L’économie informelle : un dilemme pour l’Egypte Adel Mehany1, Université Al Azhar, Le Caire, Egypte Résumé Malgré quelques signes macro-économiques positifs durant l’année fiscale 2012/2013, l’économie égyptienne atteint la cote d’alerte. Le déficit budgétaire s’élève à 10,9% du PIB (2011/2012). Le taux du chômage est à l’ordre de 13.2% au premier trimestre 2013 et il s’élève à 25% chez les jeunes. On voit clairement que la capacité actuelle de l’économie égyptienne ne lui permet pas à insérer son énorme secteur informel dans le cycle formel, quoique ce secteur reste une bouffée d’oxygène, un « poumon » pour son économie essoufflée. Ils disent en Egypte que pour l’instant, nous ne voulons pas rendre formel notre secteur informel : ont-ils raison et pourquoi ? Mots clés : Egypte- économie informelle- développement économique, micro finance- finance islamique. JEL: E26, O17, J82 The Dilemma of Informal Economy in Egypt If some macroeconomics indicators show a little progress for the Egyptian economy, this one is still in a vulnerable situation. The public deficit was around 10.9% of GDP (2011/2012), whereas the unemployment rate represents 13% for the first trimester of 2013, with more than 25% between the young people. The actual Egyptian economic situation is not in the favor of any programs which aim to integrate the informal economy into the formal Egyptian economy. We said in Egypt; it is not the time now to do that, in other words, let our informal economy works to keep survival our peoples. Are they right and why? Keywords: Egypt-Formal economy-economic development-microfinance –Islamic finance [email protected] Maître de Conférences, Docteur en Economie-CEMAFI-Université de Nice (France). Président du Groupe Haute d’Egypte Développement (GHED). 1 1 1. Introduction La situation en Egypte est préoccupante depuis la révolution du 25 janvier 2011 autant sur le plan politique qu’économique et social. Si cette révolution a mit fin à l’existence des entreprises légaux dirigés par des propriétaires mafieux qui ont confisqué la richesse du pays pendant des décennies, il en reste devant elle de combattre les activités informelles dans ses différentes formes pour que celles-ci intègrent le cycle formel de l’économie égyptienne. Or, malgré quelques signes macro-économiques positifs durant l’année 2012/2013, l’économie égyptienne atteint la cote d’alerte : chut des réserves de change (de 36 milliards de dollars en 2010 au 13 milliards en 2012), dégradation de notes de notations par l’agence S&P de (-B) à (+CCC) en 15 mai 2013 et blocage des négociations avec le FMI qui font vaciller le pays. Le coût économique de cette révolution a présenté un manque à gagner de 40 milliards de livres égyptiennes (4 milliards d’Euro) entre 2010 et 2011 et pas moins de 65 milliards de livres égyptiennes entre 2011 et 2012 (7 milliards d’euro). Le déficit budgétaire s’élève à 10% du PIB et cela signifie que gouvernement avait besoin pour l’année fiscale 2012/2013 de 15 milliards de dollars en dehors du système bancaire local. Le taux du chômage est de 13.2% pour le premier trimestre de 2012/2013 et il monte jusqu’à 25% chez les jeunes. La reprise économique devrait être progressive (1.8% de croissance en 2011-2012 selon le FMI et d’environ 3 % en 2012/2013 selon les chiffres du Ministère de la Finance égyptienne. Mais la prévision de la Banque mondiale était à la baisse autour de 2 et 2.5% de taux de croissance. Le déficit budgétaire a atteint 166.7 milliards de livres égyptiennes, soit 10% du budget au courant de l’année fiscale 2011/2012 contre 9.8% en 2010/2012. Cette hausse du déficit provient d’une forte hausse de dépenses d’une valeur de 114.6 milliards de pour atteindre 516.4 milliards de livres égyptiennes. En revanche, les recettes de l’Etat ont augmenté de seulement 35.5 milliards de LE pour atteindre 303.6 milliards de livres égyptiennes. Si l’Egypte cherche aujourd’hui à maîtriser ses dépenses publiques pour contourner ses déficits budgétaires et rendre plus flexible son marché du travail pour absorber le travail informel, ses démarches dans ce sens pourraient aboutir à l’échec. En effet, une politique visant de flexibiliser le marché du travail pour accroitre l’emploi grâce à une croissance fondée sur les exportations est une politique vouée à l’échec, surtout si l’austérité budgétaire empêche les pouvoirs publics d’intervenir face à la faiblesse de la demande globale (Capaldo & Izurieta, 2013). Cette politique était basée sur l’effet que la transformation du régime macroéconomique, due à la libéralisation et à l’ouverture commerciale qui a connu l’Egypte depuis les années soixante-dix, rend l’emploi plus dépendant de la demande extérieure tout en restreignant la possibilité d’accroître la demande intérieure ou d’augmenter les salaires rapidement que la productivité. On ajoute que le taux de chômage faible que l’Egypte cherche à réaliser d’ici à 2020 n’est pas nécessairement une bonne nouvelle, car selon certains études sur le Moyen-Orient (Sylla, 2013), cela peut cacher une situation où l’atonie de la demande de travail dans le secteur moderne est compensé par a multiplication des emplois informels de mauvaise qualité. Donc, on voit clairement que la capacité actuelle de l’économie égyptienne ne permet pas d’une part d’absorber à court terme le problème du chômage et d’autre part d’insérer son énorme secteur informel dans le cycle de l’économie formelle. Quoique ce secteur reste un buffet d’oxygène pour une économie formelle en difficulté. Le secteur informel a été au centre de débat depuis les années 1970 mais il a commencé à faire l’objet de travaux de terrain dans les années 80. Ces travaux étaient concentrés sur la capacité de ce secteur à générer une croissance dans le revenu des classes sociales les plus pauvres. Plusieurs études (Kharoufi, 1992, Abd Al-Fadil, 1983, Al-Mahdi, 1989) ont montré que les activités menées dans ce secteur ont aidé les plus pauvres dans leur vie autant parfois que les activités du secteur formel. Le secteur informel s’est plus en plus développé à partir des années 1970. Il est fort probable que la politique d’ouverture de l’Egypte, ainsi que les pressions inflationnistes qui ont caractérisé l’économie égyptienne au cours de cette période, ont été parmi les principales factures qui ont conduit à la propagation ainsi qu’à l’élargissement du domaine des activités souterraines en Egypte (Abdelfadil, 1985). Plusieurs études ont été conduites pour estimer son importance au sein de l’économie égyptienne. En effet, beaucoup d’activités n’étant pas déclarer, échappent aux statistiques officielles. Une des difficultés à cerner cette économie, c’est précisément qu’elle est informelle, c’est-à-dire non susceptible de formalisation (Gourevitch, 2002). Ainsi, Dixon déclare en juin 1999 dans the Economic Journal, que « Il est improbable qu’on soit capable de mesurer les activités de l’économie souterraine dans un futur proche ». Selon des estimations du Central Agence for Public Mobilisation and Statistics- CAMPAS), les emplois dans le secteur informel étaient de l’ordre de 3 millions au début des années 1990. 2 Aujourd’hui, ces chiffres seront multipliés par quatre ou cinq si on prend on compte le nombre croissant de la population qui atteint un chiffre de 90 millions d’habitant d’une part et les facteurs valorisants d’un accroissement des activités souterraines. D’autres estimations (1991) évaluent à 43 % d’Egyptiens employés dans le secteur informel privé (en excluant les emplois dans l’agriculture). Autre étude a trouvé que 62% de la population active était occupée dans des activités de type informel et donc une grande majorité de cette population dépend de secteur informel pour leur subsistance. D’ici on constat le paradoxe égyptien ; car le secteur informel n’est pas forcement un obstacle qu’il convient de le réduire mais il est représenté comme une solution face à la crise économique qui travers l’Egypte actuellement. Toutefois, les incitations à la formalisation de ce secteur, à long terme nécessite l’application des méthodes nouvelles qui touchent à la fois la volonté des ses acteurs à réintégrer l’économie formelle et la capacité de l’Etat égyptien à faire face aux coûts liés à ce processus. 2. Conception et importance de l’économie informelle Un des premières tâches de cette section est de formuler des définitions, se prêtant à la mesure, du « secteur informel » et des « travailleurs informels ». Il faut rappeler que la Conférence Internationale des Statisticiens du Travail (CIST) et le Groupe de Delhi sur les statistiques du secteur informel ont élaboré un travail considérable pour mettre au point des définitions pouvant être adoptées par des pays différents. Reconnaissant que « l’emploi informel » est un concept plus large que celui de « secteur informel ». Selon le CIST, le secteur non organisé comprend toutes les entreprises privés non organisées en sociétés, détenues par des individus ou des ménages engagés dans la vente et la production de biens et services, réalisées par leurs propriétaires ou en partenariat et occupant au total moins de dix travailleurs. Quant aux travailleurs non organisés ces sont ceux qui travaillent dans des ménages ou entreprises non organisés, à l’exclusion des travailleurs réguliers bénéficiant de prestations de sécurité sociale » (Kannan & Papola, 2007). Un autre note que les travailleurs du secteur informel ne sont pas tous totalement dépourvus de protection, et que ceux des entreprises du secteur formel ne sont pas tous protégés et titulaires de contrats de travail permanents. (Tokman, 2007). Il faut se rappeler d’ailleurs que même si l’analyse économique est sollicitée en ce qui concerne l’économie informelle (Adair, 1985), ce sujet a des dimensions sociologiques, culturelles et politiques. Nous allons distinguer deux types d’analyses quand on aborde l’économie informelle ; le premier traite cette économie telle qu’on la connaît dans les sociétés occidentales industrialisées. Le deuxième traite ce sujet du point du vue des pays en développement. Il est vrai que l’économie informelle est un phénomène concerne beaucoup de monde et qui peut être appréhendé sous de nombreux angles. (Pestieau, 1989). Toutefois, dans les pays en développement, l’économie souterraine paraît occuper une place de plus en plus étendue et ses composantes deviennent de plus en plus larges. (Abdelfadil & Diab, 1985). De plus, la façon par laquelle on analyse ce phénomène se différencier d’un groupe des pays à l’autre. Les pratiques souterraines ne sont pas vécues de la même façon entre par exemple les pays occidentaux socialistes (de référence comme la France) et les Etats-Unis, il y deux différences fondamentales : un stade moins avancé de développement économique et un système politique et institutionnel différent. L’entreprise socialiste qui, comparant ses coûts aux prix qui lui sont assignés par l’Etat, décide de se lancer dans toutes sortes d’activités lucratives illégales derrières le paravent de son activités officielles, adopte une attitude très semblance à celle d’une firme française découvrant les avantages d’une main-d’œuvre au noir. Dans un pays capitaliste, les forces concurrentielles et la recherche du profit qui sous-tendent la plupart des activités souterraines marchandes, sont aussi le moteur reconnu de l’économie officielle. La Hongrie aurait une très large économie seconde ; trois ménage sur quatre y participeraient activement et en tiraient des revenus complémentaires non négligeables. Citons aussi l’exemple de l’immense Chine qui depuis le début de sa révolution connaît une économie seconde très active à la compagne comme dans certaines métropoles commerçantes. Certaines définitions utilisent le revenu économique total pour cerner les activités informelles dans l’économie. Selon Feige le terme ‘unobserved economy’ se compose de trois composants « If we define recorded income as that component of total economic income empirically captured in the National Income and Product Account ( NIPA )statistics, then “total unrecorded income” can be seen to consist of (1) income produced in prohibited economic activities deemed ‘illegal’ by the law of the land; (2) income produced in non-market (bartered) legal activities, and (3) income produced in legal market activities (monetary) that for various reasons escapes NIPA measurement ( Feige, 1989). Donc, L’économie souterraine comprends trois composantes : la production non déclarée de biens et de services licites, la production de biens et de services illicites ; les revenus en nature dissimulés. (Adair, 1985). Selon l’analyse microéconomie, l’essor présumé du travail noir résulterait de l’accroissement du chômage 3 indemnisé d’une part, de la hausse des prélèvements obligatoires d’autre part. (Adair, 1989) Cependant, une partie non négligeable du travail en noir en Egypte s’explique par le faible revenu des fonctionnaires plutôt que par la hausse des prélèvements. Par économie souterraine, nous entendons l’ensemble des activités économiques qui échappent plus ou moins totalement aux contrôles légale, fiscale et statistique de l’Etat. Dans cette définition, il y a deux termes clefs : activités économiques et contrôle de l’Etat. Sans Etat ou plutôt sans sa volonté de contrôle, son regard inquisiteur, il n’y aurait pas d’économie souterraine, pas de statistiques officielles et qui plus est, pas de lois à transgresser, ni de taxes à éluder. (Pestieau, 1989). L’économie informelle est associée à la pauvreté urbaine, à l’activité artisanale ou encore à la taille des unités de production. Le secteur informel est caractérisé par l’absence de syndicats, de revenus fixés institutionnellement, de contrat de travail et de protection de la part du gouvernement. 2.2. Importance de l’économie informelle dans les pays en développement Dans un livre paru en 1987, et depuis largement diffusé et débattu à travers toute l’Amérique latine, Hernando de Soto annonce la couleur de titre : L’Autre Sentier. La révolution informelle (H.de Soto, El Otro Sendero, 1987) Les mutations pourraient se faire grâce à l’économie informelle bien que plus que par l’action révolutionnaire de mouvements armés tels que le Sentier Lumineux. Citons ainsi cet extrait du Bulletin hebdomadaire de la Kredietbank belge, 38-1982) : « Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’existence d’activités souterraine implique aussi une série d’avantages pour l’économie. Sans activités noires, certaines entreprises perdraient leur compétitivités ou ne pourraient plus réagir avec toute la souplesse voulue aux nouveaux développements et seraient condamnées à disparaître. Les activités souterraines contribuent aussi à accroître l’efficience d’une économie. Par le mécanisme de la libre fixation des prix et l’absence d’encombrantes réglementations, il est possible d’exercer certaines activités dans l’économie souterraine, ce qui n’est plus le cas dans l’économie officielle exagérément réglementée et nivelée. L’économie souterraine a donc une fonction salutaire en tant que bouée de sauvetage sociale et économique. Si l’économie souterraine venait à disparaître, un certain nombre de citoyens émigreraient avec leur talent, leur capacité de travail et leur patrimoine. Certains chômeurs, privés d’activités parallèles, auraient du mal à supporter psychologiquement une inactivité prolongée. Une série d’activités utiles ne seraient plus exercées parce que dans le circuit officiel les coûts sont prohibitifs ». Il y a de tout dans ces deux paragraphes on ne peut plus exemplaire de ce qui se colporte sur les bienfaits de l’économie souterraine. Elle est ici comparée à une bouée de sauvetage ; ailleurs, on parlera de potion magique, de planche de salut, de saint-bernard, de solution miracle ou encore de trop de seule issue pour nos sociétés en détresse, malades de trop de fiscalité et de réglementation. (Pestieau, 1989). L’ampleur de l’économie informelle est bien importante pour les pays en développement en comparaison avec les pays développés. Certains analystes partagent le même point du vue (Pestieau, 1989) on soulignant que dans les pays occidentaux, une réduction de l’importance des activités souterraines ne modifierait pas fondamentalement la structure de l’économie ; elle contribuerait à plus d’équité et plus de bien-être pour l’ensemble de la collectivité. En revanche, la suppression de l’économie informelle dans les pays en développement aurait sans doute des conséquences incalculables sur le niveau de vie de la majorité des ménages. C’est parce que, dans ces pays, le secteur souterraine joue un rôle complémentaire essentiel. Il fournit des biens et services que l’on ne trouve pas dans le secteur officiel ou que l’on trouve, mais en quantité insuffisante, de qualité médiocre ou à des prix prohibitifs. Rappelons le cas du Pérou qui est douté d’une économie parallèle importante, composée de petites entreprises opérant pour la plupart à Lima. Quelques chiffres pour donner un ordre grandeur de cette économie informelle au Pérou : elle représente grosso modo 40% du PIB du Pérou et occupe la moitié de la population active à temps plein ou à temps partiel : en heures de travail, cela équivaut à 60% du total national (Pestieau, 1989). Le Pérou n’est pas le seul pays d’Amérique latine à posséder une économie informelle aussi omniprésente. Plusieurs enquêtes ont constaté que pour toute l’Amérique latine, la maind’œuvre informelle représentait 42% de la population active totale en 1980. Ce chiffre varie de pays à pays. Il est de 56% au Pérou, 46% au Brésil, 29% au Chili et 26% en Argentine. (Pestieau, 1989). Le secteur informel est la plus importante source de revenus des pauvres et 74% des 10% les plus pauvres y travaillent selon une enquête réalisée en 1990. (Tokman, 2007). 3. L’Economie informelle en Egypte La situation actuelle en Egypte est préoccupante autant sur le plan politique qu’économique et social. Malgré quelques signes macro-économiques positifs durant l’année fiscale 2012/2013, son économie atteint la cote d’alerte : chut des réserves de change, dégradation de notes des agences de notations, taux 4 du chômage élevé et des négociations difficiles avec le FMI qui font vaciller le pays2. Le déficit budgétaire s’élève à 10% du PIB (2011/2012). Le gouvernement a besoin pour l’année fiscale 2012/2013 de 15 milliards de dollars en dehors du système bancaire local. Le taux du chômage est de 12% et il monte jusqu’à 25% chez les jeunes. La reprise économique devrait être progressive (1.8% de croissance en 20112012 selon le FMI et environ 3% en 2012/2013 selon les chiffres du Ministère de la Finance égyptienne). En chiffres, le déficit budgétaire a atteint 166.7 milliards de livres égyptiennes, soit 10% du budget au courant de l’année fiscale 2011/2012 contre 9.8% en 2010/2012. Cette hausse du déficit provient d’une forte hausse de dépenses d’une valeur de 114.6 milliards de livres égyptiennes pour atteindre 516.4 milliards de livres égyptiennes. En revanche, les recettes de l’Etat ont augmenté de seulement 35.5 milliards de LE pour atteindre 303.6 milliards de livres égyptiennes. D’autre part, l’implantation d’activités économiques et commerciales dites informelles joue un rôle remarquable dans l’économie égyptienne. Elles offrent au Caire, par exemple, pour un marché de 17 millions de consommateurs, une gamme étendue de produits, rares ou de consommation courante. (Les chercheurs égyptiens continuent cependant de les qualifier de marginales (Hâmichi, ghayer munazzam, ou ghayer muqannan c’est-à-dire non structurées). Selon nos estimations, pour 2102 entre 12-15 millions des égyptiens (contre 3 millions en 1988) gagnent leur vie en travaillant dans le secteur informel. Cela veut dire que plus de la moitié de la population égyptienne dépend de ce secteur (en supposant que le taux de dépendance est de trois personnes pour chaque travailleur dans le secteur informel). Selon les chiffres récents de Ministère de l’Industrie, il existe 100 zones industrielles informelles contre 36 seulement pour le secteur formel et près de 60% des produits marchands dans le marché local sont des produits des projets souterrains dans les zones industrielles informelles. D’ailleurs, il existe un fort dualisme entre le secteur formel et informel en Egypte. Car un nombre non négligeable du travailleur formels pratiquent au sein même de leur travail formel des activités informelles. Certains analystes expliquent la raison de cette dualité : « Nous n’exagérons pas beaucoup si nous affirmons qu’un des principaux résultats de la politique d’ouverture est la coexistence des structures de « l’économie souterraine » et de celle de « l’économie officielle » (Abdelfadil, 1985). Ce phénomène est très remarqué dans le secteur public et administratif. On ajoute également que un grand nombre de ces fonctionnaires pratiquent des activités souterraines en d’hors de leur travail formel ; c’est le cas de beaucoup de chauffeurs de taxi ou des enseignants qui donnent des cours privés le soir (ce qu’on appelle moonlighting-selon l’expression américains), c’est-à-dire le cumul de plusieurs emplois pendant les horaires de travail officiels. Au cours d’une ancienne étude réalisée en 1988 (Palmar, 1989), 89% personnes interrogées déclarent avoir une seconde occupation rémunérée et 84% y consacre entre 3 et 5 heures par jour. Une autre enquête montre que le temps effectif de travail d’un fonctionnaire égyptien se situe entre 20 minutes et 2 heures. Souvent le fonctionnaire ajoute à son activité déclarée une activité secondaire, exercée en marge ou en dehors des obligations légales réglementaires ou conventionnelles (Kharoufi, 1992). Le dualisme du marché du travail en Egypte a une spécificité que le distingue de la version classique d’un marché du travail qui se trouve divisé en deux segments relativement étanches. C’est-à-dire un secteur structuré correspondant au marché primaire, le secteur non structuré correspondant au marché secondaire. On peut dire que l’économie informelle se cache bel et bien dans l’économie formelle égyptienne. Donc, la division classique du marché du travail en deux segments (formel et informel) ne marche plus souvent dans le cas égyptien. Il est illusoire d’attendre une réduction de l’économie souterraine des politiques d’allègement fiscaux telles qui étaient proposées dans un grand nombre de pays de la zone de l’OCDE. En effet cette partie de l’économie souterraine est due à une faiblesse de salaires de ceux qui travaillent dans le secteur formel et par conséquent, ils cherchent à augmenter leurs revenus en effectuant des heures du travail non-déclaré. La question d’une volonté politique de lutter contre le développement d’activités souterraines ne se pose évidemment pas dans les pays dont les responsables y sont eux – mêmes impliqués. C’est le cas des « républiques lavoirs » qui servent de plaque tournante au blanchement de l’argent gagné illégalement que ce soit dans les jeux ou dans le trafic de stupéfiants (Pestieau, 1989). Par conséquent, les opportunités et les risques de l’immense économie informelle (et non taxée) de l’Egypte pourraient avoir un rôle à jouer dans le succès politique à long terme des Frères musulmans. Selon une récente estimation du FMI, l’économie informelle englobe rien moins que 35% de tous les acteurs économiques et emploie environ 40% de la main d’ouvre. Pour l’économiste Hernando de Soto (qui a estimé les capitaux du secteur 2 Voir les graphiques en annexe. 5 informel égyptien à 240 milliards de dollars), cela représente un immense obstacle au développement économique car les gens de l’économie informelle ne peuvent être transformés en capital. Un secteur informel d’une telle ampleur est aussi la marque de fabrique d’un régime économique arbitraire et imprévisible qui crée un train de jeu inégal pour les petites entreprises, littéralement poussées dans l’économie informelle. Mais à l’instar des potentielles économies attendues une fois les subventions réduites, la promesse de régulation du secteur informel peut s’avérer trop coûteuse à courte terme pour les que les Frères musulmans puissent capitaliser dessus, ce qui obscurcit leurs perspectives politiques à long terme. Les recherches sur les relations exactes entre les mouvements islamistes et l’économie informelle sont rares, mais certains détails tendent à prouver que les acteurs de l’économie informelle forment un électorat conséquent des Frères musulmans. Ce sont les pauvres, après tout, qui dépendent le plus de la myriade d’opérations caritatives des Frères. Pourtant, le soutien politique de cette tranche de population n’est pas garanti et pourrait rapidement disparaître, si les politiques des Frères musulmans se traduisent par une augmentation des impôts et peu de contrepartie. (Slate Afrique, 22/07/2012) Dans un pays où coexistent un secteur officiel et un secteur souterrain, comme le cas de l’Egypte. A dépenses publiques fixes, toute réduction de l’économie souterraine aurait pour effet de réduire la pression fiscale et réglementaire qui est imposée au secteur officiel et donc de rendre l’ensemble de l’économie plus efficace. Cette dernière affirmation est basée sur la croyance qu’il vaut mieux pour des raisons d’efficacité imposer l’ensemble d’une économie à un faible taux que la moitié de cette économie à un taux double. (Pestieau, 1989). 4. Conclusion L’immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi était le début d’une révolte sans précédent en Tunisie et dans le monde arabe. Cet acte représente dans un de ces versions l’affrontement entre l’économie informelle et le pouvoir publique. Un conflit entre des jeunes qui ne trouvent que des activités souterraines pour gagner leur vie et un Etat qui exige que ce travail doit être formel mais il ne donne pas les moyens aux jeunes pour s’intégrer dans le cycle de l’économie formelle. Ainsi, le slogan de la révolution égyptienne du janvier 2011 se résumait dans trois demandes ; Pain, Liberté et Justice sociale. Cette justice signifie un travail pour les plus diminués. Plusieurs études ont montré des liens indirects entre la démocratie et la croissance économique (Nabil &Silva, 2009) mais peu d’études montrent les liens entre la transition démocratique et l’existence du secteur informelle. Une démocratisation de la société égyptienne pourrait avoir un impact positif sur la diminution de la taille du secteur informelle. Mais, il faut du temps au moins entre cinq et dix ans pour formaliser le secteur informel en Egypte. En attendant, il faut renverser la conception actuelle de l’insertion sociale qui pose le respect des obligations comme condition. Etant donné que l’exclusion résulte de la négation des droits économiques et sociaux, les obligations ne pourront être honorées qu’une fois ces droits garanties. La formalisation du secteur informel se justifie, non plus seulement du point de vue des couches sociales intégrées, mais principalement en raison de ses avantages potentiels pour les travailleurs du secteur informel et les activités qu’ils exercent. Enfin, la réorientation proposée doit s’accompagner d’une mutation culturelle chez ceux qui travaillent dans le secteur informel. Première priorité du gouvernement égyptien est de prendre de mesures efficaces et immédiates pour combattre la fraude fiscale autant qu’une activité souterraine qui a une incidence ré-distributive inégale. Comme le note Pestieau (1989), « il n’est pas politiquement honnête, ni économiquement réaliste de miser à courte terme sur une réduction de la fraude fiscale pour augmenter les recettes de l’Etat et diminuer le déficit public. C’est pourtant un expédient qui fait partie de la panoplie des promesses électorales de pays où l’on n’a pas de fausse pudeur à avouer l’existence de la fraude ». Les égyptiens sont raison de dire que ce n’est le temps pour formaliser un secteur qui fait vivre des millions des égyptiens. Bibliographie Abdel Fadil M. et Diab J. (1985) L’économie souterraine en Egypte. L’Egypte Contemporaine, 400, 59-83. Adair P. (1985) L’économie Informelle, Editions Anthropos, 180. Capaldo J. et Izurieta A. (2013), Austérité budgétaire et flexibilité du marché du travail : une association risquée, Revue Internationale du Travail, 152(1), 14-24. Chameyrache C. (2004) Entreprise légale, propriétaire mafieux : Comment la mafia infiltre l’économie légale, Editions CNRS. 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