Ch. III. ESPECE ET SPECIATION Qu’est-ce qu’une espèce, quelle est la mécanique d’apparition d’une nouvelle espèce ? I. Concepts généraux II. L’espèce en biologie III. L’espèce en paléontologie IV. Causes de la spéciation V. Modalités de la spéciation I. Concepts généraux species (latin) = apparence Linné 1758: CLASSIFICATION BINOMIALE : le genre et l'espèce Binôme latin, à caractères italiques (ou soulignés) Nom de genre à initiale majuscule Nom d’espèce à initiale minuscule Nom de l’auteur et date de publication. Ex : Homo sapiens Linné, 1758 Evite l'imprécision des noms vernaculaires I. Concepts généraux Linné crée aussi Règne, Embranchement, Classe,Ordre, Famille (« RECOFGE ») = principales unités de classification systématique, encore en vigueur… = CATEGORIES TAXINOMIQUES Règne Embr. Classe Ordre Famille Genre Espèce Animal Vertébré Mammifère Primate Hominidae Homo Homo sapiens I. Concepts généraux Espèce = unité de base des peuplements d’organismes, d’un point de vue reproductif, génétique, écologique... Espèce = unité de classification la moins subjective… Celles qui lui sont sus-jacentes « constituent » des abstractions Aujourd’hui, malgré tout : pas de consensus absolu sur la définition de l’espèce… plusieurs concepts coexistent... II. L’espèce en biologie 1. Concept typologique Espèce typologique = morphologique + Définition : George CUVIER (1769-1832) : « l’espèce est une collection de tous les corps organisés les uns des autres ou de parents communs et de ceux qui leur ressemblent autant qu’ils se ressemblent entre eux ». CRITERE DE RESSEMBLANCE L’espèce se reconnaît par référence à un TYPE (HOLOTYPE), décrit sous la forme d’une DIAGNOSE (espèce typologique) Holotype = spécimen qu'un auteur a utilisé ou désigné comme le type nomenclatural d'une espèce. Diagnose = énoncé des caractéristiques d'un spécimen ou d'un taxon qui le distinguent des autres. II. L’espèce en biologie 1. Concept typologique Tout nouvel exemplaire récolté est comparé au type, avant d’être éventuellement érigé en une nouvelle espèce… Conséquence classique multiplication artificielle du nombre d’espèces (surtout en paléontologie où les restes fossiles sont fragmentaires) graine racine feuilles II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique + Définition originelle (cfre génétique): Ernst MAYR (1904-2005) primauté au CRITERE D’INTERFECONDITE « Les espèces sont des groupements de populations naturelles, réellement ou potentiellement interfécondes, et qui sont reproductivement isolées d’autres groupements semblables » + Problème : le critère d’interfécondité n’est pas absolu : 1. il ne permet pas de caractériser les espèces à reproduction asexuée Foraminifère Cilié Radiolaires Diatomée II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique 2. Les croisements inter-spécifiques existent (HYBRIDATION) II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique Liger Mule Puma + ocelot Wolfdog Coywolf Wholphin Zebroid Beefalo Zetland Yakalo Cama Croisements artificiels II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique … Mais l’hybridation naturelle existe Divergence évolutive : ~200 000 ans Grolar Descendance stérile (?) Ours Polaire Ursus maritimus II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique … L’hybridation naturelle existe, et elle peut donner une descendance fertile ! Ex: tritons européens Triturus cristatus Triturus marmoratus Coexistence et hybridation ! Descendance fertile Mais femelles fragiles Définition de l’espèce biologique élargie : ensemble de populations interfécondes et produisant des descendants eux-mêmes féconds et viables. II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique Idée moderne = une espèce est un ensemble d’individus partageant le même patrimoine génétique (pool génétique commun) Critère d’interfécondité permet des variations individuelles (génotypiques et/ou phénotypiques), mais avec des caractères phénotypiques communs à distribution gaussienne. En considérant une population, on étudie un caractère et on regarde si sa distribution est gaussienne. Si oui : 1 espèce ! Pour des raisons d’inventaire, une espèce est toujours représentée par un individu type (holotype) selon des CARACTERE MOYENS II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique + Difficultés : certaines variations ne répondent pas à une distribution gaussienne 1) POLYMORPHISME = coexistence, au sein d’une même population, d’individus interféconds mais morphologiquement différents. Ex: variation intra-populationnelle de coloration chez Heliconius numata Ex: variation intra-populationnelle de la morphologie des fourmis (castes) Ex: races domestiques II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique Polymorphisme saisonnier (Lagopèdes) Dimorphisme sexuel = différences morphologiques observées entre le mâle et la femelle d’une même espèce II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique 2) POLYTYPISME = existence, au sein d’une même espèce, de populations séparées géographiquement et morphologiquement différentes Ex: ancienne chaîne de sous-espèces de Panthera tigris Panthera tigris balica, ~80 kg Panthera tigris altaica , ~250 kg II. L’espèce en biologie 2. Concept biologique 3) Cas inverse : ESPECES JUMELLES = ensembles phénotypiquement identiques, mais séparés génétiquement (répartition phénotypique gaussienne) Drosophila persimilis Drosophila pseudoobscura Danaus erippus Danaus plexippus Ascaris suum Ascaris lumbricoides Epithelantha micromeris Beryx mollis Epithelantha greggi Beryx spledens II. L’espèce en biologie 3. Concept écologique Les membres d’une même espèce occupent une niche écologique à laquelle ils sont adaptés. La primauté est donnée au rôle des espèces dans leur milieu (niche écologique) Difficultés: les différents stades du développement d’un organisme peuvent occuper des niches écologiques très différentes. III. L’espèce en paléontologie Espèce paléontologique : fondamentalement typologique puisque seul le critère de ressemblance peut être pris en compte (seuls les caractères morphologiques peuvent être utilisés). ESPECE PALEONTOLOGIQUE = un concept fondamentalement ABSTRAIT III. L’espèce en paléontologie 1. Difficultés - « type » = souvent 1er trouvé : représentativité des caractères moyens de l’espèce? - caractères morphologiques = les seuls accessibles… mais souvent partiellement conservés Orrorin tugenensis Sahelanthropus tchadensis ?! III. L’espèce en paléontologie 1. Difficultés - nombre d’individus = souvent limité. Ex: Archaeopterix : 8 exemplaires connus dans le monde… Variation intra-spécifique inconnue. III. L’espèce en paléontologie 1. Difficultés - Différenciation de stades ontogénétiques ? Ontogenèse des trilobites : Stade Protaspide Stade Holaspide Stade Meraspide - Différenciation du polymorphisme, du polytypisme, du dimorphisme sexuel ? Amauroceras (microconque mâle ?) et Amaltheus (Macroconque femelle ?) Liparoceras (Macroconque femelle ?) et Metacymbites (microconque mâle ?) III. L’espèce en paléontologie 2. Solutions possibles Reconstitutions par analogie avec l’Actuel = ACTUALISME III. L’espèce en paléontologie 2. Solutions possibles Application au concept d’espèce biologique si et seulement si un grand nombre de spécimens synchrones est découverts au même endroit : ANALYSES MULTIVARIEES DE LA FORME Méthodes quantitatives pour séparer ou regrouper les individus en espèces, en fonction de discontinuités morphologiques (univariées, bivariées, multivariées) ! L’interfécondité est déduite... III. L’espèce en paléontologie 3. Chrono-espèces + Définition de l’espèce paléontologique intègre 2 dimensions : l’espace et le temps = continuum spatio-temporel entre des populations naturelles, qui à chaque instant de ce continuum sont interfécondes entre elles et isolées sur le plan reproductif de tout autre analogue. Constituent des CHRONO-ESPECES + Durée de vie d’un taxon : variable selon les groupes… dépend du potentiel de mutation des gènes régulateurs du développement ! III. L’espèce en paléontologie 3. Chrono-espèces - potentiel fort : bon fossile stratigraphique - potentiel faible : fossile panchronique Avant 1938 : coelacanthes = un groupe exclusivement fossile Limules 22 déc. 1938, Afrique australe Ginkoales III. L’espèce en paléontologie 3. Chrono-espèces + Modalités du changement évolutif: - ANAGENESE = évolution temporelle d’une lignée unique. Dans ce cas, une espèce descendante remplace une espèce ancestrale dans la continuité, formant une LIGNEE EVOLUTIVE. - CLADOGENESE = scission d’une lignée ancestrale en au moins 2 lignées descendantes. Dans ce cas, une espèce descendante coexiste avec son espèce ancestrale III. L’espèce en paléontologie 3. Chrono-espèces + Radiation adaptative : multiplication rapide du nombre d’espèces (de cladogenèses) dans un court intervalle de temps. Etroitement liées aux périodes de crises biologiques : Produit représentation buissonnante de l’histoire de la diversité. Forme schématique de l’arbre du vivant au cours des temps géologiques III. L’espèce en paléontologie 3. Chrono-espèces Radiations adaptatives des Cichlidés lacustres africains IV. Causes de la spéciation Theodosius DOBZHANSKY (1900-1975) : « des espèces se forment lorsque ce qui était jusqu’alors un ensemble de populations aptes au croisement se scinde en au moins deux ensembles génétiquement isolés ». SPECIATION = MECANISME DYNAMIQUE : ensemble des processus par lesquels de nouvelles espèces se forment. 1 même source : la VARIABILITE La variabilité phénotypique est due à la variabilité génétique qui a 3 causes principales : mutations, flux génique, brassage génétique lié à la sexualité IV. Causes de la spéciation + Mutations = modifications de la molécule d’ADN. Les causes : principalement de 2 types… 1. L’ADN n’est pas recopié correctement lors de la division cellulaire. 2. Des agents mutagènes brisent la molécule d’ADN qui n’est pas réparée correctement. IV. Causes de la spéciation + Flux génique = transfert de gènes d’une population à une autre. Le transfert de gènes résulte généralement de la migration de certains individus. + Brassage génétique lié à la sexualité : de nouvelles combinaisons de gènes sont introduites dans une population par un brassage génétique se produisant lors de la reproduction sexuée. V. Modalités de la spéciation 2 modalités d’isolement reproductif : spéciation allopatrique spéciation sympatrique V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique = formation d’espèces par isolement géographique. La rupture de l’aire de répartition de l’espèce ancestrale scinde celle-ci en populations géographiquement disjointes = BARRIERE PREZYGOTIQUE (avant la reproduction potentielle) Il existe 2 modèles différents : 1. Modèle symétrique ou en haltères 2. Modèle asymétrique ou péripatrique V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique + Modèle symétrique (ou en haltère; allopatrique s.s.) L’espèce ancestrale est scindée en 2 ensembles d’effectifs +/- équivalents et chaque ensemble évolue en une nouvelle espèce différente de la souche et de son vis à vis du fait de la rupture du flux génique qui maintenait l’unité de l’espèce souche. V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique Exemple : écureuils terrestres nord-américains Flux génique T1 T2 T3 V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique Exemple : les ratites du Gondwana Il y a 150 Ma Il y a 140 Ma V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique + Modèle asymétrique (spéciation PERIPATRIQUE) L’espèce ancestrale est scindée en 2 ensembles d’effectifs très différents (population isolée = « fondateur »). L’isolat périphérique présente une chute de sa variabilité génétique (faible part du pool génique de la souche), certains allèles rares dans la souche peuvent devenir prédominants (spéciation). Goulot d’étranglement V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique Modifications des fréquences alléliques, d'autant plus importantes que l’effectif de la population est faible Effet fondateur suivi de dérive génique dans la nouvelle colonie, du fait des faibles effectifs. -> après quelques générations, population fille génétiquement très différente de la population mère. Certains allèles auront pu se fixer, même s’ils étaient rares au départ. V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique Effet fondateur peut conduire un fort taux de spéciation dans les archipels Exemple : Pinsons des Galápagos (beaucoup d’espèces, endémiques) V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique Exemple des Amishs: 1 des couples fondateurs en Pennsylvanie (1744) porteur d’une anomalie récessive (membres courts et 6 doigts et orteils) Mariages consanguins dans une communauté d’effectifs réduits : anomalie devenue commune dans la communauté V. Modalités de la spéciation 1. Spéciation allopatrique Tous les exemples de chaînes de sous-espèces ! Mésanges d’Eurasie Parus major major H H Parus major minor H H: zones d’hybridation Parus major cinereus V. Modalités de la spéciation 2. Spéciation sympatrique Formation d’espèces sans isolement géographique = isolement reproductif à l’intérieur d’une population BARRIERE POST-ZYGOTIQUE (après la reproduction potentielle) Anagénétique Par étranglement V. Modalités de la spéciation 2. Spéciation sympatrique Exemple : les Cichlidés du Lac Victoria (500 espèces apparues depuis la formation du lac il y a 12000 ans) V. Modalités de la spéciation 2. Spéciation sympatrique Il peut y avoir un isolement pré-zygotique, sans isolement géographique = ISOLEMENT ECOLOGIQUE (i.e. habitat, comportement, période de reproduction) Hiver Printemps V. Modalités de la spéciation 2. Spéciation sympatrique Exemple : Les espèces nord-américaines Chrysoperla carnea et C. downesi : séparées d’un ancêtre commun récent, par spécialisation écologique et reproduction à différentes périodes de l’année... V. Modalités de la spéciation 2. Spéciation sympatrique Changement dans les comportements (éthologie) (ex: reconnaissance des partenaires sexuels par stridulation ) Trois morphes (espèces jumelles ?) de l’espèce d’éphémères Chrysoperla plorabunda sont séparés du point de vue éthologique par des stridulations différentes (observables sur les oscillogrammes). V. Modalités de la spéciation En résumé… Comparaison des modèles de spéciation SPECIATION ALLOPATRIQUE s.s. SPECIATION PERIPATRIQUE SPECIATION SYMPATRIQUE Population ancestrale Stade initial de spéciation Temps barrière Mécanisme d'isolement reproductif Espèces nouvelles et leur répartition nouvelle niche polymorphisme