TEL JANUS : LES DEUX FACES DU BRÉSIL ÉMERGENT
Philippe Faucher
De Boeck Université | Revue internationale de politique comparée
2011/3 - Vol. 18
pages 123 à 150
ISSN 1370-0731
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2011-3-page-123.htm
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Pour citer cet article :
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Faucher Philippe, « Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent »,
Revue internationale de politique comparée, 2011/3 Vol. 18, p. 123-150. DOI : 10.3917/ripc.183.0123
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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 18, n° 3, 2011 123
TEL JANUS :LES DEUX FACES DU BSIL ÉMERGENT
Philippe FAUCHER
Introduction
Le tiers-monde, expression qui date des années 1950 et attribuée à Alfred
Sauvy, n’existe plus. La grande division entre le centre et la périphérie des
théories des années 1970 se transforme sous nos yeux. La richesse se déplace.
La montée en puissance de la Chine représente un formidable transfert de la
richesse de l’ouest vers l’est. Si la pauvreté recule, la richesse de la minorité
augmente davantage si bien que l’écart se creuse. Il y a donc les pays riches,
les pays pauvres et, entre les deux, des pays en émergence. C’est de l’un de
ceux-là, le Brésil, et de sa montée en puissance dont il est question dans ce
texte. L’émergence du Brésil se fonde sur un double constat, tout d’abord la
croissance économique des dernières années et en deuxième lieu une pré-
sence remarquée sur tous les fronts de la gouvernance internationale.
La crise financière de l’automne 2008 qui a provoqué un ralentissement
brusque de l’économie mondiale pendant l’année 2009 a révélé un phéno-
mène nouveau. Même si la production a chuté et que le commerce internatio-
nal a diminué pour tout le monde, plusieurs pays hors OCDE ont maintenu un
taux de croissance élevé. C’est le cas de la Chine (8,7 %) et de l’Inde
(5,6 %) 1. L’importance de ces économies dans le marché international con-
tribue de manière essentielle à la relance engagée en 2010 2. Les prévisions
de croissance pour d’autres grands pays sont prometteuses, c’est le cas de la
Russie (4 %), du Brésil (5,5 %), alors que la zone euro se traîne à 1 % et les
États-Unis s’en tirent avec 3 % 3. Les Brésiliens exultent, la croissance au
premier semestre 2010 a atteint un taux « chinois » de 9 %. Ce constat vient
soutenir l’analyse de l’économiste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, qui pré-
voyait en 2001 que la valeur des activités économiques des 4 grands pays
1. Fonds monétaire international, World Economic Outlook, Database : http://www.imf.org/external/
pubs/ft/weo/2010/01/weodata/index.aspx
2. Ce texte est rédigé en juin 2010.
3. The Economist, 8 mai 2010.
DOI: 10.3917/ripc.183.0123
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émergents, que sont la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie, serait à l’horizon
de 2050 supérieure à celle des grands pays de l’OCDE 4.
À côté des géants que sont la Chine, l’Inde et la Russie, le Brésil occupe
la place du membre junior du BRIC. On peut même, au risque de gâcher
l’acronyme, mettre en cause l’appartenance du Brésil à ce groupe sélect de
pays. Le Brésil n’est pas encore une grande puissance. Il ne dispose pas de
l’arme atomique et n’a pas de siège permanent au Conseil de sécurité des
Nations Unies, sa part du commerce international est faible (1 %) et ses
investissements à l’étranger, bien qu’en croissance, sont peu significatifs.
Bref l’influence du Brésil repose davantage sur l’exemple et la négociation
et moins sur la contrainte.
Il peut donc être utile de considérer le profil auquel un pays doit corres-
pondre pour se qualifier, dans l’œil des observateurs, comme un grand pays
émergent. Il y a au moins trois manières de poser la question, celles-ci font
l’objet de la première partie de ce texte. Tout d’abord, en me référant à
l’étude initiale de Goldman and Sachs, je m’interroge rapidement, sans
engager très loin l’analyse comparée, sur la signification pour le Brésil du
regroupement de pays réunis sous l’acronyme de BRIC.
Peu importe la pertinence théorique de l’acronyme, du moment que les
autorités brésiliennes se sont approprié et ont décidé de donner vie au regrou-
pement, jusqu’alors virtuel, du BRIC, comme en témoignent les quelques
sommets et réunions regroupant des dirigeants des pays respectifs, au cours
des dernières années. Il sera donc question ici de la manière dont le BRIC,
transformé par la mythologie du jeu diplomatique en « porte du ciel », est
devenu un véhicule de l’affirmation internationale du Brésil.
Toute considération sur le développement dont ce que l’on appelle
aujourd’hui émergence est un avatar – porte en elle une interrogation sur
la durée, la persévérance et de la continuité. La Chine n’est considérée en
« émergence » que depuis quelques années, alors que sa croissance accélé-
rée est continue depuis plus de 20 ans. C’est pourquoi il faut s’interroger.
Les dirigeants brésiliens sauront-ils motiver les efforts de la population, le
pays demeure-t-il vulnérable aux fluctuations de la conjoncture internatio-
nale, l’économie échappera-t-elle aux cycles erratiques qui donnent à sa
croissance des allures de « vol de poule » ? Pour apprécier le changement,
il est indispensable de tenir compte de l’héritage, de considérer l’autre face
de Janus dont le regard se dirige vers le passé, vers l’intérieur. En mettant
l’accent sur la conjoncture internationale et les politiques économiques récen-
tes, je m’interroge sur la performance et les caractéristiques de l’économie
brésilienne. En effet un des attributs de « l’émergence » est justement la
4. O’NEILL J., « Building Better Global Economic BRICs », Global Economics Paper, New York,
Goldman Sachs, 30 November 2001.
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capacité de résistance dont, devant les turbulences des marchés, les écono-
mies font preuve. La crise de l’automne 2008 a stoppé l’économie brésilienne
dans sa croissance. Ce n’est qu’une « vaguelette », affirmait le président Lula
dans un élan coutumier d’optimisme partisan. De fait, la reprise est engagée
et les projections de croissance sont bonnes. J’examinerais les institutions
de l’émergence, parce qu’elles ont contribué à éviter un ralentissement trop
marqué et qu’elles participent de la relance, qui expliquent la robustesse de
l’économie brésilienne.
Cette force est toute récente et contraste avec les décennies perdues
(1980-2000). L’économie brésilienne a traversé d’importantes turbulences,
des déséquilibres fiscaux en apparence incompressibles, une inflation record,
une dette nationale considérable et fragilisée par des crises financières à
répétition (Mexique, Asie, Russie, Argentine). Depuis quelques années le
contrôle sur les marchés financiers a été rétabli. L’inflation a été résorbée,
le déficit a été contenu et la dette régresse. Les autorités monétaires assurent
le financement de la dette en maintenant les taux d’intérêt élevés, ce qui a
pour effet de diminuer les pressions inflationnistes et entraîne l’accumula-
tion d’importantes réserves (de l’ordre d’US $ 240 milliards en mars 2010).
Pour arriver à cette stabilité, il aura aussi fallu de nombreux efforts. Réussir
le passage d’un modèle de développement dominé par l’État, la planifica-
tion, les entreprises publiques et le nationalisme économique à un système
d’économie de marché, au commerce libéralisé – en partie – et qui soutient
l’initiative privée, aura été un tour de force. La transition s’est faite dans des
conditions difficiles, dans un contexte d’hyper-inflation récurrent, marqué
par d’importants déficits des administrations et une pénurie d’investisse-
ments. Obtenue après 20 ans d’efforts, la stabilisation de l’économie qui ne
date que du début des années 2000 demeure fragile.
L’appréciation du Brésil comme grand pays de l’avenir tient à la dimen-
sion de son territoire, à l’abondance de ses ressources et à l’importance de
sa population (plus de 190 millions d’habitants). L’avenir économique du
pays passe par la mise en valeur du territoire, l’exploitation des ressources
et l’expansion du marché domestique. La très grande inégalité de la distri-
bution des revenus est une cause importante du retard et une manifestation
persistante du sous-développement du pays. L’émergence du Brésil au titre
de grande puissance exige une redistribution profonde des pouvoirs écono-
miques et politiques internes.
Les analystes ne cessent de répéter qu’une crise doit être l’occasion de
revoir la composition de son portefeuille et de définir une nouvelle stratégie
de croissance. De même en ce qui concerne les orientations de la politique
économique, des correctifs pourraient être apportés de manière à remédier
aux vulnérabilités nombreuses de l’économie du Brésil. Il faut aussi considé-
rer les facteurs politiques qui participent aux changements. La stabilisation,
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puis le « décollage », du Brésil sont associés à la fin du régime militaire et
au développement des institutions démocratiques. La santé de la démocratie
brésilienne semble influer sur sa performance économique parce qu’elle
encourage la poursuite des politiques de redistribution, valorise la stabilité
et agit comme contrepoids aux préférences exprimées par la minorité de pri-
vilégiés.
La démocratie brésilienne est bien vivante comme en a témoigné en
2002 la première élection d’un président, issu de la classe populaire et fon-
dateur d’un grand parti de gauche, le Parti des Travailleurs (PT). Le prési-
dent Lula (Luiz Inacio Lula da Silva) a dominé la politique nationale des
dernières années. Il était extrêmement populaire (au-delà de 70 % d’appro-
bation). Il y a un Brésil de Lula. Celui-ci est marqué par l’orthodoxie dans
la gestion macroéconomique, par des mesures progressives de soutien aux
plus pauvres et par un effort d’apaisement (d’atermoiement affirment les
forces de gauches plus radicales) des revendications sociales. Des problè-
mes importants (santé, éducation, pauvreté, énergie, environnement, sécu-
rité et autres) constituent encore un lourd passif auxquelles les prochains
gouvernements devront se consacrer alors que « l’effet Lula » s’estompera.
L’émergence internationale du Brésil, au moins dans sa forme actuelle,
demeure précaire. L’activisme de son Président et de ses diplomates d’élite,
a certainement fait gagner au pays, comme nous le verrons, et sa vision du
monde lui a donné une plus grande notoriété sur la scène internationale. Si
sa visibilité est accrue, le Brésil n’a pas su imposer son leadership sur la
scène internationale, pas même sur l’Amérique latine, région où il devrait
naturellement au premier titre imposer son autorité5. Le bilan économique
est aussi mitigé.
Au terme de cette réflexion, je reviens sur le concept de pays émergent
et l’appartenance du Brésil à ce groupe restreint de pays qui affirment leur
souveraineté, tout en sachant tirer profit de la mondialisation. Au bilan, le
Brésil a profondément changé au cours des dernières années, généralement
pour le mieux. La pratique de la démocratie a beaucoup renforcé les institu-
tions. Stabilité et confiance se renforcent et soutiennent la croissance. Comme
jamais, les politiques des gouvernements tiennent compte des demandes et
répondent aux besoins de la population. Soulager la misère stimule la pro-
duction de biens essentiels (alimentation, logement), crée de l’emploi et,
plus fondamentalement, sauve des vies. La consommation a considérable-
ment augmenté avec l’extension de la « classe moyenne », et le chômage
5. BURGES S.W., « Without Sticks or Carrots : Brazilian Leadership in South America During the
Cardoso Era, 1992-2003», Bulletin of Latin American Research, vol. 25, n°1, 2006, p. 23-42 ; MALA-
MUD A., « Leadership Without Followers : the Contested Case for Brazilian Power Status », in
REZENDE MARTINS E. C. de Rezende, GOMES SARAIVA M., (eds.), Brasil, União Européia, Amé-
rica do Sul : Anos 2010-20120, Brasília, Fundação Konrad Adenauer, 2009, p. 126-148.
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