YVES GENIER
L
e visage rond et le crâne
dégarni d’Alexandre Tom-
bini promettent tout le contraire
de l’aventure. Consensuel, l’éco-
nomiste brésilien de 48 ans
avait été salué de tous les bords
politiques lors de sa nomination
à la tête de la Banque centrale
du Brésil (BCB) en novembre
dernier. Même la Bourse de São
Paulo l’avait ovationné par une
hausse de 2,4%. Traumatisé par
le chaos économique et l’hype-
rinflation des décennies pas-
sées, le géant latino-américain
ne vise plus que la stabilité pour
profiter au mieux de son spec-
taculaire essor.
Le Brésil comme la Suisse.
Aussi la stupeur des marchés
financiers a-t-elle été à son
comble le 31 août dernier lors-
que la BCB a annoncé une baisse
des taux d’intérêt. Et si, se sont-
ils alarmés, l’inflation allait à
nouveau s’enflammer? Après
tout, depuis deux ans, la BCB
avait agi dans le sens inverse,
durcissant sa politique moné-
taire afin de freiner une écono-
mie alors en plein boom. Mais
même avec les conditions parmi
les plus dures au monde (le taux
actuel est de 12%), l’institut n’ar-
rive pas vraiment à brider une
hausse des prix supérieure à
7,2%. Et pourtant, d’autres bais-
ses de taux sont attendues ces
prochains mois.
Mais Alexandre Tombini doit
répondre à un défi beaucoup
plus inattendu dans un pays
mieux connu pour son instabi-
lité passée. Comme la Suisse, le
Brésil a une monnaie si forte
qu’elle nuit à ses exportations.
En deux ans, le réal s’est appré-
cié de 46% face au dollar en rai-
son de l’afflux massif de fonds
cherchant à s’investir dans ce
qui est toujours considéré
comme un eldorado. Et comme
la Suisse, le Brésil voit sa crois-
sance se tasser fortement, sous
le double effet de la hausse de sa
monnaie et de la baisse de la
conjoncture mondiale. Alors
qu’elle dépassait 9% à la fin
2010, elle n’est plus que de 3,1%
au 2e trimestre de cette année.
«Cette situation a rendu ner-
veux le gouvernement de Dilma
Roussef, la nouvelle présidente,
qui a suscité l’intervention de la
banque centrale. Quitte à ins-
tiller le doute sur son autonomie
et à provoquer un dérèglement
de la machine économique»,
opine Yves Kuhn, gérant d’un
fonds en actions émergentes
chez Swisscanto.
Le cas du Brésil est particulier
en ce sens qu’il révèle un nouvel
aspect des pays émergents.
Contrairement à des modèles
dominants comme la Chine,
«usine du monde» tournée vers
l’export de biens manufacturés,
le géant sud-américain croît
essentiellement grâce à son
marché intérieur, grâce aux
revenus de la vente de matières
premières à l’étranger.
«Soft landing» à Ankara?
D’autres, comme la Turquie,
n’ont pas cette chance. Très
orientée vers l’Europe, la patrie
d’Atatürk vient de vivre un
boom économique sans précé-
dent, qui a étendu la sphère de
prospérité des côtes vers l’inté-
rieur des terres, au point de ren-
dre méconnaissables de petites
cités anatoliennes et de créer de
monstrueux embouteillages sur
les autoroutes urbaines de la
mégalopole d’Istanbul. Mais
depuis août, la banque centrale
n’exclut plus une nouvelle réces-
sion. «Depuis quelques mois, les
affaires ralentissent», témoigne
Vedat Kirisçi, ancien président
de la Chambre de commerce
turco-suisse sur les rives du
Bosphore. De fait, la croissance,
qui s’élevait encore à 11% au
début de l’année, ne devrait plus
être que de 5,3% l’an prochain,
prévoit l’OCDE.
La crise révèle aujourd’hui des
déséquilibres structurels que les
dernières années de croissance
avaient laissés dans l’ombre. Le
pays achète à l’extérieur plus
qu’il ne vend. Le déficit de la
balance des paiements atteint
le sommet de 6,6% du PIB, un
niveau inégalé depuis la crise de
2001. De quoi susciter les
inquiétudes des marchés finan-
ciers. «La question du finance-
ment de cet écart est toujours
plus pressante, la part des prêts
à court terme, spéculatifs, étant
élevée. Le pays est donc vulné-
rable à une crise de méfiance qui
entraînerait un retrait de ces
fonds et risquerait de déboucher
sur une crise du crédit», note
Agnès Arlandis, stratège chez
HSBC à Genève. Signe de la
défiance, la livre turque a reculé
en un an de 22,5% face à l’euro,
la principale devise des échan-
ges extérieurs du pays. C’est le
recul le plus marqué d’une mon-
naie émergente.
Cette baisse est accentuée par la
crainte du pays face à l’inonda-
tion de «hot money», ou fonds
investis à très court terme.
Abondants lors des phases de
croissance, ces fonds fuient à la
première alerte. Or, le pays a fra-
gilisé sa situation financière.
LES PAYS ÉMERGENTS
SOUFFRENT AUSSI
CRISE DE LA DETTE. Les nouveaux moteurs de l’économie
mondiale comme le Brésil, la Turquie et l’Inde n’échappent pas
aux tourments de l’Europe et des Etats-Unis.
34∑inflation
Actuels
dilma roussef Le Brésil, dont elle est présidente, a une monnaie forte
qui nuit à ses exportations. Comme la Suisse.
ues leimarcelino REUTERS
L’Hebdo 15 septembre 2011
C M Y K