
victimes de faits de violence ou
de vols beaucoup plus souvent
que d’autres, du fait de leurs han-
dicaps et de leur stigmatisation.
Si les violences commises par les
malades mentaux sont rares, le
risque de leur survenue ne doit
pas être nié, mais être pris en
compte sans angélisme, et faire
l’objet de solutions spécifiques de
la part de la psychiatrie publique,
conciliant le droit à la sécurité des
patients, des soignants et de la
société. Ces réponses ne peuvent
que s’inscrire dans une organisa-
tion plus générale de soins de
qualité au niveau de chaque terri-
toire de santé. Elles ne nécessitent
pas seulement des moyens archi-
tecturaux, mais aussi une disponi-
bilité soignante suffisante.
Pourtant les discussions prépara-
toires au volet psychiatrique de la
loi HPST (Hôpital, Patients, Santé,
Territoires) et la réforme annon-
cée de la loi de 1990 sur l’hospi-
talisation sans consentement,
font craindre à la majorité des
professionnels une approche plus
réductrice et plus sécuritaire de la
psychiatrie, et un abandon de la
politique de secteur. n
Les troubles psychiatriques (schizophrénies, dépressions, addictions, suicides, troubles graves de
la personnalité, etc.) se classent au troisième rang des maladies en termes de fréquence : ils sont
responsables de près du quart des invalidités. Une famille sur quatre en est atteinte. Ils ont
d’importantes répercussions sur les personnes qui en souffrent, mais aussi sur leur famille et la
communauté.
Évolution de la psy chiatrie en France
Un tiers des résidents des CHRS
présenterait des troubles psychiatriques