TEL JANUS : LES DEUX FACES DU BRÉSIL ÉMERGENT

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TEL JANUS : LES DEUX FACES DU BRÉSIL ÉMERGENT
Philippe Faucher
De Boeck Université | Revue internationale de politique comparée
2011/3 - Vol. 18
pages 123 à 150
ISSN 1370-0731
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Faucher Philippe, « Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent »,
Revue internationale de politique comparée, 2011/3 Vol. 18, p. 123-150. DOI : 10.3917/ripc.183.0123
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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 18, n° 3, 2011
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TEL JANUS : LES DEUX FACES DU BRÉSIL ÉMERGENT
Philippe FAUCHER
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Le tiers-monde, expression qui date des années 1950 et attribuée à Alfred
Sauvy, n’existe plus. La grande division entre le centre et la périphérie des
théories des années 1970 se transforme sous nos yeux. La richesse se déplace.
La montée en puissance de la Chine représente un formidable transfert de la
richesse de l’ouest vers l’est. Si la pauvreté recule, la richesse de la minorité
augmente davantage si bien que l’écart se creuse. Il y a donc les pays riches,
les pays pauvres et, entre les deux, des pays en émergence. C’est de l’un de
ceux-là, le Brésil, et de sa montée en puissance dont il est question dans ce
texte. L’émergence du Brésil se fonde sur un double constat, tout d’abord la
croissance économique des dernières années et en deuxième lieu une présence remarquée sur tous les fronts de la gouvernance internationale.
La crise financière de l’automne 2008 qui a provoqué un ralentissement
brusque de l’économie mondiale pendant l’année 2009 a révélé un phénomène nouveau. Même si la production a chuté et que le commerce international a diminué pour tout le monde, plusieurs pays hors OCDE ont maintenu un
taux de croissance élevé. C’est le cas de la Chine (8,7 %) et de l’Inde
(5,6 %) 1. L’importance de ces économies dans le marché international contribue de manière essentielle à la relance engagée en 2010 2. Les prévisions
de croissance pour d’autres grands pays sont prometteuses, c’est le cas de la
Russie (4 %), du Brésil (5,5 %), alors que la zone euro se traîne à 1 % et les
États-Unis s’en tirent avec 3 % 3. Les Brésiliens exultent, la croissance au
premier semestre 2010 a atteint un taux « chinois » de 9 %. Ce constat vient
soutenir l’analyse de l’économiste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, qui prévoyait en 2001 que la valeur des activités économiques des 4 grands pays
1. Fonds monétaire international, World Economic Outlook, Database : http://www.imf.org/external/
pubs/ft/weo/2010/01/weodata/index.aspx
2. Ce texte est rédigé en juin 2010.
3. The Economist, 8 mai 2010.
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Introduction
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Philippe FAUCHER
émergents, que sont la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie, serait à l’horizon
de 2050 supérieure à celle des grands pays de l’OCDE 4.
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Il peut donc être utile de considérer le profil auquel un pays doit correspondre pour se qualifier, dans l’œil des observateurs, comme un grand pays
émergent. Il y a au moins trois manières de poser la question, celles-ci font
l’objet de la première partie de ce texte. Tout d’abord, en me référant à
l’étude initiale de Goldman and Sachs, je m’interroge rapidement, sans
engager très loin l’analyse comparée, sur la signification pour le Brésil du
regroupement de pays réunis sous l’acronyme de BRIC.
Peu importe la pertinence théorique de l’acronyme, du moment que les
autorités brésiliennes se sont approprié et ont décidé de donner vie au regroupement, jusqu’alors virtuel, du BRIC, comme en témoignent les quelques
sommets et réunions regroupant des dirigeants des pays respectifs, au cours
des dernières années. Il sera donc question ici de la manière dont le BRIC,
transformé par la mythologie du jeu diplomatique en « porte du ciel », est
devenu un véhicule de l’affirmation internationale du Brésil.
Toute considération sur le développement – dont ce que l’on appelle
aujourd’hui émergence est un avatar – porte en elle une interrogation sur
la durée, la persévérance et de la continuité. La Chine n’est considérée en
« émergence » que depuis quelques années, alors que sa croissance accélérée est continue depuis plus de 20 ans. C’est pourquoi il faut s’interroger.
Les dirigeants brésiliens sauront-ils motiver les efforts de la population, le
pays demeure-t-il vulnérable aux fluctuations de la conjoncture internationale, l’économie échappera-t-elle aux cycles erratiques qui donnent à sa
croissance des allures de « vol de poule » ? Pour apprécier le changement,
il est indispensable de tenir compte de l’héritage, de considérer l’autre face
de Janus dont le regard se dirige vers le passé, vers l’intérieur. En mettant
l’accent sur la conjoncture internationale et les politiques économiques récentes, je m’interroge sur la performance et les caractéristiques de l’économie
brésilienne. En effet un des attributs de « l’émergence » est justement la
4. O’NEILL J., « Building Better Global Economic BRICs », Global Economics Paper, New York,
Goldman Sachs, 30 November 2001.
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À côté des géants que sont la Chine, l’Inde et la Russie, le Brésil occupe
la place du membre junior du BRIC. On peut même, au risque de gâcher
l’acronyme, mettre en cause l’appartenance du Brésil à ce groupe sélect de
pays. Le Brésil n’est pas encore une grande puissance. Il ne dispose pas de
l’arme atomique et n’a pas de siège permanent au Conseil de sécurité des
Nations Unies, sa part du commerce international est faible (1 %) et ses
investissements à l’étranger, bien qu’en croissance, sont peu significatifs.
Bref l’influence du Brésil repose davantage sur l’exemple et la négociation
et moins sur la contrainte.
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Cette force est toute récente et contraste avec les décennies perdues
(1980-2000). L’économie brésilienne a traversé d’importantes turbulences,
des déséquilibres fiscaux en apparence incompressibles, une inflation record,
une dette nationale considérable et fragilisée par des crises financières à
répétition (Mexique, Asie, Russie, Argentine). Depuis quelques années le
contrôle sur les marchés financiers a été rétabli. L’inflation a été résorbée,
le déficit a été contenu et la dette régresse. Les autorités monétaires assurent
le financement de la dette en maintenant les taux d’intérêt élevés, ce qui a
pour effet de diminuer les pressions inflationnistes et entraîne l’accumulation d’importantes réserves (de l’ordre d’US $ 240 milliards en mars 2010).
Pour arriver à cette stabilité, il aura aussi fallu de nombreux efforts. Réussir
le passage d’un modèle de développement dominé par l’État, la planification, les entreprises publiques et le nationalisme économique à un système
d’économie de marché, au commerce libéralisé – en partie – et qui soutient
l’initiative privée, aura été un tour de force. La transition s’est faite dans des
conditions difficiles, dans un contexte d’hyper-inflation récurrent, marqué
par d’importants déficits des administrations et une pénurie d’investissements. Obtenue après 20 ans d’efforts, la stabilisation de l’économie qui ne
date que du début des années 2000 demeure fragile.
L’appréciation du Brésil comme grand pays de l’avenir tient à la dimension de son territoire, à l’abondance de ses ressources et à l’importance de
sa population (plus de 190 millions d’habitants). L’avenir économique du
pays passe par la mise en valeur du territoire, l’exploitation des ressources
et l’expansion du marché domestique. La très grande inégalité de la distribution des revenus est une cause importante du retard et une manifestation
persistante du sous-développement du pays. L’émergence du Brésil au titre
de grande puissance exige une redistribution profonde des pouvoirs économiques et politiques internes.
Les analystes ne cessent de répéter qu’une crise doit être l’occasion de
revoir la composition de son portefeuille et de définir une nouvelle stratégie
de croissance. De même en ce qui concerne les orientations de la politique
économique, des correctifs pourraient être apportés de manière à remédier
aux vulnérabilités nombreuses de l’économie du Brésil. Il faut aussi considérer les facteurs politiques qui participent aux changements. La stabilisation,
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capacité de résistance dont, devant les turbulences des marchés, les économies font preuve. La crise de l’automne 2008 a stoppé l’économie brésilienne
dans sa croissance. Ce n’est qu’une « vaguelette », affirmait le président Lula
dans un élan coutumier d’optimisme partisan. De fait, la reprise est engagée
et les projections de croissance sont bonnes. J’examinerais les institutions
de l’émergence, parce qu’elles ont contribué à éviter un ralentissement trop
marqué et qu’elles participent de la relance, qui expliquent la robustesse de
l’économie brésilienne.
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La démocratie brésilienne est bien vivante comme en a témoigné en
2002 la première élection d’un président, issu de la classe populaire et fondateur d’un grand parti de gauche, le Parti des Travailleurs (PT). Le président Lula (Luiz Inacio Lula da Silva) a dominé la politique nationale des
dernières années. Il était extrêmement populaire (au-delà de 70 % d’approbation). Il y a un Brésil de Lula. Celui-ci est marqué par l’orthodoxie dans
la gestion macroéconomique, par des mesures progressives de soutien aux
plus pauvres et par un effort d’apaisement (d’atermoiement affirment les
forces de gauches plus radicales) des revendications sociales. Des problèmes importants (santé, éducation, pauvreté, énergie, environnement, sécurité et autres) constituent encore un lourd passif auxquelles les prochains
gouvernements devront se consacrer alors que « l’effet Lula » s’estompera.
L’émergence internationale du Brésil, au moins dans sa forme actuelle,
demeure précaire. L’activisme de son Président et de ses diplomates d’élite,
a certainement fait gagner au pays, comme nous le verrons, et sa vision du
monde lui a donné une plus grande notoriété sur la scène internationale. Si
sa visibilité est accrue, le Brésil n’a pas su imposer son leadership sur la
scène internationale, pas même sur l’Amérique latine, région où il devrait
naturellement au premier titre imposer son autorité5. Le bilan économique
est aussi mitigé.
Au terme de cette réflexion, je reviens sur le concept de pays émergent
et l’appartenance du Brésil à ce groupe restreint de pays qui affirment leur
souveraineté, tout en sachant tirer profit de la mondialisation. Au bilan, le
Brésil a profondément changé au cours des dernières années, généralement
pour le mieux. La pratique de la démocratie a beaucoup renforcé les institutions. Stabilité et confiance se renforcent et soutiennent la croissance. Comme
jamais, les politiques des gouvernements tiennent compte des demandes et
répondent aux besoins de la population. Soulager la misère stimule la production de biens essentiels (alimentation, logement), crée de l’emploi et,
plus fondamentalement, sauve des vies. La consommation a considérablement augmenté avec l’extension de la « classe moyenne », et le chômage
5. BURGES S.W., « Without Sticks or Carrots : Brazilian Leadership in South America During the
Cardoso Era, 1992-2003», Bulletin of Latin American Research, vol. 25, n°1, 2006, p. 23-42 ; MALAMUD A., « Leadership Without Followers : the Contested Case for Brazilian Power Status », in
REZENDE MARTINS E. C. de Rezende, GOMES SARAIVA M., (eds.), Brasil, União Européia, América do Sul : Anos 2010-20120, Brasília, Fundação Konrad Adenauer, 2009, p. 126-148.
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puis le « décollage », du Brésil sont associés à la fin du régime militaire et
au développement des institutions démocratiques. La santé de la démocratie
brésilienne semble influer sur sa performance économique parce qu’elle
encourage la poursuite des politiques de redistribution, valorise la stabilité
et agit comme contrepoids aux préférences exprimées par la minorité de privilégiés.
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Le processus de développement est tout juste amorcé. Les besoins d’investissements dans tous les secteurs sont considérables. Avec un produit per
capita autour d’US$ 9 000, la majorité de la population brésilienne est pauvre et les services essentiels (santé, éducation) devront être mis à niveau.
Les infrastructures (transport, énergie, communication) constituent, par leurs
détériorations avancées et leurs déficiences multiples, un frein à la croissance.
Les élections présidentielles de l’automne 2010 ont été l’occasion de remises en question importantes susceptibles de relancer le programme de réformes essentielles à la poursuite d’un développement équitable.
Janus I : l’ouverture au monde
Le BRIC est une construction intellectuelle issue d’un regard de l’extérieur.
L’émergence du Brésil sur la scène internationale est d’abord le résultat
d’un jugement concernant les promesses de son économie. La conjoncture
des dernières années jusqu’à la crise de 2008-2009 a été particulièrement
favorable. Le contraste par rapport aux décennies perdues (1980-1990) est
frappant. Mais la récupération a été longue. La croissance moyenne annuelle
de 1999 à 2003 a été inférieure à 2 %, elle a doublé entre 2004 et 2009, pour
reprendre vigoureusement en 2010. Depuis près de 10 ans, l’inflation est
faible, la valeur de la dette en proportion du produit intérieur diminue et les
réserves ont atteint un record en 2009. La confiance des marchés est sensible, alors que les revenus poussent la consommation et que la demande
extérieure soutenue permet de dégager un surplus commercial récurrent.
L’émergence se manifeste aussi dans la redéfinition et l’affirmation de
sa politique étrangère. Contrairement à leurs prédécesseurs, les Présidents
Cardoso et Lula ont été très actifs, notamment par de nombreux voyages à
l’étranger pour forger de nouvelles alliances. Depuis une quinzaine d’années,
la diplomatie brésilienne s’est redéployée, participant activement aux négociations au sein des organisations internationales et en diversifiant ses relations bilatérales et multilatérales.
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diminue. L’évolution des marchés internationaux et, en particulier, la
demande de la Chine en produits primaires et en matières premières a favorisé les exportations tout en approvisionnant le marché domestique de biens
de consommation à bas prix (parfois au détriment des producteurs locaux).
Le relatif isolement des banques des circuits financiers internationaux et
une régulation ferme ont contribué à limiter la contagion de la crise spéculative qui a causé l’effondrement des marchés occidentaux.
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Le BRIC est rentable
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De 1964 à 1985, le pays a été gouverné par les militaires, à la suite d’un
coup d’État motivé par une agitation sociale récurrente et, au dire des militaires, par la peur d’une insurrection. Pendant cette époque, le pays a vécu en retrait du monde. Allié régional des États-Unis (le coup d’État de 1964 a mis un
terme à un mouvement paysan naissant, aux quelques sympathies communistes pro-soviétiques, aux velléités socialistes de minorités militantes et accessoirement aux liens avec Cuba), le Brésil a toujours maintenu ses distances et
a résisté à tout alignement sur les positions américaines. Il faut rappeler que la
guerre froide limitait sérieusement les options d’alliance. La Chine et l’Inde
étaient essentiellement à l’époque repliés sur eux-mêmes (l’alliance de l’URSS
post-stalinienne et de la Chine de Mao ayant fait long feu en 1956). L’attention
des dirigeants était consacrée à résoudre souvent par une force abusive des tensions domestiques issues d’inégalités sociales des plus marquées.
La gestion économique des gouvernements militaires, dirigiste et volontariste, a soutenu le développement du secteur public et des entreprises nationales. La participation des entreprises étrangères était fortement encadrée tant
pour ce qui concerne le choix des secteurs d’activités, la distribution régionale
des investissements et l’organisation des activités productives (maind’œuvre, équipements, marchés) 6. L’industrie était fortement protégée par
d’importantes barrières tarifaires et d’insurmontables barrières réglementaires. Le protectionnisme, hérité de la période de substitution des importations,
régissait les échanges 7. Malgré des taux de croissance accélérés à la fin des
années 1960 (la période de 1964 à 1980 a été qualifiée de « miracle brésilien »
avec un taux de croissance annuel moyen proche de 8 %), l’environnement
réglementaire était peu favorable aux investissements privés et étrangers.
Le Brésil vivait à cette époque, tant au plan politique qu’économique, en
marge du reste du monde. Il y a bien eu quelques exceptions, particulièrement
venant des entreprises publiques. Suite aux chocs pétroliers des années 1970,
6. Peugeot souhaita un temps s’implanter pour produire des véhicules automobiles. Le gouvernement
brésilien jugea que le secteur était déjà bien approvisionné et proposa à Peugeot de s’implanter pour
fabriquer des bicyclettes. L’investissement de FIAT a fait l’objet d’une longue saga. L’entreprise qui
souhaitait s’implanter dans le Sud du pays (proche du marché Argentin) a été invitée à produire ses voitures dans l’état du Minas Gerais, proposition, accompagnée des stimulants fiscaux appropriés, qu’elle
accepta à terme. Il fallut de nombreuses années et des négociations serrées pour que la française Renault
soit autorisée à s’implanter (1997) dans le sud à Curitiba.
7. Ainsi les importations étaient soumises à la règle du « similaire national », interdisant l’importation si
un produit jugé équivalent était produit, ou susceptible d’être produit, localement (Décret Loi n°37 de 1966).
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La perception du Brésil a évolué et le monde a (re)découvert le géant, longtemps endormi, alors que celui-ci s’ouvrait. Les manifestations de cet intérêt sont à la fois de nature économique et politique. Elles sont le résultat,
dans les deux instances, d’un long processus interne de maturation.
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L’ouverture commerciale a été déclenchée de manière assez inattendue
en pleine crise économique par le président Collor (1990-1992). C’est en
1991 qu’est signé le Traité d’Asuncion, qui crée le Mercosul (Mercosur pour
les hispanophones), qui réunit l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Il ne s’agit à l’époque que de soutenir l’intégration économique tout
spécialement de la grande région qui s’étend de São Paulo à Buenos Aires,
jugée naturelle par les grandes entreprises, tout particulièrement par les
fabricants d’automobiles qui déplorent l’étroitesse des marchés morcelés
par les frontières et les réglementations nationales.
Ces décisions d’importance sont probablement les seules réformes qui
peuvent être mises au crédit du gouvernement Collor, qui s’est avéré par
ailleurs catastrophique à maints égards 8. Le pays se débattait alors dans une
sévère récession marquée par une inflation extrême jumelée à des déficits
record des comptes publics. La politique de stabilisation, tâche considérable, à laquelle ses trois prédécesseurs ont échoué, a occupé l’essentiel du
premier mandat du Président Cardoso (1995-1998).
Aussi longtemps que la stabilité économique n’est pas revenue, le pays est
demeuré coupé des marchés, à l’exception des marchés financiers qui contribuent au financement de la dette. Les grandes banques internationales ont
souscrit abondamment, compte tenu des taux d’intérêt élevés imposés aux
émissions répétées de bons du Trésor, qui étaient indispensables pour résorber
les déficits des administrations fédérales et étatiques 9. Mettre un terme à
l’inflation et résorber les déficits s’est avéré fort coûteux. La dette brésilienne
a doublé de 1991 à 2000, malgré des revenus, évalués à US $ 100 milliards,
générés par les privatisations des entreprises publiques qui ont eu lieu à la
8. Alors que la politique de libéralisation était en cours, le gouvernement, incapable de faire face à ses
engagements et devant les exigences des banques étrangères créditrices, a choisi de suspendre pour un
temps le remboursement d’une partie de la dette externe. Au plan politique le mandat du Président Collor s’est terminé dans une crise majeure. Il a été contraint de démissionner en catastrophe en octobre
1992 pour échapper à une procédure imminente d’empêchement pour « abus de biens publics ».
9. Le différentiel entre le LIBOR et le taux appliqué à la dette d’un pays est appelé risque-pays (sovereign spread). Nous y revenons plus loin au cours de ce texte.
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l’entreprise publique Petrobras a déployé une importante activité sur les
marchés internationaux pour assurer l’approvisionnement en pétrole du
pays et le gouvernement a participé à cet effort. C’est ainsi que le Brésil a
échangé des armes contre du pétrole à l’Irak (comme le faisaient d’ailleurs les
États-Unis). C’est aussi à cette époque que l’armée de l’air a soutenu par
ses commandes, l’expansion de l’avionnerie Embraer. Celle-ci a augmenté sa maîtrise des technologies, conclu des accords avec des fournisseurs
de moteurs et d’équipements aéronautiques à travers le monde. S’appuyant
sur un marché local protégé, de nombreuses entreprises nationales parvenues
à maturité sont en mesure de prendre de l’expansion sur les marchés à l’étranger (l’entreprise minière Vale est la manifestation la plus connue).
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Quand Jim O’Neill, économiste en chef de Goldman Sachs, écrit en 2003
que le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine seront les économies dominantes à
l’horizon 2050, il porte un jugement sur le potentiel de croissance de ces grandes économies. Son analyse est celle d’un conseilleur financier qui s’adresse
à des investisseurs. En clair, le message est le suivant : une bonne stratégie
d’investissement, un portefeuille diversifié doivent privilégier les entreprises
qui sont actives dans ces marchés. Le Brésil a longtemps été considéré
comme un marché à risque pratiquement au même titre que l’Argentine qui a
interrompu le remboursement de sa dette en 2001. La recommandation du
banquier est très importante pour le Brésil dont l’expansion sur les marchés
internationaux s’affirme. Avant tout il s’agit d’une analyse de risque destinée
aux opérateurs actifs sur les marchés des changes et des titres de la dette.
Le choix d’inclure Brésil dans le groupe restreint des grands pays émergents (le « B » de BRIC), et non le Mexique ou la Corée du Sud, est porté
depuis Londres. Il reflète la perception des investisseurs dans une stratégie
de long terme. La stabilité étant retrouvée, les atouts du Brésil sont les
suivants : la croissance au cours des prochaines années sera plus forte que
celle des pays du G7. Les rendements prévus sont élevés et compensent
pour le risque. Le potentiel de rendement des investissements spéculatifs est
élevé, compte tenu de la performance des indices boursiers. Malgré le montant élevé de sa dette publique et le différentiel d’intérêts exigés par les marchés internationaux, la baisse des taux mondiaux, les ajustements apportés
à la structure (échéances) et les flux d’investissements étrangers permettent
au pays d’assurer ses obligations. Le Brésil n’a-t-il pas en 2005 liquidé sa
dette envers le FMI, se libérant du même coup de la tutelle souvent encombrante du Fonds ? Le risque de change, compte tenu de l’inflation et du surplus commercial est modéré, bien que la monnaie se soit appréciée. Le
compte courant offre de bonnes garanties si l’on considère la composition
et la distribution du commerce international. Pour les industries, l’intérêt du
BRIC vient de la forte augmentation du pouvoir d’achat de sa classe
moyenne, mais surtout de son offre diversifiée de produits à l’exportation,
particulièrement les matières premières et les produits agricoles dont les
prix sont en forte hausse.
10. Le meilleur exemple de cette expansion est certainement la compagnie Vale (CVRD), aujourd'hui
la seconde entreprise minière dans le monde.
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même époque. Très vite les investisseurs étrangers, une fois la stabilisation
acquise et à la faveur de la vague de privatisations, particulièrement dans le
secteur des communications, se sont manifestés, alors que les entreprises brésiliennes consolidées, se déployaient comme jamais sur le marché mondial 10.
Cependant la croissance est demeurée faible – autour de 2 % entre 1995 et
2003 – pour s’accélérer par la suite (autour de 5 %) et s’arrêter brutalement
en 2009 (- 0,20 %) suite à la crise financière (voir tableau 1).
2009
277,6
262,9
240,5
199,4
188,0
220,2
235,4
227,7
226,1
236.2
204,5
135,4
Dette
ext. (Md$)**
42,8
38,4
45,1
47,0
48,2
50,6
54,9
60,6
52,2
45,5
34,8
36,0
Dette publique netteb
(% PIB)**
2,1
3,5
3,4
3,2
3,9
3,8
3,3
3,2
3,4
3,2
0,4
3,0c
Surplus primaire
secteur publicb
(% PIB)**
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b
Estimation du World CIA Factbook
Chiffres pour décembre, excluant 1990 ( = janvier 1991).
c
Moyenne pour 1991-1994.
d
Moyenne pour 1997-1999.
e
Investissement direct étranger
Sources : * Indicateurs du développement dans le monde (WDI),
** Ipeadata et
*** Banque centrale du Brésil
a
5,7
n.d.
5,1
-0,2a
2008
4,2
3,6
4,0
5,7
2007
6,9
6,6
14,7
8,4
6,8
7,0
19,3
1667,2
Inflation
(%)*
2006
3,2
2005
2,7
2002
1,1
1,3
2001
5,7
4,3
2000
2004
2,0
19951999
2003
1,3
19901994
Croissance
du PIB (%)*
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n.d.
39,1
38,5
42,1
44,9
43,4
47,0
47,3
44,6
47,7
70,2d
n.d.
Taux d’intérêt
réel
(%)*
Tableau 1 : Brésil : indicateurs macroéconomiques, 1990-2009
25,9
45,1
34,6
18,8
15,1
18,1
10,1
16,6
22,5
32,8
18,3
1,5
IDEe
(Md$)
238,5
193,8
180,3
85,8
53,8
52,9
49,3
37,8
35,9
33,0
49,0
22,8
Réserves
internat.
(Md$)***
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
131
Philippe FAUCHER
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La politique économique des dernières années a certainement contribué
à réconforter les investisseurs. Durant la campagne électorale de 2002,
compte tenu de l’incertitude que sa candidature provoquait concernant la
conduite de la politique économique de son futur gouvernement, le candidat
Lula a été contraint de rendre publique une lettre (Carta ao Povo Brasileiro,
du 22 juin 2002) dans laquelle il s’engage à poursuivre la politique économique de son prédécesseur et à respecter les engagements pris auprès des
agences internationales, et plus particulièrement à maintenir le surplus budgétaire, compte non tenu du service de la dette, à 3,5 %. Cette promesse a
été respectée au cours des deux mandats, bien que ce choix ait été très
sévèrement critiqué au sein du Parti des Travailleurs (PT), ainsi que par plusieurs analystes. L’engagement annoncé avait un effet de blocage (lock in)
qui augmentait sérieusement le coût d’une marche arrière. Le respect de cet
engagement représentait sans doute le prix à payer pour retrouver la pleine
confiance des marchés et assurer la stabilité économique indispensable à
l’application des réformes sociales jugées prioritaires.
L’engagement du Président a rassuré les détenteurs de capitaux. Malgré
la concurrence des autres marchés émergents en forte croissance, l’économie brésilienne est devenue une destination majeure pour les investissements directs atteignant un montant net record de 45 milliards de dollars US
en 2008. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer la cote du Brésil
décerné par les grandes agences. Ainsi Standard and Poor’s a-t-elle en 2008
relevé la cote du Brésil à BB+, ce qui signifie que les dettes du pays bénéficient d’un label « catégorie d’investissement ». Tout un revirement pour
le Brésil qui était considéré insolvable il y a de cela moins de 15 ans.
L’autonomie passe par le BRIC
La politique étrangère du Brésil est historiquement marquée par la recherche d’autonomie. Avoir une voix qui compte sur la scène internationale
signifie, dans ce cas, se libérer de l’influence des États-Unis, tout en honorant ses engagements envers les systèmes d’alliances occidentaux. La nouvelle impulsion de la politique étrangère brésilienne date du gouvernement
du président Itamar Franco alors que son ministre des relations étrangères
était Fernando-Henrique Cardoso, qui fut élu président en 1995, suivi par
Celso Amorim, l’actuel ministre en poste depuis la première élection du
président Lula en 2003. De l’avis des observateurs, l’orientation de cette
activité internationale renouvelée est marquée par la recherche d’autonomie.
La recherche d’autonomie a évolué dans le temps. Ce fut d’abord l’autonomie par la distance maintenue face au processus de libéralisation de l’ordre
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132
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
133
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L’examen de la politique étrangère du gouvernement Lula montre que
celui-ci a incorporé le BRIC dans sa stratégie, auquel les dirigeants brésiliens
ont coutume d’ajouter l’Afrique du Sud , la grande puissance de l’Afrique 12.
Les Américains sont devenus défiants devant la multiplication des comportements ambivalents qu’ils considèrent trompeurs.
Le Brésil s’est illustré tout particulièrement en ce qui concerne les questions de commerce international. Il s’est illustré au cours des négociations
portant sur l’éventuelle création d’une Zone de libre-échange des Amériques et, tout récemment, lors des négociations de la nouvelle ronde de libéralisation commerciale réalisées sous la responsabilité de l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC). Incidemment, il est à noter que les consultations menées par les délégations brésiliennes, l’activisme selon certains,
ont largement contribué à faire échec aux négociations. Ce qui amène à penser que : « Brazil’s powerful Foreign Ministry, Itamaraty, seems to give
little thought to discovering cooperative solutions to common international
problems » 13. Les autorités brésiliennes se défendent, en dénonçant le manque de représentativité du système international.
Il n’empêche que des victoires ont été remportées. L’instance de règlement des différends, qui siège à l’OMC, a donné raison aux revendications
présentées par le Brésil à plus d’une occasion. Tout récemment (mai 2010),
l’OMC a donné raison au Brésil pour condamner les subventions accordées
par le gouvernement américain aux producteurs de coton 14.
11. VIGEVANI T., CEPALUNI G., Brazilian Foreign Policy in Changing Times : The Quest for Autonomy From Sarney to Lula, Lanham, Lexington Books, 2009.
12. Concurremment à « l’invention » du BRIC, les Brésiliens s’efforçaient de développer des relations
multilatérales avec l’Inde et l’Afrique du Sud. Ce regroupement connu sous l’acronyme IBSA se réunit
régulièrement depuis 2004. Consulter : http://www.ibsa-trilateral.org/
13. FEINBERG R., « Review ; Brazilian Foreign Policy in Changing Times : The Quest for Autonomy
From Sarney to Lula », Foreign Affairs, mai/juin 2010, p. 145.
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international, puis l’autonomie par la participation dans les forums internationaux et par la diversification des relations bilatérales et multilatérales 11.
La distance prenait plutôt la forme d’un retrait à l’époque de la guerre
froide. La participation est maintenant activement recherchée, particulièrement dans les organisations internationales, comme l’OMC, qui autorisent
un mode de concertation sur les questions portant sur la libéralisation des
échanges et qui fournissent donc une relative surreprésentation des pays
émergents. La diversification fait référence aux initiatives diplomatiques
déployées au cours des quinze dernières années et dont la manifestation la
plus tangible prend la forme des sommets des dirigeants des pays du BRIC
ainsi que la montée en importance du G20, tout particulièrement suite à la
crise économique de 2008-209.
134
Philippe FAUCHER
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Plus récemment le Brésil conçoit qu’il a un rôle à jouer sur les questions
de sécurité. Le pays prend très au sérieux son rôle de membre temporaire du
Conseil de Sécurité des Nations Unies et cela d’autant plus que sa nomination à titre de membre permanent fait l’objet d’une campagne ancienne
poursuivie avec persévérance. Ainsi le pays s’est engagé depuis 2004 dans
la Mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti (MINUSTAH), en
s’imposant aux autres pays participants, dont les États-Unis, le Canada et
quinze autres pays en majorité d’Amérique latine, pour assurer le commandement d’une force qui comprenait 7 000 militaires (dont 1300 Brésiliens)
à la veille du tremblement de terre de janvier 2010. L’arrivée sur le terrain
de 15 000 militaires américains au lendemain du séisme a fait craindre un
temps que la MINUSTAH soit éclipsée au profit de la mission américaine,
mais les principaux pays donateurs que sont les États-Unis et le Canada ont
accepté de coordonner leurs interventions avec le commandement brésilien
de la MINUSTAH qui avait l’avantage du terrain. Le conseil de sécurité a
donc confirmé le rôle du Brésil contre l’engagement de l’ajout d’un autre
contingent de 1 300 militaires et d’une contribution financière substantielle
dans un fonds administré par la Banque Mondiale15.
Un autre épisode, de portée plus restreinte illustre la volonté du Brésil de
s’impliquer dans les affaires mondiales de « haute politique ». En mai 2010,
à la veille d’un nouveau vote du Conseil de sécurité sur les sanctions susceptibles d’être appliquées à l’Iran dans le cadre des pressions exercées
pour empêcher la poursuite de la politique nucléaire et les investissements
engagés dans l’enrichissement de l’uranium, le Brésil s’est engagé , en com14. L’OMC a autorisé le Brésil à appliquer des sanctions pour un montant de US$ 829,3 millions.
Celui-ci a choisi de ne pas appliquer la sanction. En échange, bien que les États-Unis n’aient pas décidé
de mettre fin aux subventions aux producteurs de coton, en compensation, ils ont créé un fonds de
$147 millions pour venir en aide aux producteurs brésiliens de coton et accepté de réduire progressivement les aides qui ont été condamnées par le jugement de l’OMC.
15. KOURLIANDSKY J.-J., « Lula et la politique étrangère brésilienne de 2003 à 2010 », dans DELCOURT L. (éd.), Le Brésil de Lula : un bilan contrasté, Alternatives Sud, 2010, p. 78.
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Il est probable que ce qui peut être perçu comme l’hyperactivité du Brésil sur la scène internationale, soit le résultat d’un effet de conjoncture joint
à l’opportunisme des dirigeants. Il faut considérer l’ouverture du système
des relations internationales depuis la fin de la guerre froide et le fait que les
problèmes domestiques, et tout particulièrement les questions économiques, ont retardé de près de dix ans (1985-1995) l’entrée du Brésil dans
l’arène. Il y avait donc un rattrapage à faire. Il faut aussi considérer la personnalité des deux présidents qui se sont succédés. Cardoso comme Lula,
son successeur, ont voulu imprimer une nouvelle direction à la politique
extérieure du pays. Lula en particulier a multiplié les visites en Afrique, a
invité les dirigeants des pays arabes pour un sommet à Brasilia, et a multiplié les rencontres avec les pays de la région.
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
135
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Cet épisode illustre deux dimensions. La première concerne la grande
difficulté qu’il y a pour un pays, autre que les cinq membres permanents du
Conseil de sécurité, ou alors à leur demande, d’intervenir dans des dossiers
de sécurité internationale. La « haute politique » demeure la chasse gardée
des grandes puissances. L’autre dimension concerne la volonté et l’énergie
déployées par la diplomatie brésilienne de bousculer l’ordre international au
nom d’une vision distincte des relations internationales. Il est patent que
l’application de sanctions envers un pays qui déroge selon les vues de la
communauté internationale aux comportements établis n’a pas donné de
résultat probant. Malgré cette évidence, sur des questions nucléaires, le
jugement est sans appel : il n’appartenait pas au Brésil de s’affirmer 17.
La recherche de partenaires
Les observations portant sur l’opportunisme diplomatique du Brésil, qui se
manifeste par la promotion de sommets multilatéraux des pays du BRIC,
valent également pour les autres partenaires. Nous l’avons mentionné, le
Brésil a besoin du BRIC. Ce besoin est manifestement partagé par les autres
pays réunis dans ce groupe. Les raisons en sont diverses et diffèrent selon
les dossiers considérés (sécurité, commerce, environnement).
Le Brésil se cherche une nouvelle identité de leader de niveau international. La mutation n’est pas complète, loin s’en faut. Le pays possède, comme
le signale Andrew Hurrell, un capital diplomatique indéniable et une habilité certaine à traduire en propositions d’intérêt général au sein des institutions
internationales des positions qui le favorisent (comme réclamer une représentation plus équitable et une plus grande justice distributive) 18. L’activisme
16. The Economist, 19 juin 2010, p. 40.
17. Financial Times, 21 mai 2010.
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pagnie de la Turquie, à titre de membres du conseil de sécurité, dans le processus de négociations avec le régime de Téhéran. Suite aux rencontres du
président Lula et du président Iranien Ahmadinejad, un accord est intervenu
afin de remplacer l’uranium en cours de traitement par de l’uranium enrichi
susceptible d’utilisation à des fins civiles. L’accord, qui n’offrait pas de
garanties de respect, destiné avant tout, selon le Brésil, à éviter à l’Iran des
sanctions, n’a pas convaincu les autres membres du Conseil de sécurité.
Comme prévu le vote des sanctions a été ratifié à une très large majorité
compte tenu, fait unique depuis 1946, de l’opposition du Brésil et de la
Turquie 16. L’initiative brésilienne a été mal reçue tant dans la presse locale
qu’à l’extérieur, s’attirant des remontrances de la secrétaire d’État américaine.
136
Philippe FAUCHER
des dernières années et la capacité démontrée à regrouper et à former des
coalitions donnent des résultats.
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La participation aux négociations de l’OMC dans le cadre du cycle de
Doha a servi de banc d’essai à la diplomatie brésilienne. La création de
l’OMC (1995) a donné un nouvel élan aux pays émergents, lesquels ne participaient que de manière marginale aux négociations. La plus grande autorité conférée à l’OMC, jointe à la règle du consensus appliquée à la prise de
décision, a incité le Brésil à participer activement aux négociations. L’Inde
et plusieurs pays d’Afrique ont fait un constat semblable ouvrant ainsi la
possibilité de coalitions. Le Brésil a gagné plusieurs batailles, dans le dossier des avions commerciaux contre le Canada, tout récemment au sujet des
subventions à la production de coton contre les Etats-Unis, et a été très actif
pour exiger des modifications en profondeur des politiques agricoles européennes et américaines.
Ce premier engagement multilatéral a donné lieu à la création d’un
regroupement au sein de l’organisation (identifié à l’OMC comme G20 à ne
pas confondre avec l’autre G20 qui se consacre aux questions de régulation
financière), réunissant des pays en développement et dédié aux questions
commerciales. Dans une certaine mesure, le ralentissement, puis l’interruption du cycle de Doha, peuvent être imputés aux revendications provenant
de ce groupe dirigé par l’Inde et le Brésil, bien que ce dernier ait tenté une
ultime conciliation. La reconnaissance d’un G20 au sein de l’OMC comme
partenaire des négociations sur le commerce des produits agricoles a contribué à rompre le cadre bilatéral – États-Unis/Europe – qui prévalait et a
contribué à démocratiser quelque peu le processus de prise de décision.
Le Brésil a également été un acteur important au cours des négociations
concernant la création d’une zone de libre-échange des Amériques (ZLEA).
L’échec des négociations est imputable aux différends opposant le Mercosur, notamment le Brésil, aux États-Unis sur les échanges de produits agricoles (jus d’orange, poulet, éthanol, coton) 19. On a également imputé au
Brésil la volonté de faire échec à cette négociation comme l’expression
18. HURRELL A., « Brazil : What Kind of Rising State and What Kind of Institutional Order ? » in
ALEXANDROFF A.S. et COOPER A., (eds), Rising States, Rising Institutions : Challenges for Global
Governance, New York, Brookings Institutions, 2010.
19. DE PAIVA ABREU M., « The FTAA and the Political Economy of Protection in Brazil and the
US », Washington, Inter-American Development Bank, INTAL-ITD, Working Paper – SITI – 12,
mars2006.
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Le Brésil profite aujourd’hui de l’ouverture du système international en
proposant de construire un nouvel ordre basé sur les solidarités régionales
(Asie, Afrique, Amérique latine), alors que les formes de la gouvernance
internationale sont fragmentées et les identités sont diluées, ce qui multiplie
les possibilités de coalitions.
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
137
d’une stratégie visant à consolider son emprise régionale. La suite des faits,
et particulièrement la résistance démontrée par les autres pays de la région
qui se sont engagés dans des négociations bilatérales avec les États-Unis, ne
permet pas d’accorder un crédit trop important à cette thèse.
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Le bilan de l’ensemble de ces initiatives est loin d’être convaincant. De
l’avis des observateurs, l’orientation de cette activité internationale renouvelée est marquée par la recherche d’une plus grande autonomie. Le Brésil
profite du déclin relatif des grandes puissances issues de la Deuxième Guerre
Mondiale, de la fragmentation des enjeux et de la diversité des alliances.
Exercer son autonomie consiste à posséder une capacité propre de prise de
décision. Cette condition n’est qu’en partie satisfaite, car les contraintes
demeurent importantes. Avoir une voix qui compte sur la scène internationale semble vouloir dire, dans plusieurs dossiers, se libérer de l’influence
des États-Unis. Ce qui, il est important de le reconnaître, n’a jamais nui au
respect par le Brésil de ses engagements dans les systèmes occidentaux
d’alliances. Si le Brésil gagne en autonomie, il est loin d’être clair sur le
point de savoir à quelles fins cette activité importante est déployée.
Le Brésil a l’ambition de vouloir changer le fonctionnement et la représentation des institutions de la gouvernance internationale. Il est de tous les
fronts pour exiger une ouverture aux pays émergents dans les instances de
décision – ce qui ne lui vaut pas toujours l’appui des autres « puissances »
régionales que sont l’Argentine et le Mexique. Les exigences de réforme du
gouvernement brésilien limitent les possibilités de coopération. Ainsi le
Brésil s’est beaucoup servi de sa capacité de créer de la dissension dans le
fonctionnement des organisations internationales. La démonstration d’une
capacité équivalente de créer des regroupements menant à des accords n’a
pas encore été faite. Agir au nom des principes implique assumer des responsabilités, lesquelles à terme nécessitent que des comptes soient rendus.
La responsabilité assumée au sein de la MINUSTRAH servira de test.
20. The Economist, 19 juin 2010, p. 40.
21. www2.mre.gov.br/aspa/
22. www.ibsa-trilateral.org/
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Le Brésil a été actif sur une multitude de fronts. Le nombre de diplomates a augmenté très significativement, le pays a inauguré plus de trente nouvelles ambassades, surtout en Afrique où le Brésil a désormais plus de
missions diplomatiques que l’Angleterre 20. Outre les regroupements mentionnés plus haut, le pays a ouvert des discussions entre l’Amérique latine
et le monde arabe à l’occasion d’un sommet à Brasilia en 2005 21. Enfin,
dans l’intention de donner plus de signification à son engagement envers le
développement des relations sud-sud, il a entretenu des liens soutenus en
organisant quatre sommets réunissant l’Inde et l’Afrique du Sud, donnant
naissance à l’IBSA (India, Brazil, South Africa) 22.
138
Philippe FAUCHER
Une dernière considération s’impose. La politique étrangère sera dans
un futur proche soumise aux pressions politiques internes auxquelles elle a,
jusqu’à présent, largement échappées. Avec la consolidation démocratique,
le débat s’étend à toutes les sphères de l’activité publique. Le poids des intérêts domestiques pèsera chaque fois davantage sur la conduite des relations
internationales. Il ne sera plus possible de sacrifier la croissance contre des
objectifs politiques dont les avantages sont loin d’être démontrés. Le Brésil
est, malgré ses réticences, avant tout un membre de l’alliance de l’ouest,
nécessairement lié au pouvoir des États-Unis et sera fatalement amené à
manifester cette appartenance.
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Ce n’est pas le taux de croissance du produit intérieur brut qui nécessairement autorise à placer un pays dans le groupe des pays émergent, bien que
cela y contribue certainement. L’examen de la crise et de la sortie de crise
du Brésil contribuera à le montrer. Plusieurs facteurs, tant économiques que
politiques, participent à notre compréhension du phénomène. Il est important de souligner que les politiques économiques des pays émergents, pour
des raisons qu’il faudrait déterminer au cas par cas, ont affirmé la volonté
des dirigeants de ces pays à disposer d’une marge d’autonomie significative
par rapport aux contraintes imposées par l’intégration aux marchés internationaux (ce qui inclut les marchés financiers, les échanges de biens et services –
dont les produits primaires et l’énergie – la maîtrise des technologies et du
savoir-faire) dans la conduite de leur politique macroéconomique.
On a fait grand cas d’une supposée orientation « néolibérale » de la politique économique du gouvernement Cardoso. Le néolibéralisme suppose un
alignement inconditionnel aux mesures préconisées par les agences internationales, réunies dans ce que l’on a appelé le « consensus de Washington ».
Ce jugement ne tient pas compte de deux composantes fondamentales qui inspirèrent les politiques économiques des gouvernements Cardoso : le nationalisme et les impératifs du développement. Cela signifie que, dans toutes ses
réformes, le gouvernement a décidé de soutenir le secteur privé national et
de mettre en place d’importantes mesures de redistribution de la richesse à
l’intention des plus pauvres, tout en maintenant à l’État et aux entreprises
publiques un très large champ d’action dans l’orientation et la mise en pratique des politiques économiques. Ces politiques discriminantes et interventionnistes ne peuvent pas être confondues avec une politique néolibérale de
libre marché.
La mise en œuvre de politiques économiques innovatrices se distinguant
des préceptes associés au néolibéralisme a été élaborée en théorie du déve-
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Janus 2 : le regard intérieur
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
139
loppement par Luiz Carlos Bresser Pereira. Cet universitaire et ancien ministre a montré que les pays qui progressent dans le rattrapage se différencient,
à des degrés divers, par une préférence accordée à la mobilisation de l’épargne interne, et donc le rejet d’une croissance basée sur l’épargne externe,
ainsi que par « l’austérité budgétaire, des taux d’intérêts modérés et une
compétitivité obtenue par la neutralisation de la tendance à la surévaluation
du taux de change » 23. Dans son application, cet assemblage de mesures est
soutenu par une mobilisation des volontés, une « stratégie nationale de développement », pièce maîtresse, selon cet auteur, du dispositif de croissance.
Ces principes appliqués au développement servent de référence à l’analyse
qui suit.
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Contrairement à une impression répandue, le Brésil n’est pas un grand pays
exportateur. Son commerce international ne représente que 1 % du commerce mondial (la proportion était sensiblement la même il y a vingt ans),
et approximativement 18 % du produit intérieur brut. Cette faiblesse des
échanges tient au protectionnisme, autant celui des pays développés qui limitent l’accès des produits brésiliens sur leurs marchés, en particulier dans le
secteur de l’agriculture, mais aussi celui qui découle de la structure économique du pays, comme les insuffisances des infrastructures de transport et
la réglementation, qui augmentent sensiblement les coûts des denrées.
On note cependant une progression importante des revenus des exportations au cours des dernières années, malgré l’augmentation de la valeur du
real, la monnaie nationale. Les exportations brésiliennes ont suivi la hausse
du commerce mondial et ont été stimulées par la demande des pays d’Asie,
la hausse des prix des matières premières et des produits agricoles. Ainsi la
valeur des exportations a été multipliée par quatre entre 2000 et 2009 pour
dépasser la marque des 200 milliards de dollars US, pour retomber par la
suite à 157 milliards de dollars US fin 2010. Les importations ont augmenté
dans une proportion équivalente au cours de la période. Le surplus commercial, qui a dépassé les 30 milliards de dollars US en 2006, a fortement diminué en 2008, puis récupéré rapidement dès 2009 pour se situer autour de
24 milliards de dollars US, suite à une forte reprise des exportations.
La structure du commerce international du Brésil est remarquable à deux
titres. D’abord par l’équilibre de la distribution géographique et aussi par la
distribution sectorielle des exportations. Le tableau 2 montre la diversification de la destination des exportations. On constate quelques changements au
cours de la période. La diminution relative des exportations à destination de
23. BRESSER PEREIRA L.-C., Mondialisation et compétition, Paris, La Découverte, 2009, p. 25.
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Les échanges internationaux et régionaux
140
Philippe FAUCHER
l’Europe est plus que compensée par la montée de la Chine (13 % en 2009).
Il est intéressant de noter également la faible progression des échanges avec
les partenaires du Mercosul et de l’ensemble des pays de l’Amérique latine.
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La nouvelle de la découverte de très importantes réserves en pétrole au
large des côtes de l’État de Rio de Janeiro a fait le tour de la terre. L’exploitation de ces gisements, situés par grand fond, pourrait faire du Brésil un
grand pays exportateur de pétrole. Une partie des réserves identifiées sont
situées à plus de sept kilomètres de profondeur, les défis techniques à surmonter sont très importants, ce qui augmentera à la fois les coûts et les délais
d’exploitation. Néanmoins les débats politiques sur les règles d’appropriation
de la rente sont déjà en cours dans les assemblées des États concernés, dont
celui de Rio de Janeiro. Cette nouvelle nous rappelle que, suite à d’importants efforts d’investissements réalisés sur une période de plus de 30 ans, le
Brésil est parvenu à atteindre son autosuffisance énergétique (le pétrole
lourd est exporté et des produits raffinés sont importés pour une balance
équilibrée). Avec l’apport de ressources importantes, le pays vise à devenir
un exportateur de premier plan.
Tableau 2 : Brésil : distribution géographique
des exportations (% du total), 1990-2009
Amérique
du Sud
Mercosul États-Unis
Union
Chine
Européenne
Asie
(sans
Chine)
Autres
1990
8,6
4,2
28,0
34,0
3,8
18,4
7,1
1995
20,5
13,2
18,9
28,8
2,6
16,9
12,4
2000
20,2
14,0
24,3
27,8
2,0
11,5
14,2
2005
17,9
9,9
19,2
22,8
5,8
13,1
21,1
2006
19,4
10,1
18,0
22,5
6,1
12,9
21,1
2007
19,9
10,8
15,8
25,2
6,7
12,5
20,0
2008
19,4
11,0
14,0
23,4
8,3
14,2
20,8
2009
17,7
10,3
10,3
22,2
13,2
16,8
19,8
Source : Banque centrale du Brésil
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Le Brésil est considéré comme étant surtout un pays exportateur de produits primaires. Ce n’est qu’en partie vrai. Sur l’ensemble des exportations,
la part des produits transformés, dont le sucre et le bois d’œuvre, et des produits manufacturés est largement majoritaire, même pour les échanges avec
la Chine. La progression des exportations brésiliennes des dernières années
a été poussée en partie par les hausses importantes des prix des produits de
base (café, sucre, bœuf, cacao, soya, minerais de fer) dont les prix internationaux ont doublé et dans certains cas triplé au cours des 8 dernières années
comme on le voit dans le tableau 3.
46 506
55 086
118 308
137 807
160 649
197 942
152 995
1995
2000
2005
2006
2007
2008
2009
25 290
24 836
40 032
46 457
44 703
698
3 466
10 752
Balance commerciale
(M$)
40,5
36,9
32,1
29,2
29,3
22,8
22,6
26,8
Produits primaires
(% export. totales)
13,4
13,7
13,6
14,2
13,5
15,4
20,6
16,0
Produits semi-transformés
(% export. totales)
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127 705
173 107
120 617
91 351
73 605
55 783
49 972
20 661
Importations
(M$)
Source : Banque centrale du Brésil
31 414
1990
Exportations
(M$)
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Tableau 3 : Brésil : exportations par catégorie de produits, 1990-2009
44,0
46,8
52,3
54,4
55,1
59,1
55,1
55,5
Produits manufacturés
(% export. totales)
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
141
142
Philippe FAUCHER
Il est fréquemment souligné, dans les études, que la politique macro-économique du Brésil cherche à minimiser la vulnérabilité provenant de l’instabilité
des marchés extérieurs. Cette caractéristique est partagée par la politique
commerciale, elle-même soumise aux objectifs de la politique étrangère 24.
Après une première vague de baisse des tarifs intervenue au début des
années 1990, peu de progrès a été réalisé depuis, si bien que le pays demeure
protectionniste. À la même époque, le pays s’est engagé dans plusieurs
négociations commerciales qui ont donné peu de résultats à ce jour. Le Brésil est un joueur prudent.
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On ne peut pas donner foi aux thèses qui voudraient que les économies
émergentes puissent échapper aux fluctuations de la situation économique
internationale. La crise de l’automne 2008 a rappelé, si besoin était, l’interdépendance des marchés nationaux. L’effet de contagion est d’autant plus
important que l’économie considérée est fortement intégrée aux marchés
internationaux, que ce soit par ses marchés financiers ou ses échanges commerciaux. Par conséquent, une intégration limitée au système mondial et
des régulations publiques protectionnistes auraient pour effet de diminuer la
vulnérabilité de son économie.
Si les gouvernements brésiliens au cours des quinze dernières années
avaient, comme cela est parfois affirmé, suivi une politique néolibérale
d’intégration au marché mondial et plus particulièrement de libéralisation
commerciale, l’économie du Brésil aurait souffert bien davantage de la crise
économique. Qu’elle ait été moins affectée que les économies du Mexique
ou de l’Argentine vient de son isolation relative, elle-même conséquence de
la volonté des responsables politiques de préserver une marge d’autonomie
dans la conduite de l’économie et des régulations protectionnistes héritées
de la période de substitution des importations.
La diminution tangible de la pauvreté fait partie des grandes réalisations
des gouvernements Cardoso et Lula. L’effet combiné de l’arrêt de l’inflation, de la création d’emplois découlant de la croissance, de la hausse des
exportations, de l’augmentation significative du salaire minimum et des
programmes à l’intention des plus pauvres (réunis dans la Bolsa Familia) ont
réduit la pauvreté de moitié et augmenté l’importance de la classe moyenne.
Ainsi le revenu moyen a-t-il augmenté de 38 % entre 2003 et 2010. Cette
classe moyenne qui accède au marché de consommation (classe C ou 3e quin24. DA MOTTA VEIGA P., « Brazil,s Trade Policy : Moving Away From Old Paradigms ? », in BRAINARD L. et MARTINEZ-DIAZ L., Brazil as an Economic Superpower ?, Washington, The Brookings
Institutions, 2009, p. 133.
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Ce que révèle la crise de 2009
Tel Janus : les deux faces du Brésil émergent
143
tile) représente 53 % de la population. La proportion des plus pauvres (classe
E ou dernier quintile) a diminué entre 2002 et 2009 de 11 % et ne représente
plus que 18 % de la population. Le taux moyen de croissance du produit
national a doublé. Il était de 1,9 % pour la période 1999-2003, il est passé à
4 % pour 2004-2009. La croissance de l’économie au cours des dernières
années a été stimulée par une augmentation considérable de la consommation des ménages.
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Tableau 4 : Taux de couverture de défaillance
pour les titres du trésor brésilien 2002-2010
Source : Bloomberg
La valeur culminante a été de 3 972 points, soit une surprime (intolérable
bien que temporaire) de 40 % au-dessus du taux de base, niveau atteint en
octobre 2002. Quelques semaines plus tard, lors de la cérémonie d’inauguration, le taux de couverture avait déjà diminué de moitié. La pointe de juin
à octobre 2002 correspond à la fin du gouvernement Cardoso et à la campagne électorale. Les marchés sont nerveux, la dette du pays augmente considérablement et les réserves sont basses. Les agences étrangères baissent la
cote du Brésil. La lettre de Lula, annonçant que son gouvernement respectera les politiques macroéconomiques de son prédécesseur, joint à un crédit
important du FMI, permet de stabiliser la situation. L’inquiétude des marchés
s’est à nouveau manifestée dans les premiers mois de 2004. À l’époque,
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L’assainissement général de l’économie est reflété par la baisse continue
de la surprime imposée par les marchés financiers aux emprunts du Brésil
sur le marché international. Comme on le constate dans le tableau 4, la
baisse du « risque Brésil » a été assez régulière, ce qui témoigne de la stabilité dans l’application et du succès, sanctionné par les agences de crédit
des politiques macroéconomiques des gouvernements Lula.
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Philippe FAUCHER
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La politique macroéconomique compte, selon les termes utilisés par la
Banque Centrale, trois piliers qui déterminent la prise de décision. Ainsi la
Banque a déterminé : 1) un objectif d’inflation (la fourchette se situe actuellement entre 3 % et 7 %) qui oriente la politique monétaire, 2) une politique
fiscale destinée à produire un surplus primaire compatible avec la réduction
du ratio de la dette par rapport au produit intérieur, et 3) un taux de change
flexible. Ces trois mesures contribuent à diminuer la perception du risque
sur les marchés externes. Maintenir ces équilibres a été fort coûteux à certains
moments, pour le grand bénéfice des banques. Ainsi le taux d’intérêt moyen
entre 1996 et 1999 était-il de 18,4 %. Il a été ramené progressivement à
15 % en 2003, s’est situé autour de 12 % en 2004 et 2005, puis 7,6 % en
moyenne au cours des 4 dernières années (2006-2010). Le surplus primaire
s’est maintenu, conformément aux engagements pris avec le FMI, autour de
3,5 % du produit intérieur brut jusqu’en 2008. L’année suivante, il a diminué à 2 %, provoqué par les mesures de stimulation en réponse à la crise
internationale. Le ratio de la dette par rapport au produit intérieur a diminué
de 63 % à 43 % entre 2002 et 2009. Le dynamisme démontré par l’économie brésilienne, la hausse des revenus d’exportations et les taux d’intérêts
avantageux sur les emprunts se sont traduits par une hausse de la valeur de
la monnaie et une augmentation des réserves en devises. La surévaluation
relative du real par rapport au dollar ne s’est pas traduite, contre toute attente,
par une baisse importante des exportations. Les réserves ont atteint en 2010
le niveau record de 243 milliards de dollars US.
La Banque centrale s’est efforcée de diminuer la vulnérabilité de l’économie aux fluctuations du marché des changes. En effet, lorsque la monnaie
nationale se dévalue, le montant de la dette en devise étrangère augmente.
En réduisant la valeur de la dette et en augmentant les réserves, il y a moyen
de diminuer la sensibilité aux fluctuations des marchés des changes. Ainsi
la Banque centrale signale qu’une dévaluation de 10 % en 2002 augmente
le ratio de la dette au produit intérieur brut par un facteur de 3,5 %. En 2010
une dévaluation équivalente n’augmente le ratio dette/produit intérieur que
25. L’analyse présentée dans ce paragraphe m'a été proposée par Simon Langlois.
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l’augmentation des emprunts s’accompagne d’une baisse du taux directeur
de la banque centrale. Les agences baissent la cote du Brésil et le taux de
couverture subit une brève hausse. Enfin à l’automne 2008, la remontée
modeste du taux de couverture est causée par la crise internationale du crédit et reflète l’augmentation appréhendée du risque de défaut. La surprime
se situe (mai 2010) autour de 150 points, soit 1,5 % du taux de base, ce qui
est négligeable. Au même moment, les titres de la dette brésilienne recevaient le grade « investissement » des agences internationales de crédit 25.
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La crise du crédit de l’automne 2008 a quand même fait craindre le pire.
La fuite du crédit a momentanément mis en danger les contrats d’exportation, les banques n’étant plus en mesure d’offrir le crédit nécessaire aux
transactions. La Banque centrale est intervenue en offrant des lignes de crédit en devises étrangères, en servant de collatéral pour des prêts et en échangeant des devises. Autant de mesures destinées à augmenter la liquidité du
système. Au total, un montant de 77 milliards de dollars US a été mobilisé
pour assurer le financement du commerce extérieur. À cette somme s’ajoute
des prêts de l’ordre de 36 milliards de dollars US destinés à 4 000 entreprises pour aider celles-ci à préserver leurs marges de crédit sur les marchés
étrangers. La liquidité du système bancaire a été maintenue par une diminution des obligations de réserves de près de R$ 100 milliards auquel s’ajoute
un apport net de liquidité de R$ 42 milliards destiné aux petites institutions.
Après une forte baisse en octobre 2008, le crédit a repris progressivement.
L’après Lula
Les conditions étant favorables le gouvernement Lula a lancé en janvier
2007 un premier Programme d’accélération de la croissance (PAC), suivi
d’une annonce, faite en 2010, d’une deuxième phase pour la période 20112014 26. Le PAC 1 prévoyait des dépenses de R$ 513 principalement pour
des investissements dans les énergies, pour des logements sociaux et pour la
modernisation des transports. Un an après l’annonce, le tribunal des comptes
affirmait que seulement 12 % des dépenses avaient été engagées, chiffre que
contesta la ministre, chef de la Maison civile, Dilma Roussef (aujourd’hui
présidente). Le PAC 2, doté d’un budget d’US$ 526 milliards, peut être
considéré comme une reprise étendue du premier programme 27. La dimension sociale des projets est dans le prolongement des orientations idéologiques des dirigeants du PT, mais il n’a pas échappé aux observateurs que
l’annonce du PAC 2, à la veille du lancement officiel de la campagne à la
présidence, peut aussi être compris comme un signal, à l’intention du secteur privé, de l’importance des investissements et donc des contrats qui
seront octroyés pour la réalisation des projets.
C’est la constance qui rend la révolution économique de la Chine remarquable. Les changements spectaculaires sont le résultat de 25 ans de croissance soutenue et derrière la vitrine futuriste de Shanghai il y a encore bien
26. www.brasil.gov.br/pac
27. Au lancement du PAC 2 en mars 2010, Le Monde du 1er avril rapportait que seuls 40 % des projets
annoncés du premier PAC ont été lancé et 11 % achevés.
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d’une proportion de 1,1 %. Ce décrochage a certainement été bénéfique
pour assurer la stabilité.
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La croissance des premiers mois de 2010 a atteint 9 %. Le chiffre a été
commenté dans l’euphorie par l’équipe gouvernementale. Quelques voix du
secteur privé ont souligné que ce rythme ne pouvait être soutenu, à moins
de réformes importantes de la politique économique. La croissance actuelle
repose principalement sur une augmentation de la consommation des ménages, manifestation tangible de la montée d’une nouvelle classe moyenne qui
accède à la consommation. La surévaluation du real s’est traduite depuis
2008 par une forte augmentation des importations provoquant une diminution sensible du surplus commercial. L’investissement demeure insuffisant
(18 % du PNB) et le taux d’épargne (16 % du PNB) est faible. L’excès de
demande exerce une pression sur les prix qui se manifeste par une reprise
de l’inflation qui pourrait atteindre 6 % pour l’année. Ces chiffres sont
incompatibles avec une croissance soutenue.
En fin de mandat, la popularité du président Lula demeurait exceptionnellement élevée. Il est « l’homme politique le plus populaire de la terre »
aurait dit le Président Obama à l’occasion d’une rencontre du G20 à Londres. Cela n’empêche pas que des inquiétudes se manifestent à l’endroit des
politiques économiques de la nouvelle présidente, Dilma Roussef. On invoque à nouveau le « risque Brésil », en prêtant à la présidente l’intention de
déroger à la politique macroéconomique orthodoxe des dernières années en
augmentant les dépenses, en favorisant le recours à l’investissement par le
secteur public et donc à l’endettement. Ces craintes ne sont pas nouvelles.
Elles relèvent des inquiétudes souvent avérées des milieux financiers.
Conclusion
En alternant les regards, du passé au présent et de l’extérieur vers l’intérieur,
j’ai tenté de comparer le Brésil à lui-même, d’apprécier sa trajectoire pour
donner un sens à la qualification de pays émergent. Il est indéniable que
beaucoup de choses ont changé et généralement pour le mieux. Le pays est
plus prospère, plus ouvert aux marchés internationaux, la démocratie est
bien implantée et les inégalités se résorbent. Les changements se produisent
cependant très progressivement, au rythme de la croissance déterminante pour
dégager le surplus indispensable à toute redistribution, n’a été en moyenne
que de 2 % entre 1981 et 2005.
L’émergence du Brésil se manifeste doublement. D’abord par les changements introduits dans la politique économique, qui ont stabilisé puis soutenu
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des régions qui vivent encore dans l’extrême pauvreté. Il n’en est pas de
même au Brésil. Ce pays a connu des sursauts de croissance accélérée, mais
a démontré peu de persévérance. La poursuite d’un développement à long
terme demande la mise en application de réformes importantes et d’investissements conséquents.
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La consolidation des institutions démocratiques, la continuité de la politique macro-économique, en un mot la stabilité a contribué à créer un climat
propice à l’approfondissement des réformes sociales et à l’investissement
productif. La conjoncture internationale a contribué de 2000 à 2008 à soutenir
les efforts de croissance et la reprise est bien engagée, comme le montre la
croissance en 2010. Mais il ne faut pas négliger l’importance de certaines
politiques héritées du gouvernement militaire – le programme Pro-Alcool
de production d’éthanol qui permet aujourd’hui au pays d’être autosuffisant
en hydrocarbures, date de 1975 – et des gouvernements civils antérieurs
comme la création du Mercosul et la libéralisation des échanges. Il faut
aussi souligner l’importance des grands instruments d’intervention, tels que
les entreprises publiques qui sont à l’origine de l’expansion récente des
multinationales brésiliennes, et la Banque Nationale de développement économique et social (BNDES). Sa contribution a été fondamentale dans la préparation, la supervision et la participation au processus délicat de privatisation
et plus récemment à l’expansion internationale des firmes brésiliennes 28.
La continuité joue certainement un grand rôle dans la confiance des
investisseurs nationaux et étrangers. Le Brésil n’est plus considéré comme
un marché à risque. De manière très concrète, cela se traduit par un afflux
important d’investissements étrangers, jusqu’à 45 milliards de dollars US
en apport net en 2008.
Comment se fait-il que l’économie brésilienne se soit révélée particulièrement robuste au cours la crise de 2008? Plusieurs facteurs y ont contribué.
La réglementation du système bancaire y est sévère, l’obligation de réserve
imposée aux institutions financières est élevée. Le crédit est cher et restreint
à ceux qui disposent de ressources, le marché hypothécaire peu développé
ne représente que 6 % du produit intérieur (38 % en France), si bien qu’un
effondrement déclenché par la perte de valeur de papiers commerciaux adossés à des hypothèques accordées à des propriétaires non solvables, comme
cela s’est produit aux États-Unis, ne pouvait pas se répercuter au Brésil. Le
gouvernement brésilien était depuis plusieurs années en mode d’austérité
28. SCHNEIDER B.R., « Big Business in Brazil : Leveraging Natural Endowments and State Support
for International Expansion », in BRAINARD L. et MARTINEZ-DIAZ L., Brazil as an Economic
Superpower ?, Washignton, The Brookings Institutions, 2009, p. 159-186.
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la croissance des dernières années. La libéralisation commerciale, l’orthodoxie monétaire, la stimulation de la demande interne ont permis au Brésil
de bien résister à la crise financière et de profité pleinement de la reprise dès
la fin de 2009. Ensuite par un virage de sa politique étrangère marquée par
une plus grande affirmation dans les forums internationaux, la diversification de ses relations multilatérales et un travail soutenu de représentation
mené par les présidents Cardoso puis Lula.
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Philippe FAUCHER
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Assistons-nous à la naissance d’un géant ? Il est implicite dans les analyses des pays émergents que ceux-ci sont appelés à devenir les grandes
puissances de demain. C’est une évidence en ce qui concerne la Chine et
plus que probable – bien qu’à un rythme bien différent – pour l’Inde. Ce
statut de grande puissance est plus problématique en ce qui concerne le Brésil. J’ai montré que la croissance actuelle est le résultat de la consolidation
démocratique et de la stabilité macro-économique. Cette conjonction de
facteurs est récente et les résultats, s’ils sont encourageants, sont bien en
deçà des performances d’autres économies. Des réformes devront être engagées, en espérant que la conjoncture internationale sera favorable. Celle-ci
continuera certainement pour un temps à être favorable au Brésil. Les
grands évènements sportifs internationaux prévus, la Coupe du Monde de
football en 2014 puis les Jeux olympiques en 2016 vont, au plan symbolique, contribuer à soutenir le Brésil dans sa quête de reconnaissance internationale.
Les axes historiques du développement, orientés majoritairement selon
un axe est-ouest, n’ont pas favorisé le Brésil, ni le reste de l’Amérique latine
Il n’y a pas de raison que cela change. Pour illustration, le Mexique, de par
sa position géographique, occupe une place à part dans la zone d’influence
économique des États-Unis (tout comme le Canada), alors que le Brésil y
échappe. C’est pourquoi ce dernier se doit de définir une stratégie commerciale particulière qui privilégie des partenaires situés en dehors ou à la
marge de la zone d’influence des entreprises américaines, ou parmi les
autres pays émergents. Ces intérêts partagés confèrent au Brésil une réalité
tangible, au moins pour une part des échanges. Les négociations entre le
Mercosur et l’Union européenne demeurent au point mort. La politique
d’ouverture a, au cours des dernières années, pour des raisons politiques,
privilégié un axe Sud-Sud, qui présente peu d’avantages au plan économique. Le biais protectionniste, la distance entretenue par rapport à la concurrence internationale sont encore des orientations qui conservent un fort
soutien politique, particulièrement au sein du Parti des Travailleurs. En conséquence, le Brésil se prive des avantages d’une plus forte intégration aux
marchés internationaux. Des réformes devraient être introduites sur la con-
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fiscale, si bien qu’il disposait d’une marge de manœuvre pour stimuler
l’économie. Le gouvernement avait déjà mis en œuvre des mesures de stimulation, particulièrement dans les infrastructures. C’est ainsi qu’un premier Programme d’accélération de la croissance (PAC) de 513 milliards
de Reais a été lancé en 2007, suivi d’un deuxième en 2010 au montant
526 milliards pour la période 2011-2014. On peut penser que la vitesse de
réaction des autorités politiques n’est pas étrangère au fait que l’élection
présidentielle était prévue pour l’automne 2010. Il fallait que la reprise se
manifeste à ce moment-là.
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Le rôle du Brésil dans la politique internationale est souvent questionné.
On lui reproche de vouloir « jouer dans la cour des grands », sans en avoir
les moyens. Avec la consolidation démocratique, la politique étrangère brésilienne ne peut plus être abandonnée aux compétences de l’Itamaraty et
aux préférences idéologiques du chef de l’État. La politique étrangère fait
partie du débat démocratique et est appelée à devenir un enjeu de représentation des partis et groupes d’intérêts. C’est pourquoi les orientations politiques devront, à terme, davantage tenir compte des intérêts des entreprises
brésiliennes et de leur expansion internationale. Le leadership du Brésil
dans la région est loin d’être acquis et accepté par les pays voisins. Les initiatives, comme la création d’UNASUR, ne sont encore que l’expression de
l’affirmation de la volonté partagée par les grands pays de la région de
résoudre par eux-mêmes, donc sans la participation américaine, les problèmes régionaux, plutôt qu’un agenda bien défini de mise en œuvre de politiques communes visant à une intégration militaire et économique plus
poussée.
C’est aussi sur le plan de la politique intérieure que des actions importantes devront être menées. Le développement économique commande de
soutenir l’expansion du marché domestique. Cela suppose la poursuite de
multiples interventions qui, tout en convergeant, vont participer à rendre la
distribution de la richesse plus égalitaire. Les programmes d’aide destinés
aux plus pauvres devront être maintenus et bonifiés. Bien que déjà entrepris,
un effort considérable doit être fait en éducation, à tous les niveaux. Les
investissements en recherche et développement du secteur privé devront
être accrus. Les infrastructures ne parviennent pas à satisfaire la demande
en particulier pour la production et la distribution d’électricité, les transports routiers et ferroviaires et les ports. Bref il y a un effort d’investissement considérable qui est requis afin d’éviter les goulots d’étranglement
susceptibles de compromettre la poursuite de la croissance et l’approfondissement du processus de développement économique.
Le Brésil triomphe et célèbre avec une fierté retrouvée ses réalisations.
Par son parcours personnel, et le succès de sa présidence, le Président Lula
incarne bien l’assurance toute nouvelle du Brésil d’aujourd’hui. Ce n’est
pas la première fois dans l’histoire contemporaine que le Brésil manifeste
son dynamisme, ce n’est pas pour rien qu’il a été souvent présenté comme
le « pays du futur ». Il est encore prématuré d’affirmer que le futur est arrivé,
au moins les indicateurs économiques habituels, en particulier l’index du
développement humain, ne permettent pas de l’affirmer pour la majorité de
la population. Le test viendra dans la durée. Voilà maintenant plus de 25 ans
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duite de la politique étrangère et de la politique commerciale pour rendre
possible la poursuite de la libéralisation de l’économie.
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que la Chine poursuit sa croissance accélérée, son PNB a dépassé maintenant celui du Japon, alors que des millions de Chinois sortent de l’extrême
pauvreté et s’intègrent par leur travail et leur consommation à l’économie
de marché. À une échelle moindre, le Brésil devra gérer avec soin le développement de son économie, consentir aux investissements domestiques
essentiels et accélérer l’ouverture de son économie aux marchés internationaux.
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